Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Analise transcendante, article 10

ANALISE TRANSCENDANTE.

Analogie entre les facultés numériques et les puissances ;
Démonstration générale de la formule du Binôme de Newton ;
Développement des fonctions exponentielles
et circulaires ;

M. Ampère, de l’Académie royale des sciences de Paris,
professeur de physique au Collége de France, etc.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

M. Kramp a donné le nom de Factorielles ou de Facultés numériques aux produits de la forme

qui, sous la dénomination de Puissances du second ordre, avaient été déjà l’objet des travaux de Vandermonde[1]. Le nombre des facteurs est ce qu’on appelle le degré de la faculté, de sorte que

sont dites les facultés du premier, du second, du troisième,  du me degré. Nous indiquerons généralement la faculté du me degré par étant une quantité prise à volonté, entière ou fractionnaire, positive ou négative,

Il suit de cette notation que

On peut énoncer ces facultés en disant : faculté faculté faculté faculté pour

Ces notations admises, il existe entre les facultés numériques et les puissances une analogie remarquable qui consiste en ce que la faculté d’un degré quelconque d’un binôme s’obtient en substituant aux puissances des deux termes du binôme, dans le développement de la puissance du même degré de ce binôme, les facultés des mêmes degrés de ses deux termes ; de telle sorte qu’en général

La proposition est d’abord évidente pour les facultés des premiers degrés. On a en effet (1)

de sorte que la démonstration de cette proposition se réduit à faire voir que, si elle a lieu pour la faculté du .me degré, elle sera vraie aussi pour celle du me.

Pour y parvenir, multiplions la quantité par les deux membres de l’équation (2). Il est d’abord clair que le premier membre de l’équation-produit sera Pour exécuter la multiplication par le second membre de l’équation (2), considérons tour à tour le multiplicande comme

pour la multiplication par le 1.er terme,
pour la multiplication par le 2.e,
pour la multiplication par le 3.e,

pour la multiplication par le me,
pour la multiplication par le me ;

on trouvera d’abord, pour les premiers termes du résultat,




ce qui donne en effet, en opérant la réduction, entre les termes qui renferment les mêmes facultés,

qui est bien ce que devient l’équation (2), lorsqu’on y change en

Mais, afin qu’il n’y ait point d’induction dans tout ceci, remarquons que

et que

et que ces termes du second membre seront les seuls en or, en les réduisant en un seul, il vient

qui est bien ce que devient le (n+1).me terme du second membre de l’équation (2), lorsqu’on y change en il demeure donc établi que, si la proposition est vraie pour elle le sera également pour or, nous avons prouvé qu’elle était vraie pour et pour cette proposition est donc vraie, quel que soit le nombre entier positif

Adoptons avec M. Kramp, comme le symbole du produit en divisant, tour à tour, les deux membres du développement de et de par il vient

(3)

(4)

À l’aide de ces résultats, on peut démontrer commodément un théorème très-fécond en telles conséquences ; lequel consiste en ce que, si l’on a

on aura

[2](6)

Les équations (5) peuvent, en effet, être écrites ainsi

En les multipliant alors membre à membre, il viendra

développement qui, à l’aide de la formule (4), peut être écrit ainsi

mais si, dans la première des formules (7) on change en elle deviendra

donc, en effet,

(6)

comme nous l’avions annoncé.

Si, dans cette dernière formule, on change en on aura

mais, en vertu de la même formule, on peut, dans le premier membre, remplacer par donc

On peut de même, dans celle-ci, changer en en remplaçant ensuite, dans le premier membre, par puis dans l’équation résultante, changer en et ensuite en et ainsi de suite, de sorte qu’on a généralement

(8)

Si l’on suppose les quantités toutes égales entre elles et à et leur nombre égal à cette équation deviendra

(9)

Or, comme ici est quelconque, on peut changer en ce qui changera en et donnera en substituant, extrayant la racine et renversant

(10)

En changeant, dans cette dernière équation, en elle devient

mais, en supposant un nombre entier positif, on a (9)

donc finalement

ou(11)

Voilà donc la formule (9), qui n’étoit d’abord démontrée que pour un exposant entier positif, qui se trouve l’être présentement pour un exposant fractionnaire positif, et par suite pour un exposant positif quelconque.

Si, dans L’équation (6), on fait elle deviendra

or il est aisé de voir (5) que donc

(12)

Si ensuite nous changeons en nous aurons, en renversant,

mais nous venons de prouver que, quelque nombre positif, entier ou fractionnaire ou même incommensurable qu’on, prenne pour on a toujours

donc, en substituant.

ou(13)

Ainsi la formule (9), qui n’était démontrée que pour une valeur positive de l’exposant, se trouve l’étre présentement pour une valeur réèlle quelconque de cet exposant.

Au moyen de ces résultats, la formule du binôme de Ne\thetaon se trouve démontrée pour toute valeur réelle de l’exposant. On a, en effet, par ce qui précède, quelque valeur réelle qu’on attribue à

c’est-à-dire (5)


Faisant dans cette équation et elle deviendra

Changeant ensuite en et multipliant les deux membres par on obtiendra, quel que soit le nombre réel

(15)

Cette formule peut au surplus, pour le cas de l’exposant entier négatif, être déduite à priori de la théorie des combinaisons par un raisonnement fort analogue à celui que l’on emploie pour le cas de l’exposant entier positif ; et nous nous arrêterons d’autant plus volontiers à le faire voir, que cela nous donnera, chemin faisant, l’interprétation des coefficiens qui affectent alors les termes du développement, et la solution d’une question très-intéressante dans l’analise, celle du nombre des termes d’un polynôme homogène de degré quelconque, formé d’un nombre de lettres également quelconque.

Employons, avec Vandermonde, par abréviation, les symboles comme les équivalens respectifs des polynômes homogènes symétriques



nous trouverons alors, en exécutant la multiplication,

Si donc nous représentons généralement par la somme des termes du me degré de ce développement, nous aurons

(16)

Supposons présentement que toutes les lettres deviennent égales entre elles et à que les facteurs du premier membre sont au nombre de et représentons généralement par le nombre des produits de facteurs que l’on peut faire avec sortes de facteurs donnés, en admettant dans chaque produit la répétition d’une même sorte de facteur autant de fois qu’on voudra ; on aura ainsi

et en conséquence l’équation (16) deviendra

ouou ou enfin
(17)

voyons quelles sont les valeurs de en fonction de et pour cela cherchons d’abord comment peut se déduire de

Distinguons dans les termes qui contiennent un ou plusieurs facteurs égaux à et ceux qui sont indépendans de cette lettre. Si dans ceux de la première sorte on supprime un facteur on obtiendra évidemment de sorte que l’ensemble de ces termes revient à et que conséquemment leur nombre est

Si, dans ces mêmes termes affectés de on met tour à tour à la place de ou de ses puissances, les mêmes puissances de chacune des autres lettres, on formera un nombre de termes du me degré, indépendans de égal à Or, il est aisé de voir que, par un tel procédé, chacun des termes indépendans de aura été formé fois. Considérons en effet un quelconque des termes de cette dernière sorte, où l’on doit avoir on l’aura formé, tour à tour, par le changement

de en dans les produits

de en dans les produits

de en dans les produits

et ainsi de suite. Le produit sera donc répété fois ou fois, et il en sera de même de chacun des autres produits indépendans de Donc, puisque le nombre total des produits indépendans de que nous avons formés est et que chacun d’eux se trouve répété fois, il en résulte que le nombre des produits réellement différens de facteurs qui ne renferment pas est seulement en y ajoutant donc le nombre des produits de facteurs qui renferment cette lettre, nous aurons, pour le nombre total des différens produits de facteurs, ou c’est-à-dire, que nous aurons

(18)

Observant donc que et faisant successivement, il viendra

au moyen de quoi l’équation (17) deviendra

ou en changeant en et multipliant ensuite les deux membres par


Ainsi, tandis que les coefficiens des termes du développement de sont les nombres de produits différens d’un, de deux, de trois, … de facteurs que l’on peut faire avec sortes de facteurs, en excluant l’admission de plusieurs facteurs d’une même sorte dans un même produit, les coefficiens des termes du développement de sont, au contraire, les nombres de produits différens d’un, de deux, de trois, … de facteur que l’on peut faire avec sortes de facteurs en admettant la répétition indéfinie de chaque sorte de facteurs dans chacun de ces produits.

Soit une équation complète au me degré, entre inconnues, si l’on introduit dans chacun de ses termes une puissance d’une me inconnue, telle que tous ses termes se trouvent être alors du me degré ; il est clair qu’alors ces termes seront, abstraction faite des coefficiens, les différens produits de facteurs qu’on peut faire avec sorte de facteurs, en admettant la répétition indéfinie de chaque sorte de facteurs dans un même produit ; d’où il suit que le nombre des termes d’une équation complète du me degré entre inconnues n’est autre chose que ce que devient la valeur de lorsqu’on y change en c’est-à-dire,

ou en multipliant haut et bas par

résultat dont la symétrie prouve qu’il y a autant de termes dans une équation complète du me degré entre inconnues qu’il y en a dans une équation complète du me degré entre inconnues[3].

Passons au développement des fonctions exponentielles et logarithmiques. Si, dans l’équation (14) qui a lieu, quels que soient on fait et elle devient

ou en représentant par la série du premier membre,

ou

Posant auquel cas sera le logarithme Népérien de on aura

(20)

puis, en changeant en

(21)

qui aura lieu quel que soit

En changeant, dans la formule (20), en elle devient

mais on a aussi (15)

donc en égalant ces valeurs, supprimant rimité de part et d’autre, et divisant ensuite par t,


d’où en faisant

(22)

tel est donc le développement du logarithme Népérien de

Terminons par le développement des fonctions circulaires[4]. Si, dans l’équation (21), on fait elle deviendra

(23)

de sorte qu’en posant

nous aurons

d’où, en multipliant

(26)

de sorte que et sont, pour chaque valeur de les sinus et cosinus d’un certain angle. Cherchons à le déterminer.

En posant dans les équations (24), elles donnent

ce qui donne, en faisant aussi dans l’équation (23),

d’où

(27)

et, comme on a (26)

il est permis de considérer et comme les sinus et cosinus d’un certain angle constant et de poser, conséquemment

l’équation (27) deviendra alors

ou, en vertu du théorème d’Euler,

ce qui donne évidemment

il reste donc à déterminer l’angle constant

On a, comme l’on sait, en prenant suffisamment petit

donc on a

ou, en mettant pour sa valeur

En supposant décroissant indéfiniment, la première inégalité tendra sans cesse à devenir ou tandis que l’autre, au contraire, tendra sans cesse à devenir ou ces deux

inégalités ne sauraient donc subsister à la fois, qu’autant qu’on aura  ; on a donc simplement (28)


  1. Voyez la page 1.re du III.e volume du présent recueil.
    J. D. G.
  2. C’est le théorème de M. de Stainville, démontré à la page 229 du IX.e volume du présent recueil, généralisé à la pag. 270 du XIII.e vol., et reproduit postérieurement comme sien, avec les mêmes notations, par M. le professeur J. Wallace, de Colombie (Americ. Journ. of sciences, fév. 1824, p. 278).
    J. D. G.
  3. On peut aussi consulter, sur ce sujet, la page 282 du XIII.e volume du présent recueil.
    J. D. G.
  4. M. Ampère acquitte ici l’engagement qu’avait pris M. de Stainville à la page 240 du IX.e volume du présent recueil.
    J. D. G.