Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Philosophie mathématique, article 1

PHILOSOPHIE MATHÉMATIQUE.

Réflexions sur l’usage de l’analise algébrique dans
la géométrie ;

Suivies de la solution de quelques problèmes dépendant
de la géométrie de la règle ;

Par M. Poncelet, capitaine du génie, ancien élève de
l’école polytechnique.
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Au Rédacteur des Annales ;
Monsieur,

Vous ne trouverez pas indiscrète, sans doute, la liberté que je prends de vous adresser quelques réclamations touchant la comparaison que vous établissez (Annales, tom. VII, pag. 289 et 325) entre les résultats de la géométrie pure, et ceux de la géométrie analitique. L’impartialité dont vous faites profession m’est un garant assuré que tout ce qui peut tendre à éclairer la partie philosophique des sciences exactes doit, indépendamment de vos opinions personnelles et de votre manière particulière d’envisager les choses, trouver un libre accès dans votre journal, principalement destiné, à ce qu’il paraît, à recueillir les discussions qui peuvent s’élever entre les géomètres sur l’estime relative que l’on doit accorder aux diverses méthodes propres à agrandir le domaine de la science.

J’admire, avec tous les amateurs de la belle analise, la manière élégante avec laquelle vous savez la faire ployer, sans efforts, aux questions les plus difficiles de la géométrie ; et j’avoue que je ne trouve rien de plus ingénieux que la marche à la fois nouvelle, simple et rapide que vous proposez pour parvenir à leur solution graphique définitive. Je pense que les exemples que vous avez offerts sont bien propres à faire connaître toute la fécondité de l’analise, et à la venger, en quelque sorte, des reproches qu’on ne se croit que trop souvent en droit de lui faire ; mais je ne saurais cependant admettre, sans restriction, ceux que vous adressez, à votre tour, aux résultats auxquels conduit l’usage exclusif des considérations géométriques.

Si je ne me suis pas trompé sur le sens des réflexions qui précèdent ou qui terminent les articles rappelés ci-dessus, l’analise, ou plutôt la méthode des coordonnées, employée d’une manière convenable, aurait l’avantage de conduire, pour la solution des problèmes de géométrie, à des constructions bien supérieures, pour l’élégance et la simplicité, à celles que fournit la géométrie pure. En supposant que, par ce mot de géométrie pure, vous vouliez entendre seulement celle des anciens, c’est-à-dire, celle qu’ont cultivé les Euclide, les Apollonius, les Viète, les Fermat, les Viviani, les Halley, etc. ; j’avouerai volontiers que, malgré l’estime qu’elle mérite, à plusieurs égards, je suis parfaitement d’accord avec vous. J’ajouterai même que je ne pense pas qu’avec le secours seul de cette géométrie on puisse jamais parvenir à quelque chose de bien général. Or, on ne saurait douter que la généralité des solutions ne soit, le plus souvent, la source de leur élégance et de leur simplicité.

Mais si, par géométrie pure, vous voulez entendre, en général, celle où l’on s’interdit simplement l’usage de la méthode des coordonnées, ou même de toute espèce de calcul quelconque qui permettrait de perdre momentanément de vue la figure dont on s’occupe ; si par là vous voulez désigner cette géométrie, cultivée par les modernes, dans laquelle, au moyen des notions d’infiniment grands et d’infiniment petits, on parvient à découvrir les relations qui existent entre les diverses parties d’une figure supposée variable ; si vous voulez parler enfin de cette géométrie qui consiste à chercher, dans les propriétés de l’étendue à trois dimensions, la solution des problèmes de la géométrie plane, pour repasser ensuite de celle-ci à ce qui concerne la géométrie de l’espace ; je déclare franchement que je ne saurais admettre avec vous, Monsieur, que cette géométrie ne puisse donner, à la fois, des solutions aussi simples et aussi élégantes que celles qu’on déduit du calcul. J’avoue même que j’incline fortement à penser que, traitée à son tour d’une manière convenable, et moins restreinte qu’on ne l’a fait jusqu’ici, elle peut fournir, par la voie d’intuition qui lui est propre, et pour certaines classes de problèmes, des solutions qui l’emportent de beaucoup sur celles qu’on déduit de la géométrie analitique, même dans l’état de perfection auquel elle est aujourd’hui parvenue.

Je ne répéterai pas, en faveur de la géométrie pure, ce qu’en ont déjà dit les plus grands géomètres ; j’essaierai seulement, dans ce qui va suivre, de donner des exemples particuliers, propres à confirmer et à justifier l’opinion que je me suis formée sur ce point. Il ne suffirait pas, en effet, dans cette matière, de rapporter des témoignages plus ou moins consacrés, ni même de simples raisonnemens, quelque solides qu’ils pussent d’ailleurs paraître ; mais il faut, en quelque sorte, des preuves de faits, des preuves expérimentales, qui puissent entrer en parallèle, pour l’élégance des résultats, avec celles que vous avez vous-même offertes en faveur de la méthode des coordonnées.

Je ne prétends pas, au surplus, que la géométrie rationnelle ait toujours l’avantage sur l’analise, ni qu’on doive constamment la préférer à cette dernière, dans les recherches purement géométriques. Je pense, au contraire, avec M. Dupin (Développemens de géométrie, 1.re partie, pag. 238), que chacune de ces deux sciences a des moyens qui lui sont propres, et qu’on ne pourrait, sans un grand préjudice pour l’avancement de la science, cultiver l’une ou l’autre d’une manière trop exclusive. J’ajouterai même qu’il me paraît qu’on ne saurait trop s’efforcer de les élever, pour ainsi dire, de front, à la même hauteur ; en employant les principes généraux de l’analise à donner aux résultats de la géométrie toute l’extension qui leur manque d’ordinaire, et qui appartient essentiellement à ceux de la première ; et en se servant réciproquement, dans celle-ci, des considérations de la géométrie, soit pour simplifier l’état de la question, en la ramenant à des circonstances particulières plus facilement accessibles, soit pour faire le choix d’inconnues le plus convenable, soit enfin pour interpréter et pour développer les conséquences géométriques des résultats de ses calculs.

J’ai tout lieu de croire, Monsieur, que vous souscrirez volontiers à ce dernières réflexions, et que vous les trouverez tout-à-fait conforme, à vos propres idées sur la géométrie pure et sur la géométrie analitique. Je crois du moins en avoir pour preuve un grand nombre d’articles que vous avez fournis à votre recueil périodique, et notamment le dernier des articles déjà cités, où vous faites usage de considérations géométriques préliminaires, pour simplifier la question en remarquant qu’une construction qui peut s’effectuer avec la règle, pour l’une quelconque des sections coniques, est par là même indistinctement applicable à toutes les autres.

Après cette espèce d’explication qui m’a paru indispensable pour bien faire connaître mes idées et l’intention qui m’anime, je passe aux exemples que j’ai promis d’offrir, en faveur de la géométrie pure. Je me bornerai simplement à donner les constructions, sans entrer dans aucun détail sur les raisonnemens qui y ont conduit et qui peuvent servir à les justifier ; me réservant de faire connaître, dans une autre occasion, les principes théoriques sur lesquels ces constructions reposent ; principes dont la développement excéderait nécessairement les bornes d’une simple lettre.

Le premier des exemples qui suivent paraîtra d’autant plus convenable que c’est précisément, Monsieur, le problème général dont vous avez traité le cas le plus simple à la page 325 de votre VII.e volume. Il convient, au surplus, de prévenir qu’il y a près de quatre ans que j’en ai découvert la solution que j’en vais donner. J’étais alors prisonnier en Russie ; et, dès mon retour en France, je m’empressai de la communiquer à MM. Français et Servois, auteurs de plusieurs mémoires très-remarquables, insérés dans les Annales.

PROBLEME I. À une section conique donnée, et tracée sur un plan, inscrire un polygone de sommets, dont les côtés, prolongés s’il le faut, passent respectivement par un même nombre de points donnés, placés arbitrairement sur le même plan ; en ne faisant usage que de la règle seulement ?

PROBLÈME II. À une section conique donnée, et tracée sur un plan, circonscrire un polygone de côtés, dont les sommets s’appuient respectivement sur un même nombre de droites données, tracées arbitrairement sur ce plan, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

Je réunis les énoncés de ces deux problèmes, parce que, bien qu’ils soient d’une nature différente, rien n’est plus facile, comme l’on sait, que de passer, au moyen de la théorie des pôles, de la solution de l’un quelconque à la solution de l’autre, sans employer autre chose, pour y parvenir, que le tracé de simples lignes droites. Aussi ne m’occuperai-je principalement, et presque exclusivement, dans ce qui va suivre, que de ce qui concerne, en particulier, le premier de ces deux problèmes ; c’est-à-dire, celui où il s’agit d’inscrire à une section conique donnée un polygone dont les côtés passent respectivement par des points aussi donnés.

Ce problème, énoncé ainsi d’une manière générale, se compose essentiellement de deux parties distinctes ; l’une appartenant à la géométrie de situation, et l’autre dépendant simplement de la géométrie ordinaire. Rien n’indique, en effet, dans l’énoncé, quel est l’ordre ou la succession des côtés du polygone inconnu, relativement à la disposition des points donnés par lesquels ils doivent passer respectivement. Or, il est évident que chacun des arrangemens possibles et différens de ces côtés donnera lieu à un problème particulier, tout-à-fait distinct des autres, dont la solution devra proprement appartenir à la géométrie ordinaire. La première question à résoudre ; celle qui appartient tout-à-fait à la géométrie de situation, consiste donc à rechercher quel est le nombre et l’espèce des polygones réellement différens, quant à la succession des côtés, qu’il est possible de former, en assujettissant ces mêmes côtés à passer par un nombre de points donnés ?

Or, il est aisé de voir que le nombre de ces polygones est

et, quant à la manière de les former, on appellera les points par où doivent passer les divers côtés du polygone, et l’on supposera que ces mêmes lettres appartiennent aussi aux côtés correspondans ; puis on placera arbitrairement toutes ces lettres, celles par exemple, sur le périmètre d’un premier cercle ; le nombre des divers arrangemens de ces trois lettres ne saurait évidemment surpasser un, parce qu’on les peut lire indifféremment de droite à gauche ou de gauche à droite. Pour passer de ce premier cas à celui où il y aurait quatre lettres il faudrait intercaler la lettre successivement entre deux des trois premières, ce qui ne donnera évidemment que trois arrangemens possibles et réellement différens, qu’il faudra écrire séparément sur trois nouvelles circonférences, afin de ne point les confondre entre eux. On trouvera pareillement les arrangemens qui correspondent à une cinquième lettre introduite parmi les autres, en l’intercalant, pour chacune des circonférences dont il vient d’être question, entre deux lettres consécutives des arrangemens de quatre lettres qu’elles représentent séparément ; on obtient ainsi quatre arrangemens possibles de cinq lettres, pour chacune de ces circonférences ; d’où il suit que le nombre total de ces divers arrangemens est Pour les distinguer les uns des autres, on pourra les écrire, à leur tour, sur autant de circonférences particulières. En continuant ainsi, de proche en proche, on parviendra enfin à obtenir tous les arrangemens possibles et différens qui correspondent aux points donnés ; et l’on voit bien que leur nombre sera, en général ainsi que nous l’avions annoncé.

Rien n’est plus facile que de concevoir l’usage qu’on pourra faire de cet espèce de tableau artificiel. Supposons, par exemple, que l’on considère, en particulier, un arrangement en se reportant à la figure du problème, cela signifiera qu’en faisant passer par le premier côté du polygone à construire, le second devra passer par le troisième par le quatrième par et ainsi de suite, et enfin le dernier par

C’est donc ce polygone particulier, différent de tous les autres, quant à l’arrangement des côtés relatif aux points donnés, qu’il s’agira de construire, par la géométrie ordinaire, de telle sorte qu’il soit inscrit à la section conique donnée. Le problème général qui nous occupe, ainsi particularisé pourra donc s’énoncer de la manière suivante :

Problème. À une section conique donnée, et décrite sur un plan, inscrire un polygone de sommets, dont les côtés, prolongés s’il le faut, passent respectivement, et dans un ordre assigné, par autant de points situés arbitrairement sur le plan dont il s’agit ; en ne faisant usage que de la règle seulement ?

Je donnerai de ce problème deux solutions, l’une et l’autre entièrement géométriques, et assez remarquables, ce me semble, par leur simplicité et leur généralité. Dans la première, je commencerai par examiner les cas particuliers du triangle et du quadrilatère ; et j’indiquerai ensuite les constructions à effectuer, pour ramener la solution du cas général à celle de ces derniers.

On peut remarquer, au surplus, que la question, dans tous les cas, se réduit évidemment à assigner l’un des sommets du polygone demandé, attendu que, ce sommet une fois déterminé, la solution s’achève, avec la règle seulement, de la manière la plus simple. Nous supposerons constamment, dans tout ce qui va suivre, que les points donnés, suivant l’ordre de succession qu’on aura choisi pour eux, sont et que le sommet cherché, que nous appellerons le dernier sommet, est celui de l’angle dont les côtés passent par les deux points extrêmes et

Observons enfin qu’une corde d’une courbe, supposée double, et passant par deux points donnés star son plan, peut être considérée comme un polygone de deux côtés, dont les côtés passent respectivement par ces deux points.

Première solution indirecte.

1. Pour deux points donnés Joignez les deux points donnés par une droite, dont chacune des intersections avec la courbe pourra être prise pour le sommet cherché.

2. Pour trois points donnés Inscrivez, à volonté, à la section conique, une portion de polygone de trois côtés, dont le premier passe par le second passe par et le troisième par Tracez la polaire de l’un quelconque des deux points extrêmes de par exemple ; et menez par les deux autres une droite qui viendra couper cette polaire en Menez, par et une sécante, coupant de nouveau la courbe en Menez enfin coupant la polaire en et coupant l’autre droite en Alors menant chacune des intersections de cette droite avec la courbe pourra être prise pour le sommet cherché.

3. Pour quatre points donnés Inscrivez, à volonté, à la section conique ; une portion de polygone de quatre côtés, dont le premier côté passe par le second par le troisième par et le quatrième par Menez par les deux premiers points et par les deux derniers deux droites indéfinies se coupant en Menez par et une sécante coupant de nouveau la courbe en Menez enfin coupant respectivement les deux droites indéfinies en Alors menant chacune des intersections de cette dernière droite avec la courbe pourra être prise pour le sommet cherché.

4. Pour des points donnés, au nombre de plus de quatre. Inscrivez, à volonté, à la section conique, une portion de polygone d’autant de côtés qu’il y a de points donnés, dont les côtés passent respectivement par ces points. Soient traités quatre côtés consécutifs quelconques de cette portion de polygone comme il a été dit de la portion de polygone elle-même, dans le cas précédent. On obtiendra ainsi deux points En les substituant à ceux par lesquels passaient les quatre côtés consécutifs, on se trouvera avoir en tout deux points de moins qu’auparavant. En continuant ainsi de diminuer de deux unités le nombre des points donnés, tant qu’ils se trouveront au nombre de plus de trois, on arrivera enfin à n’avoir plus que deux ou trois points, que l’on traitera comme il a été dit au premier ou au second cas.

Deuxième solution directe.

Le nombre des points donnés étant quelconque. Inscrivez, à volonté et successivement, à la section conique trois portions de polygones d’autant de côtés qu’il y a de points donnés, dont les côtés passent respectivement par ces points. Soient les premières extrémités de ces portions de polygones, et les dernières, respectivement. Soient considérés ces six points comme les sommets d’un hexagone inscrit à la section conique, ayant pour sommets opposés et et et les trois points de concours de ses côtés opposés seront, comme l’on sait, sur une même droite ; et cette droite coupera la section conique en deux points dont chacun pourra être pris pour le sommet cherché.

Quelque incontestable que soit la supériorité de cette seconde solution, sous le rapport de la généralité et de la symétrie ; nous croyons cependant devoir observer que, lorsque les points donnés sont peu nombreux, l’autre semble lui être préférable, sous le rapport de la simplicité, attendu qu’elle exige le tracé d’un moindre nombre de lignes.

Toutes ces constructions ayant une partie arbitraire, on peut profiter de ce qu’elles présentent d’indéterminé pour les rendre plus simples. On peut, par exemple, faire passer l’un des côtés extrêmes de la portion de polygone par les deux premiers ou les deux derniers des points donnés. Ce côté comptera alors pour deux, et l’extrémité de la portion de polygone pourra être indistinctement supposée à l’une ou à l’autre de ses extrémités. En appliquant cette remarque au cas du triangle, dans la première solution, on aura deux manières de déterminer le point sur la polaire de On pourra donc se dispenser de construire cette polaire, et la recherche du sommet inconnu se réduira ainsi au tracé de neuf lignes droites seulement.

On voit, par ce qui précède, que, pour un ordre de succession quelconque des points donnés, le problème peut avoir deux solutions au plus. Puis donc que nous avons trouvé d’ailleurs que ces différens ordres étaient au nombre de il s’ensuit que le nombre des solutions sera au plus

Quoique nous ayons annoncé que nous n’insisterions pas sur le second des deux problèmes généraux que nous nous sommes proposé, à raison de l’extrême facilité avec laquelle il se ramène au premier ; nous ne pouvons cependant nous refuser au plaisir de faire connoître une construction directe de ce problème tout-à-fait remarquable par sa parfaite analogie avec celle que nous avons donnée en dernier lieu pour l’autre : la voici.

Circonscrivez successivement et à volonté à la section conique trois portions de polygones d’autant de sommets qu’il y a de droites données, et dont les sommets soient respectivement sur ces droites. Soient les premiers côtés de ces portions de polygones et les derniers respectivement. Soient considérées ces six droites comme les côtés d’un hexagone circonscrit à la courbe, ayant pour ses côtés opposés et et et les trois diagonales joignant les sommets opposés de cet hexagone se couperont, comme l’on sait, en un même point ; et la polaire de ce point déterminera, par son intersection avec la courbe, deux points dont chacun pourra être pris pour le point de contact de la courbe avec le polygone cherché.

Parmi le grand nombre des cas particuliers que peuvent offrir nos deux problèmes, relativement à la situation des points ou des droites donnés, il en est deux qui sont trop remarquables, soit par les circonstances qu’ils présentent, soit par la simplicité de la solution qui leur est relative, pour que nous puissions nous permettre de les passer sous silence : ce sont celui où les points donnés sont en ligne droite, et celui où les droites données concourent en un même point. Proposons-nous donc ces deux problèmes :

PROBLÈME I. À une section conique donnée, inscrire un polygone de tant de sommets qu’on voudra, dont les côtés passent par un même nombre de points donnés, situés sur une même ligne droite, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

PROBLÈME II. À une section conique donnée, circonscrire un polygone de tant de côtés qu’on voudra, dont les sommets s’appuyent sur un même nombre de droites données, concourant en un même point, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

Solution du premier problème. Inscrivez, à volonté, à la courbe une portion de polygone, dont les côtés passent respectivement par les points donnés. Le nombre de ces points pourra être pair ou impair.

Le nombre des points donnés étant pair, si le polygone ne se referme pas de lui-même, le problème ne pourra être résolu ; et si, au contraire, il se referme de lui-même, tout autre se refermera également, et conséquemment le problème sera susceptible d’un nombre indéfini de solutions.

Le nombre des points donnés étant impair, la corde qui joindra les deux extrémités de la portion de polygone ira couper la droite unique qui contient les points donnés en un point dont la polaire, par son intersection avec la courbe, déterminera deux points dont chacun pourra être pris pour le dernier sommet du polygone demandé.

Solution du second problème. Circonscrivez, à volonté, à la courbe, une portion de polygone dont les sommets s’appuient respectivement sur les droites données. Le nombre de ces droites pourra être pair ou impair.

Le nombre des droites données étant pair, si les deux côtés extrêmes de la portion de polygone ne se confondent pas en un seul, le problème ne pourra être résolu ; et si, au contraire, ils coïncident de manière à former un polygone fermé, ce polygone, et tous les autres qu’on pourra construire sous les mêmes conditions que celui-là, résoudront le problème, qui aura ainsi une infinité de solutions.

Le nombre des droites données étant impair, la droite qui joindra le point de concours des côtés extrêmes de la portion de polygone avec le point de concours des droites données, coupera la section conique en deux points dont chacun pourra être pris pour le point de contact de cette courbe avec le dernier côté du polygone cherché.

Toutes les constructions précédemment indiquées sont principalement déduites de deux théorèmes généraux, dont nous nous bornerons, pour le présent, à faire connaître l’énoncé.

THÉORÈME I. Un polygone quelconque étant inscrit à une section conique ; si l’on vient à le faire varier de toutes les manières possibles, de manière cependant qu’il ne cesse pas d’être inscrit à la courbe, et que tous ses côtés, excepté un seul, passent constamment par des pôles fixes ; le côté libre sera, dans son mouvement, perpétuellement tangent à une autre section conique, touchant la première en deux points.

Dans le cas particulier où tous les pôles fixes seront situés sur une même ligne droite, et en nombre impair, le côté libre tournera constamment autour d’un point fixe situé sur cette droite.

THÉORÈME II. Un polygone quelconque étant circonscrit à une section conique ; si l’on vient à le faire varier de toutes les manières possibles, de manière cependant qu’il ne cesse pas d’être circonscrit à la courbe, et que tous ses sommets, excepté un seul, s’appuient constamment sur des droites fixes ; le sommet libre décrira, dans son mouvement, une autre section conique, touchant la première en deux points.

Dans le cas particulier où toutes les directrices, concourant en un même point, sont en nombre impair, le sommet libre décrit une ligne droite qui concourt aussi en ce point.

Je passe à l’autre exemple que j’ai promis, au commencement de cette lettre, en faveur de la géométrie pure.

PROBLÈME. Une section conique étant tracée sur un plan, et deux points étant donnés arbitrairement sur ce plan, le premier sur le périmètre de la courbe et l’autre quelconque ; déterminer tant de points qu’on voudra d’une autre section conique qui, passant par les deux points donnés, ait, au premier de ces points, un contact du troisième ordre avec la première, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

Solution. Soit le point donné sur le périmètre de la courbe ; et soit l’autre point quelconque.

Soit menée en à la section conique donnée, une tangente indéfinie. Soit menée la sécante coupant de nouveau la courbe en Par un autre point quelconque de cette courbe, et par le point soit menée une sécante, rencontrant en la tangente en Menant enfin et ces deux droites concourront en un point qui appartiendra à la courbe cherchée. En variant donc la position du point sur la courbe donnée ; on obtiendra tant de points qu’on voudra de la courbe cherchée.

Si le point était infiniment éloigné, auquel cas l’osculatrice demandée devrait être une parabole ou une hyperbole ; la même construction subsisterait encore ; mais alors elle ne pourrait plus s’exécuter avec la règle seulement.

Si, à la place du point on se donnait une tangente à l’osculatrice demandée ; la construction, un peu différente dans sa première partie, ne perdrait rien d’ailleurs de sa simplicité. Il ne serait pas difficile, au surplus, de déduire de la précédente construction toute la théorie des osculations des sections coniques entre elles, mais ce n’est point ici le lieu.

Je crois, Monsieur, ces exemples suffisans pour l’objet que j’avais en vue. Mais, pour fixer encore l’attention d’une manière plus particulière ; je crois devoir observer que les problèmes que je viens de résoudre ne sont peut-être pas les plus difficiles de ceux que je suis parvenu à traiter par la géométrie pure, et sans le secours du calcul. Entre les divers exemples que j’en pourrais citer, je me bornerai aux deux suivans qui, à raison de l’intérêt qu’ils présentent, semblent se recommander d’une manière plus spéciale.

PROBLÈME. Deux sections coniques étant tracées sur un même plan, construire un polygone de tant de côtés qu’on voudra qui soit, à la fois, inscrit à l’une d’elles et circonscrit à l’autre, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

PROBLÈME. En un point donné d’une courbe géométrique quelconque tracée sur un plan, mener une tangente à cette courbe, en ne faisant usage que de la règle seulement ?

J’ai peine à me persuader que la géométrie analitique puisse parvenir à des constructions générales, à la fois plus symétriques et plus simples que celles qui précèdent, à raison du grand nombre des données qui doivent simultanément concourir à la détermination des inconnues. Toutefois, Monsieur, après les exemples que vous avez offerts aux articles déjà cités des Annales, il est peut-être prudent de ne rien préjuger sur ce point. C’est la faute que j’avais moi-même commise avant de connaître vos solutions ; et cela prouve de nouveau qu’on ne doit jamais se hâter d’imputer à l’analise des imperfections qui souvent sont uniquement le fait de qui ne savent point en faire un usage convenable.

Agréez, etc.

Metz, le 18 d’octobre 1817.

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