Astronomie populaire (Arago)/III/14

GIDE et J. BAUDRY (Tome 1p. 120-124).

CHAPITRE XIV

des grossissements des lunettes


Soient AB (fig. 72) l’objectif d’une lunette, C son centre optique, ML un objet éloigné ; du point M au centre C menons la ligne MCM′, ce sera sur cette ligne que viendront se réunir les rayons sensiblement parallèles partis du point M. Ce sera également sur la ligne LCL′ que se formera le foyer des rayons parallèles émanant du point L.

L’image focale de ML sera représentée par M′L′ ; l’objet ML, que je suppose placé très-loin, puisque les rayons partis de M et de L, et qu’embrasse l’objectif, sont parallèles entre eux, serait vu à l’œil nu situé au centre optique C de l’objectif, sous l’angle MCL, ou, ce qui revient au même, sous l’angle M′CL′, puisque les angles opposés par le sommet sont égaux entre eux.

Fig. 72. — Explication du pouvoir grossissant linéaire d’une lunette.

Si la lunette fait voir l’objet ML en L″M″ sous un angle L″C′M″ double de MCL ou de M′CL′, elle grossira deux fois ; si l’angle sous lequel on voit l’image focale de ML est triple de M′CL′, la lunette grossira trois fois ; enfin, si l’image M′L′ était vue sous un angle cent fois plus grand M′CL′, la lunette grossirait cent fois, et ainsi de suite.

Soit EF la lentille oculaire placée de telle manière que L′M′ en occupe le foyer, et soit C′ son centre optique. L′M′ sera vu par l’œil situé derrière l’oculaire comme s’il était en C′, par conséquent sous l’angle L′C′M′. Le rapport qu’il y aura entre l’angle L′C′M’ et l’angle L′CM’ donnera la valeur du grossissement. Or, nous nous sommes déjà servis de ce principe, que l’angle sous-tendu par un objet est en raison inverse de la distance qui nous en sépare. L’angle sous-tendu en C′ par l’image M′L′ sera donc à l’angle sous-tendu en C par cette même image comme F′C, distance focale de l’objectif, est à F′C′, distance focale de l’oculaire.

Si F′C est double de F′C′, le grossissement sera deux fois ; si F′C est triple de F′C′, le grossissement sera trois fois ; si F′C est cent fois F′C′, le grossissement sera cent fois, et ainsi de suite.

Le grossissement s’obtiendra donc toujours en voyant combien de fois la distance focale de l’oculaire est contenue dans la distance focale de l’objectif, ou en divisant ce second nombre par le premier.

Reprenons maintenant la marche des rayons parallèles qui tombent sur l’objectif. Les rayons extrêmes viennent, après leur réfraction, se croiser au point M′ (fig. 73) ; ils continueront leur marche jusqu’à l’oculaire, et sortiront parallèles entre eux. Il est évident que la distance des rayons, après leur émergence, est égale à EF ; par conséquent, si on compare les triangles ABM′ et EM′F, on peut substituer le rapport de AB à EF à celui de CF′ à C′F′, c’est-à-dire que le grossissement linéaire s’obtient en divisant le diamètre de l’objectif par le diamètre du faisceau émergent de l’oculaire, ce qui fournit, par parenthèse, un moyen très-simple d’obtenir le grossissement de la lunette. Si le rapport de AB à EF est le grossissement linéaire de la lunette, le rapport du carré de AB au carré de EF donnera le grossissement superficiel.

Fig. 73. — Grossissement en surface d’une lunette.


Le grossissement en surface s’obtiendra donc en divisant la superficie de l’objectif par la surface du pinceau suivant lequel émergent des rayons parallèles émanant d’un seul point éloigné et ayant embrassé la totalité de la surface de l’objectif.

Les personnes qui auront bien compris cette démonstration ne demanderont plus, en visitant un observatoire, combien grossit une lunette qui passe sous leurs yeux, ou ne s’étonneront pas, du moins, qu’on leur réponde : « Elle grossit suivant l’oculaire qu’on y adapte. »

La question : « Quel est le plus grand grossissement que la lunette puisse supporter ? » sera, au contraire, très-raisonnable. Il est clair, en effet, que l’objectif ayant une étendue déterminée, l’image focale portée sur la rétine aura d’autant moins d’éclat qu’elle y occupera une plus grande étendue ; en sorte que si l’on a égard à l’intensité lumineuse, il y a une limite aux grossissements d’une lunette.

Théoriquement, cette limite n’existe pas. Quand on veut déterminer le grossissement d’après les éléments constitutifs d’une lunette, il faut trouver expérimentalement à quelle distance du centre optique des deux lentilles dont elle se compose, l’image des objets éloignés, l’image du soleil, par exemple, viennent se peindre avec netteté, et diviser l’une de ces distances par l’autre ; lorsque l’oculaire a un très-court foyer, quand ce foyer n’est que d’un ou deux millimètres et au-dessous, l’erreur qu’on pourrait commettre sur la mesure d’une si petite distance aurait la plus grande influence sur la valeur du grossissement ; aussi la méthode que nous venons d’indiquer, très-exacte théoriquement, a été remplacée dans la pratique par des méthodes différentes, entre autres par la comparaison du diamètre de l’objet au diamètre du faisceau émergent de l’oculaire et par celle que nous exposerons dans le chapitre suivant.