Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Aristide Frémine

Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeur** 1818 à 1841 (p. 302-304).


ARISTIDE FRÉMINE


1837



Aristide Frémine, né à Bricquebec (Manche) le 16 janvier 1837, est Receveur des Contributions indirectes. Profondément ému par les belles scènes de la nature, il se livra de bonne heure à des essais poétiques, et les réunit en un volume : Le long du chemin, qu’il publia en 1863. Depuis, il a donné la Légende de Normandie (1886), qui témoigne d’une réelle puissance d’imagination et d’une grande sincérité de sentiment. On lui doit, en outre, de nombreuses pièces de vers d’une expression fort originale qui ont paru dans diverses Revues et formeront un troisième volume sous le titre de : Chants de l’Ouest.

Les poésies de M. Aristide Frémine ont été éditées par Frédéric Henry et A. Lemerre.

A. L.

LE RAVIN



Au ciel, que le soleil veut percer mais en vain,
Le plateau d’Aurigny présente ses champs jaunes,
Cependant qu’arrêté dans le fond d’un ravin
Je regarde un peu d’eau sourdre entre quelques aunes.


Ces aunes sont bien bas et ces frênes aussi,
Qui se blottirent là pour braver les tourmentes ;
Le ruisseau, que la mer boit à deux pas d’ici,
Coule sans nul murmure et voilé par les menthes.

Mais son lit est profond ; à coup sûr, en hiver,
C’est un petit torrent qui bruyamment chemine :
À cette heure il s’en va par son étroit pré vert,
Muet comme le roc qui là-haut le domine.

L’atmosphère est brumeuse, et l’horizon finit
Tout près, sur le dos plat de la mer argentée.
Elle berce en chantant cet îlot de granit
Qui plaît aux souvenirs dont ma tête est hantée.

De grands tapis, couleur de pourpre et de safran,
Que des ajoncs tout ras et la bruyère tissent,
Tombent le long des caps jusque dans l’Océan
Où des brouillards d’azur aux brises faibles glissent.

Et j’éprouve une joie intime en me voyant
Bien seul, perdu dans l’ouest comme une vaine chose,
Assis au creux désert du ravin verdoyant
Que la falaise encadre aride et grandiose…

Mais soudain j’aperçois, échappés des sillons
Et des friches, posés au bout de chaque tige,
Aux pointes des rochers, de nombreux oisillons
Dont la troupe inquiète aux alentours voltige.

Sous les arbres blottis près des amères eaux
Je me lève, et reprends mon bâton et ma course :
Aussitôt dans le vol un joyeux cri d’oiseaux
Éclate, et je les vois qui boivent à la source.


CHOSES PURES



Autour des dunes d’or, des falaises croulantes,
La mer plane abandonne aux vents harmonieux
Les rangs égaux et longs de ses lames roulantes,
Luth immense ébranlé par l’haleine des dieux.
Dans les matins riants courent d’heureux murmures,
À midi le val dort de tranquilles sommeils,
Des nuages bronzés comme les grappes mûres
Couchent les soirs mourants sur des linceuls vermeils.

Quel contraste ! Là-bas les hommes au front chauve,
Le bruit, les chars coureurs, le lucre aux désirs vains,
Les femmes d’une nuit, les chaleurs de l’alcôve,
Les fantômes drapés dans la pourpre des vins.
Ici la paix, les champs, les épis qui frissonnent,
Les toits chastes, le vent sans un souffle charnel,
Les éléments sacrés qui flottent et rayonnent
Au sein des pays blancs de l’espace éternel !

Et je marche, et je jette à ces choses splendides
De vers inachevés l’éphémère tribut,
Et je marche, et la bise au haut des caps arides
Bat mon front qui tressaille en des désirs sans but !
Chante, chanson des eaux ; portez-moi sur vos cimes,
Caps nus ; soleil des jours, inonde un insensé ;
Et toi, mer, monde étrange aux verdoyants abîmes,
En tes flots sains et frais berce mon corps lassé !