Anthologie féminine/Mme Dufrenoy

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 222-224).

DUFRÉNOY (Adélaïde-Gillette Billet)

(1765-1825)


Naquit à Nantes et épousa à quinze ans un riche procureur au Châtelet. Elle connut néanmoins la plus terrible adversité, son mari ayant perdu sa fortune et étant devenu aveugle. Elle ne dut son salut qu’à la protection, presque à la charité de M. de Ségur, auquel elle s’adressa dans un jour de cruelle détresse ; il lui fit obtenir une pension. Elle a écrit des ouvrages d’éducation et des poésies élégiaques ; mais elle est surtout connue par une chanson que lui adressa Béranger, chanson dont voici le refrain ;

  Veille, ma lampe, veille encore.
  Je lis les vers de Dufrénoy.


Ses premiers vers furent publiés en 1806. En 1814, l’Académie lui décerna un prix pour les Derniers moments de Bayard, dont voici un extrait.

Renaissez dans mes chants, nobles mœurs de nos pères !
Honneur, foi, loyauté, vertus héréditaires,
Que dans les vieux châteaux l’aïeul en cheveux blancs
Transmettait d’âge en âge à ses nobles enfants !
Renaissez, jours fameux, religion ! patrie !
Et toi dont la mémoire est à jamais chérie,
Bayard, toi dont le nom rappelle avec grandeur
Tout ce qu’ont eu d’éclat ces siècles de l’honneur.
Ta gloire ne meurt pas : le temps la renouvelle ;
Au sage comme au brave il t’offre pour modèle ;
Ton grand cœur au-dessus des caprices du sort
Se montra tout entier dans les bras de la mort ;
J’apporte à ton cercueil l’hommage de la France !
Déjà de Bonnivet l’orgueilleuse imprudence
Fuyait loin de Milan, où toujours les Français
Ont par de grands revers payé de grands succès ;
Bayard restait encore, et de sa renommée
Seul pouvait protéger les débris de l’armée ;
Tout à coup, ô douleur ! le tube meurtrier

De ses traits foudroyants a frappé le guerrier :
Atteint d’un coup mortel, sur l’arène sanglante
Il tombe, tout son camp jette un cri d’épouvante ;
Mais lui, dans la mort même incapable d’effroi,
Nomme en tombant son Dieu, sa patrie et son roi !
« Je suis mort, cria-t-il, mais gardez votre place,
L’ennemi jusqu’au bout ne me verra qu’en face. »
Il dit ; et le héros respirant à moitié,
Sous un arbre voisin avec peine appuyé.
De sa mourante main ressaisissant son glaive.
Après un long effort quelque temps se relève,
Du geste et du regard excite nos soldats ;
Et déchiré, couvert des ombres du trépas,
Son front, que par degré la douleur décolore.
Tourné vers l’ennemi l’épouvantait encore !

Sa vieillesse eût pu être calme, si elle n’eût été attaquée par les plus odieuses calomnies. On la discuta comme auteur de ses poésies, que l’on attribuait à M. de Fontanes ; puis on la mit au nombre de prétendus agents politiques. Ce dernier coup causa sa mort. MM. de Ségur, de Pongerville et Tissot, protestèrent solennellement en sa faveur devant sa tombe.