Astronomie populaire (Arago)/III/16

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 129-130).

CHAPITRE XVI

pourquoi les lunettes d’un faible pouvoir amplificatif semblent-elles ne pas grossir du tout


Lorsqu’on applique à l’observation de la lune, par exemple, une bonne lunette d’un très-faible pouvoir amplificatif, une lunette grossissant cinq à six fois, on dirait qu’elle ne grossit pas du tout. Les personnes qui font cette expérience reconnaissent volontiers qu’une telle lunette éclaircit les images, qu’elle fait voir les objets éloignés avec plus de netteté ; mais elles ne vont pas au delà : le grossissement leur paraît nul, elles diraient volontiers que la lunette a diminué les dimensions apparentes des objets. Voici, ce me semble, la cause de ces illusions et le moyen de les faire disparaître. Le jugement que nous portons sur la grandeur d’un objet dépend beaucoup de la distance à laquelle nous supposons cet objet placé ; mais l’évaluation que nous faisons de cette distance provient d’un grand nombre de circonstances, au premier rang desquelles il faut placer la netteté de la vision. Quand nous voyons avec une grande précision les plus petites parties d’un objet, nous sommes portés à admettre que cet objet est très-près, et dès lors à lui supposer des dimensions réelles plus petites que celles que nous lui attribuerions, si l’objet nous paraissait à la distance réelle. Eh bien, toutes les parties de la lune aperçues dans une lunette ne grossissant que cinq à six fois se voient avec une telle netteté, que l’astre paraît être placé à la portée de la main, et doit conséquemment nous sembler plus petit qu’on ne devrait le conclure de l’étendue de son image amplifiée. Voulez-vous faire disparaître cette illusion ? ouvrez l’œil avec lequel vous cligniez d’abord, l’œil qui n’était pas en face de la lunette. Dès ce moment, vous verrez deux images de la lune, l’une avec ses dimensions naturelles, l’autre avec ses dimensions amplifiées. Mais les images étant alors rapportées à la même distance, on verra bien que le diamètre de celle qui est fournie par la lunette est cinq à six fois plus grand que le diamètre de l’image vue à l’œil nu.

C’est un moyen très-simple de faire disparaître une illusion à laquelle les astronomes eux-mêmes n’échappent pas, et de montrer combien se trompent ceux qui veulent réduire l’office des lunettes à l’éclaircissement des images et croient pouvoir déduire de l’expérience que je viens de citer qu’elles ne grossissent pas.

La comparaison d’un objet observé à l’œil nu, avec ce même objet vu simultanément à l’aide d’une lunette, constitue la méthode dont Galilée fit usage pour déterminer le grossissement de ses premiers instruments.