Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Statique, article 1

STATIQUE.

Conditions d’équilibre, dans un système libre,
de forme invariable ;

Par M. Gergonne.
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Je suis déjà revenu à deux fois, dans le premier volume de ce recueil (pages 1 et 171), sur le sujet qui va m’occuper. J’ose espérer que la manière dont je vais l’envisager ne laissera plus rien à désirer, soit, sous le rapport de la rigueur et de la brièveté, soit sous celui de la symétrie qui, dans ces derniers temps, est devenue, avec raison, une sorte de besoin pour les géomètres. Le difficile, dans cette recherche, est de prouver nettement que les conditions auxquelles on parvient sont à la fois nécessaires et suffisantes, et de les obtenir par des procédés qui ne puissent souffrir d’exception dans aucun cas. C’est par là principalement que pèchent la plupart des nombreuses théories qu’on a données jusqu’ici des conditions d’équilibre ; et c’est principalement aussi à éviter les inconvéniens qu’elles présentent sous ces divers rapports, que j’ai donné toute mon attention. La méthode que je vais exposer présente, d’ailleurs, l’avantage remarquable de n’exiger absolument aucune sorte de calcul.

1. Avant d’entrer en matière, observons qu’une puissance donnée quelconque peut toujours être décomposée en trois autres puissances, parallèles à sa direction, et passant par trois points donnés, toutes les fois du moins que ces trois points ne sont pas en ligne droite et que le plan qu’ils déterminent n’est pas parallèle à la direction de la puissance dont il s’agit.

2. Soient, en effet, ces trois points, et le point où le plan est percé par la direction de la puissance. Soit menée et soit le point où sa direction rencontre la direction On pourra d’abord décomposer la puissance dont il s’agit en deux autres, parallèles à sa direction, et passant par les points et En décomposant donc celle qui passe par ce dernier point en deux autres, aussi parallèles à sa direction, et passant par les points et le problème se trouvera résolu.

3. On peut remarquer, au surplus, que la composante passant par l’un des sommets du triangle sera nulle, si la puissance dont il s’agit rencontre la direction du côté opposé ; et que les composantes passant par deux des sommets de ce triangle seront nulles, si cette puissance passe par le troisième. On peut remarquer encore que les trois composantes ne seront de même signe que la puissance dont il s’agit, que dans le seul cas où cette puissance rencontrera le plan du triangle dans son intérieur. Dans le cas où, au contraire, cette puissance rencontrera le plan hors du triangle, suivant qu’elle le rencontrera dans l’un des angles ou dans son opposé au sommet, il y aura deux composantes ou une seule de même signe que la puissance proposée. Mais ces circonstances sont tout-à-fait indifférentes pour l’objet que nous avons en vue.

4. Rien n’est plus facile que de soumettre au calcul la construction que nous venons d’indiquer, et de déterminer ainsi l’intensité de chacune des composantes. Pour plus de simplicité, prenons pour axe des une parallèle menée par le point à la direction de la puissance, et pour plan des un plan quelconque conduit par l’axe des passant par et l’axe des par Désignons par les distances respectives de l’origine aux points Soit la puissance dont il s’agit, ayant pour les coordonnées de l’un quelconque de ses points, considéré comme son point d’application ; et soient ses composantes, parallèles à sa direction, passant par les trois points on aura, par la théorie des forces parallèles,

équations qui, dans tous les cas, détermineront les trois composantes

5. Cela posé, soient des puissances, en nombre quelconque, de grandeur et de direction quelconques, appliquées à des points invariablement liés entre eux, et libres d’ailleurs de tout obstacle étranger. Soient rapportés ces points à trois axes quelconques, rectangulaires ou obliques ; soient alors les coordonnées du premier, celles du second, celles du troisième, et ainsi de suite ; soient enfin décomposées ces forces, parallèlement aux axes ; soient les composantes de la première, celles de la seconde, celles de la troisième, et ainsi de suite.

6. Soient pris respectivement, sur les axes des des et des trois points à une même distance quelconque de l’origine. Soit décomposée chacune des puissances parallèle à chaque axe en trois autres passant par les trois points réduisons ensuite, en chacun de ces points, les puissances de même direction en une seule. Cette opération exécutée, nous nous trouverons avoir réduit tout le système à trois groupes composés chacun de trois forces parallèles aux axes, et appliquées, aux trois points Désignons

Par celles qui sont appliquées au point


Par celles qui sont appliquées au point


Par celles qui sont appliquées au point

de manière que le caractère qui représente la force indique l’axe auquel sa direction est parallèle, et que l’indice que porte ce caractère fasse connaître à quel axe appartient son point d’application.

7. Par la théorie des forces parallèles, nous aurons (4)


équations au moyen desquelles on déterminerait aisément les intensités des neuf forces auxquelles tout le système se trouve ainsi réduit.

8. Mais les trois forces appliquées à chacun des points pouvant être composées en une seule, il s’ensuit que nous pouvons considérer tout le système comme réduit à trois forces seulement, la première appliquée en la seconde en et la troisième en Les conditions nécessaires et suffisantes pour l’équilibre entre ces trois forces, seront donc aussi les conditions nécessaires et suffisantes pour l’équilibre du système primitif.

9. Mais trois forces ne sauraient être en équilibre qu’autant que l’une d’elles est égale et directement opposée à la résultante des deux autres ; ce qui exige que ces dernières puissent se composer en une seule, et qu’elles soient conséquemment dans un même plan : et, comme ce plan sera aussi celui de leur résultante, à laquelle l’autre force doit être égale et directement opposée, il s’ensuit que, pour que ces forces puissent se faire équilibre, il est nécessaire, avant tout, qu’elles soient situées dans un même plan.

10. Il faut donc que les trois forces appliquées respectivement en auxquelles nous avons réduit le système primitif soient dans un même plan, lequel ne saurait être autre que le plan même du triangle examinons donc ce qui résulte de ces conditions.

11. Si la résultante des trois forces appliquées en est dans le plan on pourra toujours décomposer cette force en deux autres, dirigées suivant et d’où il suit que, si l’on décompose cette résultante, ou, ce qui revient au méme, les forces appliquées en en trois autres, la première suivant la seconde suivant et la troisième suivant ( étant l’origine des coordonnées), il faudra que cette troisième force soit nulle.

12. Cette décomposition est facile. Ajoutons à la force la force dirigée comme elle suivant et appliquons en suivant une direction opposée, deux autres forces et ce qui détruira l’effet de la première, et ne changera conséquemment rien à l’équilibre ; à cause de la force suivant et la force perpendiculaire à cette droite, dans le plan des se composeront en une seule force, dirigée suivant Pareillement, la force suivant et la force perpendiculaire à cette droite, dans le plan des se composeront en une seule force dirigée suivant enfin, la force se composera avec en une seule force dirigée suivant Il faudra donc (11) que cette troisième force soit nulle, c’est-à-dire, qu’on devra avoir

Et, comme on peut faire un pareil raisonnement sur les forces appliquées en et il s’ensuit que, pour que les trois forces appliquées en auxquelles nous avons réduit le système, soient dans le plan il est nécessaire et il suffit qu’on ait à la fois

(IV)

13. Présentement nos trois résultantes sont dans le plan du triangle et appliquées à ses sommets ; et nous avons même décomposé chacune d’elles en deux autres dirigées suivant les côtés de ce triangle ; ce qui fait en tout six forces, réductibles deux à deux à une seule agissant suivant un côté de ce triangle. Or, lorsque trois forces sollicitent ainsi un triangle, suivant les directions de ses trois côtés, elles ne peuvent évidemment se faire équilibre qu’autant qu’elles sont séparément nulles ; puisque, dans le cas contraire, la résultante de deux quelconques, quand bien même elle serait égale et parallèle à la troisième et agissant en sens contraire, ne saurait lui être directement opposée. Il nous reste donc à exprimer que la force totale agissant suivant chacun des côtés du triangle est nulle.

14. Considérons seulement ce qui se passe aux deux extrémités du côté La force qui agit suivant au point est la résultante de deux forces, l’une agissant suivant et l’autre perpendiculaire à cette droite, dans le plan des et la force qui agit suivant au point est la résultante de deux forces, l’une agissant suivant et l’autre perpendiculaire à cette droite, dans le plan des En transportant donc ces deux résultantes en un même point quelconque de et les décomposant ensuite de nouveau, nous aurons en ce point quatre forces ; savoir : et parallèles à l’axe des et et parallèles à l’axe des il sera donc nécessaire et suffisant, pour l’équilibre de nos deux résultantes, qu’on ait

ou

et, comme on peut faire un raisonnement semblable sur chacun des deux autres côtés du triangle il s’ensuit que, pour que les trois forces, situées dans le plan de ce triangle, auxquelles nous avons réduit le système soient en équilibre, il est nécessaire et suffisant qu’on ait à la fois

(V)

ce qui fait six conditions d’équilibre en tout.

15. Au moyen des conditions (V), les conditions (IV) deviennent

(VI)

Comparant ensuite les équations (VI) aux équations (I) et les équations (V) aux équations (II et III), nous aurons définitivement

On ne doit pas perdre de vue, au surplus, que ces conditions ne supposent nullement que les coordonnées soient rectangulaires.

16. On pourrait, par un procédé tout-à-fait analogue, parvenir directement, d’une manière extrêmement simple, aux conditions de l’équilibre de plusieurs forces agissant dans un même plan ; mais il est plus court encore de déduire ces conditions de celles de l’équilibre entre plusieurs forces dirigées d’une manière quelconque dans l’espace.


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