Astronomie populaire (Arago)/XI/21

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 528-538).

CHAPITRE XXI

étoiles nébuleuses


Il faut bien se garder de confondre les astres qu’Herschel a décrits sous le nom d’étoiles nébuleuses, avec ceux qu’on appelait ainsi dans les anciens ouvrages, dans le Traité d’astronomie de Jacques Cassini, par exemple. Pour Simon Marius, pour Boulliaud, pour Huygens, etc., l’agglomération blanchâtre découverte près de la ceinture ou de ν d’Andromède (fig. 114), dont la longueur s’élève à plus de 2 degrés 1/2, et la largeur a plus de 1 degré, était une étoile nébuleuse, quoique personne n’eût rien aperçu dans toute son étendue qui ressemblât vraiment à une étoile. Ce qu’Herschel considère comme des étoiles nébuleuses, ce sont des étoiles proprement dites, entourées de nébulosités dépendant d’elles, faisant corps avec elles, telles que l’étoile de huitième grandeur, située sur le pied gauche de Persée, non loin de ζ de cette constellation, et que représente la figure 128. La dernière limitation que j’emploie pour distinguer cette classe d’objets célestes, a trait aux étoiles qui se projettent sur des nébulosités plus éloignées, ou en face desquelles vient s’interposer une nébulosité plus voisine. En d’autres termes, la limitation se rapporte aux étoiles qui ne sont nébuleuses qu’en apparence. Mais comment distinguer, en ce genre, l’apparence de la réalité ; comment décider si la nébulosité dont une étoile semble entourée, lui appartient en propre comme une sorte d’atmosphère, ou seulement par un effet de projection, par un effet de perspective ?

Cette question étonnera sans doute ceux qui ont lu dans le tome xxxviii des Transactions philosophiques, année 1733, un Mémoire où Derham déclare « avoir aperçu (perceived), en observant la grande nébuleuse d’Orion, que les quelques étoiles qu’on y remarque sont plus près de la Terre que la nébulosité ; où l’on trouve ensuite ces paroles encore plus explicites : « Je reconnus parfaitement que la matière nébuleuse est partout à une certaine distance au delà des étoiles qui semblent l’entourer… Cette matière paraît être enfin, tout autant par delà les étoiles fixes que les étoiles sont éloignées de la Terre. »

Herschel, malgré la force de ses instruments, n’a pu vérifier, comme on doit s’y attendre, les prétendues observations de Derham. Ces observations n’avaient, en effet, rien de réel : elles étaient de simples jeux d’imagination. Dès que les objets sont éloignés d’un million de fois la longueur du télescope, cet instrument ne fournit aucune notion sur les distances : des millions, des centaines de millions, des milliards de lieues, c’est tout un ; les images se forment au même foyer, sans différence appréciable. Par quel artifice l’astronome aux yeux duquel les objets se manifestent seulement à l’aide des images focales, parviendrait-il à discerner si les rayons qui concourent à la formation de ces images, viennent de près ou de loin ? D’ailleurs, au lieu d’admettre que toujours les étoiles nébuleuses sont beaucoup en deçà des nuages laiteux dont elles semblent entourées, Herschel trouve dans l’étude de diverses circonstances relatives à la forme et à l’éclat de ces astres problématiques, de puissantes raisons de croire que le noyau brillant et la faible clarté environnante forment un ensemble, un tout, un système unique.

Herschel aperçoit, le 6 janvier 1785, une étoile brillante entourée jusqu’à la distance de deux minutes à deux minutes et demie d’une nébulosité qui s’affaiblit graduellement en s’éloignant du centre : « Voilà, dit-il, un indice non douteux de la connexion de l’étoile et de la nébulosité. » Cette connexion, il la fait résulter, en 1790, de la position qu’occupe une étoile de huitième grandeur, précisément au centre d’une atmosphère laiteuse, exactement circulaire, de trois minutes de diamètre, d’une lumière uniforme et extrêmement faible.

Peut-être, sans rien ajouter d’essentiel aux observations du célèbre astronome de Slough, et par une forme de discussion qui déjà a été employée avec succès dans l’étude des étoiles multiples (liv. x, chap. xvii), serait-il possible de donner de l’importante question qui nous occupe, sinon une solution mathématique que la matière ne comporte pas, du moins une solution fondée seulement sur des considérations de probabilité, et propre néanmoins à porter la conviction dans tous les esprits. Voici quelles en seraient les bases :

Le 6 janvier 1785, Herschel aperçut une étoile à peu près au centre d’une nébulosité de quatre à cinq minutes d’étendue qui s’affaiblissait graduellement vers les bords. Le 17 janvier 1787, il découvrit une autre étoile de neuvième grandeur qui, elle aussi, était au centre d’une nébulosité assez intense, mais très-peu étendue. Deux autres étoiles, semblables en tout à celle du 17 janvier, furent découvertes le 3 novembre 1787 et le 5 mars 1790. Maintenant, qu’en tenant compte du petit nombre de nébuleuses rondes et resserrées que l’ensemble du firmament renferme ; qu’en prenant aussi note de l’extrême rareté de ces lueurs isolées dans les régions où se trouvent les quatre étoiles dont il vient d’être question, on cherche la probabilité que, par un simple effet de projection, quatre étoiles de huitième et de neuvième grandeur occuperont précisément les centres de quatre de ces petites nébuleuses rondes, et la probabilité sera tellement petite, qu’aucune personne raisonnable ne pourra refuser de s’associer aux idées d’Herschel ; et chacun demeurera convaincu qu’il existe réellement des étoiles brillantes, entourées d’atmosphères immenses, lumineuses par elles-mêmes ; et la supposition qu’en se condensant graduellement, ces atmosphères peuvent, à la longue, se réunir aux étoiles centrales et accroître leur éclat, deviendra très-plausible ; et le souvenir de la lumière zodiacale, de cet immense zone lumineuse dont l’équateur solaire est entouré, et qui s’étend au delà de l’orbite de Vénus, s’emparera de notre esprit comme un nouveau trait de ressemblance entre certaines étoiles et notre Soleil ; et les nébuleuses dont il était tout à l’heure question, au centre desquelles on aperçoit des condensations plus ou moins prononcées qui leur donnent l’apparence de têtes de comètes, s’offriront à l’imagination comme les premières ébauches des étoiles. Il semblera presque évident pour tout astronome que ces condensations cosmiques sont comme un état de la matière lumineuse, intermédiaire entre celui des nébuleuses également brillantes dans toute leur étendue et l’état des étoiles nébuleuses proprement dites ; comme la seconde phase à distinguer dans chaque groupe de cette matière, pendant son passage de la période uniformément diffuse à l’état d’étoile ordinaire. Ces vues grandioses d’Herschel ne tendent à rien moins qu’à nous faire supposer qu’il se forme sans cesse des étoiles, que nous assistons à la naissance lente, progressive, de nouveaux soleils. Un tel résultat mérite bien que les astronomes varient les observations qui pourraient ajouter encore à sa grande probabilité actuelle.

Pour atteindre ce but, il faudra principalement, ce me semble, déterminer les positions absolues des étoiles nébuleuses, avec toute l’attention qu’on a seulement accordée jusqu’ici à la position des étoiles les plus brillantes. Admettons, comme il est naturel de le croire, qu’elles aient un mouvement propre appréciable, et que malgré cela elles se conservent chacune au centre de sa nébulosité ; il en résultera que la nébulosité a un mouvement propre exactement égal à celui de l’étoile ; or, une pareille égalité équivaudra à une démonstration de la dépendance, de la liaison de l’étoile et de la nébulosité, soit que le mouvement observé provienne d’un déplacement réel, soit qu’il faille le ranger parmi les mouvements parallactiques, c’est-à-dire parmi ceux qui peuvent dépendre de la marche de notre système solaire dans l’espace. Je ne pense pas que l’étude des changements d’éclat ou d’étendue de la nébulosité puisse conduire au résultat désiré, ni aussi promptement ni avec une égale certitude.

Les mesures qu’Herschel a données des rayons de quelques-unes des atmosphères des étoiles, conduisent déjà à de curieux résultats. Admettons, par exemple, comme tout nous autorise à le faire, que l’étoile nébuleuse découverte le 6 janvier 1785, et dont il a été question précédemment, n’ait pas une seconde de parallaxe annuelle ; en d’autres termes, supposons qu’à la distance qui nous sépare de cette étoile, le rayon de l’orbite terrestre ne sous-tende pas une seconde, pas une seule seconde ; comme le rayon de la nébulosité se présente à nous sous un angle de 150 secondes, il s’ensuivra que les dernières limites de la matière laiteuse sont éloignées de l’étoile centrale de plus de 150 fois la distance du soleil à la terre. Si le centre de cette étoile coïncidait avec celui du soleil, son atmosphère engloberait l’orbe d’Uranus et irait 8 fois au delà ! Je ne pouvais pas oublier de consigner dans ce livre de si magnifiques résultats.

Herschel s’est demandé si les atmosphères stellaires ne seraient pas des atmosphères gazeuses ordinaires, éclairées par la lumière de l’astre central, et nous la reflétant en partie. Cette question, il la résout négativement, mais d’après des considérations qui me paraissent manquer de justesse. « De la lumière réfléchie, dit l’illustre astronome, ne pourrait jamais nous atteindre à l’immense distance où nous sommes de ces objets. » (Trans. philos., 1791, p. 85.) En examinant la question avec soin, à l’aide des principes de la photométrie, on reconnaîtra que la distance ne saurait apporter aucune diminution à l’éclat apparent de l’atmosphère éclairée de l’étoile. Cet éclat, comment, en effet, le constaterait-on ? À deux distances très-différentes, aux deux distances 1 et ensuite 1 million, je suppose, on dirigerait vers l’atmosphère de l’étoile, un tuyau dont l’ouverture circulaire sous tendrait, vu de l’extrémité opposée, de l’extrémité où s’appliquerait l’œil de l’observateur, un angle constant, un angle d’une minute, par exemple. En passant de la première à la seconde distance, la quantité de lumière que chaque point de l’atmosphère exactement situé dans la direction du tuyau, enverrait dans son ouverture circulaire et de là dans l’œil, s’affaiblirait indubitablement dans le rapport du carré de 1 au carré de 1 million ; mais, d’autre part, le nombre de points de la même atmosphère que l’œil découvrirait par l’ouverture en question, serait plus grand à la station éloignée qu’à la station voisine, précisément dans le même rapport du carré de 1 million au carré de 1 ; tout, quant à l’intensité, se trouverait ainsi compensé.

Cette permanence, cette égalité d’éclat dans un objet sous-tendant un angle sensible, à toutes les distances qui peuvent nous en séparer ; l’affaiblissement, au contraire, en raison du carré des distances, de la lumière d’un simple point, conduisent, ce me semble, à considérer certaines nébuleuses dites planétaires, sous un jour nouveau.

Considérons une étoile nébuleuse. L’étoile, proprement dite, est au centre ; elle ne sous-tend pas un angle sensible. La nébulosité environnante occupe, au contraire, un espace angulaire assez considérable. Cette sorte de vapeur, de matière gazeuse, peut être lumineuse par elle-même, ou nous réfléchir seulement la lumière de l’astre central ; les résultats seront exactement les mêmes.

À la distance 1, la lumière de l’étoile centrale l’emportera de beaucoup, je suppose, sur la lumière de la nébulosité. À la distance 2, l’intensité de l’étoile se trouverait réduite au quart et celle de la nébulosité ne serait pas altérée. Par le changement de distance, la nébulosité n’aurait subi de variation que sous le rapport des dimensions angulaires ; un rayon de 2 minutes, par exemple, serait devenu 1 minute.

Aux distances 3, 4,… 10,… 100, l’étoile se trouverait successivement réduite, au 9e, au 16e… au 100e… au 10 000e de son intensité primitive. Pendant que l’étoile subirait ces énormes affaiblissements, la nébulosité deviendrait 3, 4,… 10,… 100 fois plus petite qu’à l’origine, mais en conservant toujours le même éclat intrinsèque.

Quelles que soient donc primitivement (je veux dire relativement à une première distance), les intensités comparatives d’une étoile et de son atmosphère, on peut toujours concevoir une seconde distance dans laquelle l’étoile, excessivement affaiblie, ne prédominera plus sur la nébulosité. Il suffirait toujours d’un simple changement de distance, pour faire passer une étoile nébuleuse à l’état apparent de nébuleuse proprement dite, de nébuleuse sans noyau, sans centre lumineux.

On a mille raisons d’admettre la plus grande variété, la plus grande dissemblance, dans les distances à la terre des astres dont le firmament est parsemé. Il est donc très-probable que parmi les nébuleuses à la lumière presque uniforme qui figurent dans les catalogues, plusieurs deviendraient des étoiles nébuleuses si nous en étions plus près.

Pourquoi même ne supposerait-on pas que toutes les nébuleuses à formes parfaitement régulières, que les nébuleuses rondes, dites planétaires, sont dans ce cas ? Cette hypothèse s’accorderait avec ce que nous pouvons conjecturer sur le mode physique de formation de ces astres problématiques.

Cette théorie de la disparition optique du noyau, proprement dit, dans les étoiles nébuleuses, a donné lieu, de la part de sir John Herschel à des remarques auxquelles je dois répondre.

Voici les propres termes employés par l’auteur des Outlines of Astronomy. « M. Arago a supposé que les nébuleuses planétaires étaient des enveloppes brillant par la lumière réfléchie d’un corps solaire placé au centre, lequel serait invisible à cause de sa grande distance. Levant, ou essayant de lever le paradoxe apparent qu’implique une telle explication par le principe optique : qu’une surface éclairée est également brillante à toutes les distances lorsqu’elle sous-tend un angle mesurable, tandis que le corps central a son effet lumineux diminué en raison du carré de la distance. Malgré toute la déférence due à une si haute autorité, nous hésitons à adopter la conclusion. En effet, en supposant même que l’enveloppe réfléchisse et disperse également dans toutes les directions, toute la lumière du soleil central, la portion de cette lumière qui nous parviendra ne surpassera pas celle que le soleil nous aurait envoyée par une radiation directe. Mais la lumière du corps central est par hypothèse trop faible pour affecter l’œil d’une manière sensible ; son intensité sera donc beaucoup moindre si elle est répandue sur une surface plusieurs millions de fois plus grande que celle du soleil central. M. Arago, dans son explication parle expressément de lumière réfléchie ; si l’enveloppe était lumineuse par elle-même, son raisonnement serait parfaitement fondé. »

Si j’étais moins convaincu de la loyauté de sir John Herschel et de sa bienveillance pour moi, j’aurais à me plaindre sous plusieurs rapports de ce qu’on vient de lire.

« M. Arago, dit le fils de l’illustre astronome de Slough, a supposé que les nébuleuses planétaires étaient des enveloppes, brillant par la lumière réfléchie d’un corps solaire placé à leur centre. » Je n’ai jamais rien affirmé de pareil ; j’ai dit : « Chacun doit reconnaître qu’il existe réellement des étoiles brillantes, entourées d’atmosphères immenses, lumineuses par elles-mêmes. » En examinant la démonstration que William Herschel avait prétendu donner de la non-intervention de la lumière réfléchie dans les phénomènes que présentent les étoiles nébuleuses, et la trouvant inexacte, j’ai ajouté « que la matière nébuleuse, que la vapeur qui entoure une étoile nébuleuse peut être lumineuse par elle-même ou nous réfléchir seulement la lumière de l’astre central. » Puisque sir John Herschel reconnaît pour la lumière directe la vérité du principe paradoxal que j’ai employé, il eût été juste qu’il déclarât qu’à l’égard des étoiles nébuleuses qui brilleraient par elles-mêmes, j’avais donné de la disparition du point central, une théorie à laquelle personne n’avait songé auparavant. J’ajouterai, maintenant, que je ne vois pas que cette explication ne doive point être appliquée au cas où l’atmosphère qui entoure l’étoile ne brillerait que de la lumière réfléchie, provenant d’un corps central. Il est évident, qu’au point de vue du rayonnement, une telle atmosphère ne différerait pas de celle qui serait lumineuse par elle-même. Si je comprends bien l’objection, sir John Herschel répugne à admettre qu’on peut voir de la lumière réfléchie à une plus grande distance que le corps rayonnant d’où elle provient. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à cela quand on songe que la lumière venant directement du point rayonnant diminue d’intensité en raison du carré de la distance, tandis que la lumière réfléchie reste constante tant que l’angle sous-tendu par le corps, ou par les corps réfléchissants, conserve une valeur sensible ?