Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XXe siècle/01

1. — PÉRIODE ARCHAÏQUE


I. — LA POÉSIE


CHANTS PRIMITIFS


La poésie japonaise, à l’époque où le génie national était encore spontané ou à peine teinté d’idées chinoises, est représentée par des chants[1], depuis longtemps conservés par la tradition orale, mais qui ne semblent guère avoir été recueillis par l’écriture qu’au viiie siècle après Jésus-Christ. C’est, en effet, à l’ouverture de la période de Nara que, pour la première fois, nous les voyons apparaître, enchâssés dans les récits mythiques ou historiques du Kojiki (111 morceaux) et du Nihonnghi (132). Il serait inutile de traduire ici ces petits poèmes, d’une inspiration encore bien terre à terre, et qui, pour la plupart, exigent de longs éclaircissements. Je me contenterai d’en donner une idée au moyen de trois exemples : le premier, du type le plus primitif ; le second, d’un type moyen ; le dernier, du type le plus relevé.

Chant que les guerriers de Jimmou, le légendaire fondateur de la dynastie, auraient improvisé après un massacre, en 663 avant Jésus-Christ[2] :


Ho ! c’est le moment ;
Ho ! c’est le moment ;
Ha ! Ha ! Psha !
Tout à l’heure,
Mes enfants !
Tout à l’heure,
Mes enfant !


(Nihonnghi, III, 21, qui nous apprend qu’au viiie siècle même les soldats de la garde impériale chantaient encore ces vers grossiers, en les faisant suivre toujours d’un énorme éclat de rire.)

Poésie du même empereur Jimmou, saluant l’entrée au palais de son épouse, I-souké-yori-himé, qu’il avait connue d’abord dans une humble chaumière, au bord de la Rivière des Lys :


Sur la plaine de roseaux,
Dans une hutte humide,
Ayant étendu plusieurs épaisseurs
De nattes de laîches,
Nous avons dormi tous deux !

(Kojiki, vol. II.)

Enfin, chant par lequel une impératrice, femme de l’empereur Youryakou (ve siècle), ordonne à une dame d’honneur d’offrir au souverain la coupe de saké :


Présentez avec un profond respect
L’abondant et auguste saké
A l’auguste Enfant du soleil

Rayonnant d’en haut[3],
Qui est ample
Comme les feuilles,
Qui est brillant
Comme les fleurs
Du véritable camélia à cinq cents branches,
Au vaste feuillage[4],
(Du camélia) qui se dresse et grandit
Auprès de la maison où l’on goûte les prémices[5],
Sur cette colline
Légèrement élevée
De la haute métropole
Du Yamato[6] !

(Kojiki, vol. III[7].)

II. — LA PROSE


RITUELS DU SHINNTÔ


Par un étrange contraste, à côté de la poésie primitive, si prosaïque, la prose primitive nous offre des morceaux de la plus haute poésie. On les trouve dans les Norito, « Paroles prononcées » aux principales fêtes du Shinntô, la « Voie des dieux » que suivirent d’abord les Japonais, adorateurs de la nature, jusqu’au moment où la « Voie du Bouddha[8] » offrit une bifurcation à leur pensée religieuse.

Ces rituels nous ont été conservés, au nombre de 27, dans le Ennghishiki, « Règles de l’ère Ennghi » dont la rédaction, entreprise sous cette ère (901-923)[9], ne fut achevée qu’en 927 ; mais, si le recueil ne date que du xe siècle, on peut supposer que, dès le viie, l’écriture avait déjà fixé quelques-uns des documents qu’il renferme ; et en tout cas, nul doute qu’ils n’eussent été transmis, depuis de longues générations, par la fidèle tradition orale des Nakatomi, « ministres intermédiaires » qui les récitaient, de père en fils, comme représentants sacerdotaux du souverain[10].

Je crois avoir démontré[11] que les Norito ne sont pas des prières proprement dites, mais bien plutôt des formules magiques, des incantations solennelles, enveloppées de rites puissants, par lesquelles des prêtres magiciens domptent les dieux. Parmi les pièces les plus intéressantes de la collection, je citerai : le Rituel des semailles, qu’on prononçait pour obtenir une bonne moisson ; le Rituel des dieux du Vent, pour écarter les intempéries ; le Rituel porte-bonheur du Grand Palais, pour protéger la demeure impériale contre les mauvaises influences ; le Rituel des Sublimes Portes[12], conçu dans le même esprit ; le Rituel de la Grande Purification, pour effacer les péchés du peuple ; le Rituel du Feu, pour éloigner l’incendie du Palais[13] ; le Rituel des dieux des Routes, contre les épidémies ; le Rituel de la fête des prémices célébrée lors des avènements ; le Rituel pour apaiser l’âme de l’empereur, c’est-à-dire pour prolonger sa vie ; le Rituel pour l’intronisation d’une princesse comme vestale au temple du Soleil ; le Rituel pour exorciser les esprits qui envoient des fléaux ; enfin, les Paroles de bon augure au moyen desquelles les chefs du pays d’Izoumo contribuaient à assurer la prospérité du souverain.

Comme exemple de ces formules, je donnerai le Rituel de la Grande Purification, qui peut apprendre, en quelques pages, bien des choses sur la religion et la morale des Japonais primitifs, en même temps qu’il laissera deviner, sinon l’ampleur sonore du texte, du moins le sens oratoire et le souffle poétique des prêtres anonymes auxquels nous le devons.


RITUEL DE LA GRANDE PURIFICATION[14]

Je dis[15] : Vous qui êtes ici assemblés, princes du sang, autres princes, hauts dignitaires, hommes des cent fonctions[16], écoutez tous !

Je dis : Écoutez tous la Grande Purification[17] par laquelle, au dernier jour de la lune humide de cette année[18], je daigne purifier et daigne laver[19] les diverses offenses qui, par mégarde ou à dessein[20], ont pu être commises par ceux qui servent avec respect à la cour du céleste souverain, gens qui portent l’écharpe[21], gens qui portent le cordon appui-bras[22], gens qui ont au dos le carquois, gens qui sont ceints du sabre[23], par les quatre-vingts gens de ces gens[24], et jusqu’aux hommes qui servent avec respect dans toutes les autres fonctions[25].

Je dis : Écoutez tous[26] !

Les chers divin aïeul et divine aïeule du souverain[27], qui demeurent divinement dans la Plaine des hauts cieux[28], par leur auguste parole daignèrent assembler en une divine assemblée les huit cents myriades de dieux, et daignèrent délibérer en une délibération divine[29], et respectueusement donnèrent mandat[30], en disant : « Que l’auguste souverain Petit-fils[31] gouverne paisiblement, comme un pays tranquille, le Pays des frais épis de la luxuriante plaine de roseaux[32]. » Ils daignèrent poursuivre, d’une poursuite divine, les divinités sauvages du pays ainsi conféré[33] ; et ils daignèrent les expulser, d’une expulsion divine ; et ils réduisirent au silence les rochers, les troncs des arbres et jusqu’aux moindres feuilles des herbes, qui avaient eu le don de la parole[34] ; et, renvoyant du céleste siège de rochers[35], frayant une route, d’un puissant écartement de route[36], à travers les célestes nuages huit fois repliés, respectueusement ils le firent descendre du ciel, et respectueusement ils lui conférèrent (ce pays). Comme centre des pays des quatre régions ainsi conférés, le pays du grand Yamato[37], où l’on voit en haut le soleil, comme un pays tranquille fut respectueusement désigné. Et, fondant solidement les piliers de l’auguste demeure à la racine des plus profonds rochers, érigeant les poutres entre-croisées du toit jusqu’à la Plaine des hauts cieux, respectueusement on construisit le frais et auguste séjour de l’auguste souverain Petit-fils, afin qu’il pût s’y abriter comme auguste ombre du ciel et comme auguste ombre du soleil[38], et tranquillement gouverner le pays comme un pays pacifique.

Pour les diverses sortes d’offenses qui, pouvant être commises, par mégarde ou à dessein, par le céleste surcroît de population[39], pourront apparaître dans le pays, certaines sont déclarées offenses célestes[40] : renverser les séparations des rizières, combler les canaux d’irrigation, ouvrir les vannes[41], semer à nouveau[42], planter des baguettes[43], écorcher vif et écorcher à rebours[44], répandre des excréments[45], ce sont les offenses déclarées célestes. Quant aux offenses terrestres, certaines offenses apparaîtront : couper la peau vivante[46], couper la peau morte[47], les hommes blancs[48], les excroissances[49], l’inceste[50], la calamité des vers rampants[51], la calamité des dieux d’en haut[52], la calamité des oiseaux d’en haut[53], tuer les animaux[54], faire des sortilèges[55].

Quand de telles choses apparaissent, que le Grand-Nakatomi, suivant les rites du palais céleste[56], coupant le bas et coupant l’extrémité de célestes jeunes arbres, en fasse un millier de tables[57] pour d’abondantes offrandes[58] ; qu’il fauche et coupe au bas, qu’il fauche et coupe à l’extrémité de célestes teilles de laîches, et qu’il les fende de plus en plus fin avec l’aiguille[59] ; et qu’il prononce alors les puissantes paroles rituelles du céleste rituel[60].

Ce faisant, les dieux célestes, poussant et ouvrant la céleste porte de rochers[61] et se frayant une route, d’un puissant écartement de route, à travers les célestes nuages huit fois repliés, prêteront l’oreille ; les dieux du pays[62], montant au sommet des hautes montagnes et au sommet des montagnes basses, dispersant violemment la fumée[63] des hautes montagnes et la fumée des montagnes basses, prêteront l’oreille.

Par cette audience, toute offense qui s’appelle offense disparaîtra, à la cour de l’auguste souverain Petit-fils[64] et dans les pays des quatre régions sous le ciel. Comme le vent du dieu à la Longue-haleine[65] disperse en soufflant les célestes nuages huit fois repliés ; comme le vent du matin et le vent du soir chassent l’épais brouillard du matin et l’épais brouillard du soir ; comme, à la rive d’un grand port, déliant à la proue et déliant à la poupe un grand vaisseau, on le pousse dans la grande plaine de la mer ; comme, avec la lame tranchante d’une faucille trempée au feu, on balaye les buissons de l’épais fourré là-bas : ainsi, il ne restera plus d’offenses[66].

Ces choses que je daigne purifier et que je daigne laver, la déesse appelée « Princesse de la descente du courant[67] », qui demeure dans les rapides du torrent qui tombe en écumant par les ravins, du sommet des hautes montagnes et du sommet des montagnes basses, les emportera à la grande plaine de la mer. Et lorsqu’elle les aura ainsi emportées, la déesse appelée « Femme de la rapide ouverture[68] », qui demeure dans les huit cents rencontres marines des huit chemins marins, des huit cents chemins marins de la mer en furie[69], les saisira, et les avalera avec un bruit de glouglou[70]. Et lorsqu’elle les aura ainsi avalées avec un bruit de glouglou, le dieu appelé « Seigneur du Lieu où souffle l’haleine[71] », qui demeure au Lieu où souffle l’haleine, les saisira et, de son haleine, les chassera entièrement dans le Pays-racine, le Pays du fond[72]. Et lorsqu’il les aura ainsi chassées, la déesse appelée « Princesse du rapide bannissement[73] », qui réside dans le Pays-racine, le Pays du fond, les saisira, et les bannira, et les expulsera tout à fait[74].

Ayant été ainsi expulsées, à partir de ce jour, il n’y aura plus d’offense qui s’appelle offense, chez les gens de toutes fonctions qui servent avec respect à la cour du céleste souverain, et dans les quatre régions sous le ciel[75].

Et, ayant amené et placé ici un cheval, — comme une chose qui écoute, les oreilles dressées vers la Plaine des hauts cieux[76], — au coucher du soleil vespéral du dernier jour de la lune humide de cette année, je dis : Écoutez tous cette Grande Purification, par laquelle je daigne purifier et daigne laver.

Je dis : Et tous, Devins des quatre régions, partez et allez au grand chemin de la rivière[77], purifiez et enlevez[78].

  1. Outa. Ce seul mot suffit à montrer que les Japonais ont toujours considéré la poésie comme devant être chantée. Au Japon, on ne dit pas : « réciter des vers » ; on dit : « chanter un chant », outa wo outa-ou.
  2. Précisons, dès le début, dans quelle mesure on doit ajouter foi à la chronologie japonaise. Cette chronologie, pour les premiers siècles, est une pure invention du Nihonnghi. En effet, les Japonais ne reçurent l’écriture, apportée de Chine par des lettrés coréens, que vers l’an 400 de notre ère, et le calendrier, chinois encore, qu’en l’année 553. Il est donc évident que des dates relatives au viie siècle avant J.-C. ne peuvent reposer ni sur des documents, ni sur des calculs sérieux. De fait, même après l’ère chrétienne, ces dates sont contredites par les annales chinoises et coréennes, fondées sur un calendrier ; et il faut arriver à l’an 461 pour trouver une date du Nihonnghi confirmée par ces histoires continentales. C’est donc seulement à partir de l’an 500 environ qu’on peut avoir confiance dans la chronologie nationale, et les publications officielles qui, prenant comme point initiai l’avènement de Jimmou en 660 avant J.-C, prétendent donner l’année 1910 de notre ère pour l’an 2570 de l’ère japonaise, s’appuient sur un fait certainement faux. Il n’en est pas moins vrai que le peuple japonais s’organisa plusieurs siècles avant l’ère chrétienne et que les tombeaux de ses premiers chefs, l’élaboration originale de sa langue, le caractère primitif de ses anciennes traditions suffisent à établir cette haute antiquité qu’on ne peut plus fonder sur une date puérile.
  3. On sait que la mythologie japonaise fait des empereurs les descendants de la déesse du Soleil (voir le Kojiki sec. XIV, ci-dessous, p. 44).
  4. Le camélia, au Japon, est un grand arbre ; et on conçoit fort bien que ses larges branches, couvertes de fleurs d’un rouge éclatant, aient pu être prises comme image de la majesté impériale.
  5. La salle sacrée où, chaque année, le souverain offrait aux dieux et goûtait lui-même les prémices de la moisson.
  6. C’est-à-dire : de la capitale du Japon (v. p. 70 et 76). — Il serait difficile d’exprimer avec plus d’ampleur poétique cette simple idée : « Offrez une coupe à Sa Majesté. » — L’unique phrase dont se composent ces seize vers commence, en japonais, par Yamato no, « du Yamato », et se termine nécessairement par le verbe taté-matsouracé, « présentez » ; donc, si on voulait penser cette poésie à la japonaise, il faudrait lire la traduction à rebours, de manière à faire tomber la phrase, suivant l’intention même ,du poète, sur l’impératif qui est la conclusion élégante de tout son développement.
  7. On trouvera quelques autres chants primitifs, également tirés du Kojiki, ci-dessous, p, 69 ; p. 140, n. 1, 2 et 4.
  8. Boutsou-dô. C’est seulement pour distinguer les deux religions, après l’introduction du bouddhisme, que le mot Shinn-tô fut créé ; auparavant, la religion nationale n’avait pas de nom.
  9. Les Japonais avaient emprunté à la Chine, en 645, cet usage des ères (nenngô, « noms d’années »), périodes plus ou moins longues qu’ils faisaient partir, soit de l’avènement d’un empereur, soit de quelque autre circonstance importante. Le système existe toujours ; mais, sous le régime actuel, on a décidé que les ères de l’avenir seraient égales à la durée des règnes ; et c’est ainsi que l’ère de Méiji, commencée en 1868, n’a été changée qu’en 1912, à la mort de Méiji Tennô, dont le successeur, Yoshihito, a inauguré l’ère de Taïshô (Grande Droiture). (Pour la correspondance des dates japonaises avec les nôtres, on peut se reporter aux tableaux de G. Appert, Ancien Japon ; Tôkyô, 1888.)
  10. L’origine de cette corporation héréditaire de prêtres se perd dans la légende. Ils prétendaient descendre du dieu Koyané qui, dans le mythe de l’éclipse (voir ci-dessous, p. 47), contribua à ramener la déesse du Soleil en récitant un « céleste norito ». On nous dit même que, si elle consentit à reparaître, ce fut séduite par l’harmonieuse beauté de ce rituel (Nihonnghi, I, 46).
  11. Les Anciens Rituels du Shinntô considérés comme formules magiques ; Oxford, 1908.
  12. Mi-kado. C’est l’origine la plus probable du mot mikado, dans le sens d’empereur. Remarquons d’ailleurs que cette ancienne dénomination, conservée dans la langue poétique et passée enfin dans l’usage des Européens, n’est pas celle dont se servent les Japonais d’aujourd’hui pour désigner leur souverain : en pratique, ils lui donnent surtout le titre chinois de Tennshi (Fils du Ciel).
  13. J’ai traduit et commenté ce Rituel dans le Toung Pao ; Leyde, 1908.
  14. Minazouki tsougomori no Oho-harahi, « la Grande Purification du dernier jour de la lune humide », c’est-à-dire du sixième mois de l’année. Le Rituel est plus connu, dans l’usage, sous le nom d’Ohoharahi no Kotoba, « Paroles de la Grande Purification ».
  15. Sous-entendu : Moi, le Grand-Nakatomi, parlant comme délégué de l’empereur.
  16. C’est-à-dire : fonctionnaires de tout ordre.
  17. La Purification générale du peuple, par opposition aux purifications locales ou individuelles qui étaient également pratiquées.
  18. Le choix de cette date rappelle les anciennes lustrations du soir de la Saint-Jean, en Europe. De plus, la cérémonie était répétée le dernier jour du douzième mois, ce qui correspond aussi au besoin de renouvellement qu’on éprouve, chez tant de peuples, à cette fin de l’année.
  19. Ainsi, c’est l’empereur qui, par cette formule magique, absout son peuple. Les divinités purificatrices, qu’on verra intervenir plus loin, n’agiront que sur son ordre.
  20. En effet, le mot tsoumi (offense) comprend à la fois des actions mauvaises (comme certaines atteintes à la propriété du voisin), des souillures (comme le contact d’un cadavre) et des calamités (comme la lèpre).
  21. Les ounémé, servantes de l’empereur, parées d’une écharpe sur les épaules.
  22. Les maîtres d’hôtel, qui avaient autour du cou un cordon dont les extrémités s’attachaient aux poignets, pour porter plus aisément de lourds plateaux.
  23. Des gardes du palais.
  24. C’est-à-dire : par les nombreuses gens de ces serviteurs impériaux eux-mêmes. Je reproduis fidèlement le texte, avec toutes ses répétitions de mots ; elles sont d’ailleurs plus heureuses en japonais, grâce à la sonorité de cette langue.
  25. Dans tout le pays et en dehors même de la cour.
  26. Jusqu’ici, le texte constituait un semmyô, un édit impérial. Maintenant, le rituel proprement dit va commencer.
  27. Taka-mi-mouçoubi, « l’auguste Producteur d’en haut », et la déesse du Soleil, c’est-à-dire les deux grandes divinités directrices de la politique céleste.
  28. Un véritable pays, avec des montagnes, des rivières, des champs et la suite, que les Japonais primitifs situaient au-dessus des nuages.
  29. Voir plus bas, au Kojiki, p. 58.
  30. « Respectueusement », parce que ce mandat est donné à l’ancêtre des empereurs.
  31. Le prince Ninighi, fils d’un autre dieu qui était lui-même fils adoptif de la déesse du Soleil. V. ci-dessous, au Kojiki, p. 44.
  32. Noms poétiques du Japon primitif.
  33. C’est-à-dire les aborigènes qui s’opposèrent à l’invasion de la tribu conquérante. Voir plus bas, au Kojiki, p. 59.
  34. Croyance produite sans doute par le phénomène de l’écho dans les montagnes. Un autre Rituel (no 27 du recueil) évoque le temps lointain où « les rochers, les arbres et l’écume des eaux bleues parlaient ».
  35. Les dieux tenaient leurs assises sur les rochers de la « Tranquille rivière du ciel » (la Voie lactée), que nos Japonais s’imaginaient naturellement desséchée comme les torrents de leur pays.
  36. Voir plus bas, au Kojiki, p. 60.
  37. Voir p. 273, n. 1.
  38. Ces expressions obscures sont d’ordinaire entendues, tout simplement, en ce sens que le palais protège l’empereur contre le soleil et la pluie.
  39. Le peuple japonais, toujours plus nombreux : en souvenir du mythe cité plus bas, p. 41.
  40. Ce sont les crimes que Souça-no-wo commit au ciel : voir ci-dessous, p. 45.
  41. Renverser les chemins qui, séparant les rizières, servent en même temps de digues pour maintenir l’eau, combler les canaux qui amènent cet élément indispensable de la culture indigène, ouvrir les étangs où on le conserve précieusement pour en user au moment opportun, voilà les attentats les plus exécrables pour une population d’agriculteurs ; et c’est pourquoi ils mettent ces crimes en tête de leur liste.
  42. Sur un champ déjà ensemencé, jeter de mauvaises graines qui perdront la récolte. Comp. la parabole de l’Evangile (Matth., XIII, 24 et suiv.).
  43. Dans les rizières : probablement avec des incantations, pour dresser ainsi des bornes magiques sur un champ dont on se prétend propriétaire ; à moins qu’il ne s’agisse de baguettes pointues secrètement enfoncées dans la vase pour blesser les pieds nus du voisin, de même que, chez les Malais, un vaincu en déroute retardait par ce moyen la poursuite de ses adversaires.
  44. C’est-à-dire, écorcher vif un animal, de la queue à la tète. Voir plus bas, p. 46.
  45. Sous-entendu : à des endroits qui ne conviennent pas. Voir ci-dessous, p. 45.
  46. Ce qui comprend le meurtre et les blessures. Toute effusion de sang entraîne d’ailleurs une souillure, même pour la victime.
  47. Il est impur de toucher à un cadavre ; à plus forte raison, de l’entailler.
  48. C’est-à-dire, sans doute, certains lépreux, et aussi les albinos.
  49. Allusion à quelque autre maladie répugnante, et d’ailleurs inconnue.
  50. Je réunis sous ce mot quatre crimes qu’il serait difficile de préciser ici, et j’en omets un cinquième. Le lecteur désireux d’avoir une liste complète pourra se reporter au Lévitique, chap. XVIII, où l'énumération japonaise que je supprime est représentée par les versets 7, 17, 15, 8 et 23.
  51. Morsure des serpents, des myriapodes et autres bêtes venimeuses, d’autant plus à craindre que la hutte primitive n’avait point de plancher.
  52. C’est-à-dire, surtout, la foudre.
  53. Entrant par les trous qui, à chaque pignon, laissaient échapper la fumée du feu, ils pouvaient souiller les aliments. Le Rituel porte-bonheur du Grand Palais nous montre que, même chez le souverain, les vers d’en bas et les oiseaux d’en haut n’étaient pas moins redoutés.
  54. Du voisin, peut-être au moyen de mauvais sorts.
  55. Un passage du Kojiki nous fait voir que l’envoûtement était connu dans la plus ancienne magie japonaise.
  56. Par un renversement de l’évolution réelle des choses, on suppose qu’une Purification pratiquée par la déesse du Soleil servit de modèle à la cérémonie terrestre, tandis qu’évidemment cette dernière donna l’idée du mythe auquel on prétend la rattacher.
  57. On n’employait que la partie médiane du tronc, la meilleure, pour fabriquer ces tables.
  58. Ces offrandes de la Purification (harahi tsou mono) consistaient en pièces d’étoffe, armes, gerbes de riz, etc. ; on y voit figurer aussi des chevaux et des esclaves.
  59. Apparemment pour en faire un balai avec lequel on chassait (harahi) les offenses.
  60. C’est-à-dire, de notre rituel même, dont les mots ont une vertu magique.
  61. La porte, faite de rochers, de leur palais. Comp. le Kojiki, ci-dessous, p. 46.
  62. Les dieux de la terre, par opposition aux dieux du ciel.
  63. C’est-à-dire les nuages et les brouillards.
  64. Ici, l’expression change de sens et désigne l’empereur actuel.
  65. Shinato, dieu du Vent tranquille. Son souffle lent semble indéfiniment prolongé. La naissance mythique de ce dieu explique très bien le rôle qu'il joue ici. D’après le Nihonnghi (I, 15), le couple créateur venait d’engendrer les îles (voir plus bas, p. 38), quand Izanaghi s’aperçut que, sur tout l’archipel, il n’y avait que « les brouillards parfumés du matin » ; il les dispersa donc de son souffle, qui devint aussitôt une divinité nouvelle : « et c’est le dieu du Vent. »
  66. Cette belle phrase n’est pas, à mon avis, une simple série de métaphores, mais bien l’évocation d’assimilations diverses qui doivent produire un effet positif, en vertu du vieux principe de magie qui veut que le semblable attire le semblable.
  67. Séori-tsou-himé. On l’identifie avec Ya-so-maga-tsou-bi no kami, « la Prodigieuse divinité des quatre-vingts maux », née des souillures dont Izanaghi se lava à son retour au monde souterrain (voir plus bas, p ; 42).
  68. Hayaaki-tsou-mé. Elle personnifie le grand tourbillon (voir note suivante) dont la bouche monstrueuse engloutit les eaux, avec toutes les impuretés qu’elles peuvent contenir.
  69. Les « huit cents rencontres marines » sont le gouffre, situé aux extrêmes confins du monde, où aboutissent les innombrables chemins de la mer et d’où ils se précipitent en tourbillonnant dans la région inférieure.
  70. Les onomatopées sont si fréquentes dans la langue japonaise, on les y emploie pour exprimer tant de choses graves ou tristes, qu’elles n’enlèvent rien à la solennité d’un style relevé comme celui des rituels.
  71. Ifoukido-noushi. Certains font de lui un dieu correcteur des influences qu’envoie la région infernale, et pareillement issu d’Izanaghi au moment de ses ablutions. Le « Lieu où souffle l’haleine » est l’endroit où ce dieu, suivant l’action instinctive de quiconque se trouve suffoqué par une odeur désagréable, exhale violemment son souffle et, par ce moyen, renvoie aux Enfers toute pollution.
  72. Les Enfers, au sens latin du mot (V. le Kojiki, IX et XXIII, ci-dessous, p. 30 et 54).
  73. Haya-saçoura-himé, plus connue sous le nom de Soucéri-himé, une fille de Souça-no-wo devenu roi des Enfers (voir p. 54).
  74. Les quatre « divinités de la Purification » (harahi no kamisama), qui viennent de personnifier avec tant de puissance les diverses phases de l’opération magique, ne sont en somme que quatre rouages de la machine que l’empereur met en branle par la main du Grand-Nakatomi.
  75. Cette phrase ne veut pas dire que les coupables ne pécheront plus, ni que leurs offenses sont d’avance absoutes pour l’avenir, mais que toutes les offenses passées vont disparaître, à l’instant, par l’action magique de la formule prononcée.
  76. La vue de ce cheval doit inciter les dieux à écouter d’une manière attentive, de même que nous verrons plus loin, au mythe de l’éclipse, des coqs qu’on fait chanter ramener le soleil.
  77. Dans le sens où Pascal parlait des « chemins qui marchent » la rivière devant porter les offrandes expiatoires à la mer.
  78. Les Ourabé, corporation héréditaire de devins, vont jeter à la rivière ces offrandes, parce qu’une sympathie mystérieuse y a uni les péchés eux-mêmes, qui disparaîtront avec l’objet auquel ils furent attachés.

    Un règlement de la cérémonie, au ixe siècle, nous montre tout le monde officiel, à la Porte du Sud du palais de Kyôtô, devant laquelle passait un canal, attentif aux belles périodes du Nakatomi qui déclame notre rituel, et, chaque fois que revient le mot Kikoshimécé (Ecoutez !) répondant Oh (Amen). La Grande Purification achevée, le prêtre prend l'oho-nouça, baguette sacrée d’où pendent des fibres de chanvre et des bandelettes de papier, et la brandit au-dessus de l’assemblée, d’abord à gauche, puis à droite, enfin une dernière fois à gauche. Après quoi, tous se retirent.