Anthélia Mélincourt/La Disparution

Traduction par Mlle Al. de S**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (2p. 69-76).


LA DISPARUTION.


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Le lendemain de la fête, Anthélia et sa société retournèrent à Mélincourt. Avant de partir, l’héritière eut une conversation de peu de minutes avec M. Forester ; nous ne pouvons rapporter précisément ce qu’ils se dirent ; mais on soupçonna dans la société, que l’autorité de sir Hippy touchait à son terme et que les services du vicaire Portepipe seraient bientôt nécessaires dans la vieille chapelle du château, qui ne s’ouvrait qu’aux jours de naissance, de mariage ou de mort, et qui était fermée depuis longues années.

L’amour qui existait entre sir Forester et Anthélia, n’avait pas été contrarié ; il ressemblait au cours tranquille d’une rivière qui serpente sur un lit de fleurs. Sir Forester devait aller, sous peu de jours, habiter le château, et terminer le roman, comme ils finissent tous, par le mariage.

Après le départ des dames, sir Forester observa, avec anxiété, que la mélancolie ordinaire de son ami Oran, s’était visiblement accrue ; l’opinion de sir Fax, était, qu’il éprouvait une tendre passion ; mais qui, de miss Danaretta ou de miss Mélincourt, en était l’objet ? cela n’était point aisé à déterminer. Sir Oran recherchait plus que jamais la solitude ; il passait la plus grande partie des jours dans les bois, quoiqu’ils fussent dépouillés par le triste et froid novembre ; il partait toujours avant le déjeûner ; mais il était constamment de retour pour dîner à l’abbaye, sa flûte était la seule compagne de ses promenades.

Ses amis cherchaient un matin les moyens qu’on pouvait adopter pour le distraire de sa mélancolie, quand le bruit d’une voiture qui avançait rapidement, les attira à la fenêtre. Sir Télégraph s’élança de son barouche, il entra comme un frénétique dans l’appartement en criant qu’Anthélia était disparue, que depuis la veille on n’en avait eu aucune nouvelle. Sir Hippy, Derrydown, O’scarum et le major O’doskin parcouraient déjà la contrée dans tous les sens pour découvrir ses traces.

Forester jura qu’il n’aurait pas de repos qu’il ne l’eût retrouvée, et monta avec sir Fax et Oran dans le barouche de son ami qui les conduisit à l’auberge des bois, où ils se séparèrent pour continuer leurs recherches.

Forester, que nous suivrons, fit préparer une chaise à quatre chevaux. Il ne doutait pas que les auteurs du premier enlèvement, ne fussent coupables du second ; mais cette idée, même, ne pouvait le guider, puisqu’il ne les connaissait pas. Il parcourut tous les grands chemins, à cinquante milles autour du château. L’opinion désir Fax était qu’Anthélia ne pouvait-être plus éloignée ; il conseilla à son ami de renvoyer la chaise et de gravir les hauteurs à pied ; car il était convaincu qu’emmenée contre sa volonté, Anthélia aurait laissé quelques traces de son passage, propres à les guider dans leurs recherches. Ils renoncèrent donc à leur première manière de voyager, et se décidèrent à parcourir pedestrement les lieux déserts des montagnes. La saison était peu favorable à leur projet ; ils étaient souvent forcés de rétrograder vers les endroits habités pour prendre des rafraîçhissemens et du repos. Les amans et les voyageurs modernes ayant perdu cette force qui permettait aux chevaliers de passer une semaine ou deux dans les forêts, sans boire ni manger, ou dormir, perte qu’on ne saurait déplorer trop vivement, et vraiment irréparable.

Le premier soir de leur course, ils arrivèrent dans une petite auberge ; ils apprirent qu’on ne pouvait leur donner de chambre, faute d’en avoir, et que le parloir, seule pièce où l’on pût se reposer, était retenu par deux gentilshommes qui comptaient y passer la nuit, mais qui ne feraient peut-être pas de difficultés pour le partager avec les nouveaux venus. Ils firent demander cette permission ; le messager étant revenu avec une réponse affirmative très-honnête, ils entrèrent dans l’appartement et reconnurent à leur grande surprise l’écuyer O’scarum et le major O’doskin, entourés d’un certain nombre de bouteilles.

Sur mon honneur, dit l’écuyer, je suis charmé de la rencontre, quoiqu’elle soit occasionnée par un événement plus pénible encore, je pense pour vous, car vous êtes l’heureux mortel, sir Forester, qui plaît à Anthélia ; j’aurais bien voulu troubler votre fête, en vous appelant à une sérieuse entrevue sur un terrain de dix pas de long, où nous aurions mis l’épée à la main ; mais, le major assure que je m’en suis ôté le droit, d’abord en’ buvant de votre Madère, pendant notre séjour à l’abbaye, et secondement à cause de la réputation dont vous jouissez, d’être un bon et honnête compagnon, toujours prêt à être utile aux autres ; c’est pourquoi je bois à votre heureuse rencontre avec Anthélia, et envoie au diable de bon cœur, tous ceux qui vous nuisent, c’est-là tout le mal que vous souhaite O’scarum.

— Et celui que vous désire Dermot O’doskin, dit le major, en portant son verre à ses lèvres. Nous promettons, mon ami et moi, de continuer notre recherche, jusqu’au moment où Anthélia sera retrouvée. Nous pourrons bien manquer quelques bons dîners et quelques fêtes, ne rencontrer, comme ici, que du lard rance et des pommes de terre assaisonnées de mauvaise ale ; mais je ne marche jamais sans avoir à ma selle deux petites barriques d’excellent vin de Sherry, c’est le meilleur compagnon de voyage ; avec votre permission, je vais vous verser d’une de mes jumelles, et vous verrez que ce vin équivaut à la manne du désert.

Sir Forester les remercia affectueusement de leurs aimables souhaits et de leurs actives recherches. Le modeste dîner fut vite achevé ; après qu’on eut ôié la nappe, le major plaça son vin sur la table, en disant qu’il lui en restait encore assez pour leur tenir compagnie jusqu’au moment où ils recommenceraient leur voyage. Oh ! continua-t-il en le versant dans un pot de terre brune, l’aubergiste n’ayant pu leur donner d’autre vase, que ces tasses qui n’ont jamais contenu que de l’ale aigrie, doivent être enorgueillies de se voir pleines d’excellent vin ; c’est, je crois, la première et la dernière fois de leur vie, qu’elles se trouvent à pareille fête.

Ils passèrent ainsi la nuit, et le soleil levant leur vit prendre à chacun une route différente.