Anthologie féminine/Mme de Verdier

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 194-197).

Mme  DE VERDIER (Suzanne Allut)

(1745-1813)


Nous ne trouvons aucune notice bibliographique sur cette femme de lettres qui écrivit cette jolie pièce de vers dans le ton de l’époque :

LA FONTAINE DE VAUCLUSE
IDYLLE

Ce n’est pas seulement sur des rives fertiles
Que la nature plaît à notre œil enchanté :
  Dans les climats les plus stériles,
Elle nous force encor d’admirer sa beauté.
Tempi nous attendrit, Vaucluse nous étonne,
Vaucluse, horrible asile, où Flore ni Pomone
N’ont jamais prodigué leurs touchantes faveurs,
Où jamais de ses dons la terre ne couronne
  L’espérance des laboureurs.
Ici, de toutes parts, elle n’offre à la vue
Qiic les monts escarpés qui bordent ces déserts
  Et qui, se cachant dans la nue,
  Les séparent de l’univers.
Sous la voûte d’un roc dont la masse tranquille
Oppose à l’aquilon un rempart immobile.
  Dans un majestueux repos,
Habite de ces bords la naïade sauvage ;
Son front n’est point orné de flexibles roseaux,
  Et la pureté de ses eaux
Est le seul ornement qui pare son rivage.
  J’ai vu ses flots tumultueux
S’échapper de son urne en torrents écumeux ;
  J’ai vu ses ondes jaillissantes.
Se brisant à grand bruit sur des rochers affreux,
Précipiter leur cours vers des plaines riantes.
Qu’un ciel plus favorable éclaire de ses feux.

L’écho gémit au loin : Philomèle craintive
  Fuit et n’ose sur cette rive
  Nous faire entendre ses accents.
L’oiseau seul de Pallas, dans ces cavernes sombres,
Confond pendant la nuit, avec l’horreur des ombres,
  L’horreur de ses lugubres chants.
Déesse de ces bords, ma timide ignorance
N’ose lever sur vous des regards indiscrets ;
Je ne veux point sonder les abîmes secrets
Où de l’astre du jour vous bravez la puissance,
  Lorsque sa brûlante influence
Dessèche votre lit ainsi que nos guérets.
Je ne demande point par quel heureux mystère
Chaque printemps vous voit plus belle que jamais,
  Tandis qu’au départ de Cérès
Vous nous offrez à peine une onde salutaire ;
Expliquez-moi plutôt les nouveaux sentiments
  Qui calment l’horreur de mes sens.
Quoi ! ces tristes déserts, ces arides montagnes,
  L’aspect affreux de ces campagnes.
Devraient-ils inspirer de si doux mouvements ?
Ah ! sans doute l’aurore y fit briller encore
Un rayon de ce feu que ressentit pour Laure
  Le plus fidèle des amants.
Pétrarque auprès de vous soupira son martyre ;
  Pétrarque y chantait sur sa lyre
  Sa flamme et ses tendres souhaits ;
Et tandis que les cris d’une amante trahie.
  Ou la voix de la Perfidie,

Fatiguent nos coteaux, remplissent nos forêts,
  Du sein de ses grottes profondes
  L’écho ne répondit jamais
Qu’aux accents d’un amour aussi pur que vos ondes.
Trop heureux les amants l’un de l’autre enchantés,
  Qui, sur ces rochers écartés,
Feraient revivre encor cette tendresse extrême ;
  Et, dans une douce langueur,
Oubliés des humains qu’ils oublieraient de même.
  Suffiraient seuls à leur bonheur !
Mais, hélas ! il n’est plus de chaînes aussi belles :
Pétrarque dans sa tombe enferma les Amours.
Nymphes qui répétiez ses chansons immortelles.
Vous voyez tous les ans la saison des beaux jours
  Vous porter des ondes nouvelles :
  Les siècles ont fini leur cours
Et n’ont point ramené des cœurs aussi fidèles.
Ah ! conservez du moins les sacrés monuments
  Qu’il a laissés sur vos rivages ;
Ces chiffres, de ses feux respectables garants,
Ces murs qu’il habitait, ces murs sur qui le temps
  N’osa consommer ses outrages.
Surtout que vos déserts, témoins de ses transports,
Ne recèlent jamais l’audace ou l’imposture ;
Et si quelque infidèle ose souiller ces bords.
Que votre seul aspect confonde le parjure
  Et fasse naître ses remords !