Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Jacques Richard

Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 433-436).

JACQUES RICHARD

1841-1861



Jacques Richard, né à Terminiers, près de Châteaudun, commença ses études au Lycée d’Orléans, puis vint à Paris et suivit les cours du Lycée Charlemagne. C’est ainsi qu’il prit part à ce concours général de 1860 auquel il doit sa renommée poétique. Il s’agissait d’écrire, dans la langue de Virgile, un éloge du prince Jérôme récemment décédé. Deux jeunes gens crurent devoir protester contre cette courtisanerie : l’un, Ernest Duvergier de Hauranne, refusa de concourir ; l’autre, Jacques Richard, remit à ses juges non des hexamètres louangeurs mais des alexandrins satiriques. Pendant de longues années, cette poésie jouit dans les lycées d’une véritable popularité. Les rhétoriciens connaissaient aussi de Jacques Richard les stances À Blanche P., ouvrage moins austère, et deux ou trois pièces du même genre. En 1886 seulement, les poésies de Jacques Richard ont été réunies en un volume qui porte parfois la marque d’une grande originalité.

S’il avait vécu plus longtemps et qu’il n’eût pas cédé aux entraînements de la politique, peut-être Jacques Richard eût-il pris un des premiers rangs parmi les poètes contemporains, mais il mourut phtisique, en pleine fleur, à vingt ans.

Ses poésies se trouvent chez M. Charpentier.

A. L.


SPARTACUS

fragment



C’est l’heure où la Nuit sombre a déployé ses voiles,
Où dans les cieux déserts s’allument les étoiles,
Où l’enfant au berceau s’endort frais et vermeil.
La plaine au loin s’étend couverte de ténèbres ;
On y voit vaguement quelques mares funèbres
Qui demain reluiront, rouges, au grand soleil.
Là vient de se gagner une victoire infâme,
Et le sol est jonché de mille corps sans âme
Que l’on croirait plongés dans un profond sommeil.

Ce sont les restes froids d’hommes qui furent braves.
Rome les façonnait au dur métier d’esclaves,
Et les tenait courbés sous la loi du plus fort.
Mille bras indignés brisèrent mille chaînes,
Et, mettant en faisceau toutes leurs vieilles haines,
On les vit, lance au poing, faire un viril effort.
— C’est pour cela qu’ils sont couchés sous l’herbe verte,
Et qu’ils sentent passer sur leur bouche entrouverte
Le baiser glacial des lèvres de la Mort.

Mais ce bruit ?… C’est l’un d’eux. Sa tête se redresse
Et du vent de la nuit savoure la caresse ;
Il se lève à demi, sur son coude appuyé.
Un vieil anneau brisé pend à sa main peu sûre,
Qui veut en vain fermer une large blessure,
Humide encor du sang dont le sol est noyé.
Son front est d’un vainqueur, et non d’une victime.
On reconnaît le chef à cet air si sublime,
Qu’à le voir on dirait un géant foudroyé.


C’est lui, c’est Spartacus ! Pâle et grave statue,
Il est là, sous le ciel, triste, l’âme abattue,
Mais debout. — Un rocher soutient ses membres las.
Hier, il était fort ; hier, il était libre ;
Hier, Rome, à son nom, tremblait aux bords du Tibre ;
Ses soldats l’acclamaient, — et maintenant, hélas !…
Maintenant ils sont morts, et sa main enchaînée
Semble maudire encor l’aveugle destinée
Qui pouvait le sauver, et ne le voulut pas.




AVRIL



Oh ! le doux mois d’avril, le mois des gais murmures
Que dans les grands bois verts font les petits oiseaux ;
Le mois où l’herbe pousse, où les fraises sont mûres,
Où le pré fleuri cause avec les clairs ruisseaux.

Le mois qui fait rêver la pâle fiancée,
Lorsqu’elle vient, pensive, à son balcon s’asseoir ;
Un chant voltige alors sur sa lèvre oppressée,
Triste comme un soupir et doux comme un espoir.

Le mois qui fait trembler les belles amoureuses,
Lorsqu’au jardin, dans l’ombre, elles s’en vont sans bruit ;
Lorsqu’elles ont baissé leurs paupières peureuses
Qui laissent voir encor deux astres dans la nuit.

Oh ! le mois des lilas, des fleurs fraîches écloses,
Des rossignols plaintifs et des merles moqueurs ;
Le mois, le mois paisible où s’entr’ouvrent les roses,
Le mois, le mois charmant où s’entr’ouvrent les cœurs.


Oh ! le mois des doux vers ! oh ! le mois des églogues,
Où les amants pensifs vont les bras enlacés ;
Le mois des chants joyeux, des tendres dialogues ;
Oh ! le mois des amants ! oh ! le mois des baisers !

Le mois où l’air est plein de senteurs parfumées ;
Où dans les bras de Dieu la nature s’endort,
Tandis qu’au souffle ardent des brises embaumées
Chaque fleur en son sein berce un insecte d’or.

L’amour, c’est le printemps ! En moi, chaste mystère,
L’hiver n’existe plus, le printemps est vainqueur.
Décembre peut flétrir et dépouiller la terre,
Avril, le doux Avril, règne seul en mon cœur !