Art de faire le beurre et les meilleurs fromages/Deuxième mémoire

DEUXIÈME MÉMOIRE.



FROMAGE DE HOLLANDE ;
Par DESMARETS.

Le fromage qui ressemble le plus aux différens fromages d’Angleterre est, sans contredit, le fromage de Hollande ; il est d’une excellente garde, supporte très bien la mer, et sous ce rapport c’est un de ceux dont les marins aisés font le plus de consommation ; son goût délicat le fait servir en même temps sur les tables des plus riches citadins : ce doit donc être un de ceux dont la fabrication sera la plus avantageuse. La description que nous donnons de la manière de le fabriquer est due à feu Desmarets, membre de l’Institut ; elle est extraite de l’Encyclopédie méthodique, Arts et Métiers, Mécanique, t. 3e. C’est Desmarets que nous laissons parler.

En 1768, je visitai une laiterie située à l’extrémité du beau village de Brook, sur le chemin d’Amsterdam à Edam, et j’y observai les principaux procédés de la méthode qu’on y suivait, pour faire les fromages connus en France sous le nom de fromages de Hollande. Ce sont ces manipulations que je vais décrire ici.

On commence par tirer le lait et le couler à l’ordinaire. Le couloir dont on fait usage est un plat creux, percé par le fond, et garni d’un tamis de crin : on dépose ensuite le lait dans une grande tinette ; puis on y met la présure (préparée comme nous l’avons dit ailleurs), et on le laisse prendre. Lorsqu’il est bien caillé, on le rassemble en une seule masse, et on en dégage le petit-lait le plus qu’il est possible ; c’est cette masse de caillé réunie qu’on emploie aussitôt à faire le fromage.

On prend une certaine quantité de caillé, qu’on met dans une écuelle percée de trous comme une passoire ; on la pétrit en la pressant fortement, on en exprime ce qui peut rester de petit-lait : en même temps une certaine quantité de crême, entraînée par le petit-lait, s’échappe à travers les trous de l’écuelle. Cette crême est tellement abondante dans le caillé, que lorsqu’on le rompt, on en voit plusieurs filets qui en découlent ; et quoique la pâte ait été pétrie avec soin, on aperçoit encore la crême, distribuée par veines blanches au milieu des fromages lorsqu’ils ont reçu toutes ces préparations : c’est une marque non équivoque que le lait dont ils ont été faits était fort gras.

À mesure qu’on pétrit ainsi le caillé, et qu’on le réduit en grumeaux fort fins, on le met dans les formes. Ce sont des cylindres creux, dont le fond est concave et percé de quatre trous. Aussitôt que les formes sont remplies exactement de caillé bien pétri et bien tassé, on les recouvre avec un couvercle cylindrique, taillé de manière qu’il peut entrer dans l’ouverture supérieure de la forme, dès qu’il éprouve le plus petit effort de la presse. Voyez Pl. 3e, fig. 1re , la forme placée sur une table ayant une rigole qui est creusée tout autour ; cette forme est comprimée par une planche portée sur trois montans et chargée de pierres. La crême et le petit-lait, continuant à s’échapper par les trous du fond de la forme, coulent sur la table et vont se rendre dans un vase destiné à les recevoir.

Le pain de caillé ayant pris dans la forme et sous l’effort de la presse une certaine consistance, on le tire de la forme ; on le retourne, et l’on continue de tenir le tout sous la presse de la manière que nous l’avons expliqué ci-dessus. Dans cette situation, le petit-lait et la crême surabondante se dégagent toujours par petits filets du pain de caillé, dont les grumeaux se rapprochent et se serrent de plus en plus ; ce qu’on reconnaît aisément par la diminution des yeux ; et lorsqu’ils sont diminués à un certain point, on retire le pain de la forme et on l’enveloppe dans une toile fort claire, qu’on a eu soin de faire sécher bien exactement.

On étend la toile sur une table, Pl. 4e, fig. 7e, et après avoir retiré le fromage de la forme, on roule la toile par le milieu, tout autour de la surface cylindrique du fromage ; puis on rapproche les parties d’une lisière en les pliant sur la base arrondie par le cul de la forme ; on remet le fromage ainsi enveloppé dans une forme, et on finit par en recouvrir la base supérieure avec l’autre extrémité de la toile, dont une grosse épingle assujettit les derniers plis.

C’est alors qu’on porte cet équipage sous la presse la plus pesante, et qu’on achève de comprimer le fromage de manière que la crême et le petit-lait se dégagent le plus qu’il est possible, et que les yeux disparaissent entièrement ; mais pour obtenir tous ces effets, les fromages restent en cet état huit ou dix heures.

Je dois faire remarquer ici qu’on met d’abord les fromages sous de très petites presses, par le moyen desquelles on peut ménager la compression du pain caillé, ainsi que la sortie de la crême et du petit-lait ; ou bien, si l’on emploie de grandes presses, on diminue les poids dont on les charge, et on ne les augmente ensuite que par degrés : on a les mêmes attentions lorsqu’on a mis l’enveloppe de toile au fromage.

Les fromages étant bien égouttés et bien pressés, on les retire de la forme et de la toile, et on les met tremper dans une eau salée faiblement. Cette espèce de bain communique au fromage une première pointe de sel, qui pénètre dans toute la masse, à la faveur d’un reste d’humidité qu’elle conserve encore ; outre cela, la pâte y contracte une consistance et une solidité qui contribuent à la conservation des fromages.

Après qu’ils ont trempé quelques heures dans l’eau salée, on les met dans de nouvelles formes plus petites que les premières, et percées seulement d’un trou rond au milieu du fond concave ; on répand ensuite sur leur base supérieure une couche légère de sel blanc bien pur, qui pénètre dans la pâte à mesure qu’il fond. Le surplus, coulant dans l’intervalle qu’il y a entre le fromage et les parois intérieures de la forme, humecte légèrement la surface cylindrique du fromage ; et ce qui parvient au fond s’échappe par le trou de la forme dont nous avons parlé, et arrive par les rigoles de la table dans des baquets. C’est dans cette eau salée que l’on met tremper les fromages, comme nous venons de le dire.

On retourne le fromage, et l’on couvre l’autre base d’une couche de sel blanc semblable à la première ; on le laisse en cet état jusqu’à ce que le sel soit bien fondu, et que la partie surabondante soit écoulée de même que la première.

Lorsque, par ces manipulations, les fromages ont pris suffisamment le sel, on les met tremper de nouveau dans des baquets, que l’on remplit de l’eau des canaux intérieurs, et qui n’est que faiblement saumâtre. Cette eau non seulement dissout la partie de sel qui peut être surabondante à la surface du fromage, mais encore enlève une matière butireuse, qui y forme une croûte blanchâtre. Au bout de six à sept heures, on retire de l’eau les fromages ; on les lave avec du petit-lait, et en les raclant on parvient à les dépouiller entièrement de la croûte blanchâtre.

Après toutes ces manœuvres multipliées, et qui s’exécutent avec le plus grand soin, on met en dépôt les fromages sur des planches, dans un endroit frais, où on les retourne souvent. Ils y acquièrent une couleur d’un beau jaune : c’est pour lors qu’on les porte à Purmerand ou à Edam, où ils se vendent encore frais quatre sous la livre ; c’est de ces magasins qu’ils sont transportés en France ou dans les ports de la mer Baltique.

La crême qu’on exprime du caillé, par le moyen des presses, se met en dépôt dans des baquets en forme de petits tonneaux de deux pieds de hauteur sur un pied et demi de diamètre. Outre cela, le petit-lait qu’on a retiré du caillé se dépose dans de semblables baquets, et après un certain temps de repos, la liqueur se couvre d’une couche de crême légère, qu’on enlève et qu’on met dans les premières tinettes à la crême dont nous avons fait mention. Lorsqu’on a obtenu une certaine quantité de crême par ces différens moyens, on la met dans une baratte ordinaire, Pl. 3e, fig. 7e, et on en tire le beurre en la battant un certain temps.

Je remarque qu’en mettant tremper les fromages dans l’eau salée, non seulement on dispose également toute la masse à prendre la dose de sel convenablement et uniformément, mais on communique à toute la pâte une fermeté et une consistance qu’elle conserve très long-temps.

Le second bain d’eau saumâtre dans lequel on met tremper les fromages qui commencent à se couvrir d’une peau blanchâtre me paraît compléter les bons effets du premier, en ralentissant la transsudation de la partie butireuse au dehors, et donnant d’ailleurs à la croûte des fromages une fermeté considérable, qui facilite infiniment par la suite les transports de ces fromages et leur vente dans les pays étrangers.

Il m’a paru qu’en Hollande on exprimait le petit-lait du caillé avec le plus grand soin ; ce qui est une opération essentielle : car le mélange du petit-lait à la partie caséeuse contribue de mille manières à sa décomposition.