Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII/11 mai 1789

Archives parlementaires de 1787 à 1860, Texte établi par MM. Mavidal, Laurent, Claveau, Pionnier, Lataste et Barbier, Paul DupontTome VIII : Du 5 mai 1789 au 15 septembre 1789 (p. 32).


ÉTATS GÉNÉRAUX. modifier

Séance du lundi 11 mai 1789.



CLERGÉ.


On procède à la continuation de l’ouverture des billets du scrutin pour la nomination des commissaires conciliateurs. La vérification faite, M. le président annonce que la pluralité s’est réunie en faveur de :

MM. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux
144 voix.
De la Luzerne, évêque de Langres.
118
Coster, chanoine de Verdun
103
Dillon, curé
49
Richard
49
Thibault, curé
42
Lefèvre, curé
41
Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne


Ensuite on nomme une députation pour l’ordre de la noblesse, chargée de lui faire part du désir de MM. du clergé de former une commission des différents ordres pour conférer à l’amiable sur les moyens de procéder à la vérification des pouvoirs. La délibération est portée, écrite et non signée, attendu que l’ordre du clergé n’ayant pas vérifié ses pouvoirs d’une manière définitive n’est pas légalement constitué.

Les gentilshommes opposants du Dauphiné se rendent à l’Assemblée du clergé. M. l’archevêque de Vienne dit qu’il se réserve et à ses co-députés, lorsqu’il en sera temps, de repousser leur prétention.

NOBLESSE.


L’Assemblée de la noblesse tient ce jour une séance de 7 heures, dans laquelle elle délibère qu’elle se regarde comme suffisamment constituée pour procéder à la vérification des pouvoirs.

M. le comte d'Antraigues prononce, à cette occasion, le discours suivant[1]:

Je vous prie, Messieurs, de permettre qu’avant d’énoncer mon opinion sur la démarche que les communes ont faite pour engager l’ordre de la noblesse à reprendre sa place dans la Chambre où le Roi a ouvert les États généraux, je rappelle ici notre première délibération, son objet, les motifs qui, en nous assujettissant à nos mandats, nous ont engagés à prendre les résolutions qui ont été sanctionnées lors de notre première Assemblée.

Cette Assemblée d’États généraux a été précédée, de la part de l’administration, d’une foule d’irrégularités qui ont occasionné les embarras qui nous investissent de toute part. L’administration nous a considérés, avant l’ouverture des États généraux, comme une Assemblée incomplète, puisque, par sa faute, nous étions dénués de plusieurs députés des bailliages qui n’ont pas eu la possibilité d’élire et d’envoyer leurs députés à Versailles ; ou elle nous a reconnus, malgré l’absence de quelques-uns de nos collègues, comme suffisamment complets pour procéder à l’ouverture des États généraux.

Si l’administration nous a regardés comme incomplets, pourquoi nous a-t-elle mis en activité après avoir, par sa faute, causé l’absence de nos collègues ?

Si elle nous a envisagés comme autorisés à procéder sans eux et formant légalement les États généraux, pourquoi nous a-t-elle ravi nos usages et nos privilèges ?

Nos usages sont de nous assembler dans la Chambre de chaque ordre, avant l’ouverture des États généraux, d’y procéder à l’élection d’un président, d’un secrétaire, de deux orateurs évangélistes, du secrétaire, et à faire le choix d’un orateur pour parler au Roi et lui porter le vœu de l’ordre. Nos privilèges sont, en ce jour si solennel, de nous adresser au Roi par l’organe de nos orateurs, de lui présenter, avec nos vœux pour son bonheur, des vérités que souvent on lui cache et qu’il lui importe de connaître à l’ouverture des Etats généraux, afin que le Roi, chargé de gouverner la nation, le soit lui-même par l’opinion publique.

Privés de tous nos usages, dénués de nos privilèges, l’ordre l’a été aussi de la possibilité de faire vérifier les pouvoirs de ses membres avant la tenue des États, en telle sorte qu’ils ont été composés jusqu’à ce jour de personnes que la seule notoriété a placées au rang de députés des bailliages.

Les États généraux ont été composés, depuis 1303, de trois ordres de citoyens : des députés, du clergé, de ceux de la noblesse et de ceux des communes. La loi de 1355, sur le fait des délibérations, et l’usage de cette loi depuis 1550, prouvent que chaque ordre délibérant à part, le consentement des trois ordres, et la sanction du Roi ont formé les lois et légitimé les subsides.

On a émis le désir, dans plusieurs bailliages, de changer cet ordre et de réunir tous les citoyens de tous les ordres dans une même Chambre, afin que les voix y étant recueillies par tète, la pluralité des suffrages y forme la loi.

Le temps n’est pas venu encore de discuter les avantages ou les inconvénients de cette manière de délibérer ; mais la plupart des mandats de notre ordre nous prescrivent de conserver l’ancienne manière d’opiner aux Etats généraux.

En cet état de cause, la motion de vérifier nos pouvoirs dans notre ordre, ou en commun avec les trois ordres, s’est élevée : elle a été débattue avec sagacité et chaleur.

Ceux qui assujettis par leurs mandats à délibérer par ordre, ceux même qui sont autorisés à soutenir cette forme de délibération, mais à qui il est permis de céder et de se soumettre à cet égard à la pluralité de vos suffrages, ont craint que ce préliminaire ne préjugeât la question des délibérations par ordre et par tête ; ceux-là me semblent avoir été autorisés à se maintenir dans cette croyance par plusieurs raisons. Avant de les développer, je m’empresse de dire que je suis loin de blâmer ceux qui ayant les mêmes mandats n’ont pas cru que cette vérification commune y portât la plus légère atteinte. En ces matières abstraites, la vérité n’apparaît pas à tous sous les mêmes rapports, et la seule qui se montre très-clairement à moi, c’est que les vertus, les principes et la probité reconnue de ceux qui, en nous annonçant que la volonté de leurs commettants était d’opiner par ordre, ont néanmoins conclu à la vérification commune, nous sont le gage assuré que, dans ces sortes de discussions, la vérité et les principes ont plusieurs nuances et des aspects différents ; mais ceux qui, dans la vérification des pouvoirs faite en commun, ont cru voir un acheminement au délibéré par tête, se sont fondés :

« 1o Sur l’usage constant établi aux États généraux de 1560, 1576, 1588 et 1614, de procéder à cette vérification par ordre ;

« 2o Sur ce que, dans ces précédents États, chaque ordre agissant indépendamment les uns des autres et leur sanction mutuelle formant la loi, il paraissait que chaque ordre devait s’assurer respectivement des pouvoirs de ses membres et tenir, pour légitimement députés de chaque ordre, chacun de ceux qui étaient généralement reconnus dans leur ordre ;

« 3o Sur ce que, si les délibérés par tête étaient un jour adoptés, dès lors la vérification commune devenait indispensable ; mais par cette même raison, chaque ordre étant séparé, il fallait conserver les formes établies dans chaque ordre, jusqu’à ce qu’elles fussent proscrites, et l’usage des délibérations par ordre anéanti par l’établissement du délibéré par tête. »

Enfin, Messieurs, il a paru à ceux qu’un mandat positif oblige à conserver l’ordre ancien des délibérations, que cette innovation dans la délibération des pouvoirs en commun semblait préparer à celle qu’il est question de décider sur la manière de délibérer.

Ceux qui ont envisagé la motion sous cet aspect ont eu raison de réclamer l’ordre accoutumé des vérifications partielles.

Ils ont eu d’autant plus de raison, qu’ils ont cru qu’il était digne de la majesté des États généraux de ne jamais surmonter de grandes difficultés, en s’y préparant par des subtilités qui pourraient ensuite servir de préjugés au jugement de ces grandes questions.

Qu’avons-nous donc fait en cette occurrence ? Nous avons jugé que la Chambre étant incomplète, nulle délibération qui tendrait à détruire les lois ou les usages ne pourrait y être sanctionnée.

Dès lors qu’il ne nous était pas permis de sanctionner aucune délibération, les précédentes lois des États généraux devaient être nos seuls guides, jusqu’à ce que la Chambre, dans son intégrité, pût les changer ou les abolir ; dès ce moment, toutes nos démarches n’ont été que provisoires : nomination du président, du secrétaire et de ses évangélistes.

Cependant, afin de ne pas perdre un temps précieux, et de nous reconnaître entre nous, nous avons procédé à une vérification de pouvoirs suivant les formes des précédents États généraux. Pouvions-nous les changer sans que la Chambre fût complète ? Les changer était établir un nouvel ordre de choses ; mais pour établir un nouvel ordre de choses, il faut un décret ; et pouviez -vous en rendre, vous étant reconnus incomplets et incompétents, pour altérer les anciens usages ?

Votre conduite a donc été également mesurée et légale. Elle n’a rien préjugé, elle ne nuit à rien : elle a laissé dans leur intégrité toutes les grandes questions et a seulement montré votre respect pour les formes anciennes, qui sont les seules que la loi autorise, jusqu’à ce qu’elles aient été légalement abolies.

Cette grande question sur le mode des délibérations est encore entière et telle qu’elle doit être présentée dans cette auguste Assemblée. Si elle se décide à voter par tête, dès lors on pourra, s’il le faut, procéder à des vérifications communes.

Si elle veut maintenir la séparation des ordres, l’usage des vérifications partielles, la légitimité des députés de l’ordre pourra encore être maintenue, ou enfin il sera possible de la changer en une vérification commune, sans préjuger une question qui sera déjà décidée.

Maintenant les communes invitent la Chambre de la noblesse à se réunir dans la môme salle avec les deux autres ordres de l’État, pour procéder à la vérification des pouvoirs.

Messieurs, la franchise et l’exposé de tous nos sentiments doit être l’unique politique des ordres et de la nation.

Ainsi il me paraît qu’il serait digne des sentiments de cette Chambre d’autoriser nos douze commissaires à faire part de leur travail aux communes, en les instruisant des motifs qui nous ont empêchés de procéder à une vérification commune ; de leur offrir de reconnaître comme légitimes députés des communes tous ceux qu’elles reconnaîtront elles-mêmes dans leur ordre ; de faire la même offre au clergé, et de demander la réciprocité pour nous-mêmes, jusqu’à ce que la délibération par ordre ou par tête ayant été ou proscrite ou admise, cette nouvelle forme en nécessitant d’autres dans la vérification des pouvoirs, nous établissions à cet égard de nouveaux usages.

Qu’il me soit permis, Messieurs, de vous exposer qu’en attendant que notre Chambre soit complète et que nous puissions procéder à des délibérations essentielles, et rendre des décrets durables, il est un travail préliminaire qui devrait nous occuper.

Quand la délibération sera terminée, je prie M. le président de proposer à la Chambre de délibérer qu’il soit nommé des commissaires, à l’effet de procéder au projet de règlement et de police pour la Chambre,

1o Pour régler les droits du président ; 2o Ceux des secrétaires ; 3o L’ordre rigoureux que la Chambre veut qui soit maintenu, lors des délibérations.

Sans des règles sévères à cet égard il ne régnera dans la Chambre que confusion et tyrannie.

Aucun de nous n’est venu ici pour plaire à tel ou tel parti, pour suivre telle ou telle bannière et s’asservir à l’opinion de qui que ce puisse être. Nous n’y sommes pas même venus pour y porter nos opinions, mais celles de nos commettants,

quand leur volonté suprême a prononcé des mandats rigoureux.

Quand donc un député exprime son opinion, il n’est pas permis à personne d’oser l’interrompre. C’est manquer au respect dû au bailliage qu’il représente, c’est manquer à celui que nous devons tous à notre ordre, c’est infirmer par cet acte seul la validité des délibérations. Elles sont nulles de droit, si un seul député n’a pas eu la possibilité d’expliquer sa pensée ; d’autant, Messieurs, que trop souvent l’extrême timidité est le partage des grands talents et que tel qui, caché au milieu de vous, ose à peine élever la voix et qu’une interruption brusque intimide, n’a conservé cette timidité que par les mêmes moyens qui forment l’indépendance des principes, la pureté des opinions : ils ne naissent et ne se fortifient que dans le silence et la retraite ; tandis que l’usage seul inspire l’assurance de parler devant une si auguste Assemblée.

Un règlement sage mais précis, et sévèrement exécuté, maintiendra parmi nous la liberté et la décence ; et on ne nous verra pas, en demandant la liberté publique, proscrire la liberté des opinions.

Au milieu des orages qui peut-être nous entourent, notre Chambre, toujours calme et guidée par cette fermeté inébranlable, qui naît du témoignage de sa conscience et du respect pour les lois, offrira un spectacle imposant, fait pour rallier à nous les ordres de l’Etat.

Egalement pénétrés d’égards pour le clergé et les communes, notre sagesse, notre calme et la tranquillité de nos débats prouveront à tous les ordres que nos diversités d’opinions ne sont maintenues par aucun éloignement, fomentées par aucune aigreur ; que, soumis à la loi, asservis à la raison, nous ne savons au péril de notre vie nous soumettre qu’à elles seules , mais aussi que toutes les voies de conciliation et de concorde seront toujours accueillies dans une Chambre qui sait écouter les avis divers sans émotion et entendre sans tumulte le débat des opinions les plus opposées.

De sages règlements peuvent seuls nous procurer cet avantage, et je supplie la Chambre de délibérer sur le moyen de nous les procurer.

Les dissidents du Dauphiné sont admis et entendus dans la même séance.

M. le marquis de Blacons, député par les Etats de cette province, leur demande s’ils agissent en leur nom seulement, ou comme députés ? Il ajoute que, dans le cas où ils prétendent agir au nom d’autres gentilshommes ou ecclésiastiques, ils doivent remettre leurs pouvoirs.

M. de Leyssin, archevêque d’Embrun, répond qu’ils agissent individuellement et en leur seule qualité de citoyens.

Un des membres de la noblesse demande aux députés du Dauphiné s’ils reconnaissent la Chambre pour juge.

M. de Blacons répond qu’ils ne peuvent avoir d’autres juges que les ordres réunis, puisqu’ils ont été élus par les trois ordres, et représentent la province du Dauphiné ; mais que, par respect pour la noblesse, ils s’empressent de lui prouver que les protestations des dissidents sont peu fondées, sans entendre néanmoins être jugés par elle.

Une députation de l’ordre du clergé remet à la Chambre l’arrêté pris par celle du clergé, le 7 mai, pour nommer des commissaires conciliateurs.

La séance est levée.

COMMUNES.


Une députation de quinze gentilshommes dissidents du Dauphiné, à la tête desquels est M. de Leyssin, archevêque d’Embrun, se présente. Ils annoncent qu’ils attaqueront la constitution de leur province et la nomination de ses députés.

Les communes déclarent qu’elles ne sont encore rien, qu’elles ne forment point un ordre, mais une simple assemblée de citoyens réunis par une autorité légitime pour attendre d’autres citoyens ; qu’elles ne peuvent par conséquent examiner leur réclamation.
Un des membres annonçant que les communes allaient recevoir une députation du clergé, demande qu’on délibère pour savoir qui recevra les députés du clergé, comment on les recevra, et comment on leur répondra.

M. Malouet, l’un des députés de Riom, dit que l’Assemblée ne pouvant pas délibérer comme Chambre constituée, doit au moins se former en grand comité, parce que sous cette forme elle peut conférer de ses intérêts, les discuter et les connaître sans compromettre aucun de ses droits, aucune de ses protestations.

La majorité de l’Assemblée rejette cette opinion.



  1. Le discours de M. le comte d’Antraigues n’a pas été inséré au Moniteur.