Arômes du terroir/Le ruisseau

Imprimerie Beauregard (p. 21-23).

Le ruisseau


Ce n’était qu’un ruisseau paisible et sans orgueil.
Une source muette en fit naître les ondes,
Sans livrer le secret de ses fraîcheurs profondes
Au bois mystérieux qui lui donnait accueil.

D’où venait-il ? l’azur, seul, savait son histoire.
À travers le fouillis des galets trébuchants,
L’humble ruisseau coulait pour féconder les champs,
Sans se parer des bruits qui proclament la gloire.


Les saints du Paradis l’avaient abandonné
Au sort des mortes eaux qu’un venin désanime,
Et son cours sinueux demeurait anonyme,
Comme un héros obscur à l’oubli destiné.

Mais, quand même, il voulut donner à sa Patrie
Un peu plus que son âme en un suprême effort,
Et sapant une brèche à travers le bois mort,
Fit tourner en tombant l’aube d’une scierie.

Il dévala par bonds au delà du seuil noir,
Et franchit en courant le déversoir rapide,
Afin d’aller porter son breuvage sapide
Aux troupeaux altérés qui meuglaient dans le soir.

Il cacha dans le sol un peu de sa richesse,
Et, goutte à goutte, mit sa vertu dans les puits,
Afin que le semeur écrasé devant l’huis
Pût tromper la fatigue en buvant la caresse.

Il se précipita sur le val enflammé,
Et jeta son écume au fort de l’incendie,
Pour qu’un enfant n’eût pas le geste qui mendie
Et l’accent douloureux d’un regard affamé.


Poursuivant son chemin dans l’aride platière
Où le sable et la roche étouffaient les ferments,
Il posa son limon sur les affleurements,
Pour réveiller la vie au sein de la matière.

Ayant rempli sa tâche et fini son parcours,
Il disparut au confluent d’une rivière ;
Mais c’est elle qui prit l’allure haute et fière
Pour lui voler le prix de son œuvre d’amour.

Janvier 1918.