Anthologie féminine/Mme Anaïs Dewailly

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 357-360).

Mme  ANAÏS DEWAILLY


Mme  Gustave Mesureur a écrit sous son nom de jeune fille, Anaïs Dewailly, un délicieux petit vol-ume de vers maternels, qui mérite d’être lu par les mères et les enfants, un autre livre de poésies, Rimes roses, et d’autres ouvrages en prose où elle s’occupe toujours des enfants et des mères. Le Petit marin, que nous citons ci-après, peut marcher de pair avec le Petit oreiller, le Petit enfant à l’école, de Mme Desbordes-Valmore, le Petit savoyard, etc. Ses aquarelles sont de véritables Millet en vers :


LE PETIT MARIN

Un moussaillon du port, sur la route pierreuse,
S’en allait, les pieds nus et les cheveux au vent.
Il sanglotait, tout haut, d’une voix douloureuse
Et, triste, j’écoutais sa plainte en le suivant.

Quatre ans à peine et seul, je frémis, oh ! misère !
Peut-être l’avait-on battu, le cher mignon.
Et m’approchant de lui : « Petit, que fais ta mère ?
Pourquoi pleurer ainsi ? tu souffres ? dis ton nom.


« Réponds-moi, je pourrais te consoler sur l’heure.
Veux-tu qu’au prochain bourg nous achetions du pain ?
Aimes-tu les gâteaux ? j’en ai dans ma demeure. »
Mais lui, pleurant plus fort : « Non, non, je n’ai pas faim ! »

Son chagrin persistant, je pressentais un drame.
Cet enfant éploré, pensais-je, doit courir
Demander du secours ; peut-être qu’une femme.
Sa mère, en ce moment est proche de mourir !

Aux maux des tout petits mon âme s’intéresse.
J’accompagnai l’enfant et, pour calmer ses cris,
Je le pris dans mes bras. Hélas ! quelle détresse !
Aux cailloux du chemin ses pieds s’étaient meurtris !

Je serrai contre moi ce Bis de mendiante.
Sa douleur apaisée, il sourit, l’orphelin !
Et jugeant tout à coup ma mine confiante.
Pour conter son secret, il eut un air câlin :

« Si j’avais un bateau qui vogue sur la lame.
Je ne pleurerais plus, je serais bien heureux ;
Un bateau de bois blanc, c’est beau ! dites, Madame ?
On les paye cinq sous, et je n’en ai que deux. »

Heureux âge où le cœur facilement s’épanche.
Et désolé pour rien se console de peu !
Il rêvait d’une barque avec sa voile blanche.
Comment ne pas sourire à ce naïf aveu ?

C’était là son regret, le sujet de sa peine.
Alors, comme une fée exauçant son désir,
J’entrai chez le marchand et je lui fis choisir
Un beau bateau qui fût digne du capitaine.


LE POULAIN (aquarelle)


On a conduit le gros bétail à la pâture.
Dans la prairie en fleurs, qu’entoure une clôture,
Des vaches, des chevaux errent tranquillement ;
Quelques-uns sont couchés. Un beau poulain normand
Gambade et se repaît, libre de toute entrave.
Jamais il n’a connu la honte d’être esclave ;
Jamais il n’a senti lui peser sur le cou
L’humiliante bride ou l’insultant licou ;
En jouant, d’une haleine, il ferait une lieue.
Et sur ses fins jarrets flotte sa longue queue.
Sa crinière sauvage et brune orne son front.
Il galope au hasard, hennit, puis s’interrompt.
Au revers d’un fossé tout à coup il s’arrête.
Il accourt frémissant et redresse la tête.
Un cheval passe au loin, qui, moins heureux que lui,
Travaille, souffle, sue, et tire avec ennui
Un camion chargé de pièces de charpente.
Du chemin, défoncé par l’eau, la faible pente
Est pénible à gravir ; il ne peut avancer.
À chaque effort, la roue, en tournant, fait grincer
Le moyeu. L’animal tout en sueur ruisselle ;
Il butte à chaque pas et la pierre étincelle.
Le roulier, un bon homme, a pitié cette fois,
Et, sans lever le fouet, l’excite de la voix.
Montrant pour le quart d’heure une rare indulgence.
Le poulain observait, l’œil plein d’intelligence.
Comme si le malheur des siens l’intéressait.

Immobile et debout, on eût dit qu’il pensait,
Entrevoyant déjà sa sombre destinée :
Est-ce donc pour souffrir que notre race est née ?


PAYSAGE (aquarelle)


C’est la pleine campagne ; au loin, des fours à chaux.
Là, des terrains plantés de pois et d’artichauts.
Une fine poussière ouatant la route blanche.
Des champs ensemencés, dont l’ocre brune tranche
Sur le velours moelleux des blés et des foins verts.
Des vergers où l’on voit poindre des fruits divers ;
Des arbres constellés de cerises vermeilles,
Des abricots planant au-dessus des groseilles.
Une intense clarté, qui rayonne des cieux.
Allume la campagne et fatigue les yeux.
La blancheur du chemin a trop d’éclat, et l’ombre
D’un épais marronnier fait une tache sombre.
Comme pour ajouter à cette variété
De tons resplendissants par un soleil d’été,
L’uniforme gros bleu, jaune d’or, écarlate,
Sous l’indigo du ciel, dans un fond vert, éclate
De deux pioupious, assis sur le bord d’un taillis.
Qui devisent entre eux des choses du pays.