Anthélia Mélincourt/Le Bord de la mer

Traduction par Mlle Al. de L**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (1p. 224-228).


LE BORD DE LA MER.


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La seconde station eut lieu dans un petit village sur les bords de la mer. Le vent avait soufflé toute la nuit ; mais il ne fut pas accompagné de pluie. Sir Forester se leva avec le soleil et descendit sur la plage. Il y trouva Anthélia ; elle était assise sur un rocher, commue les Néréides, et les vagues venaient se briser à ses pieds.

Vous vous êtes levée de grand matin, miss ?

— Je me lève toujours à peu près à la même heure ; le matin est l’enfance du jour et comme l’enfance de la vie, tout en lui est gaieté et bonheur ; l’automne a aussi ses fleurs, mais rarement elles sont associées à des idées d’espérance, elles annoncent l’hiver et la dissolution.

— Ces réflexions, permettez-moi de vous le dire, se sentent plus de l’automne que du matin ; vous avez parlé de l’enfance de la vie ; c’est-là, en effet, que tout est bonheur, la réflexion n’y tue pas le sentiment. L’enfance jouit et ne raisonne jamais : heureux âge !

— Je conviens avec vous qu’il faut peu de chose, à cette époque, pour notre félicité ; la liberté nous suffit, la liberté et des fleurs.

— La liberté ! Heureux qui peut garder la sienne ! des fleurs, plus heureux celui qui les sème sous les pas d’une véritable amie. L’enfance est comme le premier amour ; on n’en éprouve les charmes qu’une seule fois ; un second choix peut présenter plus de maturité, plus de poids dans la balance de l’estime ; mais le premier objet de nos affections est toujours semblable au premier sentiment de l’ enfance, rien ne peut effacer son souvenir ou rétablir son charme.

— Ah ! s’écria Anthélia, que je ne sois donc jamais l’objet d’un second choix, que je ne sois jamais aimée, si je ne dois l’être toujours !

— L’objet d’un second choix ! il ne mériterait pas de vous aimer, celui qui aurait chéri une autre femme avant vous ; le seul qui soit digne de vous aimer, est celui qui n’aura jamais connu l’amour, qui ne la connaîtrait jamais s’il ne vous eut rencontrée.

Anthélia et Forester étaient tous les deux francs et sincères ; il est probable qu’entraînés par la situation, ils se seraient dès-lors avoué l’un à l’autre un sentiment dont le matin, encore, ils ne se doutaient pas. Leur conversation fut interrompue, à la fois, par l’ arrivée de sir Hippy, qui criait après l’hôte pour qu’on servit le déjeuner ; par le bruit de sir Télégraph faisant claquer son fouet, et par l’harmonie de sir Oran qui jouait le réveil sur sa flûte.

— Si je ne me trompe, s’écria sir Télégraph, Achille et Thétis sont en consultation sur le bord de la mer.

— Qu’entendez-vous dire par-là, sir, demanda Anthélia ? suis-je donc assez vieille pour être la mère de votre ami Forester ?

— Non certes, ce n’est point-là le but de ma comparaison ; mais nous sommes les ambassadeurs d’Agamemnon (c’est-à-dire, de sir Fax que nous avons laissé très-occupé à arranger les urnes à thé et à café) vous voyez avec moi le vieux Nestor et l’impétueux Ajax.

— Vous êtes, par conséquent, le sage Ulysse, dit Forester.

— Vous riez, et je pense que vous vous moquez de mon idée de collègue.

— Vous vous êtes moqué aussi, en me prenant pour Achille, d’essayer sur moi le pouvoir de la musique ; mais puis-je me plaindre, vous avez fait Ajax musicien.

Vous n’avez rien à désirer, reprit Télégraph, pas même la lyre dorée de Pindare. Car vous avez entendu l’harmonie des vents et des eaux et la voix plus harmonieuse encore de miss Mélincourt.

— Et de tous les concerts, le plus agréable, vous attend à l’auberge, dit sir Hippy, c’est le tintement des tasses et le choc des verres.