Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Astronomie, article 1

ASTRONOMIE.

Sur une loi prétendue nouvelle des mouvement célestes ;

Par M. Gergonne.
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Persuadés, comme nous le sommes, que les Lois de Képler, ou, ce qui revient au même, le principe de la gravitation, qui en est à la fois la conséquence rigoureuse et l’expression abrégée, renferment tout le secret de la mécanique céleste, de telle sorte qu’il ne reste plus aujourd’hui aux astronomes d’autre tâche à remplir que d’en développer les conséquences et d’en faire l’application aux données fournies par l’observation ; nous n’avons pas été peu surpris d’apprendre, il y a quelque temps, que M. Utting, calculateur anglais, venait de découvrir une loi nouvelle et très-remarquable des mouvemens célestes[1]. Aussi pleins de foi pour la gravitation qu’Omar pour l’Alcoran, avant même de savoir de quoi il s’agissait, nous avions cru pouvoir nous permettre, et avec plus de fondement que lui, de raisonner comme ce fameux Calife, et nous nous étions dit que la loi nouvelle devait, dans tous les cas, être rejetée, savoir, comme fausse, si elle était en opposition avec celles de Képler, et comme superflue, si elle s’y trouvait implicitement comprise.

Une traduction française du mémoire de M. Utting ayant paru dans la Bibliothèque universelle (novembre 1823, page 169), nous nous sommes bientôt convaincus que nous n’avions rien avancé de trop, et que la loi prétendue nouvelle n’était que celle de proportionnalité entre les quarrés des temps périodiques et les cubes de demi-grands axes, légèrement modifiée, ainsi qu’on va le voir.

Concevons que l’on substitue à l’orbite elliptique d’une planète une orbite circulaire, d’un rayon égal au demi-grand axe de l’ellipse ; la circonférence de cette nouvelle orbite divisée par la durée de la révolution sydérale de l’astre est ce que M. Utting appelle son mouvement moyen, et qu’il serait peut-être mieux d’appeler vitesse moyenne. Or, la loi dont il s’agit consiste en ce que le mouvement moyen multiplié par la racine quarrée de la distance moyenne donne un produit constant pour tout le système solaire. La seule preuve que l’auteur en apporte est l’exécution même des multiplications sur les données que l’on trouve dans l’Exposition du système du monde ; et il présente, dans un tableau, les élémens de sas calculs et les résultats qu’il en obtient. C’est de cette manière empirique que Képler vérifiait ses grandes lois ; mais Képler ne pouvait s’y prendre d’une manière différente, tandis qu’aujourd’hui nous ne devons plus en être réduits là.

Soit le demi-grand axe de l’orbite d’une planète, ou, ce qui revient au même, sa distance moyenne au soleil, et soit son temps périodique, c’est-à-dire, la durée de sa révolution sydérale ; par la troisième loi de Képler, sera une quantité constante, quelle que soit la planète qu’on aura choisie ; il en sera donc de même de représentant à l’ordinaire le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre ; donc aussi

sera une quantité constante, pour tout le système solaire ; or, est précisément ce que M. Utting appelle le mouvement moyen ; voilà donc son principe rigoureusement et rationnellement déduit de la troisième loi de Képler ; et l’on voit que, pour y parvenir il n’était point du tout nécessaire de s’engager dans de longs calculs numériques.

M. Utting ne manque pas d’observer que la même loi, subsiste dans les mouvemens des satellites autour de leurs planètes principales, ce qui n’a pas lieu de surprendre, puisque la troisième loi de Képler s’applique à ces mouvemens. Il arrive seulement que le nombre constant varie d’un système à un autre, à raison de la masse de la planète principale ; mais, en faisant entrer cette masse en considération, l’auteur, parvient à un certain nombre qui demeure constant, soit qu’on l’applique au mouvement des planètes autour du soleil, soit qu’on l’applique au mouvement des satellites autour d’une planète quelconque, et même au mouvement de l’anneau de Saturne. Mais on sait aussi qu’il résulte immédiatement des lois de Képler que l’aire décrite par le rayon vecteur d’une planète où d’un satellite quelconque, divisée par le temps employé à la décrire et par la racine quarrée du paramètre de l’orbite, est une quantité constante.[2]

M. Utting ne nous a donc absolument rien appris de nouveau, et, si nous mentionnons ici ses recherches, c’est uniquement pour avertir les calculateurs peu versés dans l’astronomie que tout autre théorème du même genre qu’ils croiraient découvrir serait faux, ou se trouverait renfermé dans les théorèmes déjà connus.

  1. Voyez le Philosophical Magazine (août et septembre 1823).
  2. Voyez Annales, tom. VII, pag. 3.