Astronomie populaire (Arago)/X/07

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 457-459).

CHAPITRE VII

les colorations des étoiles doubles sont-elles
des illusions d’optique


En voyant dans les catalogues d’étoiles doubles tant de combinaisons binaires de rouge et de bleu verdâtre, de jaune et de bleu, il me vint à l’esprit que les teintes bleue ou verte de la petite étoile n’avaient rien de réel, qu’elles étaient le résultat d’une illusion, un simple effet de contraste. Je pouvais étayer cette opinion des observations qu’on lit dans tous les traités d’optique sur les couleurs accidentelles. Dans ces observations, une faible lumière blanche paraît verte dès qu’on en approche une forte lumière rouge ; elle passe au bleu quand la vive lumière environnante est jaunâtre. Ces combinaisons étaient assez communément celles qui se faisaient remarquer entre la partie brillante et la partie faible des étoiles doubles, pour qu’on pût se croire autorisé à regarder l’assimilation des deux phénomènes comme parfaitement légitime. Un grand nombre d’exceptions cependant se présentaient, et il me parut qu’elles ne devaient pas être négligées. Une petite étoile bleue accompagnait souvent une brillante étoile blanche : témoin la trente-huitième des Gémeaux, témoin α du Lion, etc. Ici point de rouge, conséquemment point de phénomènes de contraste. La teinte bleue de la petite étoile ne pouvait plus être considérée comme une illusion. Le bleu est donc la couleur réelle de certaines étoiles ? Cette conséquence ne découlait pas moins directement de l’observation de δ du Serpent, car dans ce groupe la grande et la petite étoile sont l’une et l’autre bleues. J’avais donc toute raison, en 1825 (voyez la Connaissance des temps pour l’année 1828), de n’introduire la notion physique du contraste dans la question des étoiles doubles qu’avec la plus grande réserve[1].

Le contraste, on doit le reconnaître, est quelquefois la cause de la teinte verte ou bleue que présente la petite étoile d’un groupe binaire où la brillante est rouge ou jaune. Il suffit d’une expérience très-simple pour distinguer ces cas des autres : il faut cacher l’étoile principale avec un fil ou avec un diaphragme placé dans la lunette. Si pendant l’occultation de la grande étoile, la petite, qui s’aperçoit alors toute seule, cesse d’être colorée ; si elle devient blanche, la teinte verte ou bleue dont elle semblait revêtue quand les deux étoiles se voyaient simultanément, n’était qu’une illusion. Lorsque le contraire arrive, on ne pourrait se refuser à regarder ces teintes comme réelles. Eh bien, l’occultation de la grande étoile n’amène, sur la seconde, la disparition de toute couleur que dans un certain nombre de cas. Le plus ordinairement, cette occultation laisse la teinte de la petite étoile intacte, ou, du moins, n’y apporte que des modifications insensibles.

L’existence d’un si grand nombre d’étoiles bleues ou vertes dans les groupes binaires, connues sous le nom d’étoiles doubles, est un fait d’autant plus digne d’attention, comme je le faisais remarquer dans l’ouvrage cité, que parmi les 60 ou 80 mille étoiles isolées dont les catalogues astronomiques font connaître les positions, il n’en est, je crois, aucune qui s’y trouve inscrite avec d’autres indications, en fait de teintes, que le blanc, le rouge et le jaune. Les conditions physiques inhérentes à l’émission d’une lumière bleue ou verte semblent donc ne se rencontrer que dans les étoiles multiples.

  1. M. John Herschel a introduit aussi la notion optique des contrastes dans la discussion des couleurs des étoiles doubles. Si dans un pareil sujet la priorité pouvait être réclamée, je ferais remarquer que la date de la publication de la Connaissance des temps de 1828, est antérieure à celle de la première édition du Traité d’astronomie de M. Herschel, dans laquelle l’illustre astronome a pour la première fois, je crois, parlé des effets du contraste à l’occasion des étoiles doubles.