Paul Ollendorff (Tome 2p. 239-243).
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Le dimanche matin, Olivier, en venant de l’École, trouva Antoinette au lit, avec un peu de délire. Un médecin fut appelé. Il constata une phtisie aiguë.

Antoinette avait pris conscience de son état, dans les derniers jours ; elle avait découvert enfin la raison du trouble moral, qui l’épouvantait en elle. Pour la pauvre petite, qui avait honte d’elle-même, c’était presque un soulagement de penser qu’elle n’y était pour rien, que la maladie en était cause. Elle avait eu la force de prendre quelques précautions, de brûler ses papiers, de préparer une lettre pour Mme  Nathan : elle la priait de vouloir bien veiller sur son frère, dans les premières semaines après sa « mort » — (elle n’osait pas écrire ce mot…)

Le médecin ne put rien : le mal était trop fort, et la constitution d’Antoinette était usée jusqu’à la corde par les années de fatigues excessives.

Antoinette était calme. Depuis qu’elle se sentait perdue, elle était délivrée de ses angoisses. Elle repassait dans sa pensée toutes les épreuves qu’elle avait traversées ; elle revoyait son œuvre accomplie, son cher Olivier sauvé ; et une joie ineffable la pénétrait. Elle se disait :

— C’est moi qui ai fait cela

Elle se reprochait son orgueil :

— Seule, je n’aurais rien pu. C’est Dieu qui m’a aidée.

Et elle remerciait Dieu de lui avoir accordé de vivre jusqu’à ce qu’elle eût fait sa tâche. Elle avait bien le cœur un peu serré qu’il lui fallût s’en aller maintenant ; mais elle n’osait pas se plaindre : c’eût été ingrat envers Dieu, qui aurait pu la rappeler plus tôt. Et que serait-il arrivé, si elle était partie, un an plus tôt ? — Elle soupirait, et s’humiliait avec reconnaissance.

Malgré son oppression, elle ne se plaignait point, — sauf dans les lourds sommeils, où elle gémissait parfois, comme un petit enfant. Elle regardait les choses et les gens avec un sourire résigné. La vue d’Olivier était pour elle une joie perpétuelle. Elle l’appelait des lèvres, sans parler ; elle voulait tenir sa main dans la sienne ; elle voulait qu’il posât sa tête sur l’oreiller auprès d’elle ; et, les yeux près des yeux, elle le regardait longuement, en silence. Enfin elle se soulevait, en lui tenant la tête entre ses mains, et disait :

— Ah ! Olivier !… Olivier !…

Elle enleva de son cou la médaille qu’elle portait, et la mit au cou de son frère. Elle recommanda son cher Olivier à son confesseur, à son médecin, à tous. On sentait qu’elle vivait désormais en lui, que, sur le point de mourir, elle se réfugiait dans cette vie, comme dans une île. Par moments, elle était comme grisée par une exaltation mystique de tendresse et de foi, elle ne sentait plus son mal, et la tristesse était devenue joie, — une joie vraiment divine, qui rayonnait sur sa bouche et dans ses yeux. Elle répétait :

— Je suis heureuse…

La torpeur la gagnait. Dans ses derniers instants de conscience, ses lèvres remuaient, on voyait qu’elle se récitait quelque chose. Olivier vint à son chevet, et se pencha sur elle. Elle le reconnut encore, et elle lui sourit faiblement ; ses lèvres continuaient de remuer, et ses yeux étaient pleins de larmes. On n’entendait pas ce qu’elle voulait dire… Mais Olivier finit par saisir, comme un souffle, ces mots de la vieille et chère chanson, qu’ils aimaient tant, qu’elle lui avait chantée bien des fois :

I will come again, my sweet and bonny, I will come again,

(« Je reviendrai, bien-aimé, je reviendrai. »)

Puis, elle retomba dans sa torpeur. Et elle s’en alla.