Anthologie féminine/Mlle de Montpensier

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 80-81).

Mlle DE MONTPENSIER
(Jeanne-Marie-Louise d’Orléans)

(1627-1693)


La personnalité historique de la Grande Mademoiselle est trop connue pour qu’il soit besoin d’esquisser ici sa biographie. Destinée d’abord à épouser son cousin, Louis XIV, quoiqu’elle eût onze ans de plus que lui, elle se maria, malgré les entraves à surmonter, avec le vicomte de Lauzun. On se figure difficilement l’illustre frondeuse la plume à la main pour écrire. C’est pendant son exil à Saint-Fargeau, de 1652 à 1657, qu’elle eut le temps de nous donner, outre ses Mémoires, un opuscule, la Relation de l’Ile invisible, la Princesse de Paphagonie, un roman et Divers Portraits. Néanmoins, elle n’est pas à ranger dans la catégorie des femmes de lettres proprement dites ; on lui reproche des négligences de style.

Le portrait qu’elle a écrit de Christine, reine de Suède, est cependant bien amusant, et nous pensons que c’est un des plus intéressants extraits à donner de ses écrits :

. . . . . . . . . . . . . . . .

J’avais tant ouï parler de la manière bizarre de son habillement que je mourais de peur de rire en la voyant… Elle avait une jupe d’étoffe de soie grise avec de la dentelle d’or et d’argent, un justaucorps de camelot couleur de feu avec de la dentelle de même, et une petite tresse or, argent et noir ; de même il y avait sur la jupe aussi un mouchoir noué de point de Gênes, avec un ruban couleur de feu ; une perruque blonde, et derrière un rond comme les femmes en portent, un chapeau avec des plumes noires qu’elle tenait.

Elle est blanche, les yeux bleus ; des moments elle les a doux, d’autres fort rudes ; la bouche assez agréable, quoique grande, les dents belles, le nez assez grand et aquilin ; fort petite, son justaucorps cache sa mauvaise taille. Enfin, à tout prendre, elle me parut un joli petit garçon......

Après le ballet, nous fûmes à la comédie. Là, elle me surprit, car, en louant les endroits qui lui plaisaient, elle jurait Dieu, elle se couchait dans sa chaise, jetait ses jambes d’un côté, les passait sur les bras, enfin elle faisait des postures que je n’avais vu faire qu’à Trioelet et à Dodclet, qui sont deux bouffons, l’un Italien, l’autre Français… Il lui prend des rêveries profondes, fait de grands soupirs, puis tout à coup elle revient comme une personne qui s’éveille en sursaut......