Anthologie des poètes français contemporains/Montégut (Maurice)

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 536-539).




MAURICE MONTÉGUT





Bibliographie. — Poésie : La Bohême sentimentale (1874) ; — Les Romans tragiques (1875) ; — Poésies complètes (1882) ; — chez Charpentier-Fasquelle. — Drames en vers : Lady Tempest (1879) ; — Les Noces noires (1880) ; — Le Fou ; — L’Hercule ; — chez Charpentier-Fasquelle. — L’Arétin [préface : Histoire d’un ours] (1886), chez Dentu. — Livres de contes : Entre les lignes ;L’Ile muette (1887) ; — Romantique Folie ; — Déjeuners de soleil (1891) ; — Don Juan à Lesbos (1892) ; — Madame Tout-le-Monde (1893) ; — Mademoiselle Personne (1894) ; — chez Dentu. — Feuille à l’envers (Flammarion, Paris, 1894) ; — Contes de la chandelle (Dentu, Paris, 1896) ; — Les Détraqués (Ollendorff, Paris, 1887) ; — Le Fétiche (Juven, Paris) ; — La Grange aux Belles (Ollendorff, Paris) ; — L’Amour à crédit (Offenstadt, Paris). — Romans : La Faute des autres (1886) ; — La Peau d’un homme ;L’Œuvre du mal (1888) ; — Les Six Monsieur Dubois (1890) ; — L’Envie ; — Le Mur (1892) ; — Le Bouchon de paille (1893) ; — chez Dentu. — Le Geste (Ollendorff, Paris, 1895) ; — Dernier Cri (Charpentier-Fasquelle, Paris, 1895) ; — Rue des Martyrs ;L’Ami d’enfance ; — Rosnhéro ; — La Fraude (1900) ; — Les Chevauchées de Joconde ; — Les Archives de Guibray ; — Monsieur Georges ; — Les Epées de fer ; — L’Usurier (1904) ; — Dans la paix des campagnes (1904) ; — chez Ollendorff. — Le Crépuscule des rois, drame en cinq actes et en vers, tiré à 75 exemplaires pour l’auteur (1897).

M. Maurice Montégut a collaboré à de nombreux quotidiens et périodiques.

Né à Paris le 16 juillet 1855, M. Maurice Montégut fit ses études au Lycée Charlemagne et débuta à dix-huit ans par un recueil de poésies : La Bohême sentimentale. A vingt ans, il avait publié trois volumes de vers. Puis il écrivit une série de drames en vers ou de grands poèmes dialogués : Lady Tempest, avec une préface de Gustave Flaubert ; Les Noces noires, pièce remarquable qui fut représentée au théâtre de Cluny en mars 1880 ; Le Fou ; L’Hercule ; L’Arétin, dont la préface, Histoire d’un ours, souleva de grosses polémiques. Vers 1884, il commença son œuvre en prose par : Entre les lignes, recueil de nouvelles. Dès lors, romans et nouvelles se succèdent, année par année, chez divers éditeurs, après avoir para dans les journaux : Figaro, Gil Blas, Supplément du Petit Journal, Lanterne, Gaulois, Journal, Temps, etc. ; si bien que M. Montégut a publié jusqu’ici de trente à quarante volumes. Sa grande activité littéraire lui a valu sa nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Sa vie solitaire, sans autre histoire que celle de ses livres, qui n’ont pas toujours reçu l’accueil qu’ils méritaient, explique une telle production et justifie la belle devise qu’il s’est choisie : Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. [1]

Dans les vers de Montégut, écrivait dès 1882 Maxime Gaucher, il y a un talent très réel, de l’énergie et du souffle. M. Montégut possède la science du rythme. Il est constamment hanté du souci de la perfection.




LA FAIM


Lorsqu’au bord du chemin le laboureur s’arrête
En entendant sonner les cloches de midi,
Il frotte de ses mains son vieux dos engourdi,
Puis tire du bissac la nourriture prête.

C’est un morceau de pain qu’à l’avance il regrette.
Il le serre âprement sous son pouce arrondi
Et le coupe au couteau dans un geste raidi,
Car il mêle à sa joie une peine secrète.

Certes, il a grand’faim ; mais il connaît le prix
De ce pauvre repas si hâtivement pris,
Quels soins, quel temps il faut pour que le blé s’accroisse.

Il n’est jamais bien sûr du pain du lendemain ;
C’est pour cela qu’il mange avec un peu d’angoisse,
Que sa bouche est avide et que lente est sa main.


(Les Chevauchées de Joconde.)
LA SOIF


C’est la plaine sans borne, aride, et toute en sable.
Le pèlerin s’en va sous un souffle d’en haut.
Le Courage et la Foi ne lui font pas défaut,
Mais l’homme est bien fragile et la chair périssable.
Il a marché des jours de son pied inlassable
Vers le but qu’il appelle avec un court sanglot.
Et le Désert s’étale et roule, comme un flot,
Sa poudre âpre, mêlée à l’air indispensable.
Il étrangle, il étouffe, il s’épuise. Il a faim ;
Mais surtout il a soif. Sa gourde est vide. Enfin,
Le voici qui se penche à la source trouvée.
Il boit ! Il boit, ravi, l’eau pure jaillissant ;
C’est une volupté qu’il n’avait pas rêvée,
Dont il a presque honte en son cœur innocent.


(Les Chevauchees de Joconde.)


LE SOMMEIL


Seigneur, Dieu des troupeaux qu’un chien fidèle garde,
Accorde-nous les longs repos des nuits d’été,
Lorsque le vagabond sur la lande arrêté
S’endort, voluptueux, sous la lune blafarde !
Seigneur, Dieu des vaisseaux que l’homme fou hasarde
Sur la mer hypocrite et le flot entêté,
Accorde-nous l’Etoile et la sérénité,
Le grand sommeil à bord lorsque le vent s’attarde !
Seigneur, Dieu des hameaux tassés, des clochers purs,
Lorsque l’ombre est tombée en fermant la demeure,
Epargne-nous l’effroi de nos destins obscurs !
Laisse l’Homme oublier l’inconstance de l’Heure,
Son effort quotidien et ses labeurs si durs…
Donne des Songes d’or au gueux dont le jour pleure !


(Les Chevauchées de Joconde.)
  1. La Société des gens de lettres vient d’accomplir un acte de haute justice en décernant à M. Maurice Montégut le prix Balzac (décembre 1904).