Annuaire de l’Institut-canadien pour 1868/Discours sur la tolérance de L. A. Desssaules

M. le Président présenta ensuite l’Honorable L. A. Dessaulles dont la présence souleva à plusieurs reprises les applaudissements enthousiastes de tout l’auditoire. Ce monsieur s’adressa à l’assemblée comme suit :


Mesdames et Messieurs,

Les membres de l’Institut sont toujours heureux, chaque année que le temps pousse inexorablement dans le gouffre du passé, de recevoir l’encouragement d’une société d’élite qui vient régulièrement lui témoigner l’intérêt qu’elle prend à ses succès. Ayant malheureusement à lutter sans cesse contre l’esprit d’intolérance que l’on semble cultiver avec tant de soin au milieu de nous ; étant constamment en butte aux attaques et même aux calomnies d’un parti qui semble avoir pris pour mission de détruire toute indépendance d’esprit et toute liberté de pensée et de discussion dans notre société ; entendant chaque jour gronder, dans notre atmosphère, les colères, et quelquefois les tonnerres, des amateurs de ténèbres, nous nous sentons heureux de pouvoir de temps à autre réaffirmer les principes qui ont présidé à la formation de l’Institut et l’ont toujours guidé dans sa carrière ; et rappeler au public quelles sont les seules idées inspiratrices de notre action commune.

On nous accuse sur tous les tons d’impiété, d’irréligion, d’hostilité à l’ordre social ! De tous côtés nous viennent des reproches d’orgueil et d’insubordination intellectuelle ! Nous lisons chaque matin, dans une certaine presse qui n’est guère remarquable que par sa nullité morale, des injures formidables au corps et à ses membres, ce qui n’empêche pourtant pas les inspirateurs et directeurs de cette presse de venir chez nous comme partout ailleurs solliciter la libéralité où la bienfaisance envers les œuvres relatives au culte ou à la charité publique. Nous sommes toujours de grands criminels sur les journaux, mais privément de bons citoyens quand on a besoin de nous. Il doit donc nous être permis au moins une fois l’an de repousser les diatribes que l’on nous sert régulièrement une fois par semaine, et de nous expliquer sur notre vrai but comme sur nos vrais motifs. Nous devons sûrement avoir le droit de dire que nous les connaissons au moins aussi bien que nos calomniateurs.

II

Nous formons une société ayant pour but l’étude et l’enseignement mutuel. Le principe fondamental de notre association est la tolérance, c’est-à-dire le respect des opinions d’autrui. Nous invitons tous les hommes de bonne volonté, à quelque nationalité où quelque culte qu’ils appartiennent. Nous voulons la fraternité générale et non l’éternelle hostilité des races ! Nous voulons que des chrétiens s’entr’aiment, au lieu de se regarder éternellement comme des ennemis, et cela au nom de Dieu ! Nous voulons que la religion cesse d’être une cause constante de mépris et d’insultes mutuelles ! Nous croyons que des hommes servant le même Dieu, et possédant en commun ces mêmes principes fondamentaux du Christianisme qui ont civilisé le monde, devraient cesser d’être perpétuellement en lutte les uns avec les autres sous prétexte de religion. Singulière manière de comprendre la religion que de tenir les hommes en perpétuelle hostilité ! Ne pouvons-nous rester fidèles à notre culte tout en vivant en bons termes avec ceux qui ne pensent pas comme nous ?

Paix aux hommes de bonne volonté ! a-t-il été écrit. D’où viennent donc ces écoles qui semblent n’avoir d’autre mission que d’empêcher les hommes de bonne volonté appartenant aux diverses dénominations religieuses d’être en paix les uns avec les autres ? Sont-ce vraiment là des écoles chrétiennes ?

Le plus fondamental de tous les principes de la religion est d’aimer Dieu et de s’aimer les uns les autres. Voilà les lois et les prophètes.

Eh bien, on dirait qu’il y a des gens qui ne savent tirer de la religion que l’esprit d’intolérance et de haine.

On a osé écrire en toutes lettres qu’admettre des gens de diverses croyances dans notre Institut, c’était montrer qu’on les acceptait toutes, conséquemment que l’on n’en avait aucune. Ainsi donc, vivre en paix avec son voisin, c’est admettre que l’on partage toutes ses opinions. Voilà les habiles conclusions de la réaction ! Si le catholique ne dit pas Raca au protestant, cela prouve qu’il est lui-même protestant ! Mais, grand Dieu, pourquoi donc ne rallume-t-on pas de suite les bûchers ! On ne serait que logique après tout. Ah ! c’est sans doute parce que l’on craindrait peut-être, en ce siècle, que l’édificateur du bûcher n’y fût jeté le premier ! Quel malheur que l’on n’ait pas songé à cela plus tôt ! Comme les bûchers se seraient vite éteints !

III

Mais de quoi s’agit-il donc, au fond ?

Nous formons une société d’étude ; et de plus, cette société est purement laïque. L’association entre laïques, en dehors du contrôle religieux direct, est-elle permise catholiquement parlant ? Où est l’audace réactionnaire qui osera dire non ?

L’association entre laïques appartenant à diverses dénominations religieuses est-elle catholiquement permise ? Où est encore l’ignare réactionnaire qui osera dire non ?

Eh bien, dans un pays de religion mixte, où donc est le mal que les esprits bien faits appartenant aux diverses sectes chrétiennes se donnent mutuellement le baiser de paix sur le champ de la science ? Quoi ! quand des protestants et des catholiques sont juxtaposés dans un pays, dans une ville, il ne leur sera pas permis de travailler en commun à leur progrès intellectuel ! Certaines gens ne seront tranquilles que quand ils en auront fait des ennemis, et dans le domaine de la conscience et dans celui de l’intelligence ! Où donc ces gens prennent-ils leurs notions évangéliques ?

Et pourtant, où sont donc la prudence et le simple bon sens ? Ce sont ceux qui sont en minorité dans l’État qui ne veulent endurer personne et ont toujours l’ostracisme à la bouche ! Mais nous vous endurons bien, nous, avec tous vos travers d’esprit, et de cœur surtout ! Imitez donc un bon exemple au lieu d’en donner un mauvais !

Nous formons donc une société littéraire laïque ! Notre but est le progrès, notre moyen est le travail, et notre lien est la tolérance. Nous avons les uns pour les autres ce respect que les hommes sincères ne se refusent jamais. Il n’y a que les hypocrites qui voient le mal partout, et qui se redoutent parce qu’ils se connaissent.


IV

Qu’est-ce, au fond, que la tolérance ? C’est l’indulgence réciproque, la sympathie, la charité chrétienne. C’est le bon vouloir mutuel, donc le sentiment que doivent entretenir les uns pour les autres les hommes de bonne volonté. La grande parole : « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, » est autant un précepte de charité qu’un souhait de paix intérieure à leur adresse.

La tolérance, c’est l’une des applications pratiques du plus grand de tous les principes moraux, religieux et sociaux ; « Faites aux autres ce que vous voulez qui vous soit fait à vous-même. » La tolérance, c’est donc la fraternité, l’esprit de la religion bien comprise.

La charité est la première vertu du chrétien, la tolérance est la seconde. La charité, c’est l’amour actif, le secours : c’est le bon Samaritain pansant le lépreux. La tolérance, c’est le respect du droit d’autrui, c’est l’indulgence pour l’erreur ou la faute ; c’est le Christ disant aux accusateurs de la femme adultère : « Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre. »

La tolérance, c’est, au fond, l’humilité, l’idée que les autres nous valent ; c’est aussi la justice, l’idée qu’ils ont des droits qu’il ne nous est pas permis de violer. Mais l’intolérance, c’est l’orgueil ; c’est l’idée que nous valons mieux que les autres : c’est l’égoïsme ou l’idée que nous ne leur devons rien ; c’est l’injustice, ou l’idée que nous ne sommes pas tenus de respecter leur droit de créatures de Dieu.

La tolérance, c’est toujours la vertu, puisqu’elle se résume dans la bonté : l’intolérance, c’est presque toujours la cruauté et le crime, parce que c’est la destruction des sentiments dont la religion exige la présence active au cœur de l’homme.

V

Et pourquoi donc faire de l’intolérance aujourd’hui, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle : du siècle qui a forcé tous les fanatismes de reconnaître, dans l’ordre des faits au moins, l’indépendance de la pensée humaine ; du siècle qui fait disparaître les castes et consacre peu à peu en faveur des peuples le grand dogme de l’égalité politique et civile ; du siècle qui a irrévocablement substitué le principe de la persuasion à celui de la contrainte ; du siècle conséquemment qui a substitué l’esprit de fraternité à celui de rivalité hostile ; du siècle qui a plus fait pour consacrer les libertés publiques que tous ceux qui l’ont précédé, réunis ; du siècle dans lequel toutes les causes justes trouvent des sympathies, les réactionnaires seuls aujourd’hui se montrant les implacables ennemis du droit, et de la liberté, et souvent de la conscience humaine ; du siècle enfin qui a plus fait pour l’avancement de l’humanité que tous les autres ensemble, puisqu’il a, par la presse et par la vapeur, fait parvenir le livre et le journal jusque dans les recoins les plus reculés des pays les plus inconnus ?

Eh bien, franchement, aujourd’hui, l’intolérance, est un anachronisme, et il semble que l’ignorance seule devrait rester entachée de ce vice de la pensée. Et elle est non-seulement un anachronisme, mais une violation de tous des principes que l’on nous prêche. Elle n’a jamais produit que du mal, le passé de l’humanité est là pour le prouver : et quant au présent, le simple bon-sens est là pour le faire craindre.

VI

Quoi ! toujours des préjugés entre gens faits pour s’entendre et pour s’estimer réciproquement ! Toujours des aspérités là où l’harmonie devrait régner ! Toujours la guerre au nom d’une religion qui repose sur le principe fondamental de la paix : « Aimez votre prochain comme vous-mêmes ! « Mais le prochain, est-ce seulement les co-religionnaires, ou le genre humain tout entier ? N’y devrait-on pas comprendre au moins tous les chrétiens ?

Prenez toutes les sectes chrétiennes. N’y trouvez-vous pas à peu près la même somme de morale, la même somme de religion, la même somme de bienfaisance publique ? Chacune de ces sectes n’offre-t-elle pas ses esprits élevés, ses nobles intelligences, ses grands cœurs, ses âmes d’élite ? Y a-t-il moins d’intentions droites chez elles que chez nous !

Eh bien ! là où une certaine école nous prêche la haine par ses journaux, nous venons, nous, essayer de faire pratiquement de la conciliation, de la cordialité, de la sympathie, de l’union. Nous voulons la réunion de tous les bons cœurs dans l’obtention d’un but commun, le progrès général

Pourquoi ces éternelles distinctions entre protestants et catholiques dans l’ordre purement social ? Les sectes dissidentes ne possèdent-elles pas autant d’honnêtes gens que nous ? Les chrétiens n’ont-ils pas tous également contribué à la civilisation moderne ? N’est-ce pas chez les nations chrétiennes seules que la civilisation a atteint son apogée ? Les nations protestantes n’y apportent-elles pas chaque jour leur contingent tout comme les nations catholiques ? Or, si nous contribuons tous également au bien général, cessons donc de nous regarder comme ennemis, respectons donc mutuellement nos convictions, et sympathisons au moins avec les personnes, si nous ne sympathisons pas toujours avec les doctrines ! Qu’est-ce qui nous empêche d’être bons catholiques et de vivre en parfaite harmonie avec les protestants ? La religion bien entendue, loin de nous le défendre, nous l’ordonne ! C’est là tout à la fois la religion et le bon sens ! Ce n’est peut-être pas sans doute la religion de la réaction, mais c’est certainement la religion de l’Évangile.

VII

Mais ici je vois la réaction[1] crier au libre-penseur, à l’ennemi de la religion. — Vous voulez faire de nous des protestants —[2] va-t-elle s’écrier, avec le grand bon sens qui la distingue. — Eh ! non, je ne veux qu’essayer de vous inculquer le sentiment de l’harmonie et de la charité, celui auquel vous semblez être le plus hostiles.

Heureusement ici, Messieurs, je me trouve en assez bonne compagnie.

Je vous rappellerai, par exemple, le digne évêque du Bellai, indiquant, pendant une époque de persécution des protestants, comment les fidèles devaient se conduire à leur égard.

« L’indulgence et la douceur, disait-il, peuvent les ramener à nous, jamais la rigueur et la violence. Brebis égarées, nous devons courir après elles pour les persuader et non pour les punir. Gardons-nous surtout des paroles blessantes et injustes ! Point de termes insultants ! La charité les proscrit. Le Sauveur n’a-t-il pas dit aux accusateurs de la femme adultère :

« Que celui d’entre vous qui est sans péché lui jette la première pierre ? » Qui donc est assez parfait parmi nous pour se croire en droit de juger les autres ? Mes frères, vivons tous en paix, aimons même ceux qui s’égarent et sachons vivre avec eux en harmonie, afin de les ramener par la charité. »

Les réactionnaires de notre bonne ville voudraient-ils bien un peu méditer ces paroles ? Les journaux qui nous insultent voudraient-ils au moins les lire ?

Écoutons aussi St. François de Sales, écrivant à l’un de ses curés :

« Je ne saurais trop vous remettre en mémoire la nécessité de traiter les ennemis de la foi en toute sorte de douceur. La religion et la charité nous ordonnent également de vivre en paix et en concorde avec tous. Ces hommes égarés n’en sont pas moins nos frères en Jésus-Christ. Notre premier devoir est d’être bons comme Celui qui est mort pour nous. »

Voilà de la tolérance évangélique ! voilà du vrai esprit chrétien ! Soyez en paix avec tout le monde. Vous êtes tous frères, même si vos idées religieuses sont différentes.

VIII

Et Mgr Cœur ne disait-il pas, dans l’un de ses derniers sermons, prononcé quelques mois seulement avant sa mort : « Le vrai chrétien doit savoir aimer même ceux qui ne pensent pas comme lui ? »

Et l’un des hommes les plus illustres de notre temps, Monseigneur Maret, évêque de Sura, ne disait-il pas dans une magnifique allocution prononcée à Paris il y a six ans : « C’est peu d’être juste, il faut aimer. Il faut aimer nos adversaires et nos frères errants. Que d’intelligences élevées, que de nobles cœurs, que d’intentions droites parmi eux ! Ce sont souvent nos injustices, nos colères, nos amertumes, qui éloignent de la vérité des âmes faites pour s’élever jusqu’à elles. »

Ah ! si la réaction n’avait que des amertumes ! mais quand avons-nous vu chez elle autre chose que l’ostracisme, la haine et l’injure ? Je parle ici spécialement de ses journaux !

Eh oui ! La réaction nous conseille de haïr les protestants, et de grands évêques nous conseillent de les aimer ! De quel côté se trouve la religion en esprit et en vérité ? Elle est nécessairement avec ceux qui conseillent l’amour et non avec ceux qui conseillent la haine, ou au moins proscrivent toutes relations et essaient d’empêcher tout rapprochement.

Et quand l’évêque Duchâtel adressait au cardinal de Tournon, qui, dans le conseil du roi, avait opiné pour la violence contre les Huguenots, cette grande et mémorable parole : « J’ai parlé en évêque, et vous avez parlé en bourreau : » lequel, du cardinal ou de l’évêque, exprimait le véritable esprit de l’Évangile ? Mais comment donc une presse qui prétend s’inspirer de l’Évangile, qui prétend hypocritement voir chez nous la haine de l’Évangile, peut-elle ne soutenir, sur le sujet de la tolérance, que les principes que l’Évangile condamne ?

« Aimez-vous les uns les autres : » cela veut-il dire : « Chassez d’au milieu de vous ceux qui ne pensent pas comme vous, et n’ayez aucune espèce de rapports avec eux  » ?

IX

Voici en quelques phrases toute la morale de l’Évangile.

Vous la trouverez dans St. Luc, ch. 6, versets 31, 32, 33, 35, 36 et 37 :

« Faites à autrui ce que vous voudriez qui vous fût fait à vous-même. (C’est-à-dire, donc, conduisez-vous envers les protestants comme vous désirez qu’il se conduisent envers vous.) Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie aiment aussi ceux qui les aiment ? Et si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on, puisque les gens de mauvaise vie font la même chose ?… C’est pourquoi aimez vos ennemis, faites du bien à tous et prêtez sans rien espérer, et alors votre récompense sera très grande, et vous serez les enfants du Très-Haut, parce qu’il est bon aux ingrats et aux méchants. Soyez pleins de miséricorde comme votre père est plein de miséricorde. Ne jugez point, et vous ne serez point jugés. »

Que comportent ces sublimes paroles, sinon la cordialité, l’union, l’amour universel ?

« Faites du bien à tous, prêtez sans rien espérer : » cela veut-il dire : n’ayez aucune espèce de rapports avec des hommes vivant en communauté sociale avec vous, des hommes honnêtes et de bon vouloir comme vous, et traitez-les comme s’ils étaient atteints de lèpre morale ?

Une des idées qui prêtent le plus à rire à la réaction, c’est celle de fraternité universelle. Et pourtant, quelle est la seule signification possible de ce passage, sinon l’obligation de traiter tous les hommes fraternellement ; sinon l’obligation de les regarder et de les accueillir tous comme des amis et des frères ?

Le crime seul doit séparer les hommes, jamais les opinions sincères, quelque divergentes qu’elles soient.

Oui, certes, la réaction rit au mot de fraternité, elle qui n’a jamais fait autre chose que haïr et persécuter ; elle surtout qui semble si glorieuse de pouvoir revendiquer tout un passé de bûchers et de bourreaux ; elle qui a su inventer vingt mensonges et falsifier l’histoire pour justifier les bûchers aux yeux des ignorants !

Non, Messieurs, ce n’est pas toujours chez la réaction que nous trouvons les vraies notions de l’Évangile, car ses adeptes ne font souvent qu’encourager, conseiller, montrer le triste exemple de l’ostracisme et de la persécution morale au milieu de nous ! Ce n’est pas là, la religion

Vous voyez que je n’ai pas eu tort, il y a un instant, de vous dire que j’étais en bonne compagnie. L’évêque du Bellai, St. François-de-Salles, l’évêque Duchâtel, Mgr Cœur et Mgr Maret, et enfin et surtout l’Évangile, valent bien à peu près des feuilles fanatiques qui ne perdent pas une occasion de nous insulter !

Eh bien, je trouve encore un homme de bonne compagnie, qui n’est pas un libre-penseur, qui pense comme moi : le célèbre père Hyacinthe, qui, dans ses magnifiques sermons, à si souvent donné ses les[illisible] doigts de la réaction qu’elle commence à vouloir lui fermer la bouche ; exemple : ce qui s’est passé à Lyon, il y a dix-huit mois.

Le grand prédicateur avait été invité à prêcher une retraite à Lyon ; mais l’Archevêque de Lyon, très saint homme, mais un peu borné, voulut exiger que chacun des sermons qui allait être prononcés lui fût soumis en manuscrit. La chose n’était guère possible à un homme qui se laisse souvent aller à l’improvisation, et qui monte le plus souvent en chaire avec un simple canevas contenant les idées saillantes qui doivent former les points principaux du sermon. D’ailleurs, quand un homme est arrivé à posséder une certaine somme de savoir et d’étude, et quand il est doué de cette force d’intelligence qui fait les grands orateurs, il lui répugne naturellement d’être traité comme un enfant et de s’entendre dire par des tacticiens de la réaction : « Vous pouvez dire ceci, mais mettez telle autre idée sous le boisseau. » Cela ne peut naturellement convenir qu’aux pions. Le père Hyacinthe refusa donc net de laisser remanier et pétrir ses sermons comme une composition de collége et l’Archevêque dut aller chercher un prédicateur plus maniable. Vous voyez, Messieurs, que nous ne sommes pas les seuls hommes au monde qui revendiquions notre libre-arbitre moral, et que l’on peut être très orthodoxe et néanmoins tenir à ses opinions.

XI

Je vous disais, il y a un instant, que notre civilisation moderne, due aux principes fondamentaux du christianisme, formait l’apanage des nations protestantes comme des nations catholiques. Or, comme certaines gens sont singulièrement disposés à m’attaquer sur la seule raison que c’est moi qui parle, j’aie assez à m’étayer de noms qui forcent la réaction de garder en elle-même les injures qu’elle ne manquerait pas de m’adresser si je parlais seul.[3] Voici donc ce que je trouve dans un des derniers sermons du père Hyacinthe : « Les peuples baptisés, catholiques ou non, mais chrétiens, forment le noyau de la civilisation ; les peuples non-baptisés, la zone immense de la barbarie. »

Si tous les peuples chrétiens forment au même degré le noyau de la civilisation, s’ils sont égaux dans leur action sur le progrès humanitaire, pourquoi donc, quand les individus, tous chrétiens, mais de dénominations différentes, se trouvent réunis dans une même localité, n’entretiendraient-ils pas les uns envers les autres le sentiment chrétien de l’union et de la charité mutuelle, au lieu du sentiment payen de la persécution et de la haine ? Il me semble en vérité que les vrais payens, que les vrais impies, ce sont ceux qui cultivent parmi nous l’éloignement mutuel, la défiance et la discorde, au lieu d’y conseiller le rapprochement et la concorde.

Que d’injures, dernièrement, à propos de quelques libéralités protestantes faites à cet Institut ! Mais alors pourquoi donc ne rendons-nous pas aux Protestants les sommes qu’ils ont données pour Ia construction de notre église paroissiale ? La fabrique est-elle entachée de protestantisme, parce qu’il a plu à quelques protestants d’être plus libéraux que nous ne le sommes ? Que nos réactionnaires enragés aillent donc gourmander l’Évêque de Philidelphie, parce qu’il ne rend pas les $50, 000 que les protestants de cette ville ont souscrites pour l’érection de sa cathédrale ! Qu’ils aillent donc ordonner à l’Évêque de New-York de cesser de recevoir les dons des protestants pour l’érection de la sienne ! Qu’ils aillent donc dans cent villages des États-Unis recommander aux catholiques de ces villages de ne plus mettre le pied dans leurs églises, parce qu’elles ont été en plus grande partie bâties par des souscriptions protestantes ! Or, si la réaction est si heureuse de recevoir l’or hérétique, quelle si grande honte y a-t-il donc à nous de recevoir des contributions de nos propres membres appartenant aux diverses communions chrétiennes, ou celles de leurs amis qui approuvent notre esprit de tolérance ? Voyons ! certains jours auront-ils la décence de se taire ? Quand c’est eux qui reçoivent, mérite pour les protestants : mais si c’est nous, honte pour les protestants et surtout pour nous ! Vous voyez comme la réaction sait toujours avoir deux poids et deux mesures, et combien sa logique est quelquefois la violation du bon sens !

XII

Avec ces journaux et ceux qui les inspirent, il n’y a rien de bon hors de chez eux ! Eux seuls sont vertueux ! Eux seuls sont religieux ! Eux seuls sont sincères ! Eux seuls ont des intentions droites ! Hors de chez eux il n’y a qu’erreur, vice et perdition !

La grande Église gallicane même est hérétique à leurs yeux ! Cent fois ils ont décrété Bossuet d’hérésie, et au dernier siècle, en 1761, ils voulaient, en Belgique, faire brûler ses livres par la main du bourreau ! Il fallut un édit de l’Impératrice Marie-Thérèse pour empécher cette intelligente et chrétienne manière de traiter celui que l’on a surnommé « le dernier des Pères de l’Église ! »

Partout les caractères distinctifs de la réaction sont l’intolérance, l’idée inquisitoriale, l’esprit hargneux ! Voyons donc un peu si tout le monde pense comme elle et approuve ! Voyons donc un peu si les hommes éclairés sont d’avis qu’il n’y a rien de bon chez ceux qu’on appelle nos frères séparés, excellente raison, ce me semble, de ne pas les traiter en ennemis puisqu’on les appelle frères. La réaction ne veut-elle donc la charité que dans les mots et point dans les choses ? Voyons donc enfin si les catholiques éclairés nous conseillent de traiter nos frères des autres dénominations chrétiennes comme des hommes tellement dangereux qu’il faille bien se donner garde de les admettre même dans une association d’étude laïque ! Écoutons encore le Père Hyacinthe :

« Laissez-moi vous citer un exemple touchant de l’instruction primaire telle qu’elle est donnée au foyer de la famille dans certaines parties de la Norvège. Dans ces rudes climats, l’été est consacré à la culture des champs et l’hiver à la famille. Elle se recueille alors autour du foyer, lieu central de la lumière et de la chaleur, non-seulement pour le corps, mais aussi pour l’âme. Et c’est là que l’on s’occupe de l’éducation des enfants. Les vieux parents y président. La mère, les sœurs ainées sont les institutrices, et elles s’adjoignent souvent un instituteur ambulant, pèlerin des foyers, qui s’en va à travers les neiges avec son bagage de science chrétienne, d’histoire et de poésie nationales. À côté de l’instituteur, et parfois à sa place vide, s’assied le ministre de la religion, un ministre protestant, je le sais, mais d’ordinaire un homme qui a conservé la sève du christianisme avec la foi en Jésus-Christ et la morale de l’Évangile. À cette école du foyer se forment chaque jour des générations dont le sentiment religieux et le sentiment patriotique sont autrement vivaces et autrement unis que chez nous. »

XIII

Il faudrait, Messieurs, de longs commentaires pour faire ressortir complètement toutes les nobles idées de tolérance et tous les sentiments vraiment chrétiens qu’exprime l’admirable passage que je viens de vous citer. C’est là un hommage non suspect rendu aux mœurs vraiment patriarcales des populations rurales des pays du Nord de l’Europe, à leur amour de l’éducation, à leur esprit religieux et chrétien. Il y a donc quelque chose à admirer chez ces protestants, puisqu’un prêtre catholique éminent se plaît à le constater avec tant de cordialité et de franchise. On aime à se figurer, dans ce frais tableau présenté par le prédicateur, cet instituteur ambulant, pèlerin des foyers, qui parcourt les neiges avec son bagage de science chrétienne. On aime entendre un prêtre catholique s’élever au dessus des vulgaires préjugés de parti où de secte, et rendre hommage au ministre de la religion, protestant sans doute, mais que ce prêtre catholique vraiment éclairé regarde comme frère et collaborateur, parce qu’il a conservé la sève du christianisme et la foi en Jésus-Christ. Voilà le vrai prêtre, tolérant et chrétien, qui accepte le bien n’importe qui le fait, et qui ne marchande pas la louange sous le honteux prétexte de différence de religion. Et, chose remarquable, ce même prêtre catholique ne craint pas d’admettre que chez ces générations des hommes du Nord, formées sous l’égide du protestantisme, le sentiment religieux est plus vivace que chez nous ! (il parle de la France, pourtant si catholique.)

Eh bien, il y a donc une certaine somme de bien partout, il y a donc des gens très-estimables, très-religieux, très-dévoués, hors de chez nous ! Pourquoi donc ne nous parler d’eux qu’avec hostilité et mépris, comme les journaux de la réaction le font tous les jours ?

Quelle étrange chose que ces catholiques qui sont incapables de trouver une leçon de charité et de déférence pour autrui dans l’Évangile, et pour qui la religion semble n’être qu’une source où une cause d’éloignement où d’inimitié !  !

Laissons donc, Messieurs, gronder l’intolérance, et tout en restant attachés à nos convictions, religieuses ou autre, sachons respecter celles des autres : sachons avoir pour les gens sincères qui ne pensent pas comme nous, la déférence à laquelle ils ont droit, cette même déférence que nous réclamons de leur part : conservons avec soin ces amis estimables, ces citoyens éclairés et irréprochables, que nous possédons dans les communions dissidentes : tendons-leur la main au lieu de leur montrer la porte ! Sachons accueillir ceux que l’on appelle nos frères séparés comme nous désirons qu’ils nous accueillent nous-mêmes ! Sachons leur prouver que si nous avons parmi nous des catholiques très-peu chrétiens, il en est d’autres qui comprennent que tous les membres de la grande famille chrétienne doivent se regarder comme des frères ! Sachons enfin montrer que ces deux admirables préceptes, qui renferment la loi et les prophètes : « Aimez-vous les uns les autres ; » et « faites à autrui ce que vous désirez que l’on vous fasse, » ne sont pas lettre-morte pour nous s’ils le sont pour nos calomniateurs ! Sachons enfin montrer que le véritable esprit du catholicisme, c’est le bon vouloir envers tous, et non l’ostracisme même sur le champ de l’intelligence.

XIV

Mais je sais que l’école va prétendre que la tolérance est une idée anti-catholique ; elle l’écrit tous les jours dans ses journaux. Allons donc ! une idée fondamentalement chrétienne qui, par tous les grands écrivains de l’église, remonte jusqu’à son fondateur, serait anti-catholique ! Eh non ! la chose n’est pas possible ; la réaction s’oublis et semble quelquefois ne plus se comprendre elle-même. Pour ceux qui comprennent le catholicisme, c’est l’intolérance qui est anti-catholique, car intolérance et persécution sont presque toujours synonymes et marchent toujours de pair. Intolérance et persécution sont diamétralement opposées aux idées de charité et d’amour qui forment la vraie base du catholicisme, dans son essence au moins, sinon tel que la réaction nous le représente quelquefois. La réaction ne fait donc souvent que discréditer le catholicisme au lieu de le représenter tel qu’il est.

Mais il est incontestable, par exemple, que la tolérance est une idée anti-réactionnaire, est essentiellement une idée de progrès, puisqu’elle tend directement à gagner, à unir les esprits par la concorde, la douceur et la charité. Voilà sans doute pourquoi la réaction, dont les organes ont toujours la trompette de guerre en bouche, abhorre l’idée de la tolérance. Et comment en serait-il autrement ? La tolérance c’est la paix universelle, et depuis sept siècles surtout la réaction n’a fait que prêcher l’extermination — il est vrai qu’aujourd’hui elle ne parle que de la simple élimination par la force séculière — de tous ceux qui pensent autrement qu’elle ! Tous ses organes proclament que sa mission dans le monde est la guerre à tous ceux qui ne veulent pas se laisser dominer moralement : la tolérance n’est donc pas son fait. Pour elle, la tolérance c’est la liberté de l’erreur ; et elle comprend si bien la philosophie du droit social, qu’elle se dit responsable devant Dieu de l’existence de ce qu’elle appelle l’erreur. Si elle pouvait jamais accepter un conseil, je lui donnerais en vérité celui de recommencer sa philosophie, et de sonder un peu les grandes questions de la liberté morale et de la correction fraternelle.

XV

Mais si la tolérance est une idée anti-catholique, cela voudrait donc dire que la réaction peut imposer ses idées à l’individu sans se mettre le moins du monde en peine de le convaincre par la discussion ! Dieu nous aurait donc inutilement donné l’intelligence et le libre-arbitre ! Dieu se serait donc trompé !

C’est toujours à de pareilles impasses que la réaction arrive avec ses principes.

Si les grands écrivains du christianisme ne se sont pas trompés en disant qu’il « fallait persuader et non contraindre : » « traiter en toute sorte de douceur et non violenter : » la réaction se trompe certainement quand elle prétend que la tolérance est une idée anti-catholique. Il n’y a pas de milieu, l’un ou l’autre est erroné. Eh bien, je crois que l’on ne court pas grand risque à se ranger avec les docteurs de l’Église, St. Justin, Tertullien, St. Hilaire de Poitiers, St. Athanase, St. Jean Chrysostôme, St. Basile, St. Grégoire de Nazianze, le pape St. Grégoire Lactance, et plus récemment, St. Thomas, le Cardinal Pierre Damien, l’Évêque Duchâtel, l’Évêque duBellai, le Cardinal Lecamus, Fénélon, plusieurs assemblées du clergé de France, et nombre d’autres qui font autorité, n’ont-ils pas réclamé ou conseillé la tolérance absolue ?

La correspondance entre St. Basile et le philosophe Libanius n’est-elle pas la meilleure preuve de l’esprit de tolérance complète qui régnait alors ?

St. Jean Chrysostôme ne disait-il pas aux fidèles de Constantinople : « Dans nos discussions avec les gentils, réfutons-les sans colère et sans dureté. En le faisant avec colère, nous agissons sous l’empire de la passion, et non pas avec la confiance de la vérité. Le langage de la vérité doit être calme et indulgent ? »

Et St. Athanase ne disait-il pas aussi : « C’est une exécrable hérésie que de vouloir attirer par la violence et les emprisonnements ceux que l’on n’a pu convaincre par la raison ? »

Et St. Grégoire le Grand : « Combattez l’erreur par des arguments, c’est justice, mais sachez être bons et indulgents envers ceux qui ont eu le malheur d’y tomber. »

Et St. Augustin : Dieu tolère bien les hérétiques, pourquoi les persécuterions-nous ? »

Et St. Thomas n’établit-il pas avec toute l’antiquité chrétienne « qu’on ne doit jamais contraindre les infidèles à embrasser la foi ; et que même après les avoir vaincus et faits prisonniers, il faut les laisser libres sur l’article de la religion ? » Il faut donc respecter leurs opinions !

Tout cela ne montre-t-il pas un peu qu’il y avait peut-être un meilleur moyen à prendre avec nous que celui de nous frapper de censures sans même nous entendre ?

XVI

Mais la réaction a trouvé une idée lumineuse, qu’elle n’exprime pas toujours crûment, mais qui se résume ainsi : « Vous, hérétiques ou autres, devez nous tolérer quand nous sommes faibles ; mais nous ne pouvons clairement pas vous tolérer quand nous sommes forts. » Or cela revient à dire : « Faites-nous ce que vous désirez que l’on vous fasse : mais quand à nous, nous sommes obligés de ne pas vous faire ce que nous désirons que l’on nous fasse. » Peut-on jamais se moquer plus audacieusement de l’évangile, ainsi que de toute notion de conscience, de morale et de bon sens ? Mais la réaction est ainsi faite ; elle ne doit jamais rien à personne et les autres lui doivent tout.

Et elle le dit en toutes lettres quand elle est derrière un million de bayonnettes. Voyez cette phrase qui est tombée de la bouche d’un réactionnaire dans le corps législatif de France : « Quand vous êtes au pouvoir, nous vous demandons la liberté parce qu’elle est dans votre principe ; et quand nous sommes au pouvoir, nous vous la refusons parce qu’elle n’est pas dans le nôtre. » Voyons ! le cynisme est-il assez révoltant ? Peut-on dire quelque chose de plus essentiellement anti-social et impie ? « Vous nous devez tout et nous ne vous devons rien ! Point de devoir pour nous ! » Et voilà le parti qui ose nous dire ; « Croyez-nous sur parole : n’examinez point ! soumettez-vous, même en politique ! »

Sa doctrine est donc, en définitive : « C’est une impiété que de ne pas nous tolérer, et quant à nous, ce serait une impiété de tolérer les autres. » Voilà encore une des impasses où les principes de la réaction la conduisent ; une des absurdités qui en découlent forcérment !

Comment pourra-t-elle, avec un pareil principe, réclamer contre la persécution en Irlande, ou en Pologne, ou en Suède ? Car malheureusement le protestantisme aussi est persécuteur souvent ; et en cela il est bien plus coupable que nous, puisqu’il repousse le principe d’autorité et se base sur celui du libre-examen ! Or, de quel front irions-nous, nous catholiques, réclamer la tolérance ailleurs si nous la refusons chez nous ? Il faut toujours en revenir là, au grand axiome évangélique ; « Faites aux autres ce que vous désirez que l’on vous fasse. » Tout ordre social est impossible sans cela ; et n’importe qui en sort arrive nécessairement à l’absurde.

XVII

Parmi les plus illustres défenseurs du principe de tolérance, on doit ranger Mgr Rendu, évêque d’Annecy. Personne n’a défini la liberté avec plus d’exactitude que lui ; personne n’a assis le principe de la tolérance sur une base plus large et plus sûre. Je trouve ses admirables définitions dans l’excellent ouvrage de M. de Montalembert intitulé : « Des intérêts catholiques au 19ème siècle. » Cet ouvrage contient les plus sages avis adressés à la réaction, mais elle n’en a jamais tenu le moindre compte. M. de Montalembert n’ayant pu ni accepter ses travers ni approuver ses fautes, et s’étant permis de lui adresser quelques respectueuses remontrances, la réaction a tout simplement décidé qu’il avait écrit quelques passages pénibles, et l’a rangé sur les tablettes dans le recoin des bouquins. Voilà comme elle a toujours traité même ses meilleurs amis quand ils ont essayé de lui inculquer quelques idées raisonnables et pratiques. Sûrement on ne dira pas que M. de Montalembert ou Mgr Rendu soient des libres-penseurs. Au reste, on sait quel découragement profond s’est emparé de M. de Montalembert après son dernier voyage à Rome. Il semble d’ailleurs en avoir eu le pressentiment dans ses « Intérêts catholiques. »

Mgr Rendu définit donc la liberté comme suit :

« La puissance dont chaque citoyen jouit dans la société dont il fait partie, c’est ce qu’on appelle liberté ; et comme cette puissance du citoyen se manifeste dans des circonstances diverses, on peut, et même on doit la désigner sous des noms divers, mais c’est toujours la liberté. Elle comprend :

« 1o La liberté religieuse, qui elle-même se compose de la liberté de conscience, de la liberté du culte et de la liberté du prosélytisme :

« 2o La liberté civile, qui contient la liberté de la personne, celle du domicile, celle de la propriété et conséquemment le consentement de l’impôt :

« 3o La liberté politique, qui assure à tout individu son concours dans la confection des lois et dans la surveillance de la fortune publique :

« 4o La liberté d’enseignement, par l’écriture ou par les livres ; par la parole et par l’exemple :

« 5o. La liberté administrative dans la famille, dans la commune, dans la province et dans l’état :

« 6o. Enfin la liberté d’association, qui comprend les nationalités, l’association des capitaux pour les grandes entreprises, des bras pour le travail, des cœurs et des consciences pour la prière, pour l’exercice de la charité, et même pour le plaisir. C’est de cette dernière espèce de liberté que dépend plus spécialement le progrès de la civilisation. »

XVIII

Et toutes ces libertés de détail sont fondées, d’après Mgr Rendu, sur le principe fondamental de la liberté native de l’homme comme être pensant et raisonnable. « La liberté, dit-il, c’est l’homme tel qu’il est sorti des mains de Dieu ; l’homme avec son intelligence et sa volonté ; l’homme à qui il a été dit : « Voilà le bien, voilà le mal ; tu peux choisir ; mais voilà ma loi, si tu la violes, tu mourras. » La liberté, encore une fois, c’est l’homme jouissant de sa spontanéité dans l’usage qu’il fait de ses forces morales… C’est donc dans sa liberté morale qu’il faut chercher l’origine et l’explication de la liberté dont il doit jouir parmi ses semblables. »

Voilà parler en philosophe chrétien ! Voilà un évêque qui sait comprendre et définir les droits comme les devoirs de l’homme en société. Or le premier de ces droits, dans l’opinion de cet illustre évêque et grand penseur en même temps, c’est la liberté de conscience, la liberté du culte et celle du prosélytisme. Le choix du culte, la communication des convictions, sont de droit naturel. Donc la tolérance n’est que le respect du droit primordial de chacun : donc l’intolérance est la violation de ce même droit.

Or les droits de tous les membres de la grande famille humaine sont les mêmes, quelles que soient leurs conviction religieuses. J’ai le droit d’être catholique et le protestant n’a rien à y voir. Tel autre a le droit d’être protestant et je n’ai rien à y voir. C’est là une affaire exclusivement entre l’homme et Dieu, une affaire qui ne ressort entièrement et absolument que de la conscience de chacun. Si le protestant se trompe — et les catholiques doivent croire qu’il se trompe — eh bien, il n’échappera pas au jugement tôt ou tard ; mais c’est à Dieu seul qu’il appartient de le juger, et non à nous ! Et c’est une impiété, à n’importe quel homme, que de vouloir violenter la conscience de son frère. Persuader, à la bonne heure, c’est là le prosélytisme. Mais du moment que l’on sort de la persuasion pour tomber dans la contrainte, alors le droit de celui qui subit la contrainte est violé dans son essence et l’ordre établi de Dieu est renversé. Le véritable impie c’est l’intolérant !

XIX

D’ailleurs, le principe de la tolérance n’est-il pas aussi nettement posé et affirmé que possible, dans l’Évangile, par cet anathème même infligé par le Christ à ceux qui demandaient que le feu du ciel descendit sur une ville qui refusait de recevoir la prédication ?

Et si la liberté d’association est de droit naturel soit pour le travail, soit pour la spéculation, soit pour la prière, soit pour la charité, soit même pour le plaisir, le serait-elle donc moins pour l’étude ? Pas avec des protestants ! nous dit l’intolérance. Eh bien, voyons ! Dans presque toute l’Allemagne rhénane, dans l’Alsace et la Franche-Comté, en France, nombre de communes n’ont qu’une église dans laquelle les catholiques et les protestants se réunissent à des heures différentes. Et ces gens vivent en paix ensemble ; et les catholiques font leur religion là comme ici. Quel plus grand mal y a-t-il donc d’étudier ici dans le même lieu, que de prier là bas dans le même lieu ?

Dans une société essentiellement mixte comme la nôtre, va-t-il donc falloir demander à chacun quelle est sa religion avant de savoir si l’on peut mêler ses capitaux aux siens, faire du bien en sa compagnie, où former une bibliothèque commune ? Déclarons donc de suite l’hostilité perpétuelle ! Toute acquisition de science commune serait-elle un poison pour nous ! Mais si nous déclarons tous les livres écrits par des protestants mauvais, croit-on que cela les induira beaucoup à lire les nôtres ? Allons ! la raison n’est pas là ! C’est tout simplement le despotisme moral !

Mais la réaction nous conduit directement à l’anarchie sociale avec ses principes ! Comment pouvons-nous espérer maintenir notre propre liberté si nous ne respectons pas celle d’autrui ! Sur quoi baserons-nous notre propre droit, si nous ne reconnaissons pas celui des autres ? Le droit naturel n’existe-t-il que pour nous ?

L’homme est essentiellement libre, sorti tel de la main de Dieu : mais sa liberté est nécessairement limitée par les lois morales et par la liberté de ses frères. La liberté de l’individu ne saurait s’étendre jusqu’à vicier celle des autres. Elle est donc limitée par la charité, le devoir, l’amour du prochain. Ce sont ces idées qui doivent régir les lois que les sociétés policées établissent pour définir les droits généraux et individuels, et laisser intactes toutes les libertés ou les droits individuels qui ne nuisent pas à autrui. La société ne fait donc, par ses lois, qu’équilibrer les libertés et empêcher les unes de prévaloir sur les autres.

C’est précisément là l’idée qu’exprimait Monseigneur de Moulins dans cette phrase si juste et si pleine de franchise qu’il adressait à Mgr Dupanloup en 1852. « Je l’avouerai naïvement, disait-il, dussè-je passer pour le demeurant d’idées déjà éloignées, j’aime la liberté, et je l’aime trop quand elle me sert pour ne pas la supporter quand elle me gêne. »

Je ne sais quel effet aura pu produire sur le plus éloquent apôtre de l’absolutisme de notre époque cette adroite et spirituelle réclame en faveur de la liberté : mais n’admirerez-vous pas avec moi cette fine petite malice dite avec tant de bonhomie par un évêque libéral à son confère intolérant ? Au risque de passer pour un trainard, — avec vous autres qui marchez maintenant avec des bottes de sept lieues dans les sentiers de l’absolutisme, — moi je ne puis me défendre d’aimer la liberté ; et si elle me gêne quelquefois, eh bien je l’endure, parce qu’elle me sert bien souvent. »

Je soupçonne un peu que Mgr Dupanloup, avec son brillant esprit, a du se dire in petto — en souvenir de Démosthène voyant Phocion monter à la tribune. — « Voici une petite pointe acérée qui perce à jour mes arguments les plus travaillés. »

M. de Montalembert aussi exprimait éloquemment, un jour, dans le Correspondant, la même idée que Mgr de Moulins.

« Il y a, disait-il, dans le cœur de l’honnête homme qui parle pour tous, et qui, en parlant pour tous, semble quelquefois parler contre lui-même, il y a une loi de puissance, de supériorité logique et morale, qui produit infailliblement la réciprocité. Oui, catholiques, entendez-le bien ; si vous voulez la liberté pour vous, il faut la vouloir pour tous les hommes et sous tous les cieux. Si vous ne la demandez que pour vous, vous ne l’obtiendrez jamais ! Donnez-là où vous êtes les maîtres, afin qu’on vous la donne où vous ne l’êtes pas. »

Eh bien, voilà certainement un sage avis, donné par un homme non suspect. Qu’en fait la réaction ? Elle hausse les épaules et dit que c’est un passage pénible ! Ce passage résume pourtant la quintessence des droits et des devoirs de l’homme en société. Mais comme il donne impitoyablement sur les doigts de la réaction, elle se fâche et se plaint que ses amis l’abandonnent. Elle s’est placée dans une position telle que plus ils sont sensés, plus ils lui déplaisent ! Comment osent-ils lui donner des conseils ! Et l’idée de l’archange rebelle lui vient à l’esprit !

XXI

Vous voyez donc, Messieurs, que les doctrines de l’intolérance trouvent leurs plus redoutables adversaires chez des Évêques et des prêtres catholiques. Vous voyez, comme je le disais tout-à-l’heure, qu’il y a beaucoup de bonne compagnie avec nous. Il est évident pour ceux qui l’ont étudié, que l’intolérance n’est pas dans l’esprit du catholicisme. Ceux qui affirment cela ne le comprennent pas, et c’est un véritable malheur qu’il y ait tant de gens, ici et ailleurs, qui se plaisent, les uns par une fausse notion de devoir, les autres par hypocrisie, à le discréditer ; et, par leurs paroles et par leurs actes, à le faire paraître aux yeux des dissidents différent de ce qu’il est.

Emportés par la passion, par la soif de domination temporelle, qui leur est interdite par mille passages de l’évangile et par toute la tradition chrétienne, ils ne songent qu’à faire ramifier partout le principe d’autorité et à étouffer celui du libre-arbitre. Voilà le parti de la réaction ! À ses yeux la conscience n’a aucuns droits qu’il soit tenu de respecter ; et l’homme doit à tout âge rester dans ses mains ce qu’il est au collège, un simple élève qui ne doit croire que ce que le maître dit.

Et que l’on ne dise pas que j’exagère. N’avons-nous pas entendu pendant trois mois partir d’un grand nombre de chaires l’idée absurde en droit et en fait que le catholique ne doit pas se former d’opinions politiques sans consulter ses pasteurs ? Nous sommes donc encore au collège ! Eh bien, franchement, cela ne peut pas convenir à tout le monde. Et si la réaction ne comprend pas qu’en poussant aussi loin ses doctrines, en tombant ainsi dans une exagération aussi ridicule que coupable, elle ne fait qu’éloigner d’elle les hommes intelligents, eh bien, elle ne me paraît pas très propre à diriger les autres.

XXII

Quoi, nous irions étudier la politique chez ceux qui comprennent si peu la loi naturelle qu’ils contestent à l’homme le libre arbitre de sa pensée ! Il nous faudra accepter nos idées politiques d’hommes qui, quelque mérite qu’on leur concède dans leur sphère, n’ont jamais fait la moindre étude du droit, soit civil soit politique ! Des citoyens iraient se former chez ceux dont toute l’action, dans le monde, consiste à nier les droits du citoyen en théorie, et à les détruire dans la pratique au profit du despotisme ! Mais, aux yeux de la réaction, être républicain, c’est être ennemi de l’ordre social et de Dieu même ! Tous les journaux de la réaction représentent les institutions républicaines comme l’anarchie en permanence !

Et pourtant, quand le pape Pie vii n’était encore qu’évêque d’Imola, ne disait-il pas un jour : « Ne croyez pas, mes chers frères, que la religion catholique s’oppose à la forme du gouvernement républicain. » Et dans une autre occasion : « La liberté, chère au ciel et à la terre, est une des facultés de l’homme… Le gouvernement démocratique, mes très chers frères, n’est point en contradiction avec cette maxime et ne répugne point à l’évangile. Il exige même toutes ces vertus sublimes que l’on n’apprend qu’à l’école de Jésus-Christ, et qui, si elles religieusement sont pratiquées, feront votre bonheur et la gloire et la splendeur de la république. »

Et quand Mgr Purcell, archevêque de Cincinnati, disait dans une magnifique lettre pastorale, il y a quelques années, à ses diocésains : « qu’ils avaient le bonheur de vivre sous les institutions les plus libres de l’univers ; » était-ce là condamner la forme républicaine de gouvernement ?

XXIII

Mais ici la réaction va sans doute nous dire : « Ah, nous ne sommes pas opposés à la république ! Seulement il est nécessaire que nous puissions contrôler la législation, car la vérité ne vient que de nous. »

— Ah ! vous ne voulez d’une république qu’à la condition de la contrôler ! Eh bien, ce sera une belle république !  ! Tenez, permettez que nous refusions !

Mais ces jours derniers même, que vient donc de nous dire un évêque des États-Unis ? Après nous avoir donné la terrible information que plus de 500,000 canadiens-français sont allés s’établir dans les États-Unis, et aussi cette autre excellente information — démenti formel donné à tous les journaux fanatiques et insulteurs d’ici — qu’une fois là les canadiens n’abandonnaient point leur foi ; il demande des prêtres parlant leur langue, mais qu’ajoute-t-il ? « et partageant leurs idées et leurs sentiments sur la terre où ils vivent. » Voyons, est-ce assez clair ? Sommes-nous assez vengés ? Toutes nos chaires, l’année dernière, retentissaient de l’idée que l’on ne pouvait être à la fois catholique et libéral ! Et voilà un évêque qui vient nous demander, quoi ? Des prêtres libéraux ! c’est-à-dire qui partagent les idées et les sentiments de nos compatriotes expatriés dont les neuf-dixièmes sont républicains. Et ici c’est un péché d’être libéral ? Que ne pourrais-je pas dire, maintenant, sur les refus d’absolution pour cause purement politique ?

Je parle ici avec tel membre du clergé : je le trouve exagérément monarchiste. Je parle aux États-Unis avec un prêtre séculier, ou un père jésuite ; et je les trouve franchement républicains. Avec le premier c’est un péché d’être libéral, avec ceux-ci c’est une vertu ! Quelle est la seule conclusion à tirer de cette contradiction ? Que le clergé devrait s’abstenir de politique active de parti ; et surtout de faire un péché du libéralisme à vingt lieues du pays où il faut être libéral pour être dans l’esprit des institutions que le texte « toute puissance vient de Dieu » oblige de soutenir.

XXIV

Voyageant aux États-Unis, je me trouve, à une table d’hôte, placé en face de deux voyageurs dont la conversation m’intéresse fortement. L’un de ces deux voyageurs, homme particulièrement instruit et distingué, passe en revue la politique américaine, et approuve entièrement la législation du Congrès, c’est-à-dire ce que nos réactionnaires d’ici appellent du radicalisme. Cet homme est aussi complètement républicain qu’on peut l’être, et chacune de ses paroles porte le cachet d’une grande élévation dans les idées et d’une instruction solide. Je l’étends dire que le parti républicain est vraiment national, et qu’il est absurde de lui attribuer un libéralisme outré qui n’existe pas chez lui. Je l’entends dire : « Je suis républicain de conviction et j’ai désiré le triomphe du général Grant, parce qu’il faut au pouvoir un homme qui représente les sentiments de la majorité. »

Sorti de table je demande qui est ce voyageur. C’était un évêque catholique d’une grande ville des États-Unis. Ce n’est donc pas un péché d’être libéral, ou républicain ! Pourquoi donc nous le dit-on ici ? On fait donc servir la religion à soutenir un parti politique. L’esprit de parti va donc se nicher partout.

Eh bien oui, cela est triste à dire, car cela mous rappetisse comme peuple ; cela nous fait partout adresser le reproche d’ignorance : c’est un péché ici d’être libéral ! Et ce sont ceux qui nous affirment cette terrible erreur qui veulent nous imposer leur direction politique ! Mais leurs doctrines politiques ne valent mieux que leurs doctrines sur la tolérance ! Elle sont toutes anti-philosophiques, anti-chrétiennes, anti-patriotiques surtout ! Pour un plat de lentilles, la réaction est toujours prête à vendre le droit d’aînesse d’un pays ! Voyez ses journaux, et même quelquefois ses mandements, et vous verrez quel cas elle fait des libertés publiques et des droits les plus sacrés des citoyens !

Ne vient-elle pas de nous dire que nous n’avions plus le droit de discuter nos institutions après le fait accompli ? Quoi ! la tyrannie sera donc irrévocable ! Fait accompli contre les libertés d’un peuple ! Où donc prend-elle ses notions de droit ?

Fait accompli ! Grand mot qui lui plaît beaucoup quand elle en profite ! Mais pourquoi donc tant d’anathèmes passionnés quand c’est contre elle que le fait accompli s’exécute ?

XXV

Au reste la réaction en est là aujourd’hui. Toute sa tactique politique, toute sa tactique sociale, toute sa tactique religieuse, toutes ses idées enfin et toutes ses convoitises, se concentrent sur un seul principe, celui de l’intolérance. C’est là aujourd’hui le fond et la forme de toute son action dans le monde. Elle a déclaré la guerre à la société moderne, à la pensée humaine, au libre-arbitre moral, à plusieurs des plus importantes conquêtes de la civilisation, et personne ne doit plus penser que par elle, même dans l’ordre temporel !

Et n’en est-elle pas rendus à traiter d’hérétiques, d’ennemis de Dieu et du catholicisme, ceux qui pensent avec les plus grands Docteurs de l’église et ses plus lustres Évêques, que le pouvoir temporel nuit plus à la religion qu’il ne lui sert ? Que d’injures ses journaux n’ont-ils pas dites à ceux qui pensaient ainsi sur cette question libre ? Sa doctrine, aujourd’hui, c’est qu’il lui est nécessaire ! C’est une vérité, a-t-elle dit ; qu’il n’est pas permis de nier ! Alors que fait-elle de la lettre de St. Bernard au pape Eugène ?

Que fait-elle de celle du pape Grégoire III à l’empereur Léon ?

Que fait-elle de l’opinion du pape Gélase ? Que fait-elle de l’opinion du grand Osius de Cordoue ? Que fait-elle des nombreux passages de l’Évangile qui défendent si fortement la domination temporelle aux disciples ?

Mais Fénélon la niait bien, cette vérité d’aujourd’hui, et qui n’était certainement pas la vérité hier, dans un ouvrage à peu près inconnu ici, où il exprimait si fortement le désir que Rome renonçât à ces domaines, (prædia) et à cette puissance temporelle qui la détournaient de sa mission purement spirituelle et l’absorbaient dans de vils intérêts humains et dans la tortueuse politique du siècle ! « Plût à Dieu, ajoutait-il, que maintenant l’épouse du Christ consentit à se dépouiller de ses domaines, de ses patrimoines, de ses richesses temporelles et des viles dignités de ce monde ! » Est-il libre-penseur, lui aussi ?

XXVI

Je pourrais multiplier les citations là-dessus, mais je les réserve pour une autre occasion. Je voulais seulement vous faire voir que quand ses intérêts sont en jeu, la réaction aussi donne dans le travers des idées nouvelles, chose qu’elle nous reproche avez tant de passion ! C’est certainement une idée très-nouvelle, et très récente dans l’Église, qu’elle ne saurait se passer de puissance temporelle et qu’il n’est pas permis de croire le contraire ! C’est encore là une de ces prétentions que toute la tradition chrétienne met à néant ; ce qui n’empêche pas la réaction de nous contester notre libre-arbitre même sur une question de ce genre qui est essentiellement libre puisqu’elle ne touche en aucune manière à l’essence de la religion. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est encore un évêque. « Il n’est pas nécessaire, Nos Très chers Frères, » disait Mgr Kenrick, de Philadelphie, dans un mandement à son troupeau ; « il n’est pas nécessaire que nous vous apprenions que la souveraineté temporelle des États-Romains est, de sa nature, absolument distincte de l’autorité suprême que l’Évêque de Rome exerce sur toutes les Églises. »

Sans doute, elle est absolument distincte ; la différence d’opinion sur sa nécessité est donc permise de plein droit. Pourquoi donc nous dire, avec tant de colères, qu’elle n’est pas permise ? Mais le Pape actuel lui-même n’a-t-il pas déclaré en plein consistoire, que l’on ne devait pas faire du pouvoir temporel une question dogmatique ? Nous sommes donc libres là-dessus !

Mais non ; même sur les questions indifférentes à la foi, la réaction ne permet pas de penser autrement qu’elle. Nous ne devons pas nous faire d’opinion, même en politique, sans elle ! Nous ne devons pas souscrire à un journal sans sa permission ! Et elle décrète d’immoralité tout journal qui revendique les droits de la conscience humaine et proteste contre la violence morale infligée aux citoyens, soit en chaire, soit au confessionnal, à propos de l’exercice de leurs droits politiques ! Et le citoyen même que l’on inquiète, que l’on tourmente ; à l’égard duquel on viole inexcusablement toutes les prescriptions des conciles et toutes les règles de la théologie, n’a pas le droit de se plaindre ! S’il le fait, c’est une mauvaise tête ! Voilà où nous en sommes !

Ce n’est pas seulement sur le pouvoir temporel qu’elle nous refuse le droit de penser ! Elle nous le refuse même sur les questions de politique locale ! On nous a dit partout, l’année dernière : « Vous êtes en conscience tenus de suivre « la politique des Évêques. » Est-ce la religion qui veut cela  ? »

XXVII

Et le mal est devenu si grand qu’à propos d’une récente élection il a fallu que le journal qui est ici le chef de file de la réaction fit enfin entendre quelques plaintes ! On était très heureux, quand c’étaient les libéraux qui étaient frappés d’ostracisme du haut de tant de charges ; mais quand on a été atteint soi-même dans la personne d’un ami, d’un protégé ; alors on a bien été forcé de faire comme les libéraux et d’élever la voix contre une intervention indue, imprudente, souvent coupable, dans un domaine où le citoyen doit avoir sa pleine indépendance. Et qui plus est, ce journal de la réaction s’est permis de dire des choses auxquelles les journaux mal notés n’avaient jamais songé. Il a affirmé très explicitement que les gens dont il parlait (le clergé) semblaient être décidément hostiles aux hommes intelligents mais sans fortune ! C’était bien là dire : « Vous n’aimez que les gens de peu de sens mais riches. » La botte était rude, mais c’est un journal ami du clergé qui l’a portée ! La même feuille n’a pas craint d’ajouter que « des principes faux, dangereux, avaient égaré des hommes qui ne devaient pas être exposés à de pareils errements. »

Quand les journaux libéraux avaient dit moins que cela et n’avaient fait que réclamer en faveur de la liberté morale de l’électeur, on les avait décrétés d’impiété !

Mais il faut donc que le mal existe, et ait une certaine gravité pour qu’une feuille essentiellement réactionnaire ait été forcée d’élever la voix et de se plaindre si énergiquement des graves écarts de plusieurs membres du clergé ! Et le fait est qu’elle n’a pas osé dire tout ce qu’elle savait. Elle a passé des faits très graves sous silence. Les journaux libéraux ont donc eu raison ! C’est leur adversaire le plus acharné qui vient le constater, l’avouer, et dire des choses plus cruelles qu’eux ne l’avaient fait !

XXVIII

Il faut bien le dire, l’intolérance enserre en quelque sorte tout notre système social. Elle y jette chaque jour de plus profondes racines ! La réaction envahit constamment le domaine temporel et ne veut permettre ni remontrances ni observations ! Nous sommes tenus de croire, sous peine d’être décrétés d’irréligion, que quand elle se mêle au mouvement temporel elle ne peut jamais avoir que des motifs irréprochables et ne saurait se tromper ! Chaque jour elle nous affirme sur la politique les choses les plus erronées en fait ou les plus insoutenables en droit, et personne ne doit être assez téméraire pour oser dire, ou même penser, qu’elle se trompe !

Le dire, fut-on poussé par le plus énergique sentiment de devoir envers un pays appauvri et trompé, c’est n’avoir ni foi ni loi ! « Silence sur toute la ligne ! » crient ses valets !

Eh bien, Messieurs, il me semble que nous ne sommes pas faits pour recevoir un pareil ordre, et surtout par de pareils intermédiaires.

Elle inculque partout au peuple, par les puissants moyens dont elle dispose, l’idée qu’il doit se soumettre de cœur à tout ce qui tombe de la bouche du plus encroûté réactionnaire, par cela seul qu’il appartient à la rédaction d’un journal religieux, ou parce qu’il porte l’habit ecclésiastique, et personne n’a le droit de réclamer !

Tous ses journaux insultent avec rage ceux qui veulent défendre le domaine purement laïque contre un envahissement constant ! Un prêtre aura beau exprimer les erreurs les plus graves sur la liberté d’opinion du citoyen ; aura beau violer tous ses devoirs, et toute convenance religieuse et sociale, au point de dire de la chaire aux citoyens qu’ils n’ont pas catholiquement le droit de choisir entre deux candidats également honorables ; et même qu’ils sont obligés en conscience de voter pour un candidat qu’ils savent être souillé par la corruption, mais qui convient à la réaction parce qu’elle le domine, la défaveur s’attachera à celui qui relatera les faits et en fera ressortir le danger !

Messieurs, ce système ne tue finalement que ceux qui l’emploient !

XXIX

Bien des gens sincères gémissent de fautes qui sautent aux yeux : mais on leur a tellement inculqué l’idée certainement fausse que même quand le prêtre se trompe on ne doit pas le dire parce que cela compromet la religion, qu’ils préfèrent souffrir et se taire plutôt que de maintenir avec fermeté ce que leur conscience, et même le simple bon sens, leur montrent être le vrai et le juste. On arrive ainsi à faire accepter, ou au moins à empêcher toute protestation contre les doctrines les plus anti-nationales et les plus anti-patriotiques,

Tous les jours les journaux de la réaction faussent l’opinion sur les questions les plus vitales ; mais comme on habitue le peuple à penser le moins possible, à ne lire que les journaux qui sont stipendiés pour voir tout en rose, à recevoir ses idées toutes faites, à s’abstenir d’examiner ce qu’on lui dit, et à faire de la politique une pure affaire de confiance aveugle dans les hommes, l’opinion s’endort, où se fausse, et devient indifférent aux plus terribles écarts ! On a façonné le public à l’idée du laisser-faire : on a conséquemment démoralisé l’opinion, et c’est une triste chose que de voir la réaction si tranquille sur les désastreuses ruines qui se produisent incessamment autour d’elle ! Le dépeuplement même du pays ne lui ouvre pas les yeux ! 500, 000 canadiens expatriés ! C’est un Évêque des États-Unis qui nous l’affirme ! Nous fondons comme neige au soleil de la confédération ! Le système nous appauvrit, nous décime, et il faut l’accepter de cœur sous peine d’irréligion !

Essentiellement aveugle le parti réactionnaire ne voit que sa domination du moment, et semble ne pas comprendre que toute action exagérée produit tôt ou tard sa réaction, nécessairement proportionnée à l’action produite,

XXX

Qu’à fait la réaction, jusqu’à présent, dans le monde, sinon produire périodiquement des révolutions, soit par incapacité de comprendre les besoins, les exigences ou les aspirations de la nature humaine ; soit par son obstination à se prononcer contre toute réforme et tout progrès ? Et quand enfin une révolution arrive, toujours par sa faute, toujours par ses refus de céder aux demander les plus légitimes, toujours par son invincible éloignement à se mettre au niveau des idées d’une époque, à accepter le progrès des institutions ; alors elle crie à fendre les rochers contre ces passions humaines dont son obstination seule à refuser toute réforme a provoqué le déchaînement ! Au lieu de creuser un lit au torrent, elle lui oppose une digue, et elle s’étonne finement ensuite que le torrent ait tout renversé !

Et, chose remarquable, elle semble avoir l’entendement irrévocablement fermé aux enseignements si répétés, si palpables, si évidents qui lui viennent de toutes parts. Partout elle voit des leçons, ou des châtiments pour les autres : mais jamais pour elle-même ! Vingt résolutions se sont faites contre elle et non-seulement elle n’y veut pas voir le doigt de Dieu, mais elle n’a pas abandonné une seule de ses prétention surannées ! Dans ce siècle où tout a marché, elle seule est restée immobile ! Elle a tenu bon vingt ans contre les chemins de fer ! Voyez la il y a mille ans, voyez-la aujourd’hui, c’est la même chose. Elle semble avoir pris pour symbole le Dieu Terme de l’antiquité ! Aussi est-elle repoussé partout ! Pas un pays où elle règne qui ne soit en ébullition constante ! Les seuls gouvernements qui n’aient aucune assiette dans l’opinion, aucunes racines dans la conscience publique, sont ceux qu’elle contrôle ou qu’elle dirige ! Sûrement il y a une raison à cela ! Les institutions qu’elle chérit sont les seules qui semblent n’avoir aucune base et qui s’écroulent d’elles-mêmes au moment où l’on y songe le moins ! On n’a qu’à souffler dessus, comme Garibaldi sur les Bourbons de Naples ; ces rois sanguinaires et parjures qui se disaient obligés en conscience de violer et renverser les constitutions qu’ils avaient juré de maintenir ; obligés en conscience de violer leurs serments !! Ces Nérons modernes qui ont, en plein dix-neuvième siècle, rétabli la torture dans leurs prisons : et qui y ont laissé commettre des infamies si innombrables qu’il ne me serait pas possible d’en effleurer seulement l’idée !

XXXI

Et ce n’est pas là le seul exemple ! Quoi de plus honteux que la chute du gouvernement autrichien en Mars 1848 ? Quoi ! l’un des plus grands gouvernements de l’Europe qui, suivant l’expression de M. de Montalembert, « s’est écroulé comme un château de cartes sous l’effort de quelques étudiants et de quelques juifs !  ! »

Et la chute des Bourbons de France en 1830, « perdus, dit M. de Loménie, qui n’est certes pas un libre-penseur, par une coterie féodale et sacerdotale dont l’ineptie passionnée s’obstinait à l’impossible ! » Dans quelles mains étaient-ils tombés ? Voici ce que nous dit M. de Châteaubriand, qui n’est pas non plus un libre-penseur : « L’évêque de St. Pol de Léon, prélat sévère et borné, rendait M. le comte d’Artois de plus en plus étranger à son siècle… et aussi, un autre évêque, savant et pieux, mais d’une telle avarice que s’il avait eu le malheur de perdre son âme, il ne l’aurait jamais rachetée ! »

Voilà certes des avis donnés par des amis ! Pourquoi la réaction n’en tient-elle jamais le moindre compte ?

Pourquoi Louis-Philippe est-il tombé, sinon parce que la réaction avait fini par tout contrôler ?

Et l’écroulement récent, et si inexplicable pour ceux-là seulement qui ont des yeux pour ne pas voir, de cette vieille nomarchie espagnole, si fortement murée contre le libéralisme ! Cet antique édifice du despotisme royal et de l’arbitraire inquisitorial n’était qu’une coque vide ! C’est sous son propre poids qu’il s’est affaissé. D’où vient cela ? Tant de faits étranges demandent une explication. Voici celle qui me paraît la plus plausible.

XXXII

Le gouvernement réactionnaire part du principe que le pouvoir n’a pas sa racine dans la nation, mais que c’est une délégation purement divine ! C’est une famille, où un homme, qui a reçu de Dieu le pouvoir de gouverner l’état. Partant, point de responsabilité.

Louis xiv inculquait avec le plus grand soin au Dauphin l’idée que le Roi n’est responsable qu’à Dieu seul, et qu’il est propriétaire des personnes et des biens de ses sujets. qui lui appartiennent en propre ! Or l’idée : responsable à Dieu, chez le despote, n’a aucune signification pratique, puisqu’il est le seul juge de sa propre responsabilité. Prenez les plus grands crimes de Louis XIV, ses persécutions et ses dragonnades ; les maris livrés à la torture, les épouses au soldat, les enfants de sept ans séquestrés et arrachés à leurs mères ; des hommes vénérables condamnés au martyre perpétuel des galères ou du bagne… le Roi, admettons-le, se croyait sans doute responsable à Dieu de ces actes. Mais quand le père Lachaise, ou le père Tellier, instigateurs des persécutions, lui avaient donné l’absolution, la conscience du Roi était en repos, et sa responsabilité à Dieu cessait puisqu’il avait son pardon. Confondant deux idées essentiellement distinctes, le pardon de ses fautes et ses devoirs envers son peuple, le Roi tranquillisait sa conscience sans même songer le moins du monde à l’obligation de la satisfaction, qui est pourtant le corollaire de la responsabilité. Le pardon donné ici-bas ne signifie rien en l’absence de la réparation du mal infligé à autrui. C’était donc une fausse conscience que se faisait le Roi, ou plutôt que l’on entretenait chez lui ; et il croyait sincèrement que sa responsabilité à Dieu cessait avec son absolution. Voilà le terrible danger du despotisme. Qu’une idée fausse se loge dans la tête d’un despote et les plus grandes abominations peuvent s’en suivre.

Or dans ce système, dont l’absence de responsabilité est la base, les abus pullulent nécessairement comme les mauvaises herbes ; mais comme le Roi n’est responsable à personne ici-bas, la plainte est inutile, car l’autorité ne se déjuge jamais, et maintient ses fonctionnaires, même quand ils ont tort, plutôt que d’avouer une erreur ou une faute. On persuade facilement au despote que la plainte ne vient que de l’insubordination, et de ce moment la plus juste réclamation cesse d’avoir la moindre chance d’être écoutée.

XXXIII.

Et puis si ceux qui souffrent d’abus souvent séculaires osent s’en plaindre, on met de suite en campagne le parti qui a partout été le protecteur des abus, et ce parti crie à l’idée révolutionnaire, au renversement de la religion ! Tout est toujours bien, quand il peut tirer quelque chose pour lui-même, et s’il a quelques privilèges dans l’état, peu lui importe qu’une nation souffre pourvu qu’il les conserve. Toute réforme lui est antipathique parce qu’il n’est presque pas un abus dont il ne profite indirectement. Et c’est ici que l’intolérance religieuse et l’intolérance politique se donnent la main. Attaquer les abus, c’est attaquer le pouvoir ; c’est donc attaquer Dieu même. Logique réactionnaire !

Le pouvoir despotique n’admet pas que le sujet puisse exprimer la moindre opinion sur l’administration des affaires publiques. Toute expression de blâme est un acte de rébellion. De là le taisez-vous universel. Hasardez-vous quelques conseils, comme Fénélon à Louis XIV, vous êtes un utopiste, un visionnaire, une tête exaltée, qui vous permettez de juger le pouvoir.

Celui qui est au-dessus de toute responsabilité humaine est par là même au-dessus de toute remontrance humaine. Il ne comprend que l’obéissance aveugle. C’est là la quintessence de l’intolérance ! Donc les plaintes les plus justes sont réprimées comme actes d’insubordination. Comme le disait M. de Bonald : vous n’avez pas le droit de penser tout haut ! Il doit donc forcément arriver un moment où l’indignation publique, longtemps comprimée, fait explosion. Et alors le pouvoir qui croit ne rien devoir à personnes, et qui agit d’après l’idée anti-chrétienne et impie qu’il n’a pas de responsabilité ici-bas, est renversé par une révolution dont lui seul est la cause, et que lui seul a provoquée par son obstination à se croire au-dessus du devoir !

XXXIV

Que les coupables cherchent leur excuse dans les passions humaines, dans leur déchaînement incontrôlable, cela se conçoit ; mais il n’en reste pas moins vrai que les peuples attendent et souffrent toujours bien longtemps avant de se révolter, et que ce sont les seuls pouvoirs qui ne veulent rien céder qui tombent ! La réaction aura beau crier contre les révolutionnaires, le mot de Fénélon restera toujours vrai : « Les vrais coupables d’une révolution sont ceux qui l’ont rendue nécessaire par le refus de corriger les abus. » Toutes les révolutions qui se sont faites contre la réaction n’ont jamais eu d’autre cause. Elle ne veut jamais céder : elle réclame toujours l’obéissance même dans ses plus grands torts, voilà pourquoi elle finit toujours par être brisée.

Et pourtant ce n’est pas celui qui réclame justice qui est coupable devant Dieu et devant les hommes ; c’est celui qui la refuse, surtout quand il la refuse au nom de Dieu ! Et c’est précisément là ce que fait toujours la réaction. Même dans ses massacres et ses parjures, il faut la croire inspirée. Preuve : le catéchisme politique du royaume de Naples, et aussi le catéchisme russe, dont je vous donnerai des extraits une autre fois.

L’intolérance, est donc au fond l’absence de la nation du devoir chez soi, et l’absence par conséquent, de la notion du droit chez les autres. L’intolérance c’est le négation des droits de l’homme « tel qu’il est sorti des mains de Dieu, » dit Mgr Rendu.

L’intolérant ou n’a pas lu l’évangile, ou ne l’a pas compris ; on s’en moque après l’avoir lu et compris. Donc l’intolérance, soit dans le domaine religieux, soit dans le domaine social, soit surtout dans le domaine politique, est une chose contre nature, anti-sociale, anti-chrétienne et anti-évangélique ! C’est la violation de tous les droits ; c’est donc l’anarchie intellectuelle, précisément comme ses effets dans l’ordre publique sont l’anarchie sociale.

XXXV

Et Messieurs où trouverions-nous un plus frappant exemple d’intolérance que la situation que l’on nous a faite à nous-même ? J’en parle ici parce que les journaux de la réaction ont redoublé d’insultes, dernièrement, à notre adresse ; et puisque c’est là leur manière de pratiquer l’évangile, il doit nous être permis de résumer les faits qui nous concernent.

D’où viennent nos difficultés ? De ce que nous avons des membres protestants ; de ce que nous recevons des journaux protestants, et de ce que nous avons quelques livres philosophiques à l’index. On nous chicane aussi beaucoup sur ce que quelques membres de l’institut ont exprimé des idées erronées.

Admettons que quelques-uns d’entre nous aient pu parler avec irréflexion, ou sans étude suffisante des questions : pourquoi donc est-ce un cas beaucoup plus pendable chez nous que chez les autres ? Les membres de l’Institut sont-ils donc les seuls en Canada qui manquent quelquefois de maturité ? N’avons-nous jamais entendu, ailleurs, que des choses brillantes et justes ? Personne ne se trompe excepté nous, en Canada ? Eh bien, même si nous nous trompons, est-ce par l’injure et l’insulte qu’on nous le fera voir ? Est-ce même par des condamnations passionnées, portées sans nous entendre, et sur des rapports inexacts.

Quoi ! les membres de l’Institut seraient les seules gens en Canada qui n’eussent pas le droit de se tromper ? Que vous semble de la prétention ?

XXXVI

Mais quelle assertion plus erronée, plus coupable, à tous les points de vue possible, que c’est un péché grave, digne du refus de sépulture ecclésiastique, que de voter pour un député libéral ? Cela s’est pourtant dit dans cent chaires, l’année dernière ! Quel est le membre de l’Institut qui a jamais rien affirmé d’aussi anti-social et d’aussi anti-catholique ! Que l’on cesse donc alors d’appeler toutes les foudres du ciel sur nous pour quelques torts, si l’on veut, mais purement individuels, et infiniment moins nombreux, et surtout moins graves, dans l’espèce, que ceux que nous voyons ailleurs ! Nous nous trompons : anathème : D’autres se trompent bien plus gravement, puisque souvent ils trompent ceux qu’ils sont chargés de diriger… Ah ! n’en soufflez mot ! Ne nous touchez pas ! — Mais vous nous calomniez bien, vous ! pourquoi ne nous défendrions-nous pas ?

On nous reproche de pécher par top de tolérance ; cela se peut : mais nous croyons honnêtement être beaucoup moins coupables que ceux qui pèchent par trop d’intolérance, et qui, obligés d’être justes au moins, sinon indulgents, nous rebutent avec dureté, après nous avoir condamnés sans nous entendre. Car enfin toute la question est là ! Une condamnation a été portée contre nous sans qu’on nous ait jamais offert l’occasion de présenter notre défense et d’exposer nos raisons. Une pareille condamnation est nulle en droit civil : comment serait-elle juste et régulière en droit ecclésiastique ?

Mais nous avons des journaux protestants ! Eh, sans doute ! nous avons des protestants comme membres ! Mais les autres cabinets de lecture ou chambres de nouvelles, où la majorité est protestante, ont-ils des journaux catholiques ? Sans doute ! ils ont des catholiques comme membres ! Que dirions-nous si, dans les autres cabinets de lecture, on éliminait soigneusement tous les journaux catholiques ? Nous crierions à l’intolérance protestante ! Il faut donc toujours en revenir là : « faites pour les autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous ! » « Accordez aux autres les droits, où les privilèges, que vous réclamez pour vous-même ! »

Et si nous ne pouvons pas catholiquement posséder une chambre de nouvelles où l’on peut aller lire les journaux protestants, pourquoi ne dit-on rien aux membres catholiques de la chambre de nouvelles de Montréal, ou du Mechanic’s Institute, où du Mercantile Library Association ? Si nous sommes coupables, eux le sont aussi ! Pourquoi ne frappe-t-on que sur nous ?

XXXVII

Quant au fait d’avoir des protestants comme membres de l’Institut, comment cela peut-il être un si grand crime ici, quand c’est partout ailleurs chose indifférente ! Et ici encore, j’ai une autorité orthodoxe pour m’appuyer.

Il y a deux ou trois ans, l’Institut d’une petite ville de la Province réorganisant sa constitution, le comité chargé de la préparer avait inséré dans le projet une clause qui excluait de l’Institut les protestants.

Le projet fut soumis à l’Évêque ; et celui-ci, homme tolérant et sage, raya de sa main cette clause qui fut laissée de côté.

Ici donc encore — comme sur le sujet du libéralisme en Canada où c’est un péché, et aux États-Unis où c’est une vertu — ici donc encore : Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà !

Pour l’amour de Dieu, que l’on s’accorde donc !

XXXVIII

Mais nous avons quelques livres à l’index. Eh oui ! nous avons quelques livres à l’index, qui se trouvent dans toutes les bibliothèques, même catholiques, de France, d’Angleterre et des États-Unis.

On a dit que nous avions des livres obscènes… c’est faux, et on le sait ; mais il faut nous calomnier, et cela par esprit de religion !

Maintenant bien des personnes croient qu’un livre à l’index est nécessairement un mauvais livre. Et pourtant rien n’est moins exact en fait, Il y a d’excellents livres qui sont à l’index, parcequ’il s’y trouve une seule proposition erronée, ou même des prétentions contraires à celles de l’ultramontanisme, qui pourtant sont complètement en dehors de la foi. Et même, il n’y a pas très longtemps qu’un prêtre instruit de ce pays, parlant de Descartes dans une lecture publique, admettait qu’il était à l’index mais ajoutait aussi que l’on n’avait jamais bien su précisément pourquoi. Il y a des livres profondément catholiques qui sont à l’index comme par exemple ceux d’Edmond Richer, le syndic si odieusement persécuté de la faculté de théologie de Paris : ceux de Louis Ellies Dupin, le savant défenseur des libertés de l’église gallicane ; ceux de Van Espen, l’un des plus savants canonistes que l’on ait vus ; l’institution au droit ecclésiastique de Fleury — aussi le bel ouvrage de Pithou sur les libertés de l’église gallicane, et celui de Dupuy sur la preuve de ces libertés.

On a aussi mis à l’index le traité de la concordance du sacerdoce et de l’empire, par Mgr de Marca, ancien archevêque de Paris. Il n’y a pas un mot qui soit immoral ou anti-religieux dans ces ouvrages !

Tous ces livres sont à l’index uniquement parcequ’ils contestent la suprématie du Pape sur le temporel ; mais ce ne sont certainement pas de mauvais livres à quelque point de vue qu’on les envisage.

La déclaration de 1682, faite par le clergé de France, est aussi à l’index, ainsi que recueil de dispositions et ordonnances connu sous le nom de « libertés de l’église gallicane. » Tous ces ouvrages n’expriment que le catholicisme le plus pur, mais combattent les prétentions de l’ultramontanisme.

XXXIX

Si l’on veut sortir de ce cercle, on trouve que le savant Baluze, Erasme, Machiavel, Montaigne, sont à l’index, et même Scapula pour un dictionnaire grec-latin ! On a mis à l’index le grand Arnauld et l’illustre auteur des provinciales ! Leurs livres ne respirent pourtant que la religion et la morale dans ce qu’elles ont de plus élevé ! Grotius et Puffendorf sont à l’index, et aussi Filangieri pour sa science de la législation ! Qu’y a-t-il d’immoral dans ces livres ? On a bien mis à l’index Dumoulin, le premier des jurisconsultes, et de Thou l’historien ! Et enfin qui le croirait ? On a mis à l’index les arrêts du parlement de Paris contre l’assassin Jean Châtel ! Que la réaction nous dise donc pourquoi ! Je serais très-curieux de le lui voir dire, mais je doute fort qu’elle l’ose !

Le manuel de droit ecclésiastique de M. Dupin est aussi à l’index et on n’y trouve certainement rien d’anti-catholique où d’immoral ; mais on en a expliqué au long les raisons, que voici : il contient 1o. les libertés de l’église gallicane : — dont Bossuet, un catholique je pense, a dit : « Conservons ces fortes maximes de nos pères que l’église gallicane a trouvée dans la tradition de l’église universelle. » Bossuet était-il libre-penseur ? est-on hérétique en sa compagnie ? — 2o. la déclaration de 1682 : 3o. un rapport de Portalis sur les limites de la puissance ecclésiastique ; 4o. un extrait du livre de Mgr Frayssinous, évêque d’Hermopolis, sur ces mêmes libertés de l’église gallicane ! Mgr Frayssinous était-il aussi libre-penseur ? Qu’y a-t-il d’immoral ou d’anti-catholique dans ces livres écrits par d’illustres catholiques ?

Les études historiques de M. de Chateaubriand sont un des meilleurs livres qui aient jamais été écrits, et elles sont à l’index ! L’admirable ouvrage de Bordas Demoulin sur « les pouvoirs constitutifs de l’église » est à l’index, et pourtant rien n’est plus profondément religieux, moral et catholique ! Seulement on y combat avec un incomparable éclat de science et de raisonnement certaines doctrines comparativement modernes sur l’infaillibilité du Pape et sa suprématie sur le temporel ! Est-ce là une question libre oui ou non ?

XL

Nombre d’ouvrages sur la géologie sont à l’index ! Pourquoi ? Parce que, dit-on, ils contredisent la Bible. La vérité est qu’ils ne contredisent que certaines interprétations erronées que l’on a données à la Bible. Et si quelques ignorants veulent prétendre que cette assertion est coupable, je leur rappellerai que des fanatiques ont autrefois prétendu que la géologie était une science impie parce qu’elle démontrait que les jours de la création, au lieu d’être des jours de 24 heures, étaient d’immenses périodes qui devaient correspondre chacune à des centaines et même à des milliers de siècles. Quand, de découvertes en découvertes, on est venu à trouver enfin le vrai, on s’est tout simplement mis à étudier la Bible pour voir si on l’avait bien comprise et on a vu qu’elle ne disait pas ce que l’on avait cru y voir. Aussi, quand quelques savants de France, membre de l’Académie, allèrent voir le Pape Pie VII, pendant son séjour à Paris pour lui demander si l’on pouvait croire, sans cesser d’être catholique, que les jours de la Genèse fussent d’immenses périodes indéterminées, le pape leur répondit que rien ne s’y opposait. Et j’ajouterai que je tire ce fait d’un ouvrage élémentaire sur la géologie qui porte l’approbation de Mgr l’Archevêque de Tours.

Et ce n’est pas là le seul exemple d’interprétation erronée. On a trouvé dans la Bible que la terre n’était pas ronde, et il est certain qu’elle l’est, et quand la chose a été démontrée on s’est apperçu qu’on interprétait mal. On a aussi trouvé dans la Bible que le soleil tournait autour de la terre ; eh bien, là encore on se trompait, c’est la terre qui tourne autour du soleil, et on s’est apperçu qu’on avait mal compris. Dans tout cela, ce n’était pas la Bible qui se trompait mais ceux qui, la lisant avec une idée préconçue, y voyaient ce qui n’y était pas. Et si certains ignorants veulent me chicaner sur tout cela, je leur citerai de décisions de congrégations romaines qui leur causeront des surprises.

Un nombre considérable d’ouvrages sur l’économie politique sont à l’index et ce ne sont certainement pas de mauvais livres.

XLI

Or c’est précisément parce que l’on a poussé trop loin le principe de la condamnation des livres, que les prohibitions de la congrégation de l’index n’ont jamais été reconnues en France. C’était une maxime de l’ancien clergé français que l’index n’avait pas force de loi en France : Index non viget in Gallid. La France était certainement un pays catholique pourtant ! Et Mgr Frayssinous ne dit-il pas : qu’en France on ne reconnaît pas l’inquisition. Voilà pourquoi on ne reconnaissait pas la congrégation de l’index qui n’est qu’une branche de l’ancienne inquisition. Quand on a mis à l’index la célèbre déclaration de 1682, qui reposait sur le principe essentiellement évangélique « que la mission de l’église ici bas ne s’étend qu’au domaine purement spirituel » le clergé de France a-t-il cessé d’être catholique parce qu’il a déclaré l’index illégitime et abusif ? Certainement non ! La mise à l’index ne lie donc pas nécessairement la conscience.

Je trouve dans M. de Châteaubriand, catholique éclairé je suppose, la phrase suivante : « Cette congrégation de l’index, qui fait tant de bruit chez nous, en fait fort peu ici. (il écrit de Rome). Pour quelques sous on obtient la permission de lire l’ouvrage défendu. » Eh bien, le péché n’est donc pas si grand puisqu’avec quelques sous la permission se donne ! Mais je dois dire que cette permissions ne s’accorde pas pour les livres obscènes ou immoraux. Mais pour les autres ouvrages, même les ouvrages philosophiques, la permission se donne très facilement. Nous ne sommes donc pas de si grands coupables !

XLII

Mais nous avons quelques livres philosophiques qu’il vaut mieux, nous dit-on, ne pas mettre entre les mains de tout le monde. Accordé ! Nous savons admettre ce qui est raisonnable ! Nous avons donc porté le catalogue de notre bibliothèque à l’évêque diocésain, en le priant de vouloir bien indiquer les livres qu’il croirait nécessaire de séquestrer. Sa Grandeur garda le catalogue six mois et nous le rendit alors en refusant d’indiquer ces livres ; tout en nous disant néanmoins qu’il y en avait. Il nous avait dit auparavant : « Vous avez là du poison ! » et ce jour là il nous dit : « Je ne vous l’indiquerai pas ! » Quelle était la raison du refus ? Nous avions offert de séquestrer les livres, mais non de les faire disparaître entièrement. Mais il faut remarquer que nous ne pouvons pas faire disparaître entièrement des livres qui sont propriété commune. Tout membre qui sera opposé à leur élimination complète peut invoquer la loi pour les faire rapporter. On nous inflige donc les censures ecclésiastiques pour nous forcer de faire ce que nous ne pouvons pas faire ; ce qu’un seul de nos membres peut empêcher en invoquant la loi ! On exige de nous l’impossible, et on nous punit parce que nous ne le faisons pas !

Nous offrons néanmoins de faire ce que nous pouvons faire : séquestrer les livres. On refuse ! — Ôtez-les ! — Mais la loi nous en empêche ! — Eh bien, restez excommuniés !

Voilà la justice que nous avons eue !

Et je dois ajouter que nous ne montrions rien, après tout, de cette insubordination que l’on nous reproche avec tant d’amertume, puisque nous avions informé l’autorité ecclésiastique qu’une majorité de l’Institut, avait adopté une résolution déclarant que l’on ne devait pas soulever, dans l’Institut de discussions, de nature à blesser les convictions ou les susceptibilités religieuses de ses membres. N’était-ce pas là montrer du bon vouloir ? Et je vous le demande à tous : En avons-nous été mieux traités ?

XLIII.

Mais nous avons fait un appel à Rome. Il y a déjà quatre ans de cela. Quelques prêtres instruits nous avaient dit : « Portez donc votre affaire à Rome. Une fois en règle là par un appel, nous n’avons plus de raison de refuser l’absolution à vos membres. »

Quelques uns d’entre nous signent donc une supplique à Sa Sainteté en leur capacité individuelle. Nous pensions naturellement nous être mis en règle, puisque nous avions agi sur l’avis de théologiens. Après notre appel, en effet, quelques prêtres ont accordé l’absolution aux membres de l’Institut. Mais voilà que tout à coup, et sans nouveau grief, ordre est derechef donné de refuser toute absolution aux membres de l’Institut ! Réclame est faite. L’autorité locale répond que les membres de l’Institut sont des rebelles à l’église. Quoi ! malgré l’appel ? Oui, malgré l’appel ! Mais c’est donc être rebelle à l’Église que s’adresser à son chef pour se plaindre d’une sévérité outrée, et même d’une injustice réelle ! Car enfin il y avait deux injustices dont nous nous plaignions : celle de ne pas avoir été entendus avant condamnation qui ne nous a jamais été signifiée publiquement ou privément, et aussi celle de nous refuser, quand nous portons notre catalogue, d’indiquer les livres que l’on jugeait condamnables.

Fallait-il donc, en faisant notre appel, avouer que nous avions tort ? Pourquoi l’appel alors ? Rebelles à l’église en dépit d’un appel à son chef ! Se comprend-t-on bien ? Voilà pourtant ce qu’on nous a dit ! Et c’est toujours nous qui, traités ainsi, sommes des rebelles et des orgueilleux !…

Eh bien, je le répète ; il y avait une autre manière de nous traiter, et cette rigueur opiniâtre ne nous a pas paru précisément apostolique.

XLIV.

Quand nous lisons dans St. Pierre : « Paissez le troupeau qui vous est commis non par une contrainte forcée, mais par une affection toute volontaire ; » et dans St. Jérôme, parlant aux évêques de son temps : « Souvenez-vous que vous êtes des pasteurs et non des maîtres ; » et dans St. Grégoire le Grand : « Nous ne sommes points des violents, mais des Évêques, et St. Paul ne nous donne d’autre pouvoir que de reprendre, remontrer et réprimander en toute sorte de patience ; » et dans St. François de Sales : « La rigueur et l’inflexibilité sont antipathiques au sacerdoce : » et dans Fénélon : « Écoutons toujours avec tendresse ; la rigueur ne mène à rien ; le vrai pasteur n’est jamais inflexible ; » et enfin dans Mgr Maret : « Ce sont souvent nos injustices et nos amertumes qui éloignent les gens de la vérité : » il nous semble toujours que les traditions d’autrefois ont récemment subi de pénibles modifications.

Et quelle est la vraie raison de tout cela ? L’intolérance, l’habitude de l’inflexibilité, le parti pris d’exiger la soumission de l’esprit sous quelques circonstances que ce soit, et sur quelque sujet que ce soit ; et cela envers les hommes faits comme envers les enfants ; la restriction systématique de tout libre-arbitre individuel ; le désir de tout contrôler et de tout dominer même dans le domaine que Dieu a livré aux disputes des hommes.

Eh bien, on aura beau faire, il faudra pourtant qu’ici comme ailleurs la raison et le bon droit finissent par l’emporter. On veut nous traiter tous comme des enfants de collége… eh bien, nous ne nous laisserons pas nullifier ainsi ! Nous ne demandons que la considération que l’on accorde ordinairement aux gens respectables, et cela nous avons droit de l’exiger.

Nous ne sommes pas hostiles, mais quand nous sommes condamnés sans être entendus nous le ressentons ! Quand nous montrons du bon-vouloir et que nous allons nous heurter à la plus raide inflexibilité, nous trouvons que la charité et le devoir pastoral ne sont pas là !

Espérons donc que l’on finira par comprendre que la doctrine que l’on nous applique, celle de l’intolérance et de la sévérité opiniâtre, ne peut faire que du mal ici comme par ailleurs ; et que celle dont nous réclamons l’application est la seule que l’esprit chrétien, et les lumières du siècle, et les progrès de la civilisation, recommandent comme juste, sensée, et même politique.

  1. Je dois dire de suite que j’entends par réaction, non le clergé comme corps religieux, mais ce parti composé de prêtres et de laïques qui veut tout contrôler dans le domaine temporel au nom de la religion. C’est ce parti qui ne se sert de la religion que pour arriver à ses fins temporelles. C’est ce parti qui veut dominer au nom de Celui qui lui a défendu la domination. Pour ce parti, la religion n’est qu’un moyen de soumettre l’esprit dans l’ordre politique, afin de lui dicter l’idée monarchique, et de lui faire regarder comme anti-chrétienne l’idée de la suprématie des majorités. Ce parti représente à la fois le sacerdotalisme et le torysme unis pour opposer une barrière infranchissable au développement rationnel des libertés publiques. Le sacerdotalisme se résume dans la suprématie du prêtre sur le temporel, et le torysme dans la suprématie de l’individu ou de la caste sur la nation ; c’est-à-dire dans la domination de la minorité. St. Thomas établit formellement le droit des majorités à déléguer le pouvoir et à le surveiller, mais le sacerdotalisme met habituellement de côté, dans l’intérêt de sa soif de domination, toutes les grandes traditions chrétiennes ; et quand ses instruments, les écrivains de la réaction, ont falsifié les pères de l’église et l’histoire pour combattre l’idée de la liberté, il les a applaudis et encouragés.
  2. Cela arrivait dès le lendemain, dans le Nouveau-Monde.
  3. Et quoique je n’ai parlé qu’appuyé sur les plus grands noms du christianisme, elle ne m’en a pas moins traité d’impie, de blasphémateur et d’imbécile. — Voir le Nouveau-Monde, et le Courrier de St. Hyacinthe du 24 déc.