Astronomie populaire (Arago)/V/08

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 202-205).

CHAPITRE VIII

de la visibilité des astres dans les puits


Aristote dit qu’on aperçoit les étoiles quand on est placé au fond d’un puits.

Buffon rapporte l’observation du philosophe grec dans son article de l’Homme, mais sans mentionner l’ouvrage d’où il l’a extraite.

Ameilhon, dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, tome xlii, publié en 1786, nous apprend que le passage en question est contenu dans le ve livre de la Génération des animaux. Dans ce même livre, Aristote dit encore que, pour bien voir les étoiles, on se servait de longs tubes ; mais tout prouve que de pareils tubes agissaient comme des puits, et ne renfermaient intérieurement aucune espèce de verre.

Pline, comme le Stagyrite, assure aussi qu’on voit les étoiles en plein jour quand on se place au fond d’une cavité étroite. Peut-être ce philosophe célèbre avait-il, suivant son usage, emprunté l’observation à Aristote sans la vérifier ? Pline, en tous cas, ne me paraît pas devoir être cité comme garant du fait qu’il rapporte.

On lit dans l’ouvrage de Scheiner, intitulé Rosa ursina, page 417, le passage suivant :

« Je tiens d’un Espagnol, homme très-instruit et très-digne de foi, qu’il est de fait notoire, en Espagne, que dans les puits profonds, dont l’ouverture est à découvert, le ciel et les étoiles brillant par réflexion comme dans un miroir se voient très-distinctement, même à l’heure de midi, et que lui personnellement les avait ainsi contemplées très fréquemment… Les étudiants de Coïmbre, et d’autres observateurs, affirment qu’on les aperçoit au bas d’un puits très-profond. »

Voici ce que je trouve dans le Traité d’astronomie de sir John Herschel (1re édition anglaise, p. 63) :

« Les brillantes étoiles qui passent au zénith peuvent (may even be) être discernées à l’œil nu, par les personnes situées au fond d’une cavité profonde et étroite, comme le sont les puits ordinaires ou les shafts des mines. J’ai entendu moi-même raconter par un célèbre artiste (Troughton, je crois), que la première circonstance qui tourna son attention vers l’astronomie fut l’apparition régulière à certaine heure, pendant plusieurs jours consécutifs, d’une étoile considérable dans la direction du tuyau de sa cheminée. »

En supposant, comme ces témoignages nous autorisent à l’admettre, que certaines étoiles soient visibles à l’œil nu du fond d’un puits ou à travers un long tube noir semblable à un tuyau de cheminée, comment expliquer le fait ? d’une manière très-simple, ce me semble.

Le champ de la vision à l’œil nu, c’est-à-dire la série des objets que l’œil peut saisir d’un seul coup en restant immobile, est de 90° d’après les anciens, de 135° horizontalement et de 112° verticalement suivant Venturi ; de 150° horizontalement, et de 120° verticalement selon M. Brewster.

L’œil immobile et tourné vers le firmament reçoit donc des rayons de tous les points de l’atmosphère occupant une surface circulaire de plus de 100° de diamètre. On voit quel doit être dans cette position l’éclairement régulier de la rétine. Ajoutons que la cornée n’est pas parfaitement diaphane, qu’elle agit jusqu’à un certain point comme un verre dépoli, que dès lors elle répand sur la rétine les rayons atmosphériques qui la frappent dans tous les sens.

Envisagée sous cet aspect, la rétine d’un œil dirigé vers le zénith doit recevoir des rayons provenant de tous les points de l’atmosphère contenus dans un hémisphère entier, et être assez fortement éclairée pour que l’image d’une étoile ne puisse prédominer sur ce fond lumineux. Arrêtez à l’aide d’un tuyau la plus grande partie de la lumière qui arrivait à la cornée, et dès ce moment, les rayons de l’étoile, concentrés en un point sur la rétine, pourront prédominer sur ceux qui éclairent le même point, soit directement, soit par voie de diffusion.

Remarquons, d’après ce que nous avons dit (liv. iii, ch. xii) que dans la position particulière où nous le plaçons ici, un presbyte pourrait voir très-bien des étoiles là où un myope n’en apercevrait pas la moindre trace.