Anthologie féminine/Mme Sophie de B. de Courpon

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 355-357).

S.-B. DE COURPON


Mme Armand de Bovet, née Sophie de Courpon, écrit sous le pseudonyme de Mardoche, et sous son nom de jeune fille, des chroniques très enlevées, des romans, dont un, les Écumeurs de Salon, a paru dans le Pays, des critiques musicales. Plusieurs volumes de vers, entre autres une riposte bien sentie aux Blasphèmes de Richepin sont édités. Poète d’instinct, elle rimait tout enfant.


imprécation (tiré des Contes de Mardoche)


Quand Dieu pour les damnés fut à bout de sévices
Et qu’il eut épuisé tortures et supplices.
Après avoir fourni plus de bois et de fer
À Satan qu’il n’en faut pour fondre son enfer,
Après avoir fait naître, à chaque bout du monde,
Les monstres, les fléaux et la misère immonde
Il trouva (s’informant avec un soin jaloux)
Que ce sombre attirail était presque trop doux.
Et puis, tous ces tourments avaient des airs antiques,
Et la mode n’est plus aux choses dramatiques.
Il fallait un supplice, unique et raffiné.
Qui, par les autres dieux, ne fût pas profané.
Et, s’inspirant alors du juif de la légende
Qui ne peut nulle part accepter une offrande.
Ni jamais retirer de sa poche un denier,
N’espérant le repos qu’au jugement dernier.
Il choisit un poète et lui dit : « Dans ton âme
J’entretiendrai moi-même une éternelle flamme.
Mais tu seras transi de froid sur ton bûcher.
Dont pas un être humain ne voudra s’approcher.
De ton cœur vont couler d’amples sources d’eaux vives
Et tu mourras de soif sur le bord de leurs rives.
Enviant le destin des arbres, des roseaux,
Qui peuvent s’enlacer du moins par leurs rameaux.
Tes plus brûlants désirs resteront lettre morte
Et d’aucun paradis tu n’ouvriras la porte.
Toi, pour qui j’ai pétri toutes les passions,

Tu les enfanteras dans les déceptions.
Et, si tu crois presser des mains dans ton délire,
Tu ne feras plier que le bois de ta lyre. »