Paul Ollendorff (Tome 2p. 142-146).
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Olivier ne tarda pas à lui donner d’autres inquiétudes.

Il était profondément honnête, comme elle, mais de volonté faible et d’intelligence trop libre et trop complexe pour n’être pas un peu trouble, sceptique, indulgente à ce qu’il savait mal, et attirée par le plaisir. Antoinette était si pure qu’elle fut longtemps avant de comprendre ce qui se passait dans l’esprit de son frère. Elle le découvrit brusquement, un jour.

Olivier la croyait sortie. Elle avait une leçon, d’ordinaire, à cette heure ; mais au dernier moment, elle avait reçu un mot de son élève, l’avertissant qu’on se passerait d’elle aujourd’hui. Elle en avait eu un secret plaisir, bien que ce fussent quelques francs supprimés de son maigre budget ; mais elle était très lasse, et elle s’étendit sur son lit : elle jouissait de pouvoir se reposer un jour sans remords. Olivier rentra du lycée ; un camarade l’accompagnait. Ils s’installèrent dans la chambre à côté, et se mirent à causer. On entendait tout ce qu’ils disaient : ils ne se gênaient point, croyant qu’ils étaient seuls. Antoinette écoutait en souriant la voix joyeuse de son frère. Mais bientôt, elle cessa de sourire, et son sang s’arrêta. Ils parlaient de choses brutales, avec une crudité d’expressions abominable : ils semblaient s’y complaire. Elle entendait rire Olivier, son petit Olivier ; et de ses lèvres, qu’elle croyait innocentes, sortaient d’obscènes paroles, qui la glaçaient d’horreur. Une douleur aiguë la perçait jusqu’au fond de son être. Cela dura longtemps : ils ne pouvaient se lasser de parler, et elle ne pouvait s’empêcher d’écouter. Enfin, ils sortirent ; et Antoinette resta seule. Alors elle pleura : quelque chose était mort en elle ; l’image idéale qu’elle se faisait de son frère, — de son enfant, — était souillée : c’était pour elle une souffrance mortelle. Elle ne lui en dit rien, quand ils se retrouvèrent, le soir. Il vit qu’elle avait pleuré, et il ne put savoir pourquoi. Il ne comprit pas pourquoi elle avait changé de manières à son égard. Il fallut quelque temps, avant qu’elle se ressaisît.

Mais le coup le plus douloureux qu’il lui porta, ce fut un soir qu’il ne rentra pas. Elle l’attendit toute la nuit, sans se coucher. Elle ne souffrait pas seulement dans sa pureté morale ; elle souffrait jusque dans les retraites les plus mystérieuses de son cœur, — ces retraites profondes, où s’agitent des sentiments redoutables, sur lesquels elle jetait, pour ne pas voir, un voile, qu’il n’est pas permis d’écarter.

Olivier avait voulu surtout affirmer son indépendance. Il revint, au matin, se composant une attitude, prêt à répondre insolemment à sa sœur, si elle lui faisait une observation. Il se glissa dans l’appartement, sur la pointe des pieds, pour ne pas l’éveiller. Mais, quand il la vit, debout, l’attendant, pâle, les yeux rouges, ayant pleuré, quand il vit qu’au lieu de lui faire le moindre reproche, elle s’occupait de lui en silence, préparait son déjeuner, avant son départ pour le lycée, et qu’elle ne lui disait rien, mais qu’elle semblait accablée, et que tout son être était un reproche vivant, il n’y résista pas : il se jeta à ses genoux, il se cacha la tête dans sa robe ; et ils pleurèrent tous deux. Il était honteux de lui, dégoûté de la nuit qu’il venait de passer ; il se sentait avili. Il voulut parler : elle l’empêcha de parler, lui mettant la main sur la bouche ; et il baisa cette main. Ils ne dirent rien de plus : ils se comprenaient.

Olivier se jura de ne plus faire souffrir Antoinette, et d’être ce qu’elle attendait qu’il fût. Mais elle ne put, quoi qu’elle fît, oublier de si tôt sa blessure : elle était comme une convalescente. Il y avait une gêne entre eux. Son amour était toujours aussi fort ; mais elle avait vu dans l’âme de son frère quelque chose qui lui était maintenant étranger, et qu’elle redoutait.