Anthologie féminine/Elisa Mercœur

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 313-316).

ÉLISA MERCŒUR

(1809-1835)


Quoique morte âgée seulement de vingt-six ans, Élisa Mercœur fut très connue des femmes de sa génération, parce que ses écrits parurent dans des journaux de famille, mais elle a été vite oubliée. Qui est-ce qui lit maintenant Élisa Mercœur ?

Cette jeune fille, qui possédait certainement la flamme poétique, naquit à Nantes, et apprit seule le latin et l’anglais. Croyant comme bien d’autres pouvoir arriver par sa plume à la gloire et à la fortune, encouragée par une lettre flatteuse de Chateaubriand, comme en écrivent trop à la légère les hautes personnalités, qui songent bien davantage à laisser un souvenir sympathique qu’à être réellement utiles, elle vint à Paris avec sa mère et n’y rencontra que déboires et dégoûts.

Ses vers se distinguaient cependant par la grâce, la sensibilité, le rythme harmonieux. Une nouvelle qu’elle publia dans un journal, la Comtesse de Villequier, dénote une grande puissance dramatique, et une tragédie, Boadbil, prouve qu’elle eût sans doute écrit pour le théâtre. Patronnée par Victor Hugo, après bien des luttes et des efforts, elle obtint une pension du gouvernement, qui lui fut enlevée par la révolution de juillet avant qu’elle en eût touché même le premier quartier. De privations et de langueur, elle mourut en 1835.

Après sa mort, son talent fit plus de bruit que de son vivant. Sa mère publia une édition de ses œuvres complètes et put recueillir une souscription pour lui élever une tombe au Père-Lachaise, sur laquelle on a gravé quelques-uns de ses vers.

Voici une de ses gracieuses poésies :

Lorsque je vins m’asseoir au festin de la vie,
Quand on passa la coupe au convive nouveau,
J’ignorais le dégoût dont l’ivresse est suivie,
Et le poids d’une chaîne à son dernier anneau.

Et pourtant, je savais que les flambeaux des fêtes,
Éteints ou consumés, s’éclipsent tour à tour.
Et je voyais les fleurs qui tombaient de nos têtes
Montrer en s’effeuillant leur vieillesse d’un jour.

J’apercevais déjà sur le front des convives
Des reflets passagers de tristesse ou d’espoir…
Souriant au départ des heures fugitives,
J’attendais que l’aurore inclinât vers le soir.

J’ai connu qu’un regret payait l’expérience.
Et je n’ai pas voulu l’acheter de mes pleurs ;
Gardant comme un trésor ma calme insouciance,
Dans leur fraîche beauté j’ai su cueillir les fleurs.

Préférant ma démence à la raison du sage.
Si j’ai borné ma vie à l’instant du bonheur,
Toi qui n’as cru jamais aux rêves du jeune âge,
Qu’importe qu’après moi tu m’accuses d’erreur.

En vain tes froids conseils cherchent à me confondre.
L’obtiendras-tu jamais, ce demain attendu ?
Lorsqu’au funèbre appel il nous faudra répondre,
Nous aurons tous les deux, toi pensé, moi vécu.

Nomme cette maxime ou sagesse, ou délire,
Moi, je veux jour à jour dépenser mon destin ;
Il est heureux, celui qui peut encor sourire
Lorsque vient le moment de quitter le festin.