Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Analise transcendante, article 2

ANALISE TRANSCENDANTE.

Nouvelle méthode analitico-géométrique pour déterminer
les propriétés de l’intégrale d’une équation différentielle
du
1.er ordre à deux variables ;


Par M. J. L. Woisard, ancien élève de l’école polytechnique,
répétiteur de mathématiques à l’école d’artillerie de Metz.
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Si l’on désigne par une équation entre deux variables, renfermant une constante arbitraire on pourra toujours supposer qu’elle représente une infinité de lignes, dont on obtiendra les équations individuelles en faisant varier depuis l’infini négatif jusqu’à l’infini positif.

Si l’on élimine entre

et

et que, dans le résultat, on remplace par on parviendra à une équation en et que, pour abréger, nous représenterons par

Nous avons fait voir (Annales, tom. XIII, pag. 333-343) que l’équation en y considérant comme une constante arbitraire, représente un système de lignes dont chacune rencontre toutes celles que représente l’équation en un point pour lequel la tangente fait avec l’axe des un angle déterminé par la valeur particulière que l’on suppose à et la considération de cette sorte de transversales nous a conduit directement à la détermination des règles à suivre pour obtenir les solutions particulières des équations différentielles du premier ordre.

En considérant ainsi les équations et comme représentant chacune un système de lignes déterminé par le système de lignes que l’autre représente, on trouvera souvent l’occasion d’appliquer des méthodes géométriques à la recherche des relations qui existent entre une équation différentielle et son intégrale, ce qui, dans quelques circonstances, sera plus expéditif que l’emploi des méthodes purement analitiques, et pourra même conduire quelquefois à des résultats que l’usage exclusif de ces dernières n’eût pas fait apercevoir.

On a pu voir un exemple des avantages de cette manière d’envisager les équations différentielles du premier ordre, par la facilité avec laquelle elle nous a conduit à la théorie des solutions particulières. Nous nous proposons aujourd’hui d’en présenter quelques nouvelles applications, et nous commencerons par exposer deux méthodes générales dont on peut faire usage, quand on veut introduire des raisonnemens géométriques dans une question d’analise. Dans tout ce qui va suivre nous supposerons que les axes des coordonnées sont rectangulaires ; nous désignerons par et nous conserverons aux notations et la signification indiquée ci-dessus.

1. Première méthode. Supposons que l’équation soit donnée ; remplaçons-y par des valeurs arbitraires nous obtiendrons ainsi les équations d’une suite de lignes (fig. 1). Menons à chacune d’elles une tangente parallèle à une droite quelconque alors la suite des points de contact appartiendra (Annales, tom. XIII, pag. 336) à celle des transversales que représente l’équation lorsqu’on y fait En joignant ces points par des droites, on obtiendra un polygone ouvert, qui différera d’autant moins de la transversale à laquelle il se trouvera inscrit qu’on aura rendu plus petites les différences de sorte que l’étude des propriétés de ce polygone pourra conduire à la découverte des propriétés de la transversale elle-même ; et, comme d’ailleurs la direction est arbitraire, il suffira de la faire varier pour obtenir successivement toutes les lignes représentées par l’équation et parvenir ainsi à déterminer à quelles conditions doit satisfaire une équation différentielle, pour que son intégrale satisfasse à des conditions données.

2. Seconde méthode. Supposons, au contraire, que l’équation soit l’équation donnée. Remplaçons successivement par des valeurs arbitraires et nous obtiendrons une suite de transversales (fig. 2). Par un point pris arbitrairement sur la première, soit menée une droite faisant avec l’axe des un angle dont la tangente tabulaire soit par le point où cette droite rencontre la seconde, soit menée une nouvelle droite faisant avec le même axe un angle dont la tangente tabulaire soit et soit continuée cette construction, en passant constamment de chaque transversale à celle qui la suit consécutivement, on obtiendra ainsi un polygone ouvert qui différera d’autant moins de celle des lignes exprimées par l’équation qui passe par le point qu’on aura rendu plus petites les différences et, comme d’ailleurs la situation du point de départ sur est arbitraire, on pourra, par ce moyen, construire approximativement autant de courbes comprises dans l’équation qu’on le voudra, et reconnaître ainsi à quelles conditions doit satisfaire une équation intégrale, que pour sa différentielle satisfasse à des conditions données.

Les deux méthodes que nous venons d’exposer sont générales et ramènent à des problèmes de géométrie plane toutes les questions qu’on peut se proposer sur les équations différentielles du premier ordre à deux variables et sur leurs intégrales. Il ne reste plus alors qu’à examiner, dans chaque cas particulier, si la solution géométrique offre moins de difficultés que l’emploi des méthodes analitiques ; et les applications que nous allons offrir au lecteur prouveront qu’il en est ainsi, en effet, dans un grand nombre de cas.

3. PROBLÈME I. Quelle doit être la forme d’une équation différentielle, pour que son intégrale ne renferme les variables qu’au premier degré seulement ?

Solution. Si est une équation du premier degré en et elle représentera un système de droites lesquelles pourront être parallèles ou tangentes à une même courbe ou concourantes en un même point.

Premier cas. Soient (fig. 3) les parallèles représentées par l’équation et la tangente tabulaire de l’angle qu’elles font avec l’axe des . Conformément à la première méthode nous chercherons à mener à chacune d’elles une tangente parallèle à une droite quelconque Si est parallèle à ces droites, ces tangentes se confondront avec elles dans toute leur longueur, et conséquemment la transversale représentée par pour la valeur sera une ligne tout-à-fait arbitraire ; d’où l’on voit déjà que l’équation doit être satisfaite d’elle-même, lorsqu’on y fait et qu’ainsi elle ne saurait être que de la forme étant un exposant positif quelconque. Si, en second lieu, n’est point parallèle à nos droites, on ne pourra, par aucun de leurs points, leur mener des tangentes parallèles à il faudra donc que l’équation ou ne puisse être satisfaite par aucune valeur de autre que et, comme alors elle se réduit à il faudra que cette dernière soit impossible, quelque valeur qu’on attribue à

4. Par des raisonnemens analogues à ceux qui viennent d’être employés, on s’assurera facilement que, lorsque l’équation est de la forme

étant des constantes absolues, et des fonctions déterminées de la constante arbitraire l’équation doit être de la forme

étant des nombres positifs quelconques, et étant un facteur inutile, attendu qu’il ne peut devenir nul pour aucune valeur de

5. Deuxième cas. Soient (fig. 4) les droites représentées par l’équation suivant la première méthode, nous chercherons à mener à chacune d’elles une tangente parallèle à la droite arbitraire En essayant la construction sur les droites non parallèles à la chose sera impossible ; si, au contraire, on l’essaye sur les droites du système, en nombre limité, qui sont parallèles à tous leurs points seront des points de contact ; de sorte qu’en variant la direction de les transversales que l’on obtiendra ne seront autres que les droites du système elles-mêmes ; l’équation doit donc représenter les mêmes droites que représente l’équation elle doit donc être de la forme et représentant des fonctions de

De plus, si dans l’équation on fait on devra obtenir celle des droites du système qui est parallèle à on doit donc avoir, dans ce cas, or, cette condition ne saurait être satisfaite pour toutes les directions que peut prendre la droite qu’autant que sera identiquement égal à donc finalement l’équation doit alors être de la forme étant toujours une fonction de

6. Puisque les lignes représentées par les équations et se confondent alors, ces deux équations peuvent être rendues identiques en y faisant donc on obtiendra l’intégrale de l’équation en y remplaçant simplement par la constante arbitraire

Troisième cas. Il est évident que ce cas rentre entièrement dans le second ; dont il se déduit en supposant que l’enveloppe des droites du système se réduit à un point. Tout ce que nous venons de dire doit donc lui être applicable.

7. PROBLÈME II. Quelle doit être la forme de l’équation intégrale, pour que l’équation différentielle soit de la forme étant une constante absolue, et une fonction déterminée de

Solution. Conformément à la seconde méthode, nous donnerons successivement à les valeurs il en résultera pour les valeurs nous construirons les droites parallèles (fig. 5) données par les équations

Par un point pris arbitrairement sur nous mènerons une droite faisant avec l’axe des un angle dont la tangente tabulaire soit puis par le point de une droite faisant avec le même axe un angle dont la tangente tabulaire soit et ainsi de suite. Nous obtiendrons ainsi un polygone ayant pour limite une des courbes représentées par l’équation

Si ensuite au point nous substituons un autre point de nous obtiendrons un nouveau polygone dont les côtés seront égaux et parallèles à ceux du premier, et dont la limite sera encore une des courbes représentées par l’équation Il n’en faut pas davantage pour apercevoir que toutes les courbes exprimées par l’équation sont des courbes égales et disposées les unes à la suite des autres, de telle sorte que leurs points homologues se trouvent appartenir à des droites parallèles dont la direction commune est donnée par l’équation

8. Cela ainsi reconnu, il devient facile de déterminer la forme de l’intégrale Soit (fig. 6) la droite dont l’équation est soit la courbe représentée par l’équation lorsqu’on y suppose la constante nulle, et soit une autre courbe exprimée par la même équation, pour la valeur de cette constante ; d’après ce qui vient d’être démontré, ces deux courbes seront égales ; et, en prenant sur l’une et l’autre des points homologues et la droite qui les joindra sera parallèle à et sa longueur sera indépendante du choix du point sur Soient donc désignées par les coordonnées de ce point et par et celles du point en abaissant de ces deux points des perpendiculaires sur l’axe des et la parallèle à cet axe, nous aurons

d’où l’on voit que et seront constans, quel que soit le point sur la courbe or, on tire de là

posant donc on aura d’où

ainsi étant l’équation individuelle de la courbe l’équation générale de toutes les autres sera de la forme

est la constante arbitraire.

9. La construction du polygone (fig. 5) donne un moyen fort simple d’obtenir approximativement l’une quelconque des courbes représentées par l’équation d’en assigner les limites et d’en étudier les principales propriétés.

Si, en effet, est réel, quelle que soit la valeur donnée à on en conclura que la courbe admet des tangentes dans toutes sortes de directions ; et, dans le cas contraire, on pourra assigner la direction des tangentes extrêmes. En prenant les maxima et les minima de on déterminera celles des droites qui limitent les différentes branches de la courbe. Enfin, en égalant, à une quantité quelconque et discutant les racines de l’équation résolue par rapport à on connaîtra si la courbe s’étend indéfiniment dans tous les sens ; ou bien l’on assignera la position des droites qui la renferment ou qui en séparent les diverses branches.

10. On peut aussi déduire de l’équatien une expression fort simple de la différentielle de l’arc et de la longueur du rayon de courbure. Soit, en effets (fig. 7) un élément de la courbe, compris entre deux transversales consécutives, l’angle qu’il fait avec l’axe des et l’angle que font les transversales avec le même axe ; on aura et Par le point soit mené parallèle à l’axe des et comprise entre les transversales, le triangle donnera

ou

or, si et sont les points où les transversales coupent l’axe des on aura d’un autre côté

donc

Si l’on élimine de cette expression, au moyen de l’équation il ne restera plus qu’à intégrer une fonction d’une seule variable, pour obtenir la longueur d’un arc de la courbe compris entre deux transversales données quelconques.

Pour obtenir le rayon de courbure, il suffit de remarquer qu’il est égal à or, l’équation donne

donc

Cette expression du rayon de courbure fournit un moyen facile d’assigner les points d’inflexion et les asymptotes de la courbe ; elle fera aussi immédiatement reconnaître si la ligne droite ou le cercle fait partie des lignes comprises dans l’équation

11. PROBLÈME III. Quelle doit être la forme de l’équation intégrale, lorsque l’équation différentielle est de la forme et étant des constantes et une fonction de  ?

Solution. Dans ce cas, les transversales représentées par l’équation sont des droites passant par le même point Soient ce point (fig. 8), les droites qui correspondent aux valeurs et deux polygones obtenus par l’application de la seconde méthode, ils auront leurs côtés parallèles chacun à chacun, et leurs sommets homologues sur les droites concourant en d’où il est facile de conclure que ces polygones, et par suite les courbes dont ils sont les limites, et qui sont comprises dans l’équation seront semblables et semblablement situées, et auront le point pour point homologue commun ou centre de similitude ; d’où il suit que les cordes et tangentes homologues seront parallèles, et que le rapport des dimensions de deux courbes quelconques sera le même que celui des distances du point à des points homologues quelconques de ces deux courbes. Or, il n’en faut pas davantage pour parvenir à la forme générale de l’équation ainsi que nous allons le voir.

12. Soit (fig. 9) la courbe représentée par l’équation lorsqu’on suppose la constante égale à l’unité et celle des courbes exprimée par cette équation qui répond à une autre valeur de cette même constante. Soient les coordonnées du point et celles de son homologue tous deux en ligne droite avec le centre de similitude Soient abaissées de ces trois points sur l’axe des les perpendiculaires et soit menée, par le point une parallèle au même axe, coupant et respectivement en et et l’axe des en on aura, à cause des parallèles,

or, le rapport de à variable seulement d’une courbe à l’autre, reste le même pour les deux mêmes courbes, quels que soient les points homologues et donc en représentant ce rapport par et remarquant d’ailleurs que

nous aurons

d’où

donc, si est l’équation individuelle de la courbe l’équation générale de toutes les autres sera

est la constante arbitraire.

13. Par des considérations tout-à-fait analogues à celles que nous avons employées ci-dessus (9), on reconnaîtra si les courbes comprises dans l’intégrale admettent des tangentes dans toutes les directions ; et on déterminera les droites qui les limitent ou qui en séparent les différentes branches.


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