Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Analise transcendante, article 4

ANALISE TRANSCENDANTE.

Recherches sur les conditions d’intégrabilité
des fonctions différentielles ;

Par M. F. Sarrus, docteur ès sciences.
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La recherche des conditions d’intégrabilité des fonctions différentielles ; recherche qui a principalement occupé Euler et Condorcet, constitue une des branches les plus importantes de la haute analise. La méthode des variations conduit très-simplement à ces conditions ; mais, outre que l’emploi de cette méthode, dans des recherches de calcul intégral proprement dit, peut sembler indirecte, elle n’offre aucune ressource pour remonter de la différentielle à son intégrale, lorsque les conditions d’intégrabilité se trouvent remplies.

Euler et Condorcet ont bien prouvé, par leur analise, que les conditions qu’ils avaient obtenues sont nécessaires ; mais Lexell paraît être le premier qui ait tenté de démontrer[1], sans rien emprunter d’étranger au calcul intégral, que ces conditions sont aussi suffisantes ; c’est-à-dire qu’elles entraînent d’elles-mêmes la possibilité d’intégrer ; ce qui est le point important dans cette théorie. Malheureusement, comme l’observe Lagrange (Leçons sur les fonctions, leçon XXI), la démonstration de Lexell est si compliquée, qu’il est difficile de juger de sa justesse et de sa généralité.

En réfléchissant sur ce sujet, il nous a paru que les procédés du calcul différentiel, proprement dit, pouvaient, à eux seuls, conduire d’une manière assez simple aux conditions d’intégrabilité et à la démonstration de l’importante proposition de Lexell ; et c’est à le faire voir que nous destinons ce petit essai.

Dans tout ce qui va suivre, et seront des fonctions quelconques d’une troisième variable dont nous prenons la différentielle pour unité, et de tant de constantes qu’on voudra. Nous représenterons respectivement, pour abréger,

par

par

seront des fonctions quelconques de


dont les différentielles seront respectivement

Cela posé, on a identiquement


et, par suite,

Du premier de ces deux systèmes d’équations on déduit, par l’élination successive des différentielles de

La dernière de ces équations est une équation de condition à laquelle doit satisfaire la différentielle de la fonction

Les équations (2), traitées exactement de la même manière donnent

Équations dont la dernière est une nouvelle équation de condition à laquelle doit encore satisfaire la différentielle de la fonction

Avant d’aller plus loin, remarquons que, si est une fonction de


seulement, c’est-à-dire, si cette fonction ne contient aucune des quantités

auquel cas on aura


l’application du même procédé nous conduira aux résultats

(5)

(6)

Cette remarque nous sera utile dans la suite de ces recherches.

Lorsqu’on se sera assuré que est une différentielle exacte, les équations (3) et (4) offriront le moyen le plus simple pour remonter à son intégrale par les quadratures seulement. Mais il nous reste à démontrer présentement que toute fonction différentielle qui satisfait identiquement aux dernières équations (3) et (4) est nécessairement par là même une différentielle exacte.

Premièrement, soit une fonction quelconque de

assujettie à la seule condition de satisfaire à l’équation

(7)

dans laquelle est une quantité constante quelconque.

Cette équation peut se mettre sous la forme

d’où l’on conclura que, comme le premier membre ne renferme pas de différentielles de et d’un ordre plus élevé que la partie du second membre comprise entre les crochets ne saurait renfermer de différentielles des mêmes variables d’un ordre supérieur à et et que, par conséquent, il est possible de trouver une fonction de qui satisfasse à l’équation

au moyen de laquelle nous aurons, en ayant égard à l’équation (5),

et par suite

(8)

en désignant par une fonction de qu’il faudra déterminer d’une manière convenable.

Substituant cette valeur de dans l’équation (7) et observant, équation (6), que, puisque est une différentielle exacte, on doit avoir identiquement,

nous trouverons, réductions faites,

ou, en intégrant

ce qui fait voir que est entièrement de même nature que

Cela posé, si est une fonction de qui satisfasse à la condition

nous en tirerons, par des opérations analogues à celles qui viennent de nous conduire à l’équation (8)

étant, dans la dernière, une fonction de seulement.

Ajoutant ces diverses équations, et faisant, pour abréger,

nous trouverons enfin

(9)

dans laquelle est évidemment une différentielle exacte, puisque chacun des termes dont cette fonction se compose est une semblable différentielle.

Si ne renfermait ni ni ses dérivées la fonction que nous avons représentée par serait constante et par conséquent nulle, sans quoi serait composée de termes hétérogènes, ce qui ne peut jamais avoir lieu, ainsi serait alors une différentielle exacte.

Si, au contraire, renfermait et ses dérivées mais qu’elle rendît identique l’équation

la fonction pourrait ne pas être nulle ; mais, en substituant dans cette équation la valeur de que nous venons de donner, et observant que, puisque est une différentielle exacte, l’on a

nous trouverions, réductions faites,

et de là on conclut, comme ci-dessus, que, puisque ne renferme que et ses dérivées cette fonction est nécessairement une différentielle exacte, de sorte que, dans ce cas comme dans le précédent, est encore une différentielle exacte.

Pour simplifier la question, nous avons supposé que toutes ces fonctions ne renfermaient que deux variables et et leurs dérivées ; mais il est facile de voir qu’elle ne se compliquerait pas beaucoup, si l’on voulait considérer une fonction d’un plus grand nombre de variables, et que de plus, les conclusions seraient absolument les mêmes.

  1. Voyez le tome XV des Novi Commentarii de Pétersbourg.