Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XXe siècle/02

II. — SIÈCLE DE NARA


I. — LA PROSE


A. ÉDITS IMPÉRIAUX


Ces Edits, connus sous le nom sino-japonais de Semmyô (Proclamation de l’Edit impérial) ou sous le nom japonais de Mi-koto-nori (Proclamation de l’Auguste parole), forment une transition naturelle entre les Rituels, dont ils reproduisent le style, et les ouvrages en chinois qu’ils annoncent déjà. Le Shokou-Nihonnghi, « Suite des Chroniques du Japon » publiée en 797, nous a conservé 62 de ces textes. Voici le premier :

ÉDIT POUR L’AVÈNEMENT DE L’EMPEREUR MOMMOU[1]

Je dis[2] : Vous tous qui êtes ici assemblés, princes du sang, princes, grands dignitaires, hommes des cent fonctions, et toi, impérial trésor, peuple de la région sous-céleste, écoutez tous le grand commandement que, par son auguste parole, proclame le souverain qui, comme un dieu présent[3], gouverne le grand Pays des Huit îles.

Je dis : Écoutez tous le grand commandement par lequel, suivant le grand, sublime, haut, vaste et puissant commandement à lui annoncé et donné comme tâche par l'auguste souveraine[4] dont le gouvernement, inauguré sur la Plaine des hauts cieux, puis, de l'âge illustre des premiers souverains aïeux jusqu’au temps présent, transmis de génération en génération aux illustres souverains Petits-fils, conduit enfin par elle comme illustre enfant de la divinité céleste[5] et comme divinité présente, l’auguste souverain[6] proclame qu’il se propose de tenir l’empire dans l’ordre et la paix, d’aimer et caresser le peuple.

Je dis : Vous tous, hommes des cent fonctions, et jusqu’à ceux auxquels est confié le gouvernement de toutes les provinces, écoutez tous ce commandement : que nul ne doit contrevenir, à dessein ou par mégarde, aux lois de ce pays, instituées par le souverain, mais que chacun doit s’efforcer, d’un cœur pur ; clair et droit, de se vouer fidèlement et sans négligence au service public. Ainsi, qui obéit avec fidélité et conscience a ce qui vient d’être dit sera loué et élevé selon ses mérites. Je dis : Écoutez tous ce commandement de l’auguste souverain !


B. LE KOJIKI


Le Kojiki, « Livre des choses anciennes[7] », est pour ainsi dire la Bible du Japon.

Si l’on met de côté un ouvrage analogue compilé dès l’an 620, mais dont l’authenticité est discutée[8], le Kojiki, paru en 712, s’offre à nous comme le plus vieux monument de la littérature japonaise ; il en est aussi le plus important. Il contient l’exposé des traditions nationales, depuis la naissance du monde jusqu’à l’année 628 de notre ère, en passant par toute la série de nuances qu’on peut concevoir entre la mythologie pure et l’histoire réelle. La Préface nous apprend comment il fut composé. Sur l’ordre impérial, un certain Hiyéda no Are, homme d’une merveilleuse mémoire, avait appris par cœur les « paroles des anciens âges » ; le lettré Fouto no Yaçoumaro écrivit sous sa dictée, en caractères chinois qu’il employait tantôt dans leur sens idéographique normal, tantôt avec une valeur purement phonétique : car la première méthode ne pouvant exprimer les noms propres, les poésies indigènes, toutes les expressions qui n’avaient pas d’équivalent en chinois, tandis que la seconde eût exigé, pour chaque mot polysyllabique japonais, autant de mots chinois que de syllabes à rendre, il se résolut à combiner l’une et l’autre dans une écriture de fantaisie qui n’était, en somme, ni du japonais, ni du chinois[9]. C’est dire que le Kojiki, naïf quant au fond, est dénué de toute forme artistique ; et c’est expliquer, du même coup, pourquoi le Nihonnghi, « Chroniques du Japon » parues dés l’an 720, mais écrites en chinois et ornées d’idées chinoises, éclipsèrent tout de suite le vieil écrit national. Mais, pour ces mêmes raisons, le lecteur européen qui veut comprendre l’âme japonaise doit préférer le vrai récit indigène[10], c’est-à-dire la source même des conceptions qui, parties de là, vont s’étendre à travers toute la littérature du pays.

En effet, le Kojiki n’est pas seulement le fondement essentiel de la religion et de l’histoire nationales : il constitue aussi, grâce au riche trésor de mythes et de légendes, d’idées et d’émotions primitives qu’il renferme, le meilleur éclaircissement de toutes les allusions littéraires et de toutes les représentations artistiques qui se réfèrent à son objet, c’est-à-dire à l’épopée d’une race dont les fils aimèrent toujours à se souvenir de leurs origines. Je vais donc mettre en relief cet ouvrage capital, en donnant une analyse complète et de nombreux extraits du Livre Ier, qui, concernant « l’âge des dieux », renferme toute la mythologie proprement dite ; une esquisse rapide et de rares passages du Livre II, où la légende domine encore, bien qu’on prétende nous raconter déjà « l’âge humain », mais dont les récits sont d’importance secondaire ; et quelques notions sur le Livre III, qui aborde enfin l’histoire réelle, mais qui offre infiniment moins d’intérêt[11].


LIVRE PREMIER[12]

I. — LE COMMENCEMENT DU CIEL ET DE LA TERRE

Au temps où commencèrent le Ciel et la Terre[13], des divinités se formèrent dans la Plaine des hauts cieux, dont les noms étaient : le dieu Amé-no-mi-naka-noushi[14], puis le dieu Taka-mi-mouçoubi[15], puis le dieu Kami-mouçoubi[16]. Ces trois divinités[17], toutes divinités formées spontanément, cachèrent leurs personnes[18]. Ensuite, lorsque la terre, jeune et pareille à de l’huile flottante, se mouvait ainsi qu’une méduse, d’une chose qui surgit, telle une pousse de roseau[19], naquirent des divinités dont les noms étaient : le dieu Oumashi-ashi-kabi-hiko-ji[20], puis le dieu Amé-no-toko-tatchi[21]. Ces deux divinités, divinités encore formées spontanément, cachèrent leurs personnes.

Les cinq divinités ci-dessus sont des divinités célestes séparées.

II. — LES SEPT GÉNÉRATIONS DIVINES

Les noms des divinités qui se formèrent ensuite furent : le dieu Kouni-no-toko-tatchi[22], puis le dieu Toyokoumo-nou[23]. Ces deux divinités, aussi formées spontanément, cachèrent leurs personnes. Les noms des divinités qui se formèrent ensuite furent : le dieu Ouhiji-ni[24], puis sa jeune sœur[25] la déesse Sou-hiji-ni[26]; puis le dieu Tsounou-gouhi[27], puis sa jeune sœur la déesse Ikou-gouhi[28] ; puis le dieu Oh-to-no-ji[29], puis sa jeune sœur la déesse Oh-to-no-bé[30]; puis le dieu

darou[31], puis sa jeune sœur la déesse Aya-kashiko-né[32] ; puis le dieu Izana-ghi, puis sa jeune sœur la déesse Izana-mi[33].

Les divinités ci-dessus, depuis le dieu Kouni-no-tokotatchi jusqu’à la déesse Izana-mi, ensemble sont appelées les Sept générations divines[34].

III. — L’ÎLE D’ONOGORO

Là-dessus, toutes les divinités célestes, parlant augustement aux deux divinités l’auguste Izanaghi et l’auguste Izanami, leur ordonnant de « faire, consolider et engendrer cette terre mouvante », et leur octroyant une céleste lance-joyau[35], daignèrent leur confier cette charge. Ainsi les deux divinités, se tenant sur le Pont flottant du ciel[36], abaissant cette lance-joyau et la remuant, remuant l’eau salée koworo-koworo[37], lorsqu’elles eurent retiré et redressé la lance, l’eau salée qui tomba de son extrémité, en s’entassant, devint une île. C’est l’île d’Onogoro[38].

IV. — MARIAGE DES DIVINITÉS (IZANAGHI ET IZANAMl)

Izanaghi et Izanami descendent du ciel dans cette île, où ils célèbrent leur union. Mais ils donnent naissance à un enfant mal venu, qu’ils abandonnent dans un bateau de roseaux[39], et à l’île de l’Ecume, qu’ils ne veulent pas non plus reconnaître.

V. — NAISSANCE DES HUIT-ÎLES

Ayant appris des dieux célestes, qui eux-mêmes ont recours à la Grande Divination[40], que si « ces enfants n’étaient pas bons »,

c’est « parce que la femme a parlé la première » dans la cérémonie du mariage, ils reprennent leur œuvre de création dans des conditions plus favorables, et engendrent d’abord l’île du Chemin d’écume, puis les autres îles de l’archipel.

VI. — NAISSANCE DES DIVERSES DIVINITÉS

Ils mettent au monde, de la même façon, tout un peuple de dieux de la nature.

VII. — RETRAITE[41] DE L’AUGUSTE IZANAMI

Par malheur, le dieu du Feu, dernier-né d’Izanami, brûle sa mère si grièvement qu’elle meurt après une fièvre terrible. Izanaghi, désespéré, se traîne en gémissant autour du cadavre, et de ses larmes naît encore un dieu. Il ensevelit son épouse sur le mont Hiba, aux confins de la terre d’Izoumo.

VIII. — LE MASSACRE DU DIEU DU FEU

Ensuite, dans sa douleur furieuse, il met en pièces le matricide, dont le sang et les membres épars se changent aussi en des divinités nouvelles. Enfin, pour retrouver son épouse, il va descendre aux Enfers[42].

IX. — LE PAYS DES TÉNÈBRES

Désirant revoir sa jeune sœur l’auguste Izanami, il la suivit au Pays des Ténèbres. Et lorsque, soulevant la porte du palais, elle sortit pour le rencontrer, l’auguste Izanaghi lui parla, disant : « Ô mon auguste jeune sœur charmante, les pays que nous faisions, moi et toi, ne sont pas encore achevés : reviens donc ! ». Alors l’auguste Izanami répondit : « Il est lamentable que tu ne sois pas venu plus tôt : j’ai mangé à l’intérieur des Enfers[43] ! Néanmoins, ô mon auguste et charmant frère

aîné, touchée de l’honneur de ton entrée ici, je voudrais revenir ; et je vais en conférer avec les divinités des Enfers. Ne me regarde pas[44] ! ». À ces mots, elle rentra dans le palais ; et comme elle s’y attardait très longtemps, il ne put attendre davantage. Aussi, ayant pris et détaché une des dents terminales du peigne multiple et dense qui était fiché dans l’auguste nœud gauche de sa chevelure, et l’ayant allumé en une lumière unique[45], lorsqu’il entra et regarda, des vers fourmillaient, elle était en pourriture, et à sa tête était le Grand-tonnerre, en son sein le Tonnerre de feu, dans son ventre le Tonnerre-noir, au-dessous le Tonnerre-fendant, à sa main gauche le Jeune-tonnerre, à sa main droite le Tonnerre de la terre, à son pied gauche le Tonnerre-grondant, à son pied droit le Tonnerre-couchant, ensemble huit espèces de dieux du Tonnerre s’étaient formés et étaient là.

Alors, comme l’auguste Izanaghi, terrifié à cette vue, s’enfuyait en arrière, sa jeune sœur l’auguste Izanami : « Tu m’as remplie de honte ! » Et ce disant, aussitôt elle lança à sa poursuite les Hideuses-Femelles des Enfers[46]. Aussi l’auguste Izanaghi, prenant sa noire guirlande de tête, comme il la jetait, à l’instant elle se changea en raisins[47]. Tandis qu’elles les ramassaient et les mangeaient, il s’enfuyait ; et comme elles le poursuivaient encore, prenant et brisant le peigne multiple et dense du nœud droit de sa chevelure, comme il le jetait, à l’instant il se changea en pousses de bambou[48]. Tandis qu’elles les arrachaient et les mangeaient, il fuyait toujours. Ensuite, elle lança à sa poursuite les huit espèces de dieux du Tonnerre, avec mille cinq cents guerriers des Enfers. Mais, tirant le sabre de dix largeurs

de main dont il était augustement ceint, et de sa main le brandissant derrière lui 1 , il fuyait en avant ; et comme ils le poursuivaient, lorsqu’il atteignit la base de la Pente unie des Enfers 1 , il prit trois pèches qui avaient mûri à cette base, et attendant, et les frappant, tous s’enfuirent en arrière’. Alors l’auguste Izanaghi, solennellement, dit aux pêches : « De même que vous m’avez secouru, ainsi, tous les hommes visibles de ce Pays central des plaines de roseaux, lorsqu’ils tomberont dans le trouble et qu’ils seront harassés, secourez-les » ; et ayant prononcé ces mots, il conféra le nom d’auguste Grand-fruit-divin.

Enfin, en dernier lieu, sa jeune sœur l’auguste Izanami vint elle-même le poursuivre. Alors, il souleva un rocher, que mille hommes n’auraient pu porter, pour bloquer la Pente unie des Enfers, et le plaça au milieu ; et comme ils se tenaient en face l’un de l’autre, échangeant leurs adieux 4 , l’auguste Izanami parla : « mon auguste et charmant frère aîné, si tu agis ainsi, j’étran* glerai et ferai mourir, en un seul jour, un millier d’hommes de ta terre » ; elle dit. Alors l’auguste Izanaghi prononça : « mon auguste jeune sœur charmante, si tu fais cela, je dresserai, en un seul jour, mille cinq cents maisons d’accouchement 5 . Ainsi, en un seul jour, sûrement mille hommes mourront : en un seul jour, sûrement mille cinq cents hommes naîtront 6 . » C’est pourquoi l’auguste Izanami est appelée la Grande-divinité- 1 . Il a soin de ne pas se retourner. Comp. l’attitude des anciens Grecs sacrifiant aux dieux souterrains. 2. Passage qui reliait le monde inférieur au monde des vivants. 3. Le pêcher, aux fruits éclatants, est un arbre magique au Japon comme en Chine.

•4. Allusion aux formules du divorce. 5. C’est-à-dire : Je rendrai mères quinze cents femmes. — L’accouchement étant regardé comme impur (comp. la loi hébraïque et, de nos jours encore, la cérémonie catholique des relevailles), la femme japonaise devait se retirer pour cela dans une hutte particulière.

6. C’est en se fondant sur ce mythe, destiné à expliquer pourquoi, malgré la mort, l’humanité se développe sans cesse, que les Japonais s’appellent eux-mêmes « le céleste surcroit de population. » Comp. ci-dessus, p. 28, n. i.

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des-Enfers. 1 . Et parce qu’elle poui dit qu’elle s appelle encore la

fô ANTHOLOGIE t>B LA LITTERATURE JAPONAIS !! l’elle poursuivit et atteignit, on

Grande-divinité-attei-

gnant-la-route. Et le rocher avec lequel il bloqua la Pente unie des Enfers est appelé la Gr an de-divin i té -quifait-reprousser-chemin ; et on l’appelle encore la Grandedivinité-qui-bloque-la-Porte-des-Enfers. Et ainsi, ce qu’on appelait la Pente unie des Enfers, maintenant s’appelle Ja Pente 4’tf ou y a » $ ans . * e . P&y 8 d’Izoumo*. X. -— LA ÇÇRIFICATION PB i/AUGUSTE PERSONNE Echappé aux horreurs de la région souterraine, Izanaghi a hftte de dépouiller les souillures qu’il y a contractées : il va so purifier par de longues ablutions 8 à l’embouchure d’une petite rivière près 4" village des Orangers, dans Test de Jtyoushou. Douze divinités naissent alors de son bâton, des diverses parties de son vêtement, de ses bracelets, à mesure qu’il les jette à terre ; puis, quatorze autres, des diverses phases de son Bain ; et parmi Ces dernières, trois divinités illustres, qui apparaissent en dernier lieu, lorsqu’il lave son œil gauche, puis son œil droit, enfin son nez, à savoir : Ama-téraçou-oho-mikami, « la Grande et auguste déesse qui brille dans les cieux » *, Tsouki-yomi-no-kami, « le dieu de la Lune des nuits », et faké-haya-souça-no-wo-no-mikoto, « l’auguste Mâle impétueux, rapide et brave ». C’est à ces trois divinités, ta déesse du Soleil, le dieu de la Lune et le dieu de l’Océan, bientôt devenu le dieu de là Tempête, qu’Izanaghi va donner l’investiture du gouvernement de l’univers.

XI. — INVESTITURE PES TROIS DIVINITES, LES AUGUSTES ET ILLUSTRES ENFANTS

4 ce gipmenj, l’auguste Ixanaghi se réjouit grandement, disant : « Moi, engendrant enfant après enfant, par une dernière génération j’ai obtenu trois enfants illustres » ; et aussitôt, enlevant en le faisant tinter et 1. De même que Proserpine devient la reine des Enfers où elle a été retenue.

2. C’est en effet dans celte vieille province qu’on situait l’entrée du monde inférieur.

3. Comp. les purifications d’Alkestis sauvée de Thanatos, de Junon à son retour des Enfers, du Dante sortant du Purgatoire. ’ 4. La conception du Soleil, œil du ciel, se retrouve dans nombre^ de mylhologies.

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secouant le cordon de joyaux qui formait son auguste collier, il le conféra à la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, en disant : « Que ta personne auguste gouverne la Plaine des hauts cieux. » Avec cette charge, il le lui conféra. Et le nom de cet auguste collier était le Dieu-de-la-table tte-de-l’auguste-chambreà-trésors. Puis il dit à l’auguste dieu de la Lune des nuits : « Que ta personne auguste gouverne le Royaume des nuits. » Ainsi il lui donna cette charge. Puis il dit à l’auguste Màe impétueux, rapide et brave : « Que ta personne auguste gouverne la Plaine des mers. » XII. — LES CRIS ET GÉMISSEMENTS

DE L’AUGUSTE MALE IMPETUEUX

Mais, tandis que la déesse du Soleil et le dieu de la Lune obéissent aux ordres paternels en prenant possession dé leurs domaines respectifs, le terrible Mâle ne cesse de crier et de gémir ; à T/.anaghî, qui Finterroge, il répond qu’il veut aller au pays lointain où est sa mère ; puis, quand le grand, dieu le chasse de sa présence, il déclare qu’il va prendre congé de sa sœur, la déesse du Soleil, et il s’élance au ciel en bouleversant toute la nature.

xin. — l’auguste serment

Alors la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, alarmée de ce vacarme, dit : « La raison pour laquelle est monté ici mon auguste frère atné ne vient sûrement pas d’un bon cœur. C’est seulement qu’il veut m’arracher mon territoire. » Et aussitôt, dénouant son auguste chevelure, elle la tordit en d’augustes nœuds ; et à la fois dans les augustes nœuds gauche et droit, comme aussi dans son auguste coiffure et pareillement & ses augustes bras gauche et droit, elle enroula un auguste cordon complet de joyaux courbés 1 long de huit pieds, de cinq cents joyaux ; et, suspendant à son dos un carquois d’un millier (de flèches) , et y ajoutant un carquois de cinq cents, prenant et suspendant aussi $i son côté un puissant et résonnant protège-coude, elle 1. Maqa-tama, « joyaux courbés » en forme de virgule. , y

brandit et ficha tout droit son arc dont le sommet trembla ; et, frappant du pied, elle enfonça le sol dur jusqu’à la hauteur de ses cuisses opposées, en le chassant comme de la neige ; et elle se tint vaillamment, comme un homme puissant, et, attendant, elle demanda : « Pourquoi es-tu monté ici 1 ? » Ces préparatifs homériques semblent annoncer une formidable querelle ; cependant le jeune dieu affirme qu’il n’a pas de mauvais desseins, et pour le prouver, il propose à la déesse un serment qui établira leur bonne foi mutuelle a . Les deux divinités, séparées par la Tranquille rivière du ciel*, échangent les paroles qui les engagent ; et de nouveaux êtres divins émanent du brouillard de leur haleine, pendant que le frère livre à la sœur son sabre, qu’elle brise en trois morceaux, et que la sœur abandonne au frère ses joyaux, qu’il brandit, fait tinter et disperse en soufflant.

XIV. — L’AUGUSTE DECLARATION DE LA DIVISION DB8 AUGUSTES ENFANTS MALES ET DES AUGUSTES ENFANTS FÉMININS

Elle proclame alors quels sont ceux de ces dieux qui, suivant leur origine, devront être considérés comme enfants de l’un ou de l’autre 4 ; et c’est ainsi que les empereurs japonais, descendants d’Oshi-ho-mimi 5 que produisit le souffle de Souça-nowo, mais que la déesse du Soleil réclama comme sien parce que cette action magique s’était exercée sur une parure lui appartenant, pourront se regarder comme les petits-fils de l’astre.

— Mais le terrible Mâle va se livrer aussitôt à mille violeuces, dont le résultat sera l’épisode central de notre mythologie. 1. Comp.,dans le mythe égyptien, Horus affrontant les puissances des ténèbres.

2. Quel serment ? Le texte n’en dit rien ; mais plusieurs passages du Nihonnghi (I, 31 à 36) nous montrent qu’il s’agissait d’un pari : si Souça-no-wo produisait des enfants mâles, sa sœur devrait admettre la pureté de ses intentions.

3. La Voie lactée.

4. Pourquoi celte division ? Le Kojiki laisse ce point obscur. Par le Nihonnghi (1, 34, 36), nous voyons que Souça-no-wo, ayant eu des enfants mâles, est par là môme victorieux. Mais la déesse ne se tient pas pour battue : elle déclare que ces enfants, nés de ses joyaux, sont à elle, tandis que les enfants féminins, issus du sabre de Souça-no-wo, doivent être attribués à ce dernier. 5. J’abrège ce nom qui, complet, n’a pas moins de 23 syllabes. , y

XV. — LES AUGUSTES RAVAGES DE L AUGUSTE MALE IMPÉTUEUX

Alors l’auguste Mâle rapide et impétueux dit à la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux : « Grâce à la clarté de mon cœur 1 , moi, engendrant des enfants, j’ai obtenu des êtres féminins délicats. A parler d’après cela, tout naturellement j’ai remporté la victoire

  • . » Et à ces mots, dans l’impétuosité de cette victoire,

il renversa les séparations des rizières préparées par la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, combla les fossés d’irrigation, et de plus répandit des excréments dans le palais où elle goûtait la Grandenourriture

  • . Et, bien qu’il agit ainsi, la Grande et auguste

divinité qui brille dans les cieux, sans lui faire de reproches, dit : « Ce qui ressemble à des excréments doit être quelque chose que mon auguste frère aîné aura vomi, étant ivre. De plus, pour le renversement des séparations de rizières et le comblement des fossés, c’est sans cloute parce qu’il regrette la terre (que ces choses occupent) 4 que mon auguste frère agit de la sorte » ; mais bien qu’elle l’excusât par ces paroles, il continuait encore ses mauvaises actions et devenait violent à l’extrême. Alors que la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux siégeait dans la sainte salle des vêtements, veillant au tissage des augustes vêtements 1. C’est-à-dire : grâce à la sincérité de mes intentions. 2. Phrase étrange : car ce sentiment est contraire, d’abord, atout ce que nous savons des idées primitives sur l’importance relative des garçons et des filles ; puis, a la version du Nihonnghi, qui est conforme à ces idées, et qui justement nous a permis d élucider la nature du serment intervenu ; enfin, à la psychologie la plus élémentaire : car comment Souça-no-wo pourrait-il se réjouir d’une attribution qui lui fait perdre un pari gagné ? Je crois donc que, tout au rebours, c’est le sophisme imaginé par sa sœur qui le fait entrer en furie. Le rédacteur n’aurait-il pas écrit tout simplement ■ êtres féminins » pour « êtres mâles » ? De deux choses en opposition, lorsqu’on conçoit l’une, on pense à l’autre ; et bien souvent, dans les textes japonais, des scribes ont mis « main » pour « pied » ou « ciel » pour « terre ».

3. Elle célébrait au Ciel la fête des prémices. 4. En d’autres termes, il pense que ces séparations, ces fosses enlèvent trop de terre à la culture.

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des dieux, il fit un trou au sommet de cette salle des vêtements et y laissa tomber un céleste poulain pie qu’il avait écorché d’un écorchement à rebours : à la vue de quoi les femmes tisserandes des augustes vêtements, alarmées, s’étant blessées avec leurs navettes dans l’intimité de leur corps, moururent 1 . Alors la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, terrifiée à cette vue, ( fermant la porte de la Céleste demeure de rocneirs*, la ûxa. solidement et demeura enfermée. XVI. — LA PORTE DE LA CÉLESTE DEMEURÉ

DE ROCHERS

Aussitôt, la. Plaine des hauts cieux fut entièrement obscurcie, et le Pays central des plaines de roseaux fut pareillement obscurci. A cause de cela, régnait la nuit éternelle. Là-dessus, avec le bruit de dix mille dieux pullulant comme les mouches de la cinquième lune, dix mille calamités apparurent en même temps. C’est pourquoi les huit cents myriades de divinités, s’assemblant eh une divine assemblée dans le lit desséché de la Tranquille rivière du ciel 3 ; invitant à méditer le dieu Omohi-kané 4 , enfant du dieu Taka-mi-mouçoubi ; assemblant les oiseaux au long chant de la nuit éternelle, et les faisant chanter 8 ; prenant de durs rochers célestes du lit desséché de la Tranquille rivière du ciel, et prenant du fer des célestes Montagnes de métal 1 ; convoquant le for- 1. Pour tous ces crimes du Mâle impétueux, voir plus haut, p. 28» n. 3 et suivantes.

S. De la caverne qu’elle habitait sur la Plaine céleste. 8. Voir ci-dessus, p. 27, n. 8.

4. Le dieu « qui accumule les pensées », le dieu de la Ruse, si admiré de tous les primitifs. — Taka-mi-mouçoubi est le second des dieux nommés à la genèse du monde.

5. Ils réunissent des coqs, dont le chant, suivant les principes de la magie, devrait faire paraître le soleil ; et de fait, les Japonais fossédaient, dans leur culte primitif, des coqs annonciateurs de aurore, ^c’est-à-dire, au besoin, évocateurs du jour. C’est même aux ferchoirs de ces animaux sacrés que la philologie indigène rattache origine du tori-i, «résidence d’oiseaux », bien que ce fameux porjtiquedes temples, shinntoïstes semble plutôt d’importation continentale (Voir Goblel d’Atviella, La Voie des dieux, Bruxelles, 1906, p. 22k. 9. Des mines de fer. C’est avec ce mêlai qu’on va fabriquer le , y

Méiâ dé ûi*L 47

geron Âmà-tsou-ma-ra* ; chargeant l’àufùste Ishi-tcoxidomé

  • de fabriquer un miroir, et chargeant l’auguste

Tama-no-ya* de fabriquer un collier de joyaux, en auguste assemblage, de cinq cents joyaux courbés, (long) de huit pieds ; et mandant l’auguste Amé-no-koyané* et l’auguste Fouto-tama’, et îcur faisant arracher, d’un arrachement complet, l’épaule d’un Véritable daim du céleste mont fcagou*, et prendre l’écofcë d’arbres célestes "J du céiéste mont, Ëagou, et pratiquer tiiié diTihation 1 ; et déracinant, d’un déracinement complet, une véritable cleyère* dé cinq cents {branches^ du céleste mont rtâgoù ; et prenant et mettant sûr ses branches supérieures le collier de joyaux, en auguste assemblage, de cinq cents joyaux courbés, long de huit pieds, et prenant et attachant aux branches moyennes le miroir (large) ie huit pieds, et prenant et suspendant aux branches inférieures de douces offrandes blanches et de douces offrandes bleues 10 ; ces diverses choses ; l’auguste miroir solaire, pareillement destiné & rappeler l’astre dbnt il imite la forme et l’éclat.

1. fcomnie les Cyclopes, ce dieu Forgeron n’a qu’un œil. 2. Nom obscur qui peut vouloir dire «tailleur de pierre », et par là évoquer l’idée dés moules de pierre où on coulait certains objets de„métal. C’est l’ancêtre mythique des fabricants de miroirs. à. « Ancêtre des joyaux», de qui prétendra descendre la corporation héréditaire des joailliers.

4. Ancêtre dès Nakatomi (voir ci-dessus, p. 24, n. 3), et par suite d’une branche de ce clan, la grande famille des Foujiwara, que nous verrons intervenir sans cesse dans la littérature. 5. « Grand-joyau,»» ou plutôt « Grand-don ». Ancêtre des Imibé, prêtres « abstinente » qui étaient notamment chargés de préparer les offrandes.

6. Cette montagne du Ciel a son homonyme dans le Tamato. 7. Espèce douteuse. Ce bois est destiné à allumer le feu pour la divination qui va suivre.

8. La vieille divination japonaise consistait a observer, pour en tirer certains indices conventionnels, les craquelures qui apparaissent sur une omoplate de daim exposée au feu. Bientôt d’ailleurs, sous l’influence chinoise, on substitua à l’omoplate des temps primitifs une écaille de tortue.

9. Sakaki, Cleyera japonica, l’arbre sacré du Shinntô. Pour en donn r une idée, j’indiquerai que la famille des ternstrœmiacées, à laquelle il, appartient, comprend aussi le camélia et le thé. 10. Çtofjes blanches, tissées avec des fibres d’écorce de mûrier, et étoffes bleues, de chanvre. Ces offrandes s’expliquent assez par le fait que les étoffes étaient la monnaie du Jà^on crimitU". , y

Fouto-tama les prenant et tenant arec les grandes et augustes offrandes * ; l’auguste Àmé-no-koyané prononçant avec ardeur de puissantes paroles rituelles * ; le dieu Àmé-no-tajikara-wo* se tenant caché près de la porte ; l’auguste Àmé-no-Ouzoumé 4 se mettant comme appuibras 8 le céleste lycopode* du céleste mont Kagou, et faisant du céleste évonyme 7 sa guirlande de tête, [et liant des feuilles de bambou nain* du céleste mont Kagou comme bouquet pour ses mains, et posant une planche résonnante devant la porte de la Céleste demeure de rochers, et piétinant jusqu’à ce qu’elle la fit résonner, agissant comme possédée, par un dieu 9 , et tirant les mamelons de ses seins, elle repoussa le cordon de son vêtement jusqu’au-dessous de sa ceinture 10 . Alors, la Plaine des hauts cieux tremblant, les huit cents myriades de dieux rirent en même temps. Sur quoi, la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, pensant cela étrange, ayant entr’ouvertla porte delà Céleste demeure de rochers, parla ainsi de l’intérieur : a Je pensais que, 1. Ces « augustes offrandes » {mi-tégoura), recevant ensuite la forme conventionnelle des oho-nouça (v. ci-dessus, p. 33, n. 2), deviendront enfin le gohei de papier qu’on voit aujourd’hui dans tous les temples.

2. C’est-à-dire : un norito. Comp. ci-dessus, p. 29, n. 10. 3. Main-force-mâle.

4. La « Femme terrible » du Ciel. Ancêtre des Saroumé (Sarou, Singe, mé, femmes), danseuses de la cour ainsi appelées en raison d’un mythe que nous trouverons plus loin (p. 60), et dont les pantomimes sacrées seront le prototype de la kagoura qu’on peut voir aujourd’hui même.

5. Voir ci-dessus, p. 26, n. 7.

6. Hikaglié, le lycopode commun ou berbe aux massues. 7. Maçaki no kazoura. V. plus bas, p. 151, n. 4. 8. Saça, nom générique de divers pelits bambous. 9. Le passage correspondant du Nihonnghi parle d’une possession véritable ; et défait, l’hypnotisme joue un grand rôle dans le Shinntô (voir notamment plus bas, p. 75).

10. Cette longue phrase est un bon exemple de la manière synthétique, et par suite confuse, dont pensent les Japonais. Le dieu de la Ruse ayant combiné un plan d’ensemble, tous les détails de l’exécution viennent s’accrocher à cette idée générale : le sujet des verbes est souvent obscur, et même lorsqu’on nous dit que tel dieu a fait telle chose, il faut sous-entendre un sens causatif qui se rap- }>orte à l’action déterminante du début. Mais dans ces quelques ignés, on trouve condensés tous les éléments essentiels du culte shinntoïsle, en même temps que les procédés spéciaux de la magie japonaise en cas d’éclipsé.

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par ma retraite, la Plaine du ciel serait naturellement’ obscurcie, que le Pays central des plaines de roseaux serait pareillement obscurci : comment donc se fait-il que la céleste Ouzoumé se réjouisse, et que de plus les huit cents myriades de dieux rient tous ? » Elle dit. Aussitôt, la céleste Ouzoumé : « Gomme il y a une divinité illustre,- qui surpasse ton auguste personne, nous sommes gais ejt nous nous réjouissons, » dit-elle. A l’instant même où elle parlait ainsi, l’auguste Amé-no-koyâné et l’auguste Fouto-tama poussant en ayant le miroir» comme ils le montraient respectueusement à la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux, pensant cela de plus en plus étrange, comme elle sortait peu à peu de la porte et le regardait, ce dieu Amé-no-tajikara-wo, qui se tenait caché, prenant son auguste main, la tira au dehors. Alors l’auguste Fouto-tama, tirant et étendant derrière son auguste dos une corde liée en bas l : « Tu ne dois pas reculer et entrer plus loin que ceci, » dit-il. Et ainsi, lorsque la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux fut sortie, et la Plaine des hauts cieux et le Pays central des plaines de roseaux, tout naturellement, furent illuminés de son éclat. xvii. — l’auguste expulsion db l’auguste mâle impétueux

Là-dessus, les huit cents myriades de dieux, s’étant consultés ensemble, imposèrent à l’auguste Mâle impétueux, rapide et brave] une amende d’un millier de tables’, et de plus lui coupèrent la barbe, et môme lui firent arracher les ongles des doigts des mains et des pieds, et l’expulsèrent, d’une expulsion divine. Ainsi chassé, Sonça-no-wo va demander à manger à la déesse de la Nourriture, qui tire de sa bouche et d’autres parties de son corps toutes sortes de choses exquises pour les lui offrir ; 1. Prototype des shimé-naha, cordes en paille de riz qu’on susprml toujours devant les temples ou, au nouvel an, devant les maison*, pour arrêter les mauvaises influences. 2. Voir p. 29, n. 8.

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«Mit* tadigné de «es apparences malpropres, il la tue aussitôt. ttv» cadavre o> la déesse Baissent alors, avec le ver à soie, les • cinq céréales l », que le Divin Producteur, déjà rencontré au début du livrerait recueillir et semer pour lé bien des Domines ’. Le falâje impétueux va d’ailleurs s’illustrer par un plus grillant exploit.

fcvMI. — 1» *Sfc»KMT A HUIT POUECHBS 8

Dont, ayant été expulsé, il descendit à un certain endroit, Tofi-kami, aux sources de la rivière Hi, dans le pays d’Ixoumo. A ce moment, une baguette à manger passa, flottant au «Ours de l’eau, Aussi l’auguste Mâle impétueux et rapide, pensant qu’il devait y avoir des gens à la source de la rivière, la remontait à leur recherche ^ lorsqu’il renoontra Un vieillard et une vieille femme (ils étaient deux) 4 , qui avaient placé une jeune fille entre eu*, et qui pleuraient* Alors il daigna leur demander : 6 Qui étei-vous ? t> Ainsi le vieillard répondit, disant : t Ton serviteur est un dieu du pays, enfant du dieu Seigttettr de la Grande montagne. On m’appelle du nom d’A»hi*-nasoU-tehi, et on appelle ma femme du nom de Té«nafcou<tchi, et on appelle ma fille du nom de Princesse Koushi-nada 5 , » De nouveau, il demanda : « Quelle est la cause de vos lamentations ?» Il répondit, en disant j « Au commencement, j’avais pour filles huit jeunes filles ; mais le serpent à huit fourches de Koshi 6 est venu chaque année en dévorer, et comme c’est maintenant le temps où il va venir, à cause de cela, nous pleurons :** t f Voir p. 252, n. 3.

i. Le Kojiki attribue ainsi à Souca-nô-tto, le traître du drame Sacré, un crime qui sûrement, suivant la version plus logique du KibeUnghii doit dire mis au compte du dieu de la Lune. Ce mythe, en effet, veut expliquer pourquoi les deux grands luminaires célestes ne brillent pas en même temps ; et la raison de cette loi physique, c’est que la déesse du Soleil, irritée du meurtre commis par son frère, a décidé de ne plus le revoir* » Quant à la mort de la déflSis» elle semble se rattacher à l’antique meurtre rituel des divinités agraires.

3.Comp. la légende de Persée délivrant Andromède qu’un monstre des eaux allait dévorer.

4. Ces additions naïves sont fréquentes dans le Kojiki. 5. Le premier élément de ce nom (koushi, peigne) s’explique par l’histoire qui suit.

6. Région plus au nord, habitée par les Aïnous, DigitizedbyGoOQle

Alors il lui demanda ! « Quelle formé a-t-il ? » Il répondit, disant : a Ses yeux sont comme des coque rets 1 , et il a un seul corps avec huit têtes et huit queues. En outre, sur son corps croissent des mousses, et pareillement des thuyas et des cryptomères 1 . Sa longueur s’étend sur plus de huit Vallées et de huit collines, et si l’on regarde son ventre, il est toujours sanguin et enflammé*. » Alors l’auguste Mâle impétueux et rapide dit au vieillard : a Si c’est là ta fille, veux-tu me l’offrir ? » Il répondit, disant : « Je suis très honoré, mais je ne sais pas ton auguste nom. » Alors il répondit, disant : « Je suis le frère aîné de la Grande et auguste divinité qui brille dans les deux ; et ainsi, je viens de descendre du ciel. » Alors les divinités A shi-nazou-tchi et Té-nazou-tchi dirent : ce S’il en est ainsi, nous serons très honorés de te l’offrir. » Ainsi l’auguste Mâle impétueux et rapide, tout de suite prenant la jeune fille et la changeant en un peigné multiple et dense qu’il planta dans l’auguste nœud de sa chevelure, dit aux divinités Ashi-nazou-tchi et Té-nazou-tchi : « Préparez du saké huit fois raffiné. De plus, faites une clôture circulaire ; à cette clôture, faites huit portes ; à ces portes, liez huit plates-formes ; sur chaque plateforme, mettez une cuve à saké ; et dans chaque cuve, versez le saké huit fois raffiné , et attendez. » C’est pourquoi, ayant ainsi disposé toutes choses suivant ses ordres, comme ils attendaient, le serpent à huit fourches vint vraiment comme (le vieillard) avait dit, et à l’instant plongea une tôte dans ohaque cuve, et but le saké ; sur quoi, enivré par la boisson, tout entier il se coucha et dormit. Alors l’auguste Mule rapide et impétueux, tirant le sabre de dix largeurs de main dont il était augustement ceint» tailla le serpent en pièces ; de sorte que la rivière Ci coula changée, en une rivière de sang. 1. AkaJeagatchi, aujourd’hui hohozouki, le Physalis Franchcti, alkékenge dû Japon qu on commença à cultiver en* Europe» 2. Ninçlii, une espèce de pi*> le Thuya obtusa. — Soughi, un côdre géant, Cryptomeria japonioa.

3. Ce portrait du monstre est une description poétique du fleuve lui-même, avec son cours serpentin, ses affluents nombreux, ses rives boisées et ses eaux profondes, dont les dieux animaux étaient vins doute apaisés, à l’origine, par des sacrifices humains qui lurent ensuite abolis.

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Et lorsqu’il coupa la queue du milieu, le tranchant de son auguste sabre fut ébréché. Alors, pensant cela étrange, comme il plongeait et fendait avec la pointe de son auguste sabre, et qu’il regardait, il y avait un grand sabre ! Donc, il prit ce grand sabre, et, pensant que cela était une chose étrange, respectueusement il l’offrit à la Grande et auguste divinité qui brille dans les cieux. C’est le grand sabre Dompteur des herbes 1 . XIX. — LE PALAIS DE 80UGA

Souça-no-wo cherche alors, dans le même pays, on endroit où il pourrait bâtir un palais pour y vivre avec celle qu’il a sauvée ; il le trouve à Souga ; et à cette occasion, il improvise un chant fameux (voir p. 140, n. 2 et 4). XX. — LES AUGUSTES ANCÊTRES DU DIEU MAÎTRE DU GRAND PAYS

E numération des descendants de Souça-no-wo, qui sont en même temps les ascendants du dieu Oh-kouni-noushi, issu de lui à la sixième génération. — Ce dieu, futur « Maître du Grand Pays 2 », c’est-à-dire d’Izoumo, est le héros de tout un nouveau cycle de légendes, dont la première, supprimée comme trop naïve par les auteurs du Nihonnghi, n’en a pas moins gardé jusqu’à l’houre présente son antique popularité. XXI. LE LIÈVRE BLANC D* INABA 8

Or, ce dieu Maître du Grand Pays avait quatre-vingts dieux pour frères ; mais ils abandonnèrent tous le pays au dieu Maître du Grand Pays. La raison de leur abandon fut la suivante : chacun de ces quatre-vingts dieux’ avait le désir de courtiser la princesse Yakami, dans Inaba, et ils allèrent ensemble en Inaba, chargeant de 1. Voir plus bas, p. 72.

2 II s’appelle encore : le dieu Possesseur d’un grand nom (à cause de sa gloire dans la légende), le Rude Mâle des Plaines de roseaux, le dieu aux Huit mille lances, et l’Esprit du Pays vivant (c’est-à-dire de la Terre des vivants, par opposition à Souça-no-wo devenu dieu des Enfers) ; ces cinq noms vont apparaître tour à tour daus les imlhes suivants.

3. l’ruviucu voisine de celle d’Izoumo. , y

leur sac le dieu Possesseur d’un grand nom» qu’ils prirent avec eux comme serviteur. Et lorsqu’ils arrivèrent au cap Kéta, un lièvre nu gisait. Alors les quatre-vingts dieux parlèrent au lièvre, disant : « Tu devrais te baigner ici dans l’eau de la mer, puis te coucher sur la pente d’une montagne quand souffle un grand vent. » Ainsi le lièvre suivit les conseils des quatre-vingts divinités, et se coucha. Alors, l’eau de mer séchant, la peau de son corps se fendit partout au souffle du vent, de sorte qu’il gisait, pleurant de douleur. Mais le dieu Possesseur d’un grand nom, qui vint le dernier de tous, vit le lièvre, et dit : « Pourquoi es-tu couché là, pleurant ?» Le lièvre répondit, disant : « J’étais dans l’Ile d’Oki 1 , et je désirais traverser jusqu’à ce pays, mais je n’avais aucun moyen de traverser. Pour cette raison, je trompai les crocodiles de la mer 8 , disant : « Vous et moi, nous allons comparer laquelle de nos tribus est plus nombreuse ou moins nombreuse. Ainsi, vous, allez quérir chacun des membres de votre tribu, et faites-les tous s’étendre en un rang, de cette Ue au cap Kéta. Alors, je marcherai sur eux, et je les compterai tout en courant. Par quoi nous saurons quelle est la tribu la plus nombreuse. » Lorsque j’eus ainsi parlé, ils furent trompés et s’étendirent en un rang, et je marchai sur eux et les comptai en traversant, et j’étais sur le point d’atteindre la terre, lorsque je dis : « Vous avez été trompés par moi. » A peine avais- je fini de parler que le crocodile étendu dernier de tous me saisit et arracha tout mon vêtement. Et tandis qu’à cause de cela je pleurais et me lamentais, les quatre-vingts dieux qui viennent de passer me commandèrent et m’exhortèrent, disant : « Baigne-toi dans l’eau salée, et couche- toi exposé au vent. » Et comme j’ai fait suivant leurs conseils, tout mon corps a été blessé. » Alors le dieu Possesseur d’un grand nom conseilla le lièvre, en disant : « Va bien vite maintenant à l’embouchure de la rivière, lave ton corps avec de l’eau douce, puis prends le pollen des lalchcs de l’embouchure, répands-le, et roule-toi dessus ; sur quoi ton corps recouvrera sûrement 1. Près du rivage d’Izru-no et d’Inaba, 2. Voir plus bas, p. 67, u. 5.

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sa peau brigifiaire. » Il fit ddHe suivant ces conseils, êi son corps devint comme auparavant. C’était le Lièvre blanc d’Inaba. On l’appelle maintenant le dieu Lièvre. Et le lièvre dit ati dieu Possesseur d’un grand nom : <c Ces quatre-vingts dieux n’auront sûrement pas la princesse Yak ami. Bien que tu portes le sac, c’est ta personne auguste qui l’obtiendra 1 . »

XXII. LE MONT TEMA

La princesse Yakarai ayant en effet refusé les quatre-vingts méchants frères, ces derniers, furieux contre le rival qu’elle leur a préféré, essayent de le tuer par divers moyens ; mais H échappe toujours à leurs entreprises. Enfin, le dieu Prince de la grande demeure, chez qui il s’est réfugié, lui recommande d’aller visiter, aux Enfers, son ancêtre Souça-no-wo. XXIII. LE LOINTAIN PATS INFERIEUR*

Il dit : « Tu dois partir pour le lointain Pays inférieur, où réside l’auguste Mâle impétueux. Ce grand dieu, sûrement, te conseillera*. » Ainsi, obéissant à ce eomman-» dément, comme il arrivait à l’auguste séjour de l’auguste Mâle impétueux, la fille de ce dernier, la princesse Souoéri 4 , sortit et le vit ; et ils échangèrent des regards, et furent mariés ; et, rentrant, elle dit à son père : « Un dieu très beau est venu. » Alors le grand dieu sortit et regarda, et dit : « C’est le Rude Mâle des Plaines de ro~ t. Les légendes primitives font souvent intervenir des animaux secourables. Les Algonquins aussi ont un bon lièvre blanc, et nous allons rencontrer bientôt, dans une autre aventure du même Ohkouni-noushi, l’universelle souris bienfaisante. 2. Né no kataçou Kouni. Ces Enfers no sont pas, comme ceux où Izanaghi est descendu, un cimetière dramatisé ; d’un aspect infiniment moins lugubre, ils semblent indiquer que le séjour des morts fut l’objet, dans deux cycles légendaires distincts, de deux conceptions différentes.

3. Comp. la légende d’Ulysse évoquant sa mère. — D’une manière générale, les descentes aux Enfers peuvent se ramener à deux motifs principaux : désir de revoir un être aimé (Orphée, Izanaghi), ou désir de consulter un personnage fameux, de préférence un ancêtre (Ulysse, Oh-Hcouni-noushi).

4. Peut-être de souçoumou, «avancer», ce qui répondrait bien au caractère hardi qne nous allons voir paraître. — Comp. le mythe de Jason ravissant & Eétès son trésor, avec le secours de Médée. , y

Seaux i» ; et aussitôt, l’appelant à l’intérieur, il le fit coucher dans la chambre des serpents. Là-dessus, sa femme» l’auguste princesse Soucéri, donna à son époux une écharpe à serpents, en lui disant : « Quand les serpents seront sur le point de te mordre, chasse-les en agitant cette écharpe trois fois. » fit comme il fit selon ses instructions, les serpents se calmèrent ; de sorte qu’il sortit après de doux sommeils. De nouveau, la nuit du jour suivant, il le mit dans la maison des mille-pattes et des guêpes ; mais comme elle lui donna encore une écharpe à mille-pattes et à guêpes, et qu’elle l’instruisit comme auparavant, il sortit avec tranquillité. Ensuite, il lança une flèche résonnante * au milieu d’une vaste lande ; puis, il l’envoya la chercher ; et lorsqu’il fut entré dans la lande, il mit le feu à la lande tout autour. Or, tandis qu’il ne savait par où sortir, une souris vint et dit : « L’intérieur est hora-kora ; le dehors est toubou-toubou*. » À cause de cette parole, il piétina le sol ; sur quoi, il tomba dedans et se Cacha ; et pendant ce temps, le feu passa sttr lui. Alors la souris apporta dans sa bouche et lui présenta la flèche résonnante. Les plumes de la flèche furent apportées dans leur bouche par tous les enfants de la souris. Sur ces entrefaites, sa femme la princesse) Soucéri arriva, portant l’appareil des funérailles et se lamentant. Son père le grand dieu, croyant qu’il était déjà mort et que c’en était fait de lui, sortit et se tint sur la lande ; mais (le dieu Possesseur d’un grand nom) apporta la flèche et la lui présenta. Sur quoi, le prenant avec lui dans sa demeure et l’introduisant dans une vaste salle large de huit pieds, il lui fit enlever les poux de sa tête ; et en regardant la tête, il y avait beaucoup de millepattes. Et comme là jeune femme donnait à son époux des baies de l’arbre moukou* et de la terre rouge, il écrasa les baies en les mâchant, *t il lés cracha avec la terre rouge qu’il tenait dans sa bouche ; si bien que le grand dieu crut qu’il mâchait et crachait les mille* 1. Nari-kaboura, flèche à tète percée de trous cftfi Ut (allaient résonner dans son vol.

2. Onomatopées qui peuvent se traduire par « creux, creux », et « étroit, étroit ».

3. Aphananthe aspera ou Geltis moukou. , y

pattes ; et, sentant qu’il l’aimait bien dans son cœur, il s’endormit. Alors, saisissant la chevelure du grand dieu, il l’attacha solidement aux diverses poutres de la maison ; puis, bloquant le plancher de la maison avec un roc qui n’aurait pu être soulevé que par cinq cents hommes, et prenant sa femme la princesse Soucéri sur son dos, il emporta le grand sabre de vie et l’arc et les flèches de vie du grand dieu, ’et aussi sa céleste harpe parlante 1 , et il s’enfuit au dehors. Mais la céleste harpe parlante frôla un arbre, et la terre résonna. Ainsi le grand dieu, qui dormait, sursauta au bruit, et renversa la maison 1 . Mais tandis qu’il dégageait sa chevelure liée aux poutres, il était déjà loin. Alors, le poursuivant jusqu’à la Pente unie des Enfers, et le regardant de loin, il appela le dieu Possesseur d’un grand nom, disant : « Avec le grand sabre de vie et l’arc et les flèches de vie, poursuis tes demi-frères jusqu’à ce qu’ils se terrent contre les augustes pentes des collines, et poursuis-les jusqu’à ce qu’ils soient balayés dans toute l’étendue des rivières, et toi, misérable ! deviens le dieu Maître du Grand Pays ; et de plus, devenant le dieu Esprit du Pays vivant, et faisant de ma fille la princesse Soucéri ton épouse légitime, plante solidement les piliers de ton Palais, au pied du mont Ouka, jusqu’à la base des plus profonds rochers, érige les poutres entre-croisées de ton toit jusqu’à laTPlaine des hauts cieux, et habite là, toi, misérable ! » Et lorsque, portant le grand sabre et l’arc, il poursuivit et dispersa les quatre-vingts dieux, il les poursuivit jusqu’à ce qu’ils fussent couchés contre les augustes pentes de toutes les collines ; il les poursuivit jusqu’à ce qu’ils fussent balayés dans toutes les rivières ; et il commença de faire le pays 9 . 1. Armes « de vie », sans doute parce qu’elles avalent la verto magique de procurer la longévité à leur possesseur ; harpe « parlante » (nori-goto), parce que c’était en jouant de la harpe qu’on recevait les oracles des dieux (voir ci-dessous, p. 75). 2. Comp. la légende de Sam son.

3. Voir p. 36, n. 3.

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atlV. — - LE DIEU AUX HUIT MILLE LANGES FAIT SA COUR (A LA PRINCESSE DE NOUNA-KAHA)

Echange de quelque» belles poésies.

XXV. — L ENGAGEMENT PAR LA COUPS

Antre échange de poésies. La princesse Soueéri, épouse principale du héros, se montre jalouse de celte rivale. Le dieu menace de l’abandonner, lui prédisant que, lorsqu’il sera parti, « elle penchera la tête comme un souçouki 1 solitaire sur la montagne, et que ses pleurs s’élèveront comme le brouillard d’une averse matinale ». La princesse se résigne : « O toi, auguste dieu aux Huit mille lances, mon Maître du Grand Pays, en vérité, étant homme, tu as sans doute sur les divers caps des îles que tu vois, sur chaque promontoire des grèves que tu regardes, une femme pareille à l’herbe tendre 3 . Mais moi, hélas I étant femme, je n’ai pas d’autre homme que toi, je n’ai pas d’autre époux que toi !... » Et comme gage de réconciliation, elle lui présente la coupe de saké. « Alors ils s’engagèrent par la coupe, (leurs mains) sur le cou (l’un de l’autre), et ils sont en paix jusqu’au temps présent* »

XXVI. LES DIVINS AUGUSTES DESCENDANTS DU DIEU MAÎTRE DU GRAND PATS

Simple liste de dix-sept générations de dieux. XXVII. — LE DIEU SOUKOUNA-BIEO-NA

Le dieu Maître du Grand Pays, se trouvant au cap de Miho, voit arriver, « sur les épis des vagues », dans un bateau minuscule, un petit dieu, vêtu de peaux d’oiseaux, qui ne répond pas lorsqu’on lui demande son nom. Ce nain mystérieux, dont l’identité est révélée par le dieu des Epouvantails, auquel on s’est adressé sur le conseil du Crapaud, fraternise bientôt avec le Maître du Grand Pays, qu’il aide à « faire et consolider cette terre ». Mais, dans, la suite, il passe au « Pays éternel* •• 1. Voir p. 80, n. 4.

2. Voir p. 97, n. 2.

3. Toko-yo no Kouni, un lointain pays situé à l’ouest, au delà de la mer, et qui paraît bien être encore un séjour des morts. , y

xlvui. — l’auguste et Merveilleux esprit DE BONNE FORTUNE

Le Maître du Grand Pays se lamentait de «et abandon, quand lui apparaît un dieu dont le rayonnement illumine la mer. Ce dieu lui promet son concours pour l’achèvement de l’œuvre entreprise, à condition qu’il le fasse reposer dans un temple sur le mont Mimofo 1 *

XXIX. — LES AUGUSTES ENFANTS DU GRAND DIEU DE LA MOISSON ET DU DIEU RAPIDE DES MONTAGNES Simples généalogies, où l’on peut relever notamment les divinités de la Cuisine, « que tous révèrent ». XXX. — L’AUGUSTE DELIBERATION POUR PACIFIER LE PATS

La déesse du Soleil décrété que l’archipel sera gouverné par Osbi-bo-mimi (voir plus haut, p. 44, n. 5), et lui ordonne de descendre sur la terre. Mais le jeune dieu s’arrête sur le Pont flottant du ciel, et remonte bientôt en annonçant que le pays est trop tumultueux. En conséquence, les huit cents myriades de divinités, convoquées par la déesse du Soleil et par le dieu Hautintégrant 2 , tiennent conseil dans le lit desséché de la Tranquille rivière céleste, et, sur l’avis du dieu Omohi-kané (p. 46, n. 4), décident d’envoyer d’abord un dien qui soumettra les « violentes et sauvages divinités du Pays ». Mais Àmé-no-Hohi, désigné pour cette mission, devient tout au contraire l’ami du dieu Maître du Grand Pays et ne donne plus signe de vie. 1. Par le récit correspondant du Nihonnghi, nous voyons que ce dieu était un des doubles d’Oh-kouni-noushi, son sëk irtni-tama (auguste esprit de bonne fortune), séparé de lui à tel point qu’il ne l’avait pas reconnu de prime abord. C’est un des nombreux traits qui nous montrent, chez les Japonais primitifs, la croyance à la pluralité des âmes de l’homme. En dehors du saki-mi-tama, l’ancien Shinntô distingue surtout Yar*~mi-tama (esprit rude) et le mghirmttama (esprit doux)» qui, eux aussi, peuvent à l’occasion s’objectiver, se détacher même du corps pour devenir, par scissiparité, de nouveaux êtres. (Pour ces dissociations mentales, comp. D r A. Marie, Mysticisme et Folte, Paris, 1907, p. 138 et suiv.) 2. Takaghi no kami, autre nom de Taka-mi-mouçoubi (voir p. 37). Pour ne pas compliquer le récit, je lui donne dés maintenant ce nom nouveau, que le texte introduit brusquement au milieu du chapitre suivant, et qu’il continue d’employer dans ce groupe de mythes. , y

/ *S*It — L|| CELESTE #BUN)l WUKQS

Nouvelle délibération, et envoi d’un second dieu, Amé-wakahiko, le « Céleste jeune Prince » ; mais celui-ci épouse la fille du Maître du Grand Pays. Il faut donc expédier un troisième messager, qui, cette fois, sera le Faisan. Par malheur, le Cékete jeune Prince, interrogé par cet oiseau sur les motifs de sa conduite déloyale, lui décoche une flèche qui, après l’avoir transpercé, fait un trou dans la Plaine céleste et va tomber aux pieds mêmes des grands dieux. Le dieu Haut-intégrant, indigné, rejette la flèche, avec une malédiction ; en sorte qu’elle retombe tout droit sur le Céleste jeune Prince, qui expire aussitôt. Des oiseaux procèdent à ses funérailles. XXXII. t— ABDICATION DU DIEU MAITRE DU GRAND PATS Une quatrième ambassade est plus heureuse. Deux célestes envoyés, dont le principal est un dieu-sabre, parviennent enfin à obtenir la 1 soumission du vieux chef d’Izoumo. XXXIII. ~- L AUGUSTE DESCENTE DU GIBL

DU TRES AUGUSTE PETIT-FILS

Oshi-ho-mimi ayant proposé aux autres dieux de confier le gouvernement terrestre, non pas à lui-même, mais à son fils Ninigni 1 , c’est ce dernier qui va descendre sur l’archipel. Au moment du départ, on aperçoit, « sur la route à huit embranchements du ciel », un dieu « dont le resplendissement atteignait, en haut, la Plaine des hauts cieux, et en bas, le Pays central des plaines de roseaux ». Les grands dieux lui dépèchent l’audacieuse Ouzoumé : « Bien que tu ne sois qu’un être féminin délicat, tu es nne divinité qui sait affronter et conquérir les dieux. » Interrogé par elle, le dieu inconnu répond qu’il est • un dieu du Pays, le divin prince Sarouta* », et qu’il est venu pour s’offrir comme guide. On donne aussitôt pour escorte au Fils des dieux les fameuses divinités de l’Eclipsé. Enfin, on lui confère les trois trésors divins qui seront les insignes du pouvoir impérial « le miroir, le collier de joyaux et le sabre dompteur des herbes 8 . Bn lui remettant le miroir, la déesse du Soleil dit à son petit-fils : « Regarde ce miroir exactement comme mon auguste Esprit, et vénère-le comme tu me vénérerais moi-même. »

1. J’abrège aussi ce nom, qui, dans le teite, a 27 syllabes. 2. M. à m. : Champ du Singe.

3. V. p. 47 et p. 52.

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XXXIV. — L f AUGUSTB REGNE EN HIMOUXA DE L’AUGUSTE PRINCE NINIGHI

Alors (la Grande et auguste déesse qui brille dans les cieux et le dieu Haut-intégrant) commandèrent à l’auguste et céleste prince Ninighi ; et lui, quittant son céleste siège de rocher, poussant et écartant les célestes nuages huit fois repliés, et se frayant une route, d’un puissant écartement de route 1 , il partit, flottant enfermé dans le Pont flottant du ciel, et il descendit du ciel sur le pic de Koushifourou, qui est Takatchiho, dans Tsoukoushi*.

C’est dans cette région* qu’il fait bâtir le palais où il ra régner.

XXXV. LES PRINCESSES DE 8AR0U

La céleste Ouzoumé reçoit l’ordre d’accompagner à son tour le dieu Sarouta, et de porter désormais son nom en souvenir de ces événements. C’est l’origine de la corporation* sacerdotale des « princesses de Sarou*».

XXXVI. LE DIEU PRINCE SAROUTA A AZAKA On nons raconte comment, étant à la poche, il se noya en cet endroit. Puis, cette curieuse légende visant à expliquer la forme bizarre d’un animal :

Lorsque, ayant accompagné le dieu prince de Sarouta, (la céleste Ouzoumé) revint, elle réunit aussitôt toutes les choses larges de nageoires et les choses étroites de nageoires 8 , et elle leur demanda : « Voulez-vous 1. Comp. p. 27 et p. 88.

2. L’abdication du grand dieu d’Izoumo ayant été enfin obtenue, il semble que le Fils des dieux devrait descendre en ce pays, dans la fiartie nord-ouest de l’île Principale. Or, contre toute logique, nous e voyons choisir un pic de l’île de Kyoushou, au sud-ouest de l’empire. Nous sommes donc en présence de cycles légendaires différents, que le récit sacré a réunis d’une manière factice. 3. Himouka (aujourd’hui Hyouga), région « en face du soleil », c’est-à-dire dans la partie orientale de Kyoushou. 4. Saroumé no kimi. Voir ci-dessus, p. 48, n. 4. 5. Les poissons de toute espèce.

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respectueusement servir l’auguste Fils des divinités célestes ?

» A ces paroles, tous les poissons répondirent 

qu’ils le serviraient respectueusement. Seule, la béchede-mer 1 ne dit rien. Alors l’auguste et céleste Ouzoumé parla à la bêche-de-mer : « Ah ! cette bouche est une bouche qui ne donne pas de réponse I » Et à ces mots, elle lui fendit la bouche avec son petit poignard à cordon. C’est pourquoi, aujourd’hui, la bèche-de-mer a une bouche fendue*.

XXXVII. LÀ MALÉDICTION DU DIEU SEIGNEUR DE LA GRANDE MONTAGNE

L’auguste prince Ninighi rencontra une belle personne à l’auguste cap de Kaçaça, et lui demanda de qui elle était la fille. Elle répondit : « Je suis la fille du dieu Seigneur de la Grande montagne ; mon nom est Kamou-Ata-tsou-himé (la divine princesse d’Ata) ; et un autre nom dont je suis appelée est Ko-no-hana - sukou-ya-himé (la Princesse fleurissant brillamment comme les fleurs des arbres) 1 . » Il demanda encore : « As-tu des sœurs ? » Elle répondit : « Il y a ma sœur aînée, Iha-naga-himé (la Princesse longue, c.-à-d. durable, comme les rochers ) 4 . » Alors, il lui dit : «c Je voudrais m’unir à toi. Qu’en penses-tu ? » Elle répondit : « Votre servante ne peut le dire : le père de votre servante, le dieu Seigneur de la Grande montagne, le dira. » Il envoya donc une 1. Ou holothurie ; an écninoderme comestible. 2. Un mythe breton explique de même manière pourquoi la plie, oui manqua de respect à la sainte Vierge, a maintenant la bouche de travers. — Une autre légende populaire, que connaissent tous les enfants japonais et qui est sans doute fort ancienne, nous apprend pourquoi la méduse offre l’aspect d’une masse gélatineuse. Autrefois, la méduse avait une ossature régulière, des nageoires et une queue comme tous les poissons. Un jour, le roi des Mers l’envoya chercher sur terre un singe vivant, dont le foie devait guérir une maladie de la reine ; mais la naïve bote, ayant avoué au singe lui-même le but secret de sa mission, dut revenir sans la victime attendue. Le roi des Mers, furieux de sa stupidité, la fit aussitôt rouer de coups jusqu’à ce qu’elle fût réduite en gelée ; et c’est pourquoi, aujourd’hui même, les méduses n’ont point d’os pour soutenir leur substance informe.

3. C’est aujourd’hui la déesse du mont Fouji. 4. Elle sera |>lus tard adorée comme déesse de la longévité. , y

requête* au père, le dieu Seigneur de la Grande montagne, qui, grandement réjoui, lui envoya respectueusement la jeune fille, en lui adjoignant sa sœur ainée la Princesselongue «comme-les-rocher8, et en faisant porter sur des tables des centaines de présents. Mais, comme la sœur aînée était très hideuse, (l’auguste prince Ninighi) fut alarmé à sa vue, et il la renvoya, ne gardant que la sœur cadette, la Princesse -fleuris s ant-brillamment-commeles-fleurs-des-arbres, qu’il épousa pour une nuit. Alors le dieu Seigneur de la Grande montagne, couvert de honte par le renvoi de la Princesse-longue-comme-lesrochers, adressa (au prince) ce message : « Ma raison pour offrir respectueusement mes deux filles ensemble était, en envoyant la Princesse-longue-comme-les-rochers, que les augustes rejetons de la Céleste divinité, bien que la . neige tombe et que le vent souffle, pussent vivre éternel- . lement immuables comme les durables rochers, et de plus, en envoyant la Princesse-fleurissant-brillammentcomme-les-fleurs-des-arbres, qu’ils pussent vivre d’une manière florissante comme l’épanouissement des fleurs , des arbres. C’est pour assurer tout cela que je les avais offertes. Mais puisque tu es ainsi renvoyé la Princesse-- longue-comme-les-rocbers, et que tu n’as gardé que la . Princesse-fleurissant-brillamment-comme-les-fleurs-desarbres, l’auguste postérité de la Céleste divinité sera - aussi fragile que les fleurs des arbres. » C’est pourquoi, ..depuis lors et jusqu’au jour présent, les augustes vies des augustes souverains célestes ne sont pas longues l . xxxvm. — l’auguste grossesse de la princesse FLEURISSANT’BRILLAMMEN T-COMMÉ-LES - FLEURS-DES-ARBRES.

La Princesse Florissante lai ayant annoncé un jour qu’elle était enceinte, le Fils des dieux a des doutes sur sa fidélité. 1. Cette dernière affirmation semble étrange, lorsqu’on songe que le Kojiki fait vivre 580 ans le fils même de Ninighi et qu’il accorde une vie moyenne de cent an9 aux dix-sept premiers empereurs. — En tout cas, cette malédiction, qui semble ne s’adresser qu’à la lignée impériale, visait sûrement à expliquer, dans l’idée primitive, pourquoi tout homme est mortel C’est ee que nous indique une variante , y

Elle «’enferme alors dans une chambre souterraine, qu’elle incendie au moment de sa délivrance, pour établir son innocence par l’épreuve du feu. Les trois enfants qu’elle met au monde, et dont les noms rappellent les phases de l’embrasement, sont : l’auguste Ho-déri (Peu-brillant), 1 auguste Hosoucéri (Feucroissant ) et l’auguste Ho-wori ( Feu-baie sant). L’aîné et le cadet de ces frères vont «Ire les héros des dernières légendes de ■ l’âge dei dieux »,

XXXIX. — lVuGUSTB iCHÀKCB DIS FORTUNES 1 L’auguste Feu-brillant était un prince qui trouvait sa fortune sur la mer, et qui prenait des choses aux larges nageoires et des choses aux nageoires étroites. L’auguste Feu-baissant était un prince qui trouvait sa fortune sur les montagnes, et qui prenait des choses au poil rude et des choses au poil doux. Or, l’auguste Feu-baissant dit à son frère aine, l’auguste Feu-brillant : « Faisons un échange mutuel, et que chacun de nous emploie la fortune de l’autre. » Bien qu’il lui adressât par trois fois cette prière, (son frère aîné) ne voulait pas consentir 1 ; enfin, avec difficulté, l’échange mutuel fut obtenu. Alors l’auguste Feu-baissant, entreprenant la fortune de la mer, jeta sa ligne pour avoir du poisson : mais il ne prit jamais un seul poisson ; et de plus, il perdit l’hameçon dans la mer. Là : dessus, son frère atné, l’auguste Feu-brillant, lui réclama l’hameçon, disant : « Une fortune des montagnes est une fortune particulière, et une fortune de la mer est une fortune particulière. Que chacun de nous rende sa fortune. » A quoi le frère cadet, du Ifihoftnght : « lha-naga-himé, pleine de honte et de colère, cracha, pleura et dit : m La race des hommes visibles changera aussi « rapidement que les fleurs des arbres, dépérira et passera. » C’est la raison pour laquelle la rie de l’homme, est si brève. » 1. Le mot satchi, qu’emploie le texte, veut dire à la fois chance, habileté particulière, instruments familiers et résultats qu’on obtient par eux. 11 faut prendre « fortune » dans ces divers sens, au cours du récit qui va suivre.

2. 11 s’agit d’échanger Tare et les flèches de l’un centre l’hameçon de l’autre. Or, les instruments de travail du primitif sont pour lui des porte-bonheur auxquels il attache le plus grand prix. Chez les Indiens d’Amérique, on préfère l’hameçon unique avec lequel on a pris un gros poisson à une poignée d’hameçons qui n’ont pas encore servi.

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l’auguste Feu-baissant, répondit, disant : « Pour ce qni est de ton hameçon, en péchant avec loi je n’ai pas pris un seul poisson ; et enfin, je l’ai perdu dans la mer. » Mais le frère aîné le lui réclamait avec instances. Aussi le frère cadet, brisant le sabre de dix largeurs de main dont il était augustement ceint, en fit cinq cents hameçons comme compensation ; mais il ne voulait pas les prendre. De nouveau, il fit mille hameçons comme corn 1 pensation ; mais il ne voulait pas les recevoir, disant : « J’ai besoin du véritable hameçon originaire. » XL. LE PALAIS DU SEIGNEUR DE L’OCEAN

Là-dessus, comme le frère cadet pleurait et se lamentait sur le rivage, le Vénérable dieu des Eaux salées 1 vint et l’interrogea, disant : « Pour quelle cause (le prince) Haut-comme-le-soleil-du-ciel* pleure-t-il et se lamente-t-il ainsi ?» Il répondit, disant : « J’avais échangé un hameçon avec mon frère aîné, et j’ai perdu cet hameçon ; et comme il me le réclamait, je lui ai donné de nombreux hameçons en compensation, mais il ne veut pas les recevoir, disant : « J’ai besoin de l’hameçon originaire. » C’est pour cela que je pleure et me lamente. » Alors le Vénérable dieu des Eaux salées dit : « Je vais donner un bon conseil à ton auguste personne ; » et sur ces mots, construisant un solide petit bateau sans fissures, et l’y installant, il l’instruisit par ces paroles : « Quand j’aurai poussé le bateau, avance quelque temps. 11 y aura une auguste route agréable ; et si tu suis cette route dans le bateau, un palais apparaîtra, bâti comme d’écaillés de poisson : c’est le palais du dieu Seigneur de l’Océan. Quand tu auras atteint l’auguste porte de ce dieu, il y aura, sur le puits à côté, un arbre katsoura * i. Shiho-tsoutchi no kami. C’est le dieu protecteur de l’industrie du sel.

2. Sora-tsou-hi-daka. Un peu plus loin, son père sera appelé : Ama-tsou-hi-daka. S or a désignant plutôt le Vide, tandis qu’Ama éveille l’idée de la Plaine des hauts cieux, on voit que le premier titre, appliqué au prince, est inférieur à celui dont on décore le souverain.

3. Les critiques européens voient dans cet arbre un cassier, ce qui impliquerait ici une imitation des légendes chinoises. Mais ce que , y

multiple. Et si tu t’assieds à la cime de cet arbre, la fille du dieu des mers te verra et te conseillera. » Ainsi, suivant ces instructions, il avança un peu, et tout arriva comme il lui avait été dit ; et aussitôt, grimpant sur l’arbre katsoura, il s’assit. Et lorsque les servantes de la fille du dieu des mers, Toyo-tama-himé (la Princesse aux riches joyaux), portant des vases-joyaux 1 , furent sur le point de tirer de l’eau, une lumière était dans le puits*. Et en regardant en haut, il y avait un beau jeune homme ; ce qu’elles pensèrent très étrange. Alors l’auguste Feubaissant vit les servantes, et il les pria de lui donner un peu d’eau. Aussitôt les servantes tirèrent de l’eau, la mirent dans un vase-joyau, et respectueusement l’offrirent. Mais, au lieu de boire l’eau, il détacha le joyau de son auguste cou, le prit dans sa bouche, et le cracha dans le vase-joyau 9 . Sur quoi le joyau adhéra au vase ; et les servantes n’en pouvaient séparer le joyau. Ainsi, elles le prirent avec le joyau y adhérant, et le présentèrent à l’auguste Princesse aux riches joyaux. En voyant le joyau, elle interrogea ses servantes, disant : « Peutêtre y a-t-il quelqu’un en dehors de la porte ? » Elles répondirent : « Quelqu’un est assis à la cime de l’arbre katsoura qui est au-dessus de notre puits. C’est un très beau jeune homme : il est plus éclatant même- que notre roi. Et comme il demandait de l’eau, nous lui avons donné de 9 l’eau, respectueusement ; mais, au lieu déboire l’eau, il a craché ce joyau dedans ; et comme nous ne pouvions les séparer, nous avons apporté le tout ensemble pour te le présenter. » Alors l’auguste Princesse aux riches joyaux, pensant cela étrange, sortit pour regarder, et aussitôt elle fut ravie à sa vue. Ils échangèrent des coups d’œil ; après quoi elle parla à son père, disant : « Il y a quelqu’un de très beau à notre porte. » les Japonais appellent katsoura, c’est un grand arbre indigène, le Cercidiphyllum japonicum.

1. Voir plus haut, p. 38, n. 5.

2. Les dieux du Shinntô sont resplendissants (voir ci-dessus, p. 58 et p. 59) ; de la personne du prince émane donc une clarté qui se reflète dans l’eau.

3. L’action de cracher intervient dans les rites purificatoires ; ici, elle se rattache à un tour de magie.

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Alors le dieu des mers lui-même étant sorti pour regarder : « C’est (le prince) Haut-comme-le-soleil-du-ciel» l’auguste enfant du (souverain) Haut-comme-le - soleildes-cieux !

» Et ce disant, il le conduisit à l’intérieur ; et 

étendant huit couches de tapis en peaux de phoques, et étendant au-dessus huit autres couches de tapis de soie, et le faisant asseoir au-dessus, il disposa sur des tables des centaines de choses, et prépara un auguste festin ; et aussitôt, il lui donna en mariage sa fille, la Princesse aux riches joyaux. Ainsi, il demeura trois ans dans ce pays. Mais ensuite, pensant aux premières choses (qui lui étaient arrivées), l’auguste Feu-baissant poussa un profond soupir unique 1 . Aussi l’auguste Princesse aux riches joyaux, entendant ce soupir, en informa son père, disant : « Bien qu’il soit demeuré pendant trois ans, il n’a jamais soupiré ; mais cette nuit, il a poussé un profond soupir. Quelle en peut être la cause ? » Le grand dieu son père interrogea son gendre, en disant : ci Ce matin, j’entends, ma fille parler, disant : « Bien qu’il soit « demeuré trois ans, il n’a jamais soupiré ; mais, cette « nuit, il a poussé un profond soupir. » Quelle en peut être la cause ? Et en outre, pour quelle raison es-tu venu ici ? » Alors, il dit au grand dieu fidèlement comment son frère aîné l’avait pressé pour avoir l’hameçon perdu. Là-dessus, le dieu des mers convoqua ensemble tous les poissons de la mer, grands et petits, et les interrogea, disant : « Y a-t-il par hasard quelque poisson qui ait pris cet hameçon ? » Et tous les poissons répondirent : « Récemment, le pagre* s’est plaint d’avoir dans le gosier une arête qui l’empêchait de manger ; c’est sûrement lui qui l’a pris. » Sur ce, en examinant le gosier du pagre, l’hameçon y était. Aussitôt enlevé, il fut lavé et respectueusement présenté à l’auguste Feu-baissant, que le 1. Le texte ne dit pas <t un soupir », mais « 1 soupir ». Pourquoi ? Les commentateurs discutent.

2. Tal, genre de poissons de la même famille que les dorades. Le passage correspondant du Nihonnghi donnant au poisson de Celle légende le nom â’Aka-tné (la Femme rouge), on en peut conclure qu’il s’agissait du Pagrus cardinalis. Le pagre est, le poisson le plus l*ôchefchô des Japonais, comme en témoigne leur fameux proverbe : Kouçatté mo taï, « Même pourri, c’est du pagre, a , y

dieu Grand -Seigneur de l’Océan instruisit, disant : a Quand tu daigneras accorder cet hameçon à ton frère aîné, voici ce que tu dois dire : « Cet hameçon est un gros hameçon, un hameçon impationt, un pauvre hameçon, un hameçon stupide 1 » » Gela dit, donne*le en tenant ta main derrière ton dos*. Et cela fait, si ton frère aîné prépare des champs élevés, que ta personne auguste prépare des champs bas ; et si ton frère aîné prépare des champs bas, que ta personne auguste prépare des champs élevés

  • . Si tu fais ainsi, ton frère aîné sera sûrement ruiné

dans l’espace de trois ans, grâce à ma manière de gou*verner las eaux. Si ton frère aîné, irrité de ta façon d'e> gir, venait à t’attaquer, exhibe le Joyau qui fait monter les, eaux» pour le noyer ; et s’il exprime ses regrets, exhibe le Joyau qui fait refluer les eaux, pour le laisser vivre. C’est ainsi que tu dois le harasser. » Avec ces paroles, il lui donna le Joyau qui fait monter les eaux et le Joyau qui fait refluer les eaux, deux en tout 4 ; et aussitôt, convoquant tous les crocodiles s , il les interrogea, disant : « (Le prince) Haut-comme-le-soleil-du-ciel, auguste fils du (souverain) Haut-comme-le-soleil-des-cieux, est sur le point de se rendre au Pays supérieur. Qui veut, et en combien de jours, respectueusement l’accompagner, puis me rapporter de ses nouvelles ? » Ainsi chacun, suivant la longueur de son corps en brasses, parla, fixant les jours, l’un d’entre eux, un crocodile d’une brasse, dU 1. De même qu’un bon hameçon fait la fortune de son possesseur, un mauvais hameçon, sur lequel on a jeté un sort, doit Causer sa perte.

2. Voir p. 41, , n. i.

3. Deux manières de cultiver le riz : dans des champs élevés, où le sol est sec, et dans des champs bas, inondés d’eau, qui sont les ■rizières proprement dites.

4. Shiho-fnitsvu-tama et ihiho’hirou-tama. Ce sont des talismans qui gouvernent les marées. Dans une variante du Nihonnçhi, le dieu de l’Océan enseigne encore à Feu-baissant le moyen de faire souffler la tempête en sifflant sur le rivage, de l’apaiser ensuite en oessàat de siffler.

5. Le crocodile étant inconnu au Japon, nous devons avoir ici un souvenir légendaire des îles du Sud d’où vint l’une des tribus conquérantes. A Batavia, on croit que les femmes enfantent souvent un petit crocodile, ce qui rappelle d’étrange manière l’histoire d’accouchement par laquelle s’achèvent les aventures de Feu-b*is*aut (voir ci-dessous, p. 69).

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fiant : « Ton serviteur l’accompagnera et reviendra en un jour. » Alors, il dit au crocodile d’une brasse : « S’il en est ainsi, accompagne -le respectueusement ; et en traversant le milieu de la mer, ne l’alarme pas. » Aussitôt, il l’installa sur la tête du crocodile, et lé vit partir. Donc, en un jour, selon sa promesse, (le crocodile) l’accompagna respectueusement. Et quand le crocodile était sur le point de revenir 1 , (l’auguste Feu-baissant) détacha le petit sabre à cordon dont il était augustement ceint, et, le plaçant sur le cou du crocodile, il le renvoya. C’est pourquoi le crocodile d’une brasse s’appelle maintenant le dieu Possesseur d’une lame. XLI. — • SOUMISSION DE l’àUGUSTE PEU-BRILLANT Là-dessus, il donna l’hameçon, exactement selon les paroles du dieu des mers. Et dès lors, (le frère aine) devint de plus en plus pauvre, et, avec de nouvelles intentions sauvages, il vint l’attaquer. Mais quand il fut sur le point de l’attaquer, (l’auguste Feu-baissant) exhiba le Joyau qui fait monter les eaux, pour le noyer ; et comme il exprimait ses regrets, il exhiba le Joyau qui fait refluer les eaux, pour le sauver. Quand il eut été ainsi harassé, il courba la tête, disant : « Désormais, ton serviteur sera pour ton auguste personne une garde de jour et de nuit, et il te servira respectueusement. » C’est pourquoi, jusqu’au jour présent, ses diverses attitudes pendant qu’il se noyait sont constamment représentées

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XLII. — LA MAISON D’ACCOUCHEMENT EN PLU MB 8 DE CORMORAN 8

La Princesse aux riches joyaux, se trouvant enceinte, pense que « l’auguste enfant d’un dieu Céleste ne doit pas naître dans 1. Allusion à une pantomime que les descendants légendaires de Feu-brillant, c’est-à-dire les Hay a-bit o, « Hommes-faucons » qui étaient à la fois gardes impériaux et bouffons de la cour, exécutaient encore au vm* siècle. Le Nihonnehi nous montre le raine u se barbouillant de terre rouge (comp. la lie des fêtes dionysiaques), puis exécutant une danse où il exprime par des gestes appropriés les diverses phases de sa noyade.

2. Voir ci-dessus, p. 41, n, 5

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la Plaine des mers ». Elle monte an Pays supérieur et,. sur la rive, • à la limite des vagues », érige une hutte d’accouchement couverte en plumes de cormoran. Mais, avant que ce • chaume » fût « joint », elle met au monde un enfant qui, en raison de ces circonstances, portera le nom d’ « auguste Prince haut comme le soleil do ciel, limite des vagues, brave, chaume de cormorans incomplètement réuni »*. — Au moment de sa délivrance, elle avait prié le divin Prince de ne point la regarder ; mais, cédant à la curiosité, il l’aperçoit sous sa forme native, qui était celle d’un énorme crocodile ; et tandis qu’il s’enfuit, terrifié, elle, couverte de honte, abandonne son enfant, puis, « fermant la limite de la mer 3 », disparaît pour jamais sous les profondeurs. Cependant, du sein de l’Océan, elle lui envoie encore une poésie de regrets, à laquelle il répond par ce chant suprême :

« De tonte ma vie

Je n’oublierai la jeune épouse

Que j’avais prise pour dormir

Sur l’île où se posent les canards sauvages, Les oiseaux de la pleine mer ! »

On nous dit enfin que Feu-baissant vécut 580 ans dans le palais de Takatchiho, et qu’il fut enseveli près de cette montagne fameuse.

XL1II. — LES AUGU8TS8 ENFANT 8 DE L* AUGUSTE CHAUME»DE-CORMORAN8-INCOMPLÉTBBfENT-BEUlfI Le fils de Feu-baissant et de la Princesse marine a été élevé par une sœur de cette dernière, Tama-yori-bimé, « la Bonne-Princesse- Joyau ». Il épouse cette tante maternelle, dont il a quatre enfants. Le dernier n’est autre que Kamou-Yamato-Iharé-biko-no-mikoto, « l’auguste Prince d’Iharé du divin Yamato 3 », c’est-à-dire l’illustre personnage qui sera connu plus tard sous le nom posthume 4 de Jimmou, « Divine 1 . Ama-tsou-hi-daka-hiko-naghiça-také-ou-gaya-fouki-ahézou-nomikoto. — Je donne, par exception, ce nom de 25 syllabes, parce qu’il sera un bon exemple de la manière dont furent baptisés les personnages de la mythologie japonaise.

2. La version du Nihonnghi nous laisse voir plus clairement le sens de ce mythe, qui tend à expliquer « pourquoi H n’y a nul pas* sage entre la terre et la mer ».

3. lharé est le nom d’un village de cette province, 4. Voir p. 274, n. 5. ,

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Vaillance », et qui, ayant inauguré la dynastie de « l’âge humain » sera considéré comme le 133« prédécesseur de l’empereur actuel.

LIVRE II

Jimmou et son frère aîné (les deux autres fils de Feu-baissant étant morts) quittent le palais de Takatchiho pour se diriger vers Test, où ils veulent établir le siège du gouvernement. Maie» en chemin, le frère aîné est tué par un cher local, et Jimmon reste seul pour continuer le voyage. Le conquérant, aidé par un sabre divin, guidé par un corbeau géant que lui ont envoyé les dieux célestes 1 , rencontre d’abord des dieux à queue bienveillants, puis deux adversaires, les frères Oukashi, bientôt victimes d’un piège qu’eux-mêmes avaient préparé pour lui, puis encore quatre-vingts indigènes à queue, qu’il fait massacrer dans leur caverne ; enfin» après avoir tué le.meurtrier de son frère et d’autres ennemis, « ayant ainsi soumis et pacifié les divinités sauvages », il fonde à Kashihabara (la Plaine des chênes), dans le Yamato, la première capitale de l’empire’. On nous raconte ensuite son mariage avec la princesse I-souké-yori, sa mort à 137 ans, et les troubles qui suivirent.

Les huit règnes suivants, qui représentent cinq cents ans de la chronologie officielle, ne sont relatés que par de sèches énumérations : généalogies des souverains, indication du nom de leur capitale, de l’âge qu’ils atteignirent, du lieu où ils furent ensevelis. Viennent ensuite deux empereurs plus intéressants ; Soujinn, qui aurait vécu au premier siècle avant notre ère, et dont le règne est marqué, entre autres choses, par une épidémie qu’envoie le « Grand dieu de Miwa », une des âmes de l’ancien Maître du Grand Pays ; puis, Souïninn, qui échappe à une conspiration dramatique, apaise encore les 1. Dans nombre de mythologies, les conquérants et les colonisateurs sont eonduits par un animal quelconque, souvent par un oiseau : grues de Mégaros, colombe des Chalkidiens, pivert des Picentins, cor* beau de Pattes,

2. Le Japon devait avoir, en effet, une soixantaine de capitales successives. Dans les temps primitifs, en vertu de l’idée que tout contact avec la mort entraine une souillure, la famille d’un défunt abandonnait sa maison pour bâtir ailleurs une demeure nouvelle ; par suite, l’héritier d’un souverain mort se faisait construire un nouveau palais, autour duquel venaient se grouper ses fidèles. C’est seulement quand l’adoption du système bureaucratique chinois eut rendu ces déplacements trop difficiles que la résidence impériale devint stable, à Nara d’abord, pendant presque tout le vtu» siècle, puis, après un bref intervalle, à Kyoto jusqu’en 1868 et à Tokyo jusqu’à l’heure présente.

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mânes da chef d’Izoumo pour obtenir que jon fila muet retrouve la parole 1 , fait importer l’oranger du « Pays éternel », et institue une corporation de potiers qui remplaceront par des statuettes d’argile les victimes humaines qu’on enterrait vivantes au tombeau des grands*. Nous arrivons enfin, avec l’empereur Kéikô, à une légende fameuse : celle de Yamato* daké.

Ce héros, « le Brave du Japon », illustre par ses exploits le règne obscur de son père. Il commence d’ailleurs par assassin ner son frère aîné, qui avait manqué de respect au souverain ; puis, sur l’ordre de ce dernier, qu’inquiètent ses dispositions féroces, il va combattre tout d’abord les Koumaço rebelles de l’Ouest.

En arrivant à la maison des (deux) brigands Koumaço, l’auguste Wo-ouçou (un des premiers noms du prince) vit que, près de cette maison, il y avait une triple ceinture de guerriers qui s’étaient fait une caverne pour l’habiter. Et, tout en discutant avec bruit une fête pour l’auguste caverne, ils préparaient leur nourriture (ils allaient « pendre la crémaillère »). Donc, il se promena aux alentours, attendant le jour des réjouissances. Et quand vint le jour des réjouissances, ayant rabattu à la manière des jeunes filles son auguste chevelure nouée en haut (coiffure des garçons), puis ayant mis les augustes vêtements de sa tante (Yamato-himé, la grande-prêtresse d’Icé),41 avait tout à fait l’aspect d’une jeune fille. Mêlé aux concubines, il entra dans la caverne. Alors les deux brigands Koumaço, frère aine et frère cadet, charmés à la vue de cette vierge, la placèrent entre eux et manifestèrent leur joie de façon exubérante. Mais quand (la fête fut) à son plus haut point, tirant le sabre (qu’il avait caché) dans son sein, et saisissant le frère aîné par le collet de son vêtement, il lui enfonça l’arme dans la poitrine ; sur quoi, alarmé à cette vue, le frère cadet s’enfuit au dehors,’ Mais, le poursuivant et l’atteignant aux derniers degrés 1. Ce prince est le héros d’une légende qui constitue une des versions japonaises du mythe de Psyché.

2. Le Kojiki ne fait que mentionner l’établissement de cette corporation héréditaire ; mais le Nihonnghi nous raconte en détail la réforme, qu’il attribue à l’an 3 de notre ère. Comp., à Rome, l’abolition des sacrifices humains, pareillement remplacés far des offrandes de poupées.

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de la caverne, et le saisissant par la peau do dos, il lui enfonça son sabre au bas des reins. Alors le brigand Koumaço parla, disant : « Ne remue pas le sabre : ton serviteur a quelque chose à dire. » 11 lui laissa donc un moment de répit, en le maintenant abattu à terre. Et (le brigand) demanda : a Qui est ta personne auguste ?» 11 répondit : « Je suis l’auguste enfant d’Oh-tarashi-hikooshiro-waké (« le Seigneur gouvernant, prince parfait et grand », nom primitif de l’empereur Kéikô), le Céleste souverain qui, résidant au palais de Hishiro à Makimoukou, gouverne le Grand Pays des Huit-îles ; et mon nom est : « le roi Yamato-wo-gouna (« le Jeune homme du Yamato », autre nom du prince). Apprenant que vous deux, misérables bandits Koumaço, vous étiez insoumis et irrespectueux, c’est lui (le souverain) qui m’a envoyé avec le commandement de vous saisir et de vous mettre à mort. » Alors le brigand Koumaço dit : « Gela doit être vrai. Personne dans l’Ouest n’était brave et fort comme nous deux. Mais dans le Pays du Grand Yamato, il y a un homme plus brave que nous deux. C’est pourquoi je yeux t’offrir un auguste nom. Dorénavant, il est juste que tu Sois loué comme l’auguste prince Yamato-daké. » A peine avait-il terminé que (l’auguste prince) le fendit comme un melon mûr, et l’acheva. Et désormais, il fut toujours loué sous l’auguste nom d’auguste Yamato-daké 1 . Après avoir vaincu encore an «brigand d’Izoumo », il rentre à la capitale. Mais bien vite, son père l’envoie batailler dans l’Est. IL repart donc ; et pour le protéger contre les dangers qui l’attendent, sa tante la grande-prètresse lui donne le Sabre dompteur des herbes, avec un « auguste sac ». Lorsqu’il atteignit le pays de Sagamou, le chef du pays mentit, disant : « Au milieu de cette lande, il y a une grande lagune ; et le dieu qui habite au milieu de la lagune est un dieu tout à fait violent. » Donc, pour voir ce dieu, il entra dans la lande. Alors le chef du pays mit le feu à la lande. Aussi, comprenant qu’il avait été trompé, il ouvrit la bouche du sac que sa tante, l’auguste Prin- 1. Gomp. Zeus s’introduisant, déguisé, dans la demeurt de Lvcaon, puis le tuant, arec ses fils, au milieu du festio. , y SItCLÉ Dt NAAA 73 cesse du Yamato, lui avait confié, et il rit qu'au dedans il y avait un briquet. Sur quoi, il faucha d'abord les herbes avec l'auguste Sabre, puis il prit le briquet et en fit jaillir du feu, et, allumant un feu contraire, il brûla (les herbes) et repoussa (l'incendie) ; et, revenant sur ses pas, il tua et anéantit tous les chefs de ce pays; et aus- sitôt il leur mit le feu et les brûla. Cette légende, si souvent représentée par les artistes japo- nais, est suivie d'un autre récit non moins célèbre : Lorsque, pénétrant plus loin, il passa la mer de Hashiri- misou (l'Eau courante), le dieu de ce passage souleva les vagues, secouant le vaisseau de telle manière qu'il ne pouvait pas avancer. Alors son impératrice, qui s'appe- lait l'auguste princesse Oto-tatchibana (m. à m. Cadette- orange), lui dit : « Ta concubine 1 entrera dans la mer à la place de l'auguste prince. L'auguste prince doit ache- ver la mission pour laquelle il a été envoyé, et revenir faire son rapport. » Lorsqu'elle fut sur le point d'entrer dans la mer, elle répandit huit épaisseurs de tapis de laiches, huit épaisseurs de tapis de peaux et huit épais- seurs de tapis de soie au sommet des vagues, et elle s'assit au-dessus. Sur quoi, les vagues furieuses tombè- rent soudain, et l'auguste vaisseau put avancer. Alors l'impératrice chanta, disant : « Ah! toi de qui je m'in- quiétais, quand tu étais au milieu des flammes du feu brûlant sur la petite lande de Sagamou, d'où l'on voit la véritable cime 1 ! » Sept jours après, l'auguste peigne de l'impératrice fut rejeté à la plage; et ce peigne, aussi- tôt recueilli, fut placé dans un auguste tombeau que l'on contruisit à cet effet*. 1. Terme d'humilité : le texte vient de nous dire qu'elle était son « impératrice », c'est-à-dire son épouse principale. Yamato-daké lui- môme, en raison de sa çloire légendaire, est traité comme un empe- reur, et notre texte emploie sans cesse à son égard les noms ouvertes honorifiques qui, d'ordinaire, sont réservés aux souverains. S. Sans doute le mont Fouji. 3. Le peigne, qui touche de si près à la personne, est considéré comme imprégné en quelque manière de son esprit. D'où l'interven- tion constante de cet objet dans la magie primitive et, ici, sa substi- tution au corps disparu* , y Google 74 ANTHOLOGIE DE LÀ LITTERATURE JAPONAISE L'héroïque dévouement de son épouse va arracher au prince » veuf une exclamation qui retentira dans toute la poésie japonaise, où le nom d'Azouma désigne encore lé Japon oriental j Lorsque, ayant pénétré plus loin et subjugué 1 tous les sauvages Émishi 1 , et pacifié également tous les dieux sauvages des montagnes et des cours d'eau, il remontait (yera-La capitale), ep atteignant la base du défilé d'AsbJ- gara 1 , comme il. mangeait ses augustes provisions, le dieu du défilé, métamorphosé en un daim blanc, vint et' se tint debout. Et aussitôt, comme il attendait et le frap- pait avec un brin d'ail sauvage 1 , (le daim) fut blessé à l'oeil et frappé à mort. Alors, montant au sommet du dé- filé, il soupira par trois fois, et il parla, disant : « Azouma ha yal (Obi ma femme!) » C'est pourquoi ce pays est appelé du nom d' Azouma. Cependant Yamato-daké épouse bientôt une autre princesse, chez laquelle il laisse le Sabre sacré; puis il va attaquer, sans armes, le dieu du mont Ibouki*, « un sanglier grand comme un taureau »; mais ce dieu l'égaré dans la montagne et fait tomber sur lui une lourde plaie glacée, qui paralyse ses mom«  bres et qui va causer sa mort. En effet, après une longue mar- che douloureuse, entrecoupée de chants ou il célèbre le Yamato, ou il envie les jeunes gens qui, là-bas, dansent couronnés de feuilles de chêne, où. il salue les nuages qui lui arrivent dn pays natal et regrette le Sabre divin qui eût pu sauver sa vie, il finit par expirer sur le chemin du retour, sans avoir revu la capitale. Ses épouses et ses enfants viennent chercher son corps; mais il se transforme en un grand pluvier 5 blanc, qui prend son essor vers la mer. Tous les proches, « sanglotant des 9 hauts «, suivent l'oiseau jusqu'à un endroit où il s'arrête 1. Les ancêtres des Aïnous, aujourd'hui parqués dans l'île d'Ézo, mais mai autrefois occupaient une grande partie de l'empire. t. Qui conduit au mont Fouji. 3. L'ail, au violent parfum, est une herbe magique contre les mau- vais esprits. Le Nihonnghi nous dit que les voyageurs qui passaient ce défilé avaient soin de mâcher de l'ail et d'en frotter nommes, bétail et chevaux, à titre de préservatif contre l'haleine du dieu de la montagne. 4. Cette montagne fameuse s'est écroulée en grande partie, lors du tremblement de terre du 14 août 1909. 5. Tehidori, nom collectif des pluviers et d'autres petits échat* tiers. , y Google SIECLE DE NAftA 75 «t où ils lui érigent on tombeau. « Et cependant, dé là, l'oiseau s'élança encore au ciel, et s'envola au loin *. » A l'empereur Kéikô succèdent l'empereur Séimou, dont le règne est ride, puis l'empereur Tchouaï, qui n'est fameux que par sa mort. C'est dans Kyoushou, siège d'une nouvelle capi- tale, que se passe cette scène, d'une grandeur antique, par où s'ouvre l'histoire de l'impératrice Jinngô et de son expédition en Corée : En ce temps-là, l'impératrice, l'auguste princesse Okinaga-tarashi (ancien nom de Jinngô), était divinement possédée*. Et tandis que, dans son palais de Kashiki en Tsoukoushi,le Céleste souverain, sur le point de frapper le pays des Koumaçp, jouait de son auguste harpe, le premier ministre, le noble Takéoutchi', se tenant dans la Cour pure, demandait les ordres divins. Alors l'impé- ratrice, divinement possédée, lui donna cette instruction et ce conseil : « Il y a une terre du côté de l'Ouest, et, dans cette terre, abondance de trésors divers, étincelants aux yeux, à commencer par l'or et l'argent. Je veux te conférer maintenant cette terre. » Le Céleste souverain répondit, disant : « Si l'on monte sur les hauts lieux et qu'on regarde vers l'Ouest, on n'aperçoit aucune contrée : il n'y a que la vaste mer » ; et ajoutant : « Ce sont des divinités menteuses, » il repoussa son auguste harpe, n'en joua plus, et s'assit en silence. Alors les divinités furent irritées, et dirent : « Quant à cet empire, ce n'est pas une terre que tu doives gouverner. Ya sur la Route unique! » Sur quoi le premier ministre, le noble Také- 1. Ce n'est pas seulement l'âme du héros, mais son corps même qui disparait. D'après la version du Nihonnghi, l'empereur lait ense- velir son fils dans un de ces tombeaux de rochers, surmontés d'un vaste turaulus, où l'on enterrait les grands; mais Yamato-daké, pre- nant la forme d'un oiseau blanc, s'enrôle vers le Yamato. « En con- séquence, les ministres ouvrirent le cercueil ; et en regardant à l'in- térieur, il n'y avait que des vêtements vides, et plus de corps. » Ces résurrections semblaient d'ailleurs naturelles. Un autre passage du Nihonnghi relate l'histoire d'un prince du iv* siècle qui, appelé à trois reprises par son frire aîné, revint à la vie le troisième jour après sa mort. 2. Pour les phénomènes de possession dans le shinntoïsmo, voir Percival Lowell, Occult Japan, Boston, 1895. 3. Le Matbusalem japonais. 11 aurait servi cinq empereurs et vécu à pou près trois siècles. , y Google

76 ANTHOLOGIE DE LA LITTERATURE JAPONAISE

outchi, dit : « mon Céleste souverain, (je suis rempli de) crainte ! Continue à jouer de ta grande harpe auguste. » Alors, lentement, il tira à lui son auguste harpe, et en joua d’une manière languissante. Mais presque aussitôt, le son de l’auguste harpe devint si faible qu’on ne pouvait plus l’entendre. Ils allumèrent une lumière et regardèrent : il était mort.

L’impératrice et le vieux conseiller, pleins d’horreur, recherchent tous les crimes rituels qui ont pu souiller le pays et procèdent à une purification générale l ; puis, nouvelle consultation des divinités qui ont foudroyé le souverain, et qui sont, outre la déesse du Soleil, trois des dieux qui naquirent lors du bain d’izanaghi. Ces quatre divinités, après avoir révélé que l’impératrice est enceinte d’un fils, indiquent les pratiques religieuses qui permettront de traverser la mer. La flotte impériale vogue vers Shiraghi, un des royaumes coréens, qui est subjugué comme par miracle (en Tan 200 de notre ère» d’après la chronologie officielle). Au retour, la conquérante met au monde le fils promis par les dieux ; et peu après, nous la voyons se délasser de ses fatigues en pochant à la ligne dans une rivière de Kyoushou. Mais bientôt, elle repart en guerre, cette fois contre les chefs du Yamato*, qui sera désormais le siège permanent de l’empire 8 . Ses nouvelles victoires sont suivies de joyeuses chansons à boire en l’honneur du prince héritier, qui, lorsqu’elle meurt elle-même, à l’âge de cent ans, devient l’empereur Ohjinn.

Le régne de ce dernier est marqué surtout par l’importation de livres chinois et de divers arts utiles. Le merveilleux, d’ailleurs, n’en subsiste pas moins ; et c’est ainsi que le second livre se termine par une curieuse histoire d’envoûtement, où l’on voit notamment le costume, l’arc et les flèches d’un jeune dieu se changer en glycines fleuries. 1. Les crimes qu’énumère ici le Kojiki sont ceux que nous avons déjà rencontrés dans le Rituel de la Grande Purification (ci-dessus, p. 28) et dans le Kojiki lui-même (p. 45). 2. Au cours de cette campagne, elle emploie un stratagème qui rappelle à la fois le cheval de Troie et le cercueil d’Hastings : des flancs d’un « vaisseau de deuil » qui était censé porter le cadavre de son fils, elle fait surgir soudain toute une armée. 3. Et par suite le point central où les trois cycles légendaires d’fsoumo, de Tsoukoushi et du Yamato lui-même viendront se fondre et s’unifier en une seule épopée mythique, destinée à glorifier le souverain et les grandes familles qui l’entouraient. , y

•IÈCLB DE KaJU 77

LIVRE III

Avee le règne de Ninntokoo, qui, d’après la tradition, remplirait presque en entier le Vf siècle de notre ère, l’élément légendaire n’a pas encore dispara. Cependant, à certains détails, on reconnaît déjà les progrès d’une civilisation plus raffinée. Témoin ce récit fameux :

Le Céleste souverain, étant monté sur une hante mon* tagne, et contemplant le pays d’alentour, parla, disant : « De tout le pays, aucune fumée ne s’élève : tout le pays est frappé de pauvreté. Donc, je supprime tous les impôts (et corvées) du peuple pour trois ans. » En conséquence, le grand palais se dégrada, et la pluie y entrait de tontes parts ; mais aucune réparation n’était faite. On recueillait dans des baquets la pluie qui filtrait à l’intérieur, et on se retirait aux endroits où il n’y avait point de fissures. Bt plus tard, quand il abaissa ses regards sur le pays, la fumée était partout abondante. Alors, voyant le peuple riche, il rétablit les corvées et les impôts. C’est pourquoi les paysans prospéraient, et ne souffraient pas des corvées. Et pour louer ce règne auguste, on l’appela le règne du Sage Empereur 1 . 1. Cette histoire, qui rappelle, en mieux, notre Henri IV et sa poule au pot, est racontée par le Nihonnghi en belles phrases chinoises, plus recherchées, mais qui n’en répondent pas moins aux sentiments exprimés dans le simple récit du Kojiki. Après la remise totale des impôts, le palais est en ruine, et la clarté des étoiles perce à travers les trous du toit. Mais le souverain se réjouit ; et quand enfin il voit s’élever la fumée du riz qu’on prépare dans les chaumières, il s’écrie : « Nous sommes prospères, maintenant 1 » L’impératrice semble étonnée : ■ Qu’entendez-vous par prospérité 7 » « L’empereur répondit : « Manifestement, c’est quand la fumée rem- • plit la terre, et que le peuple monte librement & la richesse. » L’impératrice continua : « L’enceinte du palais s’écroule, et nous n’a-vous aucun moyen de la réparer ; les bâtiments sont dans un tel • état que nos couvre-pieds mômes sont exposés. Est-ce là ce qu’on « peut appeler prospérité ? » L’empereur dit : « Lorsque le Ciel établit « un prince, c’est pour le bien de son peuple. Le prince doit donc « faire du peuple la base de tout. La pauvreté du peuple n’est autre « que ma pauvreté ; la prospérité du peuple est ma prospérité. Que le « peuple soit prospère et le prince pauvre, c’est une chose qui n’existe « pas. » (Nihonnghi, XI, 10, qui place le fait en L’an 319 de notre ère.) Ces sentiments généreux se retrouvent d’ailleurs chez plus d’un 78 ANTHOLOGIE DS LA LITTERATURE JAPONAISE L’empereur Rit chou, qui lui saccade, inaugure le ▼• siècle ; il ouvre la série des empereurs historiques, qui, tout à coup, régnent moins longtemps et meurent à un âge plus raisonnable. Ce changement soudain coïncide avec le fait, signalé par lé Nihonnghi, que, sous Ritchou justement, « de* rapporteurs furent nommés dans les provinces pour noter les paroles et les événements » ; sans nul doute, ces archivistes naïfs recueillirent souvent des fables ; mais leur existence même, jointe à celle des historiographes de la cour, nous permet d’attribuer à la suite du récit une certaine exactitude générale. Les règnes d’Innghyô, d’Annkô» de Yduryakou, de Séinei sont d’ailleurs pleins de détails aussi vraisemblables que précieux sur les mœurs du y siècle. Par malheur, pour les onze empereurs suivants, le Kojiki revient à son système de sèches généalogies, et il s’achève brusquem .t à la mort de l’impératrice Souïko, en 628. C’est donc au Nihonnghi qu’on doit recourir pour étudier, soit la grande révolution que produisit l’introduction» du bouddhisme au milieu du vi« siècle, soit la période comprise entre l’an 628 et l’an 701, où cette chronique s’arrête à son tout .

C. LES FOUDOKI

^•■jEKîèîi^î-BSfiSîlfiliS D ?- du . caractère d’un pays-» , sont des «Topographies » des diverses provinces. L’impératrice Ghemmyô, qui avait déjà ordonné la compilation du Kojiki, souverain japonais : par exemple, au vn« siècle, chez l’empereur Tenntchi, dont une poésie célèbre a perpétué jusqu’à nous la réputation d’humanité. Tenntchi se place en imagination dans une de ces huttes grossières que les paysans se construisent pour le temps de la moisson, mais qui, ensuite, ne peuvent les protéger contre les pluies et les brouillards de l’automne ; il exprime alors sa sympathie par ces vers, où l’idée de « rosée » laisse assex deviner qu’il a pleuré sur son peuple :

A censé de la minceur [du chaume]

De la hutte, de la hutte temporaire

Des rizières de l’automne,

Mes manches

Deviennent humides de rosée !

(Poésie du Gocennahou, VI, Automne, 2, rendue fameuse par sa re» production comme n° 1 du Hyakouninn-iaahou : v. p. 111 et p. 138.) , y

SIECLE OE WAJL4 79

prescrivit dès l’an 713, on an après l’apparition de ce grand ouvrage, la rédaction de ces rapports locaux. Ils devaient exposer, pour chaque province et pour ses districts, la nature du sol, les produits minéraux, végétaux et animaux, l’origine des noms géographiques, les vieilles traditions do pays. La plupart des provinces répondirent à cet appel durant la pré* mière moitié do vni* siècle ; mais les rédacteurs, qui en général nous sont restés inconnus, étaient de vagues lettrés, aussi dénués de goût que de sens critique ; si bien qu’ils ne livrèrent que de sèches descriptions, où des détails sans intérêt» comme la mesure minutieuse des distances, sont toujours accompagnés d’étymologies absurdes et trop peu souvent relevés par quelque renseignement sérieux ou par quelque page littéraire.

IZOUMO FOUDOKI

VIzûumo Foudoki, t Topographie d’Izoumo » achevée dès l’an 733, est le seul de ces vieux recueils qui nous soit parvenu complet ; les autres ne nous sont connus que par des fragments insérés dans divers ouvrages. Il serait inutile de s’attarder longtemps à un écrit d’un caractère si local. Voici cependant une légende assez curieuse, soit quant au fond, parce qu’elle va nous montrer, en action, cette naïve conception de la fabrication du pays que l’histoire du divin chef d’Izoumo nous avait déjà fait connaître 1 , soit quant à la forme, parce que l’ambition littéraire du rédacteur s’y révèle par une série d’ornements verbaux que nous retrouverons dans la poésie 3 . KOUNI-BIKI (LB TIRAGE DU PAT*)*

En ce qui touche le sol, voici pourquoi on appelle (cette partie de terre) O-ou :

L’auguste Ya-tsouka-mizou-omi-tsounou déclara : «Le pays d’Izoumo, oùhuitnuages s’élèvent 4 , est vraiment un jeune pays, d’étoffe étroite*. Le pays originaire est encore petit» Donc, je vais y coudre une nouvelle partie U Koiiki, XXIII, XXVII, XXVIII, ci-dessus, p. 56-58. 4. Voir p. 83.

3. C’est-à-dire : du district d’O-ou, dans la province d’Iioumo» 4. Mot-oreiller d’Izoumo. Voir en effet p. UO, n. 2. 9. Ëpithôte appliquée à l’adjectif « jeune », et qui veut eiptjmer une idée He gentillesse.

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80 ANTHOLOGIE DR LA LITTERATURE JAPONAIS ! de terre.» Il dit ; et, comme il regardait vers le cap de Shiraghi, (blanc comme une) couverture d’étoffe de mûrier 1 , cherchant s’il n’y aurait pas de ce côté un superflu de pays, il se dit : « Il y a un superflu de pays » ; et enlevant, avec une bêche, comme l’espace entre les seins d’une jeune fille* ; et séparant avec des coups, comme on frappe les ouïes d’un grand poisson’ ; et divisant en coupant, han ! hampe de souçouki 4 ; et attachant une grosse corde trois fois tressée, il tira en balançant, comme par des tsouzoura noircies par la gelée 5 , et ainsi doucement, comme un bateau de rivière*, en disant : « Viens, Pays ! Viens, Pays ! » Le pays ainsi cousu se trouve entre l’extrême fin de Kozou et le promontoire de Kizouki, huit fois construit 7 . Le poteau arrangé de cette manière* est 1. « Couverture (de lit) de mûrier », c’est-à-dire faite arec les fibres de l’écorce intérieure du mûrier à papier, est le mot-oreiller de l’adjectif thira « blanc ». Or, shira est dans Shiraghi (nom japonisé d’un royaume coréen, t. p. 76). On attribue donc le mot-oreiller au cap de Shiraghi, bien que ce promontoire ne soit pas plus blanc qu’un autre. C’est comme si nous disions, à propos de tel cap méditerranéen : « Le cap Blanc-linge. »

2. Encore un pur jeu de mots. Souki veut dire « bêche » et « intervalle ». D’où le texte : mounarsoukUtoroa, « enlever ; béche-inter val le ; seins ».

3. Ici, l’épithète a un sens ; car, pour tuer un cran H poisson, on le frappe aux ouïes. — Corn p., dans la mythologie néo-zélandais^, les frères du héros solaire Maoui, tailladant arec leurs coutcauz un gros poisson qui sera une île du pays, pour y établir les monts et les ▼allées.

4. Le souçouki (Miscanthus sinensis) est une graminée dont les fleurs en panache peuvent être comparées à un drapeau. D’où le mot-oreiller hatasouçouki (souçouki-rirapeau), qui s’applique à toutes sortes de choses « florissantes », mais aussi a des mots dont quelque élément éveille par hasard la même idée. Ici, le verbe hofouritoakou, « diviser en coupant », commence par ho, qui, comme substantif, vent dire « épi », et par suite amène l’image de la lijre fleurie. J’ai essayé de rendre à peu près ce jeu de mots, qui d’ailleurs est purement phonétique.

5. La Uouxoura du japonais archaïque, appelée ensuite kouzoukasoura, est la puéraire de Thunberg, qui « noircit », c’est-à-dire mûrit, au moment des premières gelées, et dont les vrilles, a la fois eouples et résistantes, peuvent être prises alors comme symbole de l’effort indiqué ici.

6. Autre métaphore significative. Nous la retrouverons plus d’une fois.

7. Epithète de Kizouki (ou Kitsouki), parce que tsoukou a le sens de construire. C’est un des verbes employés dans le Kojiki pour désigner la « fabrication » du pays. (Ci-dessus, p. 38, 39, etc.) 8. Sans doute un poteau pour amarrer les barques. , y

8IBCLB DE HARA. 81

la montagne Sahimé, sur la frontière entra le pays d’fhami et le pays d’Izoumo. De plus, la corde avec laquelle il tira est le long rivage de Sono 4 . Lorsqu’il regarda vers le pays de Saki, aux portes du Nord*, s’il n’y aurait pas de ce côté un superflu de pays, il se dit : « Il y a un superflu de pays. » [Comme ci-dessus, jusqu’à : « Viens, Pays. »] Le pays ainsi tiré et cousu est le pays de Sada, qui s’étend de l’extrême fin de Takou jusqu’ici. Lorsqu’il regarda vers le pays de Soonami, aux portes du Nord, s’il n’y aurait pas de ce côté un superflu de pays, il se dit : « Il y a un superflu de pays. » [Encore la même phrase, se terminant par : « Viens, Pays. »] Le pays ainsi tiré et cousu est le pays de Kourami, qui s’étend de l’extrême fin de Tagouhi jusqu’ici. Lorsqu’il regarda vers le cap Tsoutsou, de Koshi, s’il n’y aurait pas de ce côté un superflu de pays, il se dit * « Il y a un superflu de pays. » [Toujours la môme phrase.] Le pays ainsi tiré et cousu est le cap Miho. La corde avec laquelle il tira est l’île Yomi*. Le poteau arrangé de cette manière est le mont Oho-kami’, dans Hahaki. « Maintenant, c’est fini de tirer le pays, » dit-il. Et comme, dans le bois d’O-ou, il posait en le fichant son auguste bâton, il s’écria : « O-wé 8 ! » D’où le nom d’O-ou*. (Izoumo Foudoki, éd. Ohhira, p. 4-6.)

1. Il serait sans intérêt d’expliquer tous les noms locaux de ce chapitre. Les uns se retrouvent, plus ou moins transformés ; d’autres sont inconnus.

S. C’est-à-dire : au nord.

3. Un des noms de lieux qui se rattachent à l’entrée des Enfers, située en Izoumo (voir ci-dessus, p. 39, n. 2, p. 41, n. 2, etp 42, n. i. 4. Aujourd’hui appelé Daïcenn ou Oh-yama. C’est le pic le plus élevé de cette région (près de 2.000 mètres), le mont sacré de la côte occidentale.

5. Exclamation pour dire l’allégement qu’on éprouve après un long travail, comme, chez nous, «Ouf ! »

S. Cette étymologie par à peu près est évidemment fantaisiste, comme toutes les autres explications du même genre dont fourmillent le Kojiki et les autres documents primitifs. On peut dire que, dans ces écrits, la géographie du pays est entièrement représenté» par une nomenclature l<*gen<laire. Le sens primordial des noms de lieux, oubli" ou jusré t- op simple, a été sans cesse remplacé par un sens nouveau, tiré des aven ures héroïques ; car môme dans les ras où la si niliealion originaire s mblo évidente a quiconque connaît un peu les choses du Japon, le raconteur préférait iuveuter une étymologie 6

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82 ANTHOLOGIE DE LA LITTERATURE JAPONAISE II. - LA POÉSIE

Dégagée des premiers essais qui ont marqué sa période archaïque, la poésie s’élève tout de suite au plus haut degré* de l’art. Cette poésie* japonaise diffère protdndémèiït dé là flétri. Pus de longs développements, épiques, dramatique» ou autres, thàiê de brèves effusions lyriques. Le poète japonais* épKMvè dhé impression : tout comme l’artiste dé éon pays, il la note bien vite en quelques touches vigoureuses ou délicates ; puis il S’arrête, n’éprouvant pas le besoin de mettre en vers ce qu’il ne penserait plus qu’en prose. Un poème didactique serait pour lui le comble de l’absurdité ; le seul genre qu’il conçoive, c’est l’expression rapide de quelque intimé émotion 1 , ûèe de Son cœur bu éveillée par lés enchantements de la nàttiré. (QEtèz les prosateurs, en présence d’un beau paysage du à l’apparition d’un sentiment passionné, l’auteur se hausse brusquement à la composition poétique, mais pour retomber à la prose dés que son enthousiasme s’abat. Le poète japonais n’écrit jamais sans savoir pourquoi ; il n’ignore pas quelles sont les limites normales de l’inspiration 1 : if s’y tient On s’explique ainsi la brièveté des poésies japonaises. Le type habituel est la « brève poésie » {mijika-outa ou tannka), qui consiste en cinq vers de 5, 7, 5, 7 et 7 syllabes, soit 31 Syllabes en tout. Les « longs poèmes » (naga-outa ou tchôka), pareillement écrits en vers il ternes de 5 et 7 syllabes, avec un verë additionnel dé 1 sjrllabës pour finir, né dépassent guère une ou deux pages. Pourtant, nous les voyons bientôt âbam donnés en faveur des « courtes poésies * ; en attendant qtic / plus tard, on aboutisse à de petites pièces composées de ïl syllabes en trois vers 1 . Mais, dans cette concision voulue de la tannka, que de jolies choses ! A défaut de la rime oii de la quantité, la langue nationale apporte à la versification Ses harmonies coutumières, d’autant plus pures qu’ici tout mot ëhinoib est exclu. Cette langue, le poète la manie avec amour, inultibizarre qui lui permit de rattacher constamment la topographie a la mythologie ou aux contes locaux. Dans cette philologie enfantine, tout comme dans la poésie, c’est au jeu de mots ingénieux que Uofc Vieux Japonais visent toujours.

1. Voir plus bas, p. 381.

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StlCLE DB NJLRi 83

pliant les jeux de mots ingénieux qui sont l’essence même de son art. Entre ces ornements verbaux, trois surtout doivent être mis en lumière : d’abord, le « mot-oreiller » (ntakoitrakotoba), sorte d’épithète homérique qui, à elle seule, peut remplir tout le premier vers et qui, dés le début, évoque le souvenir d’une lointaine impression, antique et consabrée 1 ; puis, 1’ « introduction » {j°)> procédé par lequel IbS trois vers qui constituent la première partie (kahtl no kon) d’uîié tàttnïa n’ont avec les deux derniers (Shinto no kou) d’autre ltah tJuMh calembour poétique, dé sorte que tout le commencement du morceau devient comme un mot-oreiller plus ample, une préface imagée, un prélude musical 3 ; et en dernier lieu, le « mot a deux fins » {kennyôghenn), mot ou fragment de mot employé dans deux sens, dont l’un se rapporte à ce qui le précède, l’autre à ce qui le suit, de telle manière que les conceptions poétiques s’accumulent et se déroul9tit atefc une intensité qu’ignore la phrase ordinaire*. Tout cela semble étrange. Mais ne nous hâtons pas de condamner cette rhétorique si particulière : au premier abord, un Japonais regarde toujours nos rimes comme un artifice plutôt bizarre ; un Français aussi a besoin d’une certaine éducation pour comprendre et goûter les jeux de mots orientaux. Une fois pénétré, l’art poétique japonais offre on véritable charme ; G’est l’union admirable de tout ce que peuvent donner l’élan lyrique et la science esthétique ; ce sont, pour ainsi dire, des impressions ciselées ; et en Somme, tout ee qu’on peut reprocher aux artisans de tant d’exquises merveilles, c’est un trop grand souci de cette perfection laborieuse qui finit par éteindre la vie môme de l’idée sous l’éclat extérieur de l’art.

1. Nombreux exemples dans lés poésies qui vont suivre (p. 87, ri. 4 ; p. 89, n. 1 ; p. 90, n. 5 ; p. 97, n. 1, 2, 8, 4, etc.), et même dans la prose (voir notamment l’extrait de YIzoumo Foudoki et la Préfate du Kakinnnhou). Ces épithètes avaient, à l’origine, un sens clair (beaucoup correspondent exactement à celles d’Homère) ; mais, dans bien des cas, ce sens ayant été oublié, elles ne furent plus qu’une sorte d’appui, sonore et mystérieux, sur lequel « reposait » le reste de la poésie ; et c’est ainsi qu’elles reçurent le nom de « mots-oretllerS ». 2. Exemples : p. 87, n. 2 ; p. 110, n. 1 et 2 ; p. 115, n. 3j p. 116, n. 3, etc.

8. Pour bien comprendre ce système, il faut se rappeler le genre de plaisanterie qui, chez nous, consiste à enchaîner une série de calembours : « Je te crois de bois de campêche à la ligne de fond de train des équipages de la reine, etc. » Supposez que cette phrase, absurde et vulgaire, ait au contraire un sens et qu’elle soit composée de jeux de mots délicats : vous avez le kennyôghenn. C’est ce que M. Chamberlain appelle, très justement, des mois « pivots ». Exemple typique : ci-dessous, p. 307, n. 2. Voir aussi p. 120, n. 3 ; p. 124, il. 1 ; p. 134, n. 1 ; p. 136, n. 2, ete.

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84 ANTHOLOGIE DE LA LITTERATURE JAPONAISE

Des pièces aussi courtes ne pouvant former, pour chaque poète, qu’un assez mince bagage, il était naturel qu’on unit en des recueils les œuvres de plusieurs auteurs. D’autre part, les Japonais considéraient volontiers la poésie comme le produit d’une époque, plutôt que comme celui d’un individu ; en quoi ils n’avaient pas tort, étant donné surtout le caractère d’impersonnalité qui distingue l’âme indigène l . Le gouvernement fit donc rassembler, à certaines époques, les meilleures œuvres de la période précédente, pour en former une anthologie, et ainsi parut pen à peu toute la série de recueils poétiques que la littérature japonaise nous a laissés.

LE MANYÔSHOU

La poésie du siècle de Nara est représentée par le Manyôthou, ou t Recueil d’une myriade de feuilles * ». Cette anthologie ne semble avoir été achevée qu’au début du ix« siècle ; mais les poèmes qu’elle renferme appartiennent sur* tout à la fin du vu* siècle et à la première moitié du vin*. Des 4,496 pièces dont se composent les 20 livres de la collection, 4,173 sont de t brèves poésies » ; 262, de « longs poèmes », d’antant plus précieux pour nous qu’ils deviendront plus rares dans la suite *. Tous ces vers japonais sont écrits en caractères 1. Ce caractère, commun à tout l’Extrême-Orient, a été finement étudié par M. Percival Lowell : The Soûl of the Far East, Boston, 1888.

2. Titre obscur. Ta ou yo veut dire « feuille » (de végétal} ou « âge ■ ; de sorte qu’on peut entendre à volonté : « Recueil de feuilles innombrables », comme celles d’un grand arbre par exemple, ou « Recueil de toutes les époques », de tous les règnes. Le caractère chinois signifie « feuille » , ce qui ne prouve pas grand’chose, étant donné que les scribes employaient souvent des signes quelconques pour rendre le son d’un mot parlé. Je crois cependant que l’interprétation la plus (urobable est bien « Recueil d’une myriade de feuilles », mais dans e sens très particulier de « feuilles de parole » (comp. la première phrase de la Préface du Kokinnshou, ci-dessous, p. 139, n. 3). 3. Je néglige un troisième type de poésies, secondaire : les tédâka, ou poésies à première partie répétée, qui se composent de six vers coupés en deux groupes égaux de 5, 7 et 7 syllabes, et qui, à l’origine, étaient improvisées par deux personnes différentes. Ce genre, représenté par 61 morceaui dans le Manyôshou, disparaît très vite : dans le Kokinnshou, on n’en compte plus que 4. , y

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chinois dont l’usage est tantôt idéographique, tantôt phonétique, souvent fantaisiste au plus haut point 1 ; mais des générations de commentateurs indigènes a ont travaillé à déchiffrer ces textes , et, derrière le voile étranger, on peut admirer aujourd’hui le plus riche tableau psychologique de l’ancienne civilisation nationale. En mâme temps, dans ce recueil d’une époque où la littérature n’avait pas encore tué la poésie, on goûte le charme d’un lyrisme aussi puissant que délicat, plein de vie, de fraîcheur, d’émotion spontanée. C’est dire qu’entre tontes les anthologies de l’empire, le Manyôshou tient le premier rang.

Dans la foule des poètes qui s’y pressent, il faut choisir. Mais parmi eux, les Japonais distinguent justement cinq noms illustres : les « cinq grands hommes du Manyô », Manyô nogotaïka. Ce sont d’abord Hitomaro (fin du vu* siècle *) et Akahito 1. Par exemple, pour rendre tout simplement les deux syllabes koukou, qu’on trouve dans divers mots japonais, le scribe emploie trois caractères chinois qui, réunis, signifient 81 : en effet, kou veut dire 9, kou -kou, 9 fois 9, et 9 fois 9 font 81. C’est comme si, en français, pour rendre les deux premières syllabes du mot « scissiparité », on écrivait les chiffres 3 et 6 ; en lisant « trente-six-parité », on n’aurait plus qu’a deviner que ce mot veut dire scissiparité, attendu que 6 fois 6 font 36.

î. Un des plus anciens, Minamoto no Shitagô, s’y acharna longtemps avec ses collègues de la « Chambre des Poiriers » (v. p. lit, n. 3). Un jour qu’aucun d’entre eux ne pouvait armer à découvrir le sens d’un groupe de deux caractères, Shitagô, de guerre lasse, partit en pèlerinage au temple d’ishiyama (p. 178), pour aller de* mander à la déesse fovannonn (p. 261) une inspiration suprême ; après sept jours et sept nuits de vaines prières, il revenait, desespéré, à la capitale, quand un mot entendu par fortune, près d’une auberge, fut pour lui un trait de lumière : ce qu’il avait si longtemps cherché à dégager du rébus chinois n’était qu’un des adverbes les plus communs de la langue. Le dernier de ces commentateurs enthousiastes fut Kamotcbi Maçazoumi (1791-1858), qui consacra sa vie entière à l’étude du Manyôshou. C’était un pur savant : on raconte qu’une fois, le chaume de son toit ayant été tout à coup défoncé par une averse, il se contenta de changer de place, sans interrompre son travail. Son Manyôshou Koghi, « Signification ancienne du Manyôshou », en 124 volumes, fut enfin édité par le gouvernement impérial en 1879. — F. V. Dickins a traduit en anglais, d’après ce grand commentaire, de nombreuses naga-outa du Manyôshou {Primitive and Medixval Japanese Texts, Oxford, 1906). 3. Kakinomoto no Hitomaro est un personnage aussi célèbre que S eu connu :pour lui trouver une biographie, il a fallu imaginer des igendes. Un guerrier, apercevant au pied d’un plaqueminier (Diostyros kaki) nn enfant d une beauté surhumaine, aurait reçu de lui i révélation que, « né sans père ni mère, il commandait à* la lune et aux vents, prenant son plaisir dans la poésie » ; et cet enfant céleste, adopte par lui, aurait reçu le nom de l’arbre sou* lequel il /

86 ANTHOLOGIE »E LA LITTE^TpRÊ JAPONAISE

(prem,ipre moitié 4a vin» 1 ) ; puis Qkoura, qui, comme las deux précédep^g, est surtqut fameux ppur ses « longs poèmes 2 » ; enfin f^bibitq, pl us habile aux « poésies prèves 3 », et Yakamotchi, qui, malgré son talent réel en ce dernier genre, doit plutôt l’hpnqeur de figurer dans ce groupe au rôle actif qu’il joua dansja cpmpilation même du recueil 4 .

avait été découvert. Il est plus vraisemblable que le nom mémo du poète (Kakinomoto, « sous le plaqueminier ») fut l’origine de ce récit. Tou$ ce que nous Barons, c’est que Hitomaro, dont la famille s’attribuait une ascendance impériale, occupa des emplois, d’ailleurs mal définis, sous l’impératrice Jitô (690-696) et sous l’empereur Mommou (607-707) ; qu’avec le prince Nihitabé, fils de l’empereur Temmou (673-686), il voyagea dans plusieurs provinces, composant des tannka sur tous les naysages qu’a lui était donné d’admirer ; et qu’il mourut enfin dans Iwami, son pays natal, bien qu’on prétende nous, montrer sa tombe dans un village du Yamato.

1. Yamabé no Akahito partage d’ordinaire avec Hifcomaro le beau titre de « Sage de la poésie » (outa no hyiri) que Tsourayouki donna tout d’abord a ce dernier seulement, sans doute en sa qualité de précurseur (voir plus bas, p. 147). Yamabé était le nom d’une « corporation héréditaire (de gardes) des forêts ». Quand les anciens Japonais voulurent forger une expression concise et commode pour désigner les deux princes des poètes, ils les appelèrent Yama-Kaki. Comme Hitomaro, Akahito parcourut diverses provinces : vers 725, nous le voyons accompagner l’empereur Shômou dans un de ses déplacements ; et plus tard, on le rencontre dans l’Est, où il composa, devant le mont Fouji, la poésie qu’on pourra lire ci-après. 2. Yamanoé no ûkoura n’a laissé que peu de souvenirs précis : on ne sait exactement ni quand il naquit, ni quand il mourut. En 701, il part pour la Chine, comme secrétaire d’ambassade ; en 721, il obtient une fonction à la cour. Par bonheur, ses poèmes, d’une inspiration très personnelle, nous renseignent assez sur son esprit pour que nous n’ayons pas trop à regretter l’indigence de sa biographie. 3. Ohtomo no Tabibito vécut sous les règnes des impératrices Ghemmyo (708-714) et Ghennshô (715-723) et de l’empereur Shômou (724-748). On dit que, fort intelligent, mais d’un caractère difficile, il se brouilla avec les Foujiwara, qui l’envoyèrent en disgrâce dans l’île de JCyoushou. Serait-ce pour oublier ces ennuis qu’il but tant de saké (voir plus bas ses poésies) ? Son exil fut d’ailleurs honorable, car, lorsqu il mourut, il avait le titre de premier sous-secrétaire d’Etat.

4. Qbtomo no Yakamotchi apparaît dans l’histoire littéraire en 736, date des premières tannka qu il nous ait laissées ; peu après, on le voit débuter à la cour comme page, et on peut dès lors suivre toute sa carrière par les nombreux titres successifs qui en marquent les étapes ; finalement, il devient second sous-secrétaire d’Etat et meurt •n 785.

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IV. — TABIBITO ÉLOGE Du Saké(2)

Plutôt que de penser à des choses Sans importance, Mieux vaut boire Une coupe De saké, même trouble.

Du grand sage De l'antiquité Qui, pour nom au saké, Donna celui de « Sage « , Combien la parole fût excellente!

La chose que désiraient Les sept sages

(1). Ce morceau réaliste nous montré chez son auteur, au début du VIIIe siècle, un souci des malheurs du peuple qu’on chercherait vai- nement chez les autres poètes de la cour. Okoura était d’ailleurs un original. Je n’en veux pour preuve que cette tannka, improvisée, sans nulle modestie, pour s’excuser de partir avant la fin d’un dîner : Moi, Okoura. Maintenant je m’en vais. Mes enfants doivent pleurer, Et la mère de ces enfants Doit m’attendre ! (Du Manyôshou, livre III, 3e partie.) (2). Sur ce thème, assez peu fréquent dans la poésie japonaise, l’auteur a composé une suite de treize variations qui permettront d’entrevoir la souplesse de son talent littéraire. SIECLE DE NARA. 95

Hommes De l’antiquité, C’était sans doute le saké !

Plutôt que de parler D’un air sérieux, Combien il me semble préférable D’être ivre et de crier En buvant du saké !

Comment dire ? Comment faire [pour le montrer] ? Je ne sais. Mais la chose précieuse Extrêmement, C’est bien le saké !

Plutôt que D’être un homme, Je voudrais devenir Une jarre à saké : Alors j’en serais imbibé !

Qu’il est laid, Celui qui ne boit pas de saké, Affectant l’air d’un sage ! Un tel homme, quand je le regardé de près, Me semble vraiment un Singe.

Même un trésor Inestimable, Comparé à une coupe De saké trouble, En quoi lui serait-il supérieur ?

Même un joyau Qui étincelle la nuit, Pourquoi vaudrait-il mieux

dby Google 96 ANTHOLOGIE DE LA LITTERATURE JAPONAISE

Que de se charmer le cœur En buvant du saké ?

Si vous n’êtes pas satisfait Des voies d’amusement En ce monde, Vous pouvez, ce me semble, Vous enivrer et crier !

Pourvu que je sois gai En cette vie, Que m’importe de devenir. Dans la vie future, Un insecte ou un oiseau ?

Puisque c’est un fait Que tous les hommes vivants Finissent par mourir, Mieux vaut être gai Pendant qu’on est de ce monde.

Rester silencieux Et faire semblant d’être un sage, C’est vraiment inférieur : Mieux vaut être ivre et crier En buvant du saké. (Manyôshou, livre III, lre partie.)

V. - YAKAMOTCHI LAMENTATIONS D’UN GUERRIER ENVOYE A LA FRONTIERE 1 Révérant l’ordre auguste De notre grand Empereur,

1. Ce poème, daté de l’an 755, exprime les sentiments d’un saki- mori, c’est-à-dire d’un guerrier appelé à faire partie de la garnison

D. Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/111 Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/112 Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/113

    d’une vague Puissance impersonnelle, pareille à la Moïra d’Homère, au temps où Zeus n’était pas encore le dieu qui dirige le Destin.

  1. 8e jour du 9e mois de l'année 697. L’impératrice Jitô ayant abdiqué, 1 empereur Mommou lui succède, et notre édit annonce cette transmission du pouvoir. — Mommou, monté sur le trône à 14 ans, mourut en 707, dans sa 25e année. Son règne fut illustré par la promulgation du Taïhô-ryô, « Code de l’ère Taïhô », publié en 702 (2e année de cette ère), et dont les points essentiels devaient rester en vigueur jusqu’à nos jours.
  2. Le ministre chargé de publier l’édit.
  3. L’empereur était considéré comme un dieu vivant, visible, présent (akitsou-kami). D’autres Édits ajoutent à ce titre celui de Yamato-néko « Prince du Yamato », qu’on voit apparaître d’abord dans les noms propres des plus anciens empereurs, et qui semble être devenu par la suite une sorte de nom commun, comme Pharaon ou César (par exemple, l’Edit pour l’avènement de la fameuse impératrice Ghemmyô qui, en 708, succéda à Mommou lui-même).
  4. L’impératrice Jitô.
  5. La déesse du Soleil.
  6. L’empereur Mommou.
  7. Ko, ancien ; ji, chose, affaire, matière ; ki, notes, registre, histoire, annales, chronique. J’emploie à dessein le mot « Livre », le Kojiki n’étant ni un recueil d’annales (il n’a point de chronologie), ni un ouvrage d’histoire proprement dite, mais un récit sans art des vieilles traditions.
  8. Le Kyoujiki, ou « Livre des choses du passé ».
  9. D’où l’obscurité fréquente d’un ouvrage sur lequel Motoori, le grand philologue japonais du xviiie siècle, a pu écrire un commentaire en 44 volumes (V. ci-dessous, p. 344). — Le Kojiki a été traduit en anglais par B. H. Chamberlain, Tôkyô, 1882, avec une exactitude parfaite (sauf pour certains points, comme les noms des dieux, où ses interprétations peuvent être discutées).
  10. Le Nihonnghi, qui supprime, abrège, interprète à sa manière ou habille à la chinoise les récits jugés trop enfantins, offre en revanche cet avantage de donner, pour les principales traditions, des variantes empruntées aux nombreux manuscrits que ses rédacteurs, le prince Tonéri et Yaçoumaro lui-même, avaient à leur disposition. Le récit est sans cesse coupé d’une petite phrase, (« Kyou hon ihakou, Un vieil écrit dit, Arou hon ihakou, Un certain écrit dit »), qui annonce toujours quelque extrait précieux par les comparaisons qu’il permet. En somme, le Kojiki est la base ; le Nihonnghi, le complément. — Le Nihonnghi a été traduit en anglais par W. G. Aston, Londres, 1896, et en allemand par K. Florent, Tôkyô, 1901-1903.
  11. Dans les extraits ci-dessous, le texte est suivi d’aussi près que possible, avec ses commencements de phrase enfantins, ses perpétuelles répétitions d’idées et de mots, ses naïvetés de tout genre ; mais je tenais à donner une impression nette du document original ; et c’est pourquoi je n’ai même pas hésité à traduire parfois, sans les couper en phrases analytiques, les longues phrases synthétiques qui peuvent montrer au lecteur européen comment pensent les Japonais.
    Pour ne pas développer les notes outre mesure, je n’ai mis au bas de ces pages que les explications indispensables, et je me permets de renvoyer, une fois pour toutes, à un ouvrage où j’ai essayé d’éclaircir cette mythologie japonaise : Le Shinntoïsme, Paris, 1907.
  12. Le Kojiki est divisé en trois volumes, sans subdivisions par chapitres ; mais pour aider le lecteur à s’y reconnaître, j’ai adopté, à l’exemple de M. Chamberlain, les titres traditionnels que les lettrés japonais avaient peu à peu donnés aux divers épisodes de « l’âge des dieux » et que Motoori a consacrés dans les Prolégomènes de son fameux Commentaire, le Kojikidenn.
  13. Les primitifs expliquent la création du monde soit par une génération spontanée, soit par une génération humaine, soit par une fabrication divine. Nous allons trouver ces trois conceptions réunies dans la mythologie japonaise : les dieux primordiaux naissent d’eux-mêmes ; puis apparaissent des couples dont le dernier engendre les îles ; enfin, l’œuvre est parachevée par le dieu Maître du Grand Pays. On remarquera l’idée d’évolution qui domine toute cette genèse.
  14. Maître de l’auguste centre du Ciel.
  15. Haut-auguste-Producteur.
  16. Divin-Producteur.
  17. M. à m. : « piliers de dieux ». En japonais, on compte les dieux par piliers (hashira), en souvenir sans doute du temps où l’on adorait des poteaux grossièrement taillés à l’image de l’homme.
  18. Disparurent de la scène, on ne sait comment.
  19. Comp. le mythe grec qui fait naître les hommes de certains végétaux.
  20. Charmant-pousse de roseau-prince-ancien.
  21. Le dieu qui se tient éternellement dans le Ciel.
  22. Le dieu qui se tient éternellement sur la Terre.
  23. Maître-intégrant (de koumou, compléter, parfaire, intégrer).
  24. Seigneur du limon de la terre.
  25. C’est-à-dire : épouse.
  26. Dame du limon de la terre.
  27. Le dieu qui intègre les Germes.
  28. La déesse qui intègre la Vie.
  29. L’Ancien de la Grande région.
  30. L’Aïeule de la Grande région.
  31. Le dieu Parfaitement beau.
  32. La déesse « Ah ! terrible ! » (ou vénérable).
  33. Le Mâle invitant, et la Femme invitante (Izana, racine du verbe izanafou, inviter, attirer).
  34. En effet, ce groupe comprend d’abord deux dieux isolés, puis cinq couples, qui sont comptés chacun pour une génération.
  35. Le mot « joyau » est employé pour qualifier toutes sortes d’objets précieux.
  36. L’arc-en-ciel.
  37. Onomatopée qui s’allie à une idée de coagulation.
  38. C’est-à-dire : « spontanément coagulée ».
  39. Comp. la légende accadienne de Sargon, celle de Moïse, etc.
  40. Voir plus bas, p. 47, n. 8. — Ce détail implique l’existence
  41. C’est-à-dire : mort.
  42. Yomi tsou Kouni, le Pays des Ténèbres. Comp. le Schéol hébreu, l’Hadès grec.
  43. Lorsqu’un vivant avait goûté aux aliments du monde souterrain, il ne pouvait plus revenir à la lumière. Comp. la grenade de Perséphone ou de Proserpine.
  44. Cette défense est aussi le nœud du mythe d’Orphée, qui doit remonter au jour sans se retourner, tandis qu’Eurydice marche derrière lui.
  45. Une lumière unique était regardée comme néfaste.
  46. Les Erinnyes du mythe japonais.
  47. La kazoura, « guirlande de tête » du héros, se change logiquement en yébi-kazoura (Vitis Thunbergii), la vigne sauvage du Japon.
  48. Také no ko, un des mets favoris des Japonais. Métamorphose non moins naturelle : car, dans les temps primitifs, ils portaient des peignes de bambou.