Anthologie des poètes français contemporains/Mme Daudet Alphonse

Anthologie des poètes français contemporains, Texte établi par Gérard WalchCh. Delagrave, éditeur ; A.-W. Sijthoff, éditeurTome premier (p. 298-301).







Bibliographie. — Impressions de nature et d’art (1879) ; — L’Enfance d’une Parisienne (1883) ; — Fragments d’un livre inédit (1885) ; — Enfants et Mères (1889) ; — Poésies (1895) ; — Notes sur Londres (1897) ; — Journées de femme ; Alinéas (1898) ; — Reflets sur le sable et sur l’eau (1903).

Les œuvres de Mme A. Daudet ont été publiées par les éditeurs Charpentier, Charavay et Lemerre.

Mme Alphonse Daudet a collaboré à l’Art ; elle a donné des articles critiques, etc., à divers quotidiens et périodiques.

Mme Alphonse Daudet, née Julia Allard, débuta dans la vie littéraire vers sa dix-septième année, en publiant, sous le pseudonyme de Marguerite Tournay, des poésies dans le journal hebdomadaire l’Art (1865). « Plus tard, je continuai, nous dit-elle, à des dates éloignées, et je griffonnai des vers comme un peintre des croquis, au bas d’un registre de comptes, au revers d’un devoir de mes enfants, ou de pages lignées d’une fine et serrée écriture qui s’est faite glorieuse. »

Ses volumes de vers ont été composés « inconsciemment », et peuvent s’attribuer « à quelque élévation courte et subtile d’une pensée féminine vers ce qui n’est pas la tâche journalière ou l’obligation mondaine… » « La vie de Mme Julia A. Daudet, a dit José-Maria de Heredia, tient presque tout entière dans les œuvres de son mari. Jamais femme n’a su mieux porter un nom illustre. Elle a sa part, volontairement discrète, dans la gloire du célèbre romancier. Pourtant, sa personnalité subsiste à travers ce rayonnement, et si, en plus d’un endroit de ces romans fameux, il n’est pas impossible de distinguer la touche d’une main féminine, la femme a su néanmoins demeurer elle-même dans les livres qu’elle a signés. »

Les vers de Mme Alphonse Daudet, d’une grâce attristée, sont pleins de douceur et d’harmonie. Ils reflètent fidèlement une âme éprise d’idéale beauté.

Rappelons que Mme Daudet a fait insérer dans le Journal Officiel de fort belles et fort originales études littéraires signées

Karl Steen.
VŒU


Quel souvenir laisser qui nous survive,
Et quel signet dans le livre fermé ?
Quel doux regret que le long temps avive,
Paré de fleurs, et d’amour embaumé ?

A quel objet attacher la mémoire
Des jours passés, cendre et débris des ans ?
Quoi retenir de notre courte histoire,
Au crible ouvert des songes décevants ?

Être l’image envoilée, apparue
Dans les feuillets du livre de raison,
Tendre, muette et de mystère accrue,
Muse encloitrée aux soucis de maison ?

Un beau récit de légende dorée
Dit qu’une sainte ayant trouvé la mort
Pour le Sauveur et sa croix adorée,
Ses meurtriers, pris de secrets remords,

Firent ouvrir la tombe, prison blanche ;
Dans les linceuls pliés et repliés,
Le corps enfui, reposait une branche
De lis en fleurs, frais et sanctifiés.

Coupes d’émail de l’encens le plus rare,
Symbole offert, de quelle pureté 1
En ce tombeau qui s’éclaire et se pare
Et dans la mort dégage la beauté ;

Sainte ou princesse, ou plus simplement femme,
Quelle n’aurait bonheur et doux orgueil
A devenir, blanche de corps et d’âme,
Bouquet d’autel en l’abri du cercueil ?


(Reflets sur le sable et sur l’eau.)


VENISE


Vieux canaux, vieux palais, et vieux ponts sur l’eau morte
Où des ombres s’en vont hâtives et drapées
Si fièrement, et se posant de telle sorte,
Qu’on croit voir aux haillons luire des blancs d’épées !

Cela passe et s’engouffre au coin de quelque porte,
Cependant que le flot sur les pierres trempées
Pleure, et noircit de tout ce qu’il porte et rapporte
Les maisons, de mystère ancien enveloppées.

Ce n’est plus la Venise inclinant ses façades
Vers Saint-George enflammé d’un couchant toujours rose,
Et mirant des balcons, des toits, des colonnades

Au grand canal, où glisse, avec les sérénades,
La gondole qui porte en ses voiles moroses
Le deuil silencieux et persistant des choses !


(Reflets sur le sable et sur l’eau.)