Imprimerie Beauregard (p. 25-27).

Le lac


Simple goutte d’azur tombée au sein des fleurs,
Le lac arrondissait l’orbe de son rivage
Autour du frais taillis de son bosquet sauvage,
Où venaient pérorer tous les oiseaux hâbleurs.

Le granit se perdait sous les roses rustiques.
Une zone viride et vive de bluet
Marquait le rendez-vous où la flore affluait,
Pour chanter en parfums ses sublimes cantiques.


Véronèse aurait peint dans ses fonds lumineux
Le vert ensoleillé qui dominait la plaine ;
Diaz eût reconnu la claire marjolaine
Dans la montée abrupte aux talus floconneux.

C’est là que se vidait aux heures libertaires
L’école du village, oublieuse des lois,
L’écho s’embellissait de francs rires gaulois
Au scandale émouvant des voix autoritaires.

Les eaux, profondément, recelaient la vigueur
Des corps souples et sains nageant en contrebande,
Et puisant en baignade une grasse prébende
De gaîté, pour tromper d’imminentes rigueurs.

Des lutins habitaient les cavernes lacustres,
Attentifs à punir les grèves d’écoliers,
Et nouaient et tordaient en humides colliers
Les maigres oripeaux des bruyants petits rustres.

Ah ! le bon lac ! Il aimait trop les doux enfants
Pour tuer leur sourire, et jamais ses naïades
N’avaient, sous le filet des lâches embuscades,
Fermé de petits yeux dans les joncs étouffants.


Les rêves du jeune âge et les songes de fées
Voyaient entre deux eaux les ondines s’enfuir,
Les lutins s’effacer, les follets enfouir
Dans les antres tout noirs leurs macabres trophées.

Pauvre lac aujourd’hui dépouillé d’horizons,
Comme les cœurs flétris tu demeures sans joie !
Ta grève de rochers tristement se déploie
Autour d’une eau stagnante où grouillent des poisons.

La ville a mis sur toi la lourdeur d’un suaire,
Où tes oiseaux parlaient la langue du vrai Dieu.
Et la Mode a chassé dans un poignant adieu
Les desservants ailés de ton doux sanctuaire.

Janvier 1918.