Anthologie féminine/Paule de Viguier

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 32-35).


PAULE DE VIGUIER

(Baronne de Fontenille)
(1519-1605)


Née à Toulouse, issue par sa mère de la très illustre famille de Lancefoc, surnommée la Belle Paule par François Ier, en 1533, lors du passage de ce roi à Toulouse, où elle fut chargée de lui lire des stances charmantes qu’elle avait composées pour cette occasion, et qui malheureusement n’ont pas été conservées.

Le roi lui répondit : « Vous serez, gente demoiselle, connue et renommée parmi dames tant de Languedoc que de France et autres pays fort lointains comme la plus belle et la mieux versée en tous arts et poésie ; et moi je garderai bonne souvenance de notre Belle Paule que telle on surnommera. — Et vous, Messieurs, merci ! ajouta le roi en se tournant vers les capitouls ; j’aurai garde d’oublier votre bonne et fidèle ville de Tolose. »

Le chevalier Minut, son cousin et son admirateur malheureux, qui a fait un livre tout consacré aux beautés de Paule, la Paulographie, s’est complu longuement dans la description de sa chevelure, qu’elle portait tressée et entremêlée de perles, rejetée en arrière. Elle n’était pas précisément cendrée, mais elle avait des reflets argentins qui prêtaient à ses ondulations un soyeux d’une inexprimable mollesse. C’est ce ton particulier dans les beaux cheveux blonds qu’un artiste italien désignait par le mot morbidezza. Elle s’en couvrait tout entière quand elle les dénouait. Dans ses traits, dans sa taille légère, dans son port de reine ou de déesse, rien ne rompait le charme exquis de la perfection.

Elle reçut aussi un autre surnom aussi mérité : la Vénus chrétienne ; à quinze ans ses parents la marièrent contre son gré à Bénaquet, que, malgré les tristesses de son âme, elle rendit parfaitement heureux pendant dix ans. Quand il mourut, la laissant veuve à vingt-cinq ans, elle put choisir alors l’élu de son cœur, le baron de Fontenille, qui lui était resté fidèle.

Paule ne connut pas l’existence sereine que tout semblait lui présager. La perte de son unique enfant, à un âge où il se montrait déjà sous les traits charmants de sa mère et doué de toutes ses qualités, la plongea dans une tristesse que rien ne devait plus enlever. Pleine de sa douleur et se complaisant dans son amertume, elle se retira du monde d’une manière si absolue qu’elle ne sortait plus de chez elle et se rendait même invisible aux amis de sa maison.

Il ne suffit pas à Paule d’avoir le don de la beauté parfaite, sa beauté se couronnait et s’illuminait de toutes les vertus et de tous les talents. Dans son isolement, elle avait demandé à la poésie un adoucissement à ses maux. L’Académie des Jeux floraux voulut, à son tour, forcer sa retraite en l’invitant à venir recevoir dans ses concours un Souci funèbre offert à l’harmonieuse expression de sa douleur. Paule ne résista pas à ce touchant témoignage des regrets publics ; elle se rendit au milieu d’une de ces fêtes brillantes, couverte de vêtements noirs et le crêpe au front. D’une voix pleine de sanglots, elle consentit à divulguer ses regrets. Elle chanta l’amour maternel dans ses joies et dans ses tristesses.

Le dernier soupir de cette élégie se trouve entre nos mains, nous le donnons ici. Elle peut rivaliser avec l’Enfantelet de Clotilde de Surville :

Le tendre corps de mon fils moult chéry
Gist maintenant dessoubs la froide lame ;
Dans les cieuls clairs doit triompher son âme,
Car en vertu tousjours il fut nourry.
Las ! j’ai perdu mon beau rosier fleury,
De mon vieux temps l’orgueil et l’espérance ;
La seule mort peut donner allégeance
Au mal cruel qui mon cœur a meurtry.
Or, adieu donc, mon enfant moult chéry.
De toi mon cœur gardera souvenance !


En 1564, âgée de quarante-cinq ans, elle fut encore proclamée la plus belle dame de France par Charles IX et Catherine de Médicis, qui voulurent la voir à leur passage à Toulouse.

Malgré ses chagrins, et après avoir perdu son mari bien-aimé, elle resta belle, nous assure Brantôme, alors qu’elle fût octogénaire ; elle mourut à quatre-vingt-sept ans, ayant conservé toute la grâce du plus aimable esprit[1].



  1. Nous avons emprunté ces détails à une notice de M. Jules Toussy.