Anthologie féminine/Mme Geoffrin

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 138-140).

Mme GEOFFRIN

(1699-1777)


Mme Geoffrin, née Thérèse Rodet, n’est qu’un Mécène littéraire ; elle aurait pu jouer un rôle plus actif, les quelques lettres et pensées que l’on a d’elle le prouvent. Petite bourgeoise, elle épousa, à quinze ans, M. Geoffrin, caissier dans la manufacture de glaces de Saint-Gobain, qui lui laissa non une grande richesse, mais une fortune suffisante pour qu’avec cet ordre et cette économie, qu’elle appelait « une source d’indépendance et de libéralités », elle pût tenir une maison qui fût la plus recherchée de Paris. Elle fut avant tout maîtresse de maison parfaite. Elle donnait à dîner deux fois par semaine ; simple dans sa toilette, mais tenant à ce que ses amis vécussent confortablement chez elle. Bonne et sincère, elle se rendait utile à tout le monde. Elle le fut surtout pour le jeune prince Poniatowski, qui ne l’oublia pas quand il devint roi de Pologne.

Il lui écrivit alors : Maman, votre fils est roi. Elle dut aller peu de temps après visiter « son fils roi », qui lui fit la surprise de lui rendre à quatre cents lieues de Paris son appartement de la rue Saint-Honoré.

« Mettant un prix infini à son commerce avec les grands, Mme Geoffrin ne les voyait pas beaucoup chez eux, s’y trouvant assez mal à l’aise ; mais elle leur donnait le désir de venir chez elle, par une coquetterie imperceptiblement flatteuse, les recevant ensuite avec un air aisé, naturel, demi-respectueux et demi-familier…, toujours sur les limites des bienséances, qu’elle ne passait jamais. » (Marmontel.)


LETTRE AU ROI DE POLOGNE

. . . . . . . . . . . . . . . .

En arrivant chez moi, j’ai repris mon genre de vie, et ce genre de vie me conduira jusqu’à soixante-dix ans, qui seront accomplis dans deux ans. Pour lors, je commencerai à rompre tous les attachements de mon cœur, et puis je le fermerai hermétiquement, de façon qu’il n’y puisse plus rien entrer. Je veux que ma mort physique soit aussi douce qu’il soit possible, et pour cela il ne faut point avoir de déchirures à faire, et je n’en puis avoir que par mon cœur. Ma petite philosophie m’a fait donner à toutes les choses qui m’entourent leur juste valeur, et je les quitterai sans regret. Je vois l’époque de ma mort morale très gaiement…


PENSÉES

Il faut, pour avoir des amis et se rendre bonne à quelque chose en ce monde, beaucoup donner et beaucoup pardonner.

Faites en sorte, si vous ouvrez un avis, que celui qui vous écoute croie l’avoir lui-même donné.

Ne demandez guère de conseils, de peur qu’on ne vous sache mauvais gré de ne les avoir point suivis.