Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Statique, article 3

QUESTIONS RÉSOLUES.

Solution du problème de statique proposé à la page 72
de ce volume[1] ;

Par M. Bérard, principal du collège de Briançon, membre
de plusieurs sociétés savantes.
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Ce problème, quoique très-élémentaire, mérite néanmoins quelque attention ; tant parce qu’il est susceptible d’une application journalière que parce qu’il est très-facile de se méprendre en essayant de le résoudre. C’est par ce double motif que nous ayons cru devoir le généraliser un peu, en l’énonçant ainsi qu’il suit :

PROBLÈME. Déterminer l’état d’équilibre le plus prochain au mouvement, pour un corps pesant de figure quelconque, posant par deux points sur deux plans dont la commune section est horizontale et perpendiculaire au plan vertical qui passe par ces deux points, en ayant égard au frottement ?

Solution. Supposons que le plan vertical dont il s’agit soit le plan même de la figure (fig. 1). Soient ses intersections avec les deux plans sur lesquels le corps est appuyé ; soient et les deux points où ce corps les touche, et soit joint Soient et une horizontale et une verticale conduites par dans le plan même de la figure.

Pour fixer les idées, supposons que soit au-dessous de l’horizontale et à gauche de la verticale ; ainsi qu’il arriverait si, par exemple, étant le profil d’un rempart, était celui d’un glacis. Soit l’angle, complément de que fait avec l’horizontale ; et soit l’angle, complément de que fait avec la verticale.

Soit le point de où cette droite est rencontrée par la verticale passant par le centre de gravité du corps ; soient Si nous décomposons le poids de ce corps en deux forces verticales passant respectivement par les points nous aurons

(1)

Soient enfin et les angles et que fait la droite avec les droites et comme on a évidemment

on aura

c’est-à-dire,

(2)

Pour plus de généralité, soient l’angle du frottement sur et l’angle du frottement sur

Soit décomposée la force au point en deux autres, et la première dirigée suivant et la seconde formant avec un angle égal à l’angle du frottement augmenté d’un angle droit ; cette dernière sera détruite par la résistance de

Soit pareillement décomposée la force au point en deux autres et la première dirigée suivant et la seconde formant avec un angle complément de celui du frottement ; cette dernière sera détruite par la résistance de

Il ne restera donc plus que les deux seules forces et, comme elles sont directement opposées, il faudra et il suffira pour l’équilibre qu’elles soient égales ; c’est-à-dire, que la condition d’équilibre sera exprimée par l’équation

(3)

la question se trouve donc réduite à évaluer et

Or, on a, par les théories connues,


on a, d’un autre côté,

d’où

donc

et par conséquent (3)

ou, en mettant pour et leurs valeurs (1) et réduisant,

(4)

telle est donc l’équation qu’il faut combiner avec l’équation (2) pour obtenir les angles inconnus et

On tire de l’équation (2)

d’où

mais on a

il viendra donc, en substituant,

c’est-à-dire,

On trouverait de même

au moyen de quoi l’équation (4) pourra prendre ces deux formes

Développant la première par rapport à seulement, en divisant par et la seconde par rapport à seulement ; en divisant par il viendra

développant la première par rapport à seulement, en divisant haut et bas par et la seconde par rapport à seulement, en divisant haut et bas par il viendra

développant encore, savoir : la première par rapport à en divisant haut et bas par et la seconde par rapport à en divisant haut et bas par on aura

Si l’on suppose présentement que les frottemens sur et sont respectivement des fractions et de la pression ; on aura

ce qui donnera, en substituant et réduisant,

(5)

Si, pour en revenir à la question, telle qu’elle avait été proposée, on suppose ces formules deviendront

(6)

Cette formule fait voir que, la longueur restant la même, ainsi que les nombres et on pourra rendre l’angle d’autant plus petit, et conséquemment donner d’autant plus de pied à l’échelle, que sera plus grand par rapport à c’est-à-dire, d’autant plus que le centre de gravité de l’échelle sera plus rapproché de son extrémité inférieure.

Cette considération explique un phénomène qui malheureusement a été plus d’une fois funeste aux ouvriers. On peut remarquer, en effet, que l’homme placé sur une échelle fait corps avec elle ; de manière qu’à mesure qu’il s’élève il en élève aussi le centre de gravité. Il peut donc se faire que l’échelle lui paraissant solidement établie lorsqu’il ne la monte pas encore, ou lorsqu’il en monte les échelons les plus bas, elle cesse ensuite de l’être et finisse par glisser sur le terrain, lorsqu’il sera parvenu aux échelons supérieurs. On évite une partie de ce danger lorsque l’échelle a beaucoup plus de masse à sa partie inférieure qu’à sa partie supérieure : on peut s’en garantir, dans tous les cas, en suspendant à l’échelon le plus bas un poids au moins égal à celui d’un homme.

Si l’on suppose l’échelle uniformément pesante et si, en outre, on suppose les frottemens les mêmes pour ses deux extrémités ; on aura, et la formule 6 deviendra

Si, dans cette dernière hypothèse, ou suppose, comme on l’admet communément, il viendra

alors donc la longueur, la hauteur et la base du plan incliné seront entre elles comme les nombres

S’il s’agissait de deux échelles adossées et assemblées à charnière, telles qu’on les emploie pour tailler les arbres ; il suffirait de supposer ce qui donnerait

Nous ne pousserons pas plus loin les nombreuses conséquences qu’on pourrait déduire de nos formules. Ceux qui pourront être curieux des recherches de cette nature pourront consulter notre Statique des voûtes (In-4.o, Paris, F. Didot, 1810), dans laquelle ils verront d’autres effets également curieux du frottement. Nous nous bornerons à observer qu’on pourrait, par analogie, rechercher l’état d’équilibre le plus prochain du mouvement, pour un corps de figure quelconque, posant par trois points sur les trois faces d’un angle trièdre, ou même sur trois surfaces courbes données quelconques, en ayant toujours égard au frottement. Le problème aurait ainsi toute la généralité qu’il peut comporter.


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  1. On a déjà publié une solution du même problème à la page 196 de ce volume, mais, comme celle-ci est plus générale, il a paru convenable d’en faire mention. On en a seulement modifié les notations, afin d’en rendre plus facile la comparaison avec la première, que M. Bérard n’avait pu encore connaître lorsqu’il a rédigé celle-ci.
    J. D. G.