Anthologie féminine/Louise Labbé

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 35-39).

LOUISE LABBÉ

(1526-1566)


Née à Lyon, Louise Charley, ou Charlin, ou encore Charlieu, a écrit sous le pseudonyme de Louise Labbé, et fut surnommée la Belle Cordière parce que son père était marchand cordier et que son mari, Ennemond Perrin, avait la même profession. Ses vers respirent la grâce, la facilité et le sentiment par-dessus tout, le sentiment si fin, si délicat de la passion tendre et féminine que l’on retrouve dans notre siècle chez Mme Desbordes-Valmore. Il a été conservé d’elle vingt-quatre sonnets, trois élégies, une épître et un dialogue en prose. Il ne fallait pas alors un bagage littéraire plus complet pour appartenir aux lettres. Un seul sonnet ne suffit-il pas à une gloire poétique ?

Déjà à cette époque se tenaient des salons de beaux esprits, et chez la Belle Cordière de Lyon se réunissaient les amateurs de littérature et de beaux-arts de la ville. Sainte-Beuve estime très haut la prose de Louise Labbé, et un de ses contemporains, Paradin, le doyen de Beaujeu, nous la dépeint ainsi dans ses Mémoires de l’histoire de Lyon, publiés en 1573 :

« Elle avoit la face plus angélique qu’humaine, mais ce n’estoit rien à la comparaison de son esprit tant chaste, tant vertueux, tant poétique, tant rare en savoir, qu’il sembloit qu’il eust esté créé de Dieu pour estre admiré comme un grand prodige entre les humains. »


SONNETS

I

Je vis, je meurs, je me brusle et me noye,
J’ai chaut extresme en endurant froidure,
La vie m’est et trop molle et trop dure ;
J’ai grans ennuis entremeslez de joye.

Tout à un coup je ris et me larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je seiche et je verdoye.

Ainsi amour inconstamment me meine ;
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.

Puis, quand je croy ma joye estre certaine
Et estre en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

II

Tant que mes yeux pourront larmes espandre
À l’heur passé avec toy regretter,
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignart luth pour tes grâces chanter,
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toy comprendre,

Je ne souhaitte encore point mourir ;
Mais quand mes yeus je sentiray tarir.
Ma voix cassée et ma main impuissante,

Et mon esprit, en ce mortel séjour,
Ne pouvant plus monstrer signe d’amante,
Priray la mort noircir mon plus cler jour.


ÉLÉGIE

Vous qui lisez, ô dames lionnoises…
............
Ne veuillez point condamner ma simplesse
Et jeune erreur de ma folle jeunesse.
Si c’est erreur ; mais qui, dessous les cieus,
Se peut vanter de n’estre vicieus ?

L’un n’est content de sa sorte de vie
Et tousjours porte à ses voisins envie ;
L’un, forcenant de voir la paix en terre,
Par tous moyens tasche y mettre la guerre ;
L’autre, croyant povreté estre vice,
À Autre Dieu qu’Or ne fait sacrifice ;
L’autre sa foy parjure il emploira
À decevoir quelcun qui le croira ;
L’un, en mentant de sa langue lézarde,
Mile brocars sur l’un et l’autre darde.
Je ne suis point sous ces planètes née
Qui m’ussent pu tant faire infortunée.
Oncques ne fut mon œil marri de voir
Chez mon voisin mieux que chez moi pleuvoir.
Oncq ne mis noise ou discord entre amis ;
À faire gain jamais ne me soumis ;
Mentir, tromper et abuser autrui,
Tant m’a desplu que mesdire de lui.
............


à Mlle  clémence de BOURGES[1], LYONNAISE
(sur l’instruction des femmes)

Estant le temps venu, Mademoiselle, que les severes lois des hommes n’empeschent plus les femmes de s’appliquer aux sciences et disciplines, il me semble que celles qui en ont la commodité doivent employer cette honneste liberté, que nostre sexe a autrefois tant désirée, a icelles apprendre et montrer aux hommes le tort qu’ils nous fesoient en nous privant du bien et de l’honneur qui nous en pouvoit venir ; et si quelcune parvient en tel degré que de pouvoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement, et non desdaigner la gloire, et s’en parer plustot que de chaisnes, anneaux et somptueux habits......

Je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses dames d’eslever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenoilles et fuseaux et s’employer à faire entendre au monde que, si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons-nous estre desdaignées pour compagnes, tant es affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se font obéir. En outre la reputacion que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public que les hommes mettront plus de peine et d’estude aux sciences vertueuses, de peur qu’ils n’ayent honte de voir précéder celles desquelles ils ont prétendu estre toujours supérieurs quasi en tout. S’il y a quelque chose recommandable apres la gloire et l’honneur, le plaisir que l’estude des lettres a accoutumé donner nous y doit chacune inciter ; qui est autre que les autres recréations, desquelles quand on en a pris tant que l’on veut on ne se peut vanter d’autre chose que d’avoir passé le temps. Mais celle de l’estude laisse un contentement de soy qui nous demeure plus longuement. Car le passé nous réjouit et sert plus que le présent......

De Lyon, ce 24 juillet 1555.
  1. Clémence de Bourges, amie de la Belle Cordière, qui lui dédia le Débat de folie et amour, dialogue en vers, n’a pas eu ses œuvres éditées ni conservées.