Anthélia Mélincourt/L’Amour et le Mariage

Traduction par Mlle Al. de L**, traducteur des Frères hongrois.
Béchet (1p. 116-125).


L’AMOUR ET LE MARIAGE.


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Sir Oran ayant fait, à ce que nous supposons, une course beaucoup plus longue qu’à son ordinaire, s’était assis pour se reposer, dans le bois de pin, où il jouait de la flûte pour se distraire ; quand la vue d’Anthélia, pareille à une belle vision, le plongea dans une profonde admiration et le fixa à la place d’où il l’avait vu disparaître. Il y attendit son retour, jusqu’au moment où il eut le bonheur de déployer sa force d’une manière si utile pour elle. En la quittant, il courut jusqu’à l’abbaye, et délivra son ami Forester de l’inquiétude que lui causait son absence trop prolongée, par un aussi mauvais temps.

Peu de jours après, messieurs Fax, Forester et Oran, étaient assis autour de la table du déjeûner, quand on apporta une lettre adressée à sir Oran-Haut-Ton, à l’abbaye de Redrose. La surprise de Forester fut extrême ; il ne pouvait concevoir comment, Oran, qui ne savait ni lire, ni écrire, avait une correspondance, et pour s’en éclaircir, il ouvrit la lettre lui-même.

Elle était d’un homme de loi qui signait Richard-Ratstail ; c’était une signification ; elle sommait sir Oran de comparaître devant les tribunaux pour se défendre dans l’affaire que lui intentait Lawrence-Litage, seigneur de Muckworms ; ledit Oran étant accusé d’avoir, par la force de son bras et des armes ci-après : pistolets, fusils, épées et dagues, commis divers délits dans les terres dudit seigneur ; brisant, déracinant et rompant des pins de diverses tailles et grandeurs, dans les bois ; le tout contre la paix de notre seigneur et roi, et la dignité de sa couronne ; faisant cela malicieusement et traîtreusement, pour injurier l’écuyer. D’après ce, sir Oran était tenu de comparaître et de rendre compte de sa conduite, sans quoi, il serait condamné aux dommages et intérêts, etc. etc.

C’était une énigme pour sir Forester ; mais ce qui augmenta sa surprise, en relisant la lettre, ce fut de trouver miss Melincourt, propriétaire du château de ce nom, mêlée dans cette affaire, comme ayant aidé et porté ledit Oran auxdites dévastations.

Sir Forester conclut que le meilleur moyen d’arriver à la solution de ce mystère, était de se rendre à Mélincourt. Le récit enthousiaste que lui avait fait Paxaret de la beauté et des qualités d’Anthélia. lui avait inspire le désir de la connaître et il pensa que la circonstance présente lui offrait un mode d’introduction très-heureux. Il demanda à sir Fax s’il était disposé à une longue marche ; celui-ci ayant répondu affirmativement, ils ne perdirent point de temps et se mirent en route accompagnés de l’ami Oran qui les suivit sans y être engagé ; sir Forester n’avait point de chevaux ; nous rendrons compte de ses motifs dans la suite, et il avait seulement bâti des écuries pour la commodité de ses amis, quand ils venaient le voir.

Nous verrons sir Télégraph et peut-être son phénix, miss Mélincourt, dit sir Forester.

Son phénix, dit sir Fax ; si une femme qui reçoit ce titre de son amant, en est un ; le phénix n’est pas rare à trouver. Peut-être, cependant, désignez-vous seulement sous ce nom ; la femme en qui vous croyez trouver quelques-unes des qualités dont vous embellissez votre dame imaginaire. C’est par l’exagération des vertus, dont vous l’avez ornée, que vous avez été jusqu’à présent indifférent aux attraits réels des femmes que vous avez vues ; ainsi, votre imagination vous a privé du bonheur et vous a exposé à perdre plus qu’à gagner.

Je ne désire point trouver la perfection, répondit Forester ; je ne cherche point une créature introuvable, mais bien ce que je sais avoir existé ; ce qui, je n’en doute pas, existe encore, quoique dans une si déplorable rareté, que j’ai peu d’espérance de le rencontrer. Je voudrais une femme qui put aimer la poésie, non-seulement à cause de son harmonie et de sa pompe, causes ordinaires de l’admiration des mortels, mais par le sentiment de la vérité et de la liberté qui sont les sources véritables de cet art divin et sans lequel les périodes les mieux tournées, les images les plus saillantes, ne sont que du vil clinquant. Je voudrais que cette femme fut musicienne ; mais que ce goût partît de l’âme et ne consistât pas dans la science des doigts ; sa voix et sa touche ne devraient avoir rien de commun avec la manière de ses prétendus virtuoses que l’on décore du nom de chanteurs.

Je n’entends pas très-bien votre pensée, nous y reviendrons, continuez je vous prie.

— Cette femme serait bienfaisante ; mais elle aurait une libéralité éclairée par une sage philantropie pratique ; elle saurait discerner avec prudence les objets de ses bienfaits, et elle leur donnerait une forme permanente, également digne du bienfaiteur et de l’obligé.

— C’est plus qu’on ne peut espérer.

— Elle aurait peu de goût pour ce qu’on appelle plaisirs du monde ; les siens seraient bornés dans le cercle de sa famille et du petit nombre de ses amis. Elle aimerait à la fois, les livres, l’occupation, les fleurs, le bonheur inaltérable de la concorde domestique et les délicieuses effusions d’une confiance réciproque ; les rochers, les bois et les montagnes, bornes de la vallée qu’elle habiterait, seraient pour elle, celles du monde.

— Rien de plus ?

— Elle aimerait la vérité ; toute espèce de fausseté, de détours, lui seraient étrangers ; la simplicité de ses pensées devrait être surpassée, par l’ingénuité de son langage, et son témoignage serait d’un poids irrésistible.

— Vous ne dites rien de la beauté ?

— Ce qui est ordinairement appelé beauté, consiste dans la symétrie des formes et la régularité des traits ; je pourrais m’occuper de ces objets, si j’avais à acheter une statue ; mais comme il s’agit de choisir une compagne ; je veux que tout son être soit le miroir des qualités que j’ai décrites, alors elle ne peut manquer d’être belle.

— Vous n’avez pas encore parlé de la fortune, principale, ou pour mieux dire, de l’unique considération qui préside aujourd’hui aux mariages ?

— Je suis assez riche pour être dispensé de cette considération, et quand même je ne le serais pas, je ne crois point qu’il soit sage d’être trop influencé par la fortune ; rien n’est plus incertain, plus périssable que les richesses ; combien de mariages d’intérêts et de convenances ont été rompus par la révolution française ? Mais sans parler de ces temps de convulsions politiques, nul état, ou nul individu n’est assuré contre les vicissitudes de la fortune ; que deviennent alors, les unions mal assorties, qui ne sont basées que sur l’intérêt, quand l’argent part, et que l’individu reste ? Les qualités du cœur et de l’esprit, sont les seules hors du pouvoir des événemens, et elles seront aussi mes seuls guides dans le choix d’une épouse.

— N’y a-t-il aucune autre qualité indispensable, que vous ayez oubliée dans votre énumération ?

— Je ne le pense pas ; mais il y en a qui sont contenues implicitement dans celles dont j’ai parlé et qui doivent nécessairement co-exister avec elles : une profonde sensibilité, une douce gaieté et cette égalité de caractère qui fait le bonheur de la vie.

— Vous vous proposez, sans doute, de vous marier, quand vous aurez trouvé la femme que vous venez de décrire ?

— Oui vraiment.

— Et si vous ne la trouvez pas ?

— Je ne me marierai point.

— Alors, votre héritier présomptif n’a rien à craindre, et peut compter sur vos titres et votre fortune.