Anthologie féminine/Mme de Staal-Delaunay

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 129-132).

Mme  DE STAAL (Née DELAUNAY)

(1693-1757)


Mme Delaunay fut lectrice de la duchesse du Maine ; c’est elle qui ourdit la fameuse conspiration qui la fit enfermer à la Bastille avec ses maîtres. Elle n’est connue que par ses Mémoires sur la cour, dont le style est aussi bon que peut l’être celui de mémoires de détails quotidiens, exacts et minimes.


MÉMOIRES
(Proposition de mariage de M. de Staal.)

. . . . . . . . . . . . . . . .

Mme  la duchesse du Maine, craignant que je ne voulusse enfin rompre les liens qui m’attachaient à elle, songea à les redoubler. Elle combattit d’abord mes idées de retraite, voulut en pénétrer toutes les raisons, me donna lieu d’alléguer les embarras et les dégoûts où m’exposait sans cesse la situation équivoque où j’étais auprès d’elle. Les distinctions qu’elle m’avait accordées depuis que j’avais quitté le titre et les fonctions de femme de chambre n’avaient pas des limites précises. Je ne savais presque jamais si j’étais dedans ou dehors. Pour peu que je les passasse, ou sans m’en apercevoir, ou par ordre de sa part, les mines et les murmures de ses dames, attentives à la distance qui devait être entre elles et moi, m’y faisaient désagréablement rentrer. Je lui présentai ces inconvénients comme une excuse du parti que je songeais à prendre : quoique ce n’en fussent pas les véritables motifs, ils étaient plus propres à la frapper qu’aucun autre. Elle me dit qu’il y avait moyen d’y remédier en me faisant épouser un homme de condition qui me mettrait de niveau à toutes les dames de sa cour ; que les charges que possédait M. le duc du Maine le mettaient à portée de faire la fortune de beaucoup de gens ; qu’on trouverait sans peine quelque officier sous les ordres de ce prince qui, pour son avancement, entendrait à ce mariage ; qu’elle allait chercher quelqu’un propre à remplir ses vues à cet égard, et qui d’ailleurs me conviendrait. Je crus que la découverte n’en serait pas facile. Loin donc de m’opposer à la bonne volonté de Mme  la duchesse du Maine, je lui témoignai de la reconnaissance du soin qu’elle voulait prendre de mon établissement.

Il s’en était présenté quelques-uns depuis que j’avais manqué M. Dacier ; mais les inconvénients que j’y avais remarqués m’avaient empêchée de les accepter.

D’autres partis me furent offerts qui ne me convinrent point. L’un était un homme assez riche, d’une condition médiocre, qui vivait à Paris fort retiré et voulait une femme raisonnable pour lui tenir compagnie. Il fallait conclure sans examen : je refusai.

Une dame de mes amies m’en proposa encore un autre. C’était un gentilhomme d’environ cinquante ans, qui avait quitté depuis peu le service, vivait en province dans une jolie terre, y habitait une maison bien bâtie et bien meublée. Celui-là, je le vis chez la personne qui m’en avait parlé. Il était d’une assez bonne figure et d’un bon maintien ; il ne me trouva pas si décrépite qu’il me croyait. Content d’ailleurs du peu de bien que je possédais (car les amis que j’avais perdus m’avaient laissé des marques de leur amitié), il dit à son amie qu’il était prêt à conclure, pourvu que je n’eusse point de répugnance à passer ma vie dans son château.

Je fis dire à l’homme dont il s’agissait qu’étant aussi attachée que je l’étais à Mme  la duchesse du Maine je ne pouvais me résoudre à la quitter sans retour. Il répondit que, si je voulais conserver d’autres liens que ceux que je prendrais avec lui, je ne pouvais lui convenir. Cette réponse me persuada qu’il ne me convenait pas non plus, et je rompis.

Mme  la duchesse du Maine ne sut rien de tous ces projets avortés. Cependant elle avait chargé Mme  de Surl…, femme d’un officier suisse de mes amies et fort attachée à elle, de chercher quelqu’un dans le corps helvétique commandé par M. le duc du Maine qui voulût prendre une femme sans naissance, ni bien, ni beauté, ni jeunesse. À peine les treize cantons pouvaient suffire à cette découverte. Aussi la dame y employa-t-elle un long temps, et je ne pensais plus à sa mission, lorsqu’un jour, étant venue à Sceaux, elle me dit : « Je crois avoir trouvé par hasard l’homme que nous cherchions. Ne songeant qu’à me promener, j’ai accompagné M. de Surl… chez un officier de sa nation qui demeure dans le voisinage d’une campagne où j’étais. Là, j’ai trouvé une petite maison neuve et propre, entourée de troupeaux de vaches et de moutons. Le maître du logis (M. de Staal), qui n’est pas jeune, m’a plu par une physionomie avantageuse. C’est un homme de condition, veuf, qui vit dans cette retraite avec deux de ses filles. Elles paraissent douces et raisonnables et tout occupées des soins de leur ménage. Il est peu avancé, quoiqu’il serve depuis longtemps et qu’il ait bien fait son devoir, parce qu’il s’est tenu à l’écart ; mais, ajouta-t-elle, j’ai pensé qu’une protection qui le ferait valoir, sans qu’il s’en donnât la peine, lui serait fort agréable. » ......