Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Arithmétique, article 2

ARITHMÉTIQUE.

Évaluation de l’erreur qui peut affecter les quotiens
et racines approximatifs ;

Par un Abonné.
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Dans la plupart des calculs, les nombres sur lesquels on opère sont des nombres décimaux, et c’est aussi en parties décimales que l’on évalue les résultats de ces calculs.

Lorsque les élémens du calcul sont des nombres rigoureusement exacts, on peut compter avec certitude sur la précision du résultat, à quelque ordre de décimales qu’on en pousse l’approximation.

Mais la plupart des nombres décimaux qu’on emploie dans les calculs sont des nombres approchés, desquels on sait seulement qu’ils ne sont pas fautifs, soit en plus soit en moins, de plus d’une demi-unité décimale du dernier ordre ; et alors on ne peut compter sur l’exactitude du résultat que jusqu’à un certain ordre de décimales.

Or, il est de la plus haute importance de connaître à l’avance quel est cet ordre de décimales, soit pour ne pas prolonger vainement des calculs sur les résultats desquels on ne pourrait faire aucun fond, soit pour ne point compliquer ces résultats en pure perte, soit enfin pour ne point faire illusion à soi-même et aux autres sur leur degré de précision.

À la page 376 du XI.e volume du présent recueil, nous avons déjà indiqué comment on pouvait évaluer le maximum d’erreur des produits et des puissances des nombres approximatifs. Nous allons présentement compléter cette théorie, en indiquant comment on peut évaluer ce maximum dans les divisions et dans les extractions de racines.

Mais auparavant nous observerons que, comme toutes les opérations sur les nombres décimaux se réduisent à des opérations sur des nombres entiers, sauf une virgule à placer dans le résultat d’une manière convenable, nous pourrons, sans nous écarter de notre but, simplifier la recherche qui nous occupe, en supposant que les nombres sur lesquels nous avons à opérer sont des nombres entiers, fautifs au plus d’une demi-unité, soit en plus soit en moins.

Soit donc, en premier lieu, un nombre entier à diviser par un autre nombre entier tous deux approchés à moins d’une demi-unité prés. Le cas le plus défavorable, et c’est celui que nous devons considérer ici, serait celui où l’un de ces nombres pécherait par excès et l’autre par défaut et où l’erreur en plus, comme l’erreur en moins serait précisément d’une demi-unité ; alors le véritable quotient devrait être

ou

tandis que nous prenons

ou

prenant donc la différence de ces quotiens, nous aurons pour la plus grande erreur possible,

Or, pour peu que soit grand, on pourra supprimer l’unité vis-à-vis de ce qui donnera simplement

c’est-à-dire, que la plus grande erreur à craindre sur le quotient de la division de deux nombres entiers, approchés à moins d’une demi-unité, est le quotient de la division de la demi-somme de ces nombres par le carré du diviseur.

Si, par exemple, le dividende est et le diviseur la limite de l’erreur du quotient sera c’est-à-dire environ un demi-centième ; on pourra donc pousser la division à deux chiffres décimaux, sans craindre d’être en erreur de plus d’une demi-unité décimale du dernier ordre ; mais les chiffres décimaux qu’on admettrait au-delà pourraient tous être fautifs.

Mais si, le dividende étant toujours le diviseur était les deux chiffres décimaux deviendraient les deux derniers chiffres de la partie entière, de sorte qu’on ne pourrait obtenir le quotient qu’à une demi-unité près.

Si, au contraire, le diviseur restant le dividende était seulement on pourrait, sans crainte d’une erreur plus grande qu’une demi-unité décimale du dernier ordre, pousser l’approximation dans le quotient à quatre chiffres décimaux.

Le cas le plus ordinaire est celui où le dividende et le diviseur, considérés comme entiers, s’il est nécessaire, ont le même nombre de chiffres ; c’est, par exemple, le cas ou l’on divise deux logarithmes l’un par l’autre, et c’est encore celui où l’on divise le sinus et le cosinus naturels d’un angle l’un par l’autre, pour en conclure la tangente. Alors se trouve avoir communément autant de chiffres que tandis que en a un nombre double, d’où l’on voit qu’alors, en considérant les deux nombres comme entiers, on peut pousser l’approximation dans le quotient à autant de chiffres décimaux qu’il y a de chiffres dans le diviseur.

Ainsi, par exemple, pour avoir la valeur du nombre à trente chiffres décimaux, comme Euler l’a donnée quelque part, il faut employer le nombre avec trente chiffres décimaux, et il serait même convenable, pour plus de sureté, d’en employer trente-un.

Soit, en second lieu, un nombre entier pouvant au plus être fautif d’une demi-unité, duquel il faille extraire une racine dont le degré soit on voit que l’erreur à craindre dans le résultat devra être la différence entre et Or, cette dernière quantité revient à

de laquelle retranchant la première, on obtient, pour l’expressioa de l’erreur possible,

or ici, où il ne s’agit que d’une limite, les termes de la série qui suivent le premier sont évidemment négligeables, vis-à-vis de celui-ci, de sorte-qu’en faisant abstraction du signe, on peut prendre simplement

c’est-à-dire, que l’erreur qui peut affecter une racine d’un degré quelconque d’un nombre entier, approché seulement à moins d’une demi-unité, est une fraction qui, ayant l’unité pour numérateur, a pour dénominateur la racine du même degré de la puissance du degré immédiatement inférieur du nombre proposé, multipliée par le double de l’exposant de la racine dont il s’agit.

Si, par exemple, est le nombre proposé, dont il faille extraire la racine cubique, son quarré sera dont la racine cubique, bornée à la partie entière, sera qui, multipliée par donnera de sorte que la limite de l’erreur possible sera

on ne devra donc pousser l’approximation qu’à trois chiffres décimaux seulement.

Si donc le nombre proposé était on pourrait pousser l’approximation, dans l’extraction de la racine, jusqu’à quatre chiffres décimaux.

Supposons, en général, que soit un nombre entier de chiffres ; pourra n’en avoir que d’où il suit que pourra n’en avoir que et, dans les cas les plus ordinaires, son produit par pourra n’en avoir pas davantage ; la limite de l’erreur sera donc une fraction ayant l’unité pour numérateur, et pour dénominateur un nombre de chiffres ; d’où il suit qu’il ne faudra pousser l’approximation qu’à un nombre de chiffres décimaux exprimé par

ou

Si le nombre entier proposé avait un grand nombre de chiffres, et qu’il fallût en extraire une racine d’un degré très-élevé, et pourraient être négligés vis-à-vis de et d’où l’on voit qu’on pourrait, dans l’extraction de la racine, pousser l’approximation à autant de chiffres décimaux que le nombre proposé aurait lui-même de chiffres.