III

ENCORE LES FRAISES


Le surlendemain, la bonne mit aux enfants leurs beaux vêtements ; ils avaient encore une heure à attendre : Geneviève se mit à lire et Georges s’amusait à ouvrir tous les tiroirs de sa cousine et à examiner ce qu’ils contenaient. En ouvrant une petite armoire il poussa une exclamation de surprise.

Georges.

Geneviève, viens voir ; nous ne comprenions pas pourquoi cela sentait si bon ici ; le panier de fraises d’avant-hier est enfermé dans ton armoire de poupée. »

Geneviève accourut et trouva en effet les fraises un peu écrasées, mais proprement rangées sur des feuilles dans le panier.

Geneviève.

Tiens ! Qui est-ce qui a mis ces fraises dans ce tiroir ? Et comment sont-elles dans le panier, puisque mon oncle les a jetées par terre ? Ma bonne, sais-tu qui les a apportées et serrées là-dedans ?

La bonne.

Oui, et j’ai oublié de te le dire. C’est Julie, la fille de cuisine ; elle passait devant la porte juste au moment où Monsieur a jeté le panier. Quand il est entré avec Georges dans la salle à manger, elle a pensé que vous seriez bien aises de les retrouver ; elle les a proprement ramassées avec une cuiller, ce qui a été facile à faire, puisque le panier était tombé sens dessus dessous avec les fraises ; elle n’a laissé que celles qui se sont trouvées écrasées et qui touchaient au pavé ; elle a tout nettoyé et elle me les a données quand j’ai été dîner.

Geneviève.

Oh ! merci, ma bonne. Comme Julie est bonne ! Dis-lui que je la remercie bien.

Georges.

Nous allons les manger.

Geneviève.

Non, pas à présent ; cela nous empêcherait de déjeuner chez Mme de Saint-Aimar.

Georges.

Quelle bêtise ! Comment des fraises nous empêcheraient-elles de déjeuner ?

Geneviève.

Je ne sais pas ; mais tu sais que mon oncle nous défend de manger si tôt avant les repas.

Georges.

Mais pas des fraises. Voyons, je commence. »

Et Georges en prit avec ses doigts une pincée, qu’il mit dans sa bouche.

Georges.

Excellentes ! Je n’en ai jamais mangé de si bonnes. À ton tour.

Geneviève.

Non ; je t’ai dit que je n’en mangerai pas.

« Tu en mangeras. »
Georges.

Tu en mangeras. Je te les ferai manger.

Geneviève.

Je te dis que non.

Georges.

Je te dis que si. »

Georges en prit une seconde pincée et voulut les mettre de force dans la bouche de Geneviève, qui se mit à courir en riant. Georges l’attrapa et lui mit dans la bouche ouverte les fraises qu’il tenait ; elle voulut les cracher, mais Georges lui ferma la bouche avec sa main ; elle fut obligée de les avaler ; Georges mangea le reste des fraises, ses mains en étaient pleines ; il se lava la bouche et les mains ; à peine avait-il fini, que M. Dormère les appela. Georges descendit en courant. Geneviève saisit son chapeau et le suivit de près. M. Dormère inspecta d’abord la toilette de Georges et la trouva très bien. Il examina ensuite celle de Geneviève.

Au premier coup d’œil il aperçut les traces des fraises.

M. Dormère.

Qu’est-ce que cela ? Tu en as donc mangé ?

Geneviève.

Non, mon oncle ; je n’ai pas voulu en manger.

M. Dormère.

Tu mens joliment, ma chère amie. Pourquoi alors as-tu des taches de fraises sur ta figure, sur tes mains, sur ta robe même ?

— Mon oncle, je vous assure, dit Geneviève les larmes aux yeux, que je ne voulais pas en manger. C’est Georges qui…

M. Dormère.

Bon, voilà encore Georges que tu vas accuser. Tu ne me feras pas croire que lorsque je vois ta bouche, tes mains, ta robe tachées de fraises, c’est Georges qui les a mangées. J’ai défendu qu’on mangeât avant les repas. Tu m’as désobéi ; tu mens par-dessus le marché ; tu accuses ce pauvre Georges : tu vas être punie comme tu le mérites. Voici la voiture avancée ; remonte dans ta chambre, je n’emmène que Georges. »

M. Dormère monta en voiture avec son fils, et la voiture partit pendant que la malheureuse Geneviève pleurait à chaudes larmes dans le vestibule. Au bout de quelques instants elle remonta chez sa bonne.

« Qu’y a-t-il encore, ma pauvre enfant ? » s’écria la bonne en allant à elle et l’embrassant. Geneviève se jeta dans les bras de sa bonne et sanglota sans pouvoir parler. Enfin elle se calma un peu et put raconter ce que lui avait dit son oncle.

La bonne.

Et Georges n’a pas expliqué à ton oncle que c’était lui qui avait tout fait et que c’est lui qui t’a mis de force les fraises dans la bouche pendant que tu riais ?

Geneviève.

Non, ma bonne ; il n’a rien dit.

La bonne.

Et pourquoi n’as-tu pas expliqué toi-même à ton oncle comment les choses s’étaient passées ?

Geneviève.

Je n’ai pas eu le temps ; j’ai été saisie ; et mon oncle est monté en voiture avant que j’aie pu lui dire un mot.

La bonne.

Pauvre petite ! Ne t’afflige pas trop ; nous tâcherons de passer une bonne matinée, meilleure peut-être que celle de Georges.

Geneviève.

C’est impossible, ma bonne ; j’aurais tant aimé voir Louis et Hélène ! Ils sont si bons pour moi ! Quand pourrai-je les voir maintenant ? Pas avant huit jours peut-être.

La bonne.

Dès demain je t’y mènerai en promenade pendant que Georges prendra ses leçons avec son père. Et puisque tu les aimes tant, je t’y mènerai souvent ; mais n’en dis rien à Georges, parce qu’il voudrait nous accompagner et qu’il obtiendrait un congé de son père. Nous allons déjeuner à présent ; je vais demander à la cuisinière de te faire des crêpes ; et, en attendant le déjeuner, allons chercher des fraises au potager. »

Geneviève, à moitié consolée, se déshabilla, mit sa robe de tous les jours et descendit avec sa bonne. Elles cueillirent des fraises superbes ; le jardinier donna à Geneviève des cerises qu’il avait cueillies le matin ; elle fit un excellent déjeuner avec sa bonne ; un bifteck aux pommes de terre, des œufs frais, des asperges magnifiques et des crêpes ; au dessert, elle mangea des fraises et des cerises, qu’elle partagea avec sa bonne.

Elle sortit ensuite ; elle s’amusa à cueillir des fleurs et à faire des bouquets pendant que sa bonne travaillait près d’elle.

Quand Geneviève revint à la maison, elle trouva Georges et son père rentrés.