Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Géométrie des courbes, article 4

QUESTIONS RÉSOLUES.

Solution du dernier des deux problèmes de géométrie
proposés à la page 36 de ce volume ;

Suivie d’une théorie des
pôlaires réciproques, et de
réflexions sur l’élimination ;

Par M. Poncelet, capitaine du génie, ancien élève de
l’école polytechnique.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

Problème. Quel est le lieu au sommet d’un angle mobile, de grandeur invariable, perpétuellement circonscrit à une section conique ?

Quelle est la courbe enveloppe de la corde de contact, variable de grandeur, de cet angle mobile ?

Ce problème, comme on le voit par l’énoncé, se partage en deux autres très-distincts, et qu’il convient de traiter séparément : je commencerai par le premier, qui paraît le plus facile ; c’est-à-dire, par celui où il s’agit de trouver le lieu du sommet de l’angle mobile et invariable de grandeur, constamment circonscrit à une section conique.

I. Supposons, afin d’embrasser tous les cas, que la courbe donnée soit rapportée à l’un de ses sommets comme origine, les axes des et des se confondant l’un avec l’un des axes de la courbe et l’autre avec la tangente à son extrémité. Son équation sera, comme on sait, de cette forme

(1)

Appelons les coordonnées variables du sommet de l’angle constant circonscrit à la courbe ; désignons par les tangentes tabulaires des angles que forment avec l’axe des les deux côtés de cet angle, et soit enfin la tangente tabulaire de l’angle donné que doivent faire ces deux côtés l’un avec l’autre ; nous aurons, d’après l’énoncé du problème, cette première équation de condition

ou(2)

Parmi les divers moyens de faire trouver en fonction des coordonnées il n’en est point de plus simple que celui employé par M. Lefrançais, à la page 105, de son Essai de géométrie analitique. Nous le rappellerons ici en peu de mots, en l’appliquant au cas particulier qui nous occupe.

Qu’on imagine une droite quelconque passant par le point (), et ayant par conséquent une équation de cette forme

(3)

elle rencontrera, en général, la section conique en deux points, dont on obtiendra les abscisses, en combinant son équation (3) avec l’équation (1) de cette courbe. En exprimant ensuite que les deux racines de l’équation, laquelle on sera parvenu sont égales ; on obtiendra une équation de condition, qui indiquera évidemment que la droite en question est devenue tangente à la courbe ; et cette équation étant en et des constantes, donnera précisément, pour les deux valeurs de les valeurs cherchées

Éliminant donc entre les équations (1, 3), puis écrivant que les deux racines de la résultante en sont égales, il viendra, toutes réductions faites

en désignant donc par les deux racines de cette équation, on aura


retranchant la seconde équation du quarré de la première, il viendra, en extrayant la racine quarrée

on aura en outre

substituant donc ces valeurs dans l’équation (2), il viendra, en quarrant

(4)

D’après les conditions du problème, est une quantité constante et donnée. L’équation qui précède fournira donc le système des valeurs de et qui répondent aux sommets des angles égaux circonscrits à la section conique, et sera par conséquent l’équation même de la courbe cherchée[1].

II. Cette courbe est, comme on le voit, du quatrième degré, et il est aisé de s’assurer, par un simple déplacement de l’origine sur l’axe des , qu’elle est concentrique avec la proposée ; mais c’est à quoi nous ne nous arrêterons pas, non plus qu’à discuter son cours et ses propriétés. Nous nous bornerons à parcourir, d’une manière succincte, les cas particuliers, déjà connus, où son équation s’abaisse au second degré, et représente, par conséquent, une section conique[2].

1.o Si l’angle mobile circonscrit est nul ou égal à deux droits ; ce qui arrive lorsque ses deux côtés se confondent ; la constante est nulle aussi ; et l’équation ci-dessus devient

c’est-à-dire, l’équation même de la section conique ; ce qui est d’ailleurs évident[3].

2.o Si la courbe donnée est une circonférence de cercle, sera égal à l’unité, et l’équation (4) deviendra, en développant et ordonnant par rapport à

d’où on tire

équation qui représente le système de deux circonférences concentriques avec la proposée, comme cela était facile à prévoir.

3.o Si l’angle invariable est droit sera infini, et l’équation (4) deviendra

c’est l’équation d’une circonférence de cercle, concentrique à la section conique donnée. En supposant que soit nulle dans cette équation, auquel cas l’équation (1) de la section conique donnée devient

et représente une parabole, elle se réduit à cette forme encore plus simple

c’est évidemment l’équation de la directrice même de cette parabole.

4.o Si, enfin, sans rien statuer sur la valeur de on suppose, comme dans le cas qui précède, que la courbe donnée soit une parabole, et que par conséquent soit égal à zéro, l’équation générale (4) deviendra, en l’ordonnant,

équation d’une hyperbole dont le grand axe se confond, pour sa direction, avec celui de la parabole donnée, et qui de plus a l’un de ses deux foyers en commun avec la parabole, comme cela a été énoncé à la page 13 du présent volume.

Pour prouver cette assertion, proposons-nous de rechercher les foyers de l’hyperbole dont il s’agit.

On sait qu’un des caractères du foyer d’une section conique, quand elle est rapportée à son grand axe comme axe des abscisses, est que sa distance à un point quelconque de la courbe est une fonction rationnelle et entière de l’abscisse correspondante. Nommant donc la distance inconnue de ce foyer à l’origine, on aura, en faisant attention à l’équation ci-dessus de l’hyperbole ; on aura, dis-je, pour la distance de ce point à un point quelconque () de cette même courbe,

Cette expression ne peut être rationnelle, à moins que la quantité sous le signe ne soit un quarré parfait ; doit donc être telle qu’on ait

ou, en développant et ordonnant

d’où on tire pour ces deux valeurs

dont la première est évidemment l’abscisse du foyer de la parabole donnée ; donc, en effet, ce foyer est aussi un de ceux de l’hyperbole qui nous occupe.

Pour compléter le rapprochement entre ces deux courbes, nous allons faire voir qu’elles ont une directrice commune, correspondant précisément au foyer ci-dessus.

La directrice d’une section conique, répondant à l’un de ses foyers, n’est autre chose, comme l’on sait, que la polaire même de ce foyer ; ce caractère la distinguant de toute autre droite tracée sur le plan de cette courbe, il parait convenable de la désigner par l’expression de polaire focale qui en rappelle la nature d’une manière plus complète et plus absolue que le mot commun et générique de directrice, et c’est ainsi que nous en userons dans ce qui va suivre. Afin de déterminer cette polaire, dans le cas actuel de l’hyperbole trouvée, soient les coordonnées d’un point quelconque, considéré comme pôle ; l’équation de la polaire qui lui correspond sera évidemment[4]

Si l’on y substitue pour et leurs valeurs et qui appartiennent, comme nous l’avons vu ci-dessus, au foyer de l’hyperbole qui lui est commun avec la parabole donnée, elle deviendra

équation qui appartient précisément à la polaire focale de la parabole dont il s’agit, comme on s’était proposé de le démontrer.

III. Passons maintenant à la solution de la seconde partie du problème proposé : celle où il s’agit de trouver la nature de la courbe enveloppe de la corde de contact de l’angle mobile et constant circonscrit, dans toutes les positions de cet angle.

Je remarque d’abord que la corde dont il s’agit n’est autre chose que la polaire du sommet mobile () et que de plus la courbe que parcourt ce sommet est déjà connue par ce qui précède ; d’où il suit que la question se trouve naturellement ramenée à celle-ci :

Le pôle d’une section conique étant assujetti à parcourir une courbe donnée, quelle sera la courbe enveloppe de la polaire de ce point, dans toutes ses positions ?

On trouve facilement, par la théorie des pôles, que, pour la courbe (1), la polaire qui répond à un point () a pour équation

Dans cette équation, est une fonction de en vertu de l’équation (4) ; or, d’après la théorie des enveloppes[5], quand une ligne varie en même temps qu’un certain paramètre, qui entre dans son équation, on obtient une nouvelle relation, appartenant au point correspondant de l’enveloppe, c’est-à-dire, appartenant au point où la touche cette ligne, en différenciant son équation, par rapport à ce paramètre, comme variable, et regardant les coordonnées courantes comme constantes. Différenciant donc l’équation (5) par rapport à et laissant et constantes, il viendra cette nouvelle équation

qui servira, conjointement avec celle ci-dessus, à donner les coordonnées d’un point de la courbe cherchée, quand et seront connus

On obtiendra la valeur de en différenciant l’équation (4), par rapport à et ce qui donnera

Substituant cette valeur dans l’équation trouvée ci-dessus, elle deviendra

Cette dernière équation et l’équation (5) devant, d’après ce qui précède, donner conjointement un point () de la courbe cherchée, quand on y mettra, pour et des valeurs qui conviennent à l’équation (4) ; il s’ensuit que, en éliminant et entre ces trois équations, on obtiendra, en et l’équation même de cette courbe.

IV. À ne consulter que le degré de chacune de ces équations, on voit que l’équation finale pourrait s’élever jusqu’au trente-deuxième degré ; et, en supposant que l’équation linéaire (6) ne se comporte que comme une équation du premier degré, ce qui est assez probable, on voit que cette équation monterait encore au seizième degré. Il serait, à ce que je crois, long et pénible d’effectuer en toutes lettres cette élimination, à cause des facteurs étrangers qui, comme nous le verrons plus tard, pour un cas particulier, compliquent nécessairement le résultat final auquel on doit parvenir. J’avoue que je n’ai pas eu le courage de l’entreprendre, quelle que fût d’ailleurs ma bonne volonté de le faire.

Cependant, comme c’est une question fort intéressante en elle-même que celle de trouver, en général, quel est le degré de la courbe sur laquelle roule la polaire d’une section conique, quand le pôle parcourt une courbe de degré donné, et réciproquement ; j’ai été entraîné à faire les recherches suivantes qui, je l’espère, pourront dédommager en partie le lecteur de l’attention qu’il aura bien voulu donner à l’ébauche infructueuse que je viens de lui offrir.

V. Avant d’entrer en matière, je rappelle, pour l’intelligence de ce qui va suivre, ce théorème général, emprunté de la théorie des pôles :

Si un certain point est situé sur une ligne droite, tracée dans le plan d’une section conique, sa polaire passera par le pôle de cette même ligne droite.

Soit le pôle d’une certaine droite, assujetti à parcourir une courbe quelconque, tracée sur le plan de la section conique qui sert de directrice ou d’intermédiaire ; si l’on suppose que ce pôle se déplace infiniment peu de sa position primitive sur la courbe parcourue ; c’est-à-dire, sur celle qu’il est assujetti à parcourir, il n’aura pas quitté la tangente en ce point de cette courbe ; d’un autre côté, sa polaire, d’après le théorème qui précède, n’aura pas quitté non plus un certain point fixe, qui est le pôle même de la tangente en question. Or, ce point est précisément celui où la polaire de touche la courbe enveloppe, puisqu’il est, par hypothèse, le point d’intersection de deux tangentes consécutives de cette courbe ; donc, de même que chaque point de la courbe parcourue par le point peut être considéré comme le pôle d’une certaine tangente de l’enveloppe, pareillement, chaque point de cette dernière peut, à son tour, être considéré comme le pôle d’une certaine tangente à la courbe parcourue.

Il résulte de là que les deux courbas dont il s’agit jouissent de propriétés réciproques, à l’égard de la section conique qui leur sert d’intermédiaire ou de directrice commune ; c’est-à-dire, que la courbe parcourue peut être considérée, à son tour, comme enveloppe commune des polaires des divers points de l’autre, et vice versâ ; on peut donc appeler l’une de ces courbes la réciproque de l’autre ; et, comme chacune d’elles peut être considérée comme le lieu des pôles des élémens de sa réciproque, on peut, pour plus de précision encore, l’appeler sa polaire réciproque. Cette dénomination permet d’exprimer ainsi, d’une manière très-abrégée, les conséquences des remarques qui précèdent.

La polaire réciproque d’une courbe donnée, sur le plan d’une section conique, est à la fois le lieu des pôles de toutes les tangentes à cette courbe, et l’enveloppe de l’espace parcouru par les polaires des points de cette même courbe.

En langage ordinaire, cette proposition s’exprimerait ainsi ;

Une courbe quelconque étant donnée sur le plan d’une section conique ; celle sur laquelle roule, dans-son mouvement, la corde de contact de l’angle mobile et variable circonscrit à cette section conique, dont le sommet parcourt constamment la courbe donnée, est aussi celle que devrait décrire le sommet d’un autre angle mobile et variable, circonscrit à la section conique, pour que l’enveloppe de l’espace parcouru par sa corde de contact fût la première courbe elle-même.

VI. Supposons actuellement, afin de reconnaître quel est le degré de la polaire réciproque d’une courbe donnée, que l’on trace arbitrairement dans son plan une ligne droite quelconque ; cette droite la rencontrera, en général, comme l’on sait, en autant de points que son degré renfermera d’unités. Or, d’après ce qui précède, chacun de ces points est le pôle d’une certaine tangente à la courbe donnée ; et, par la théorie des pôles (V), cette tangente passe nécessairement par le pôle de la droite arbitraire ; donc cette dernière rencontrera la polaire réciproque dont il s’agit en autant de points qu’on pourra, par son pôle, mener de tangentes à la courbe donnée. La question se trouve donc ainsi ramenée à cette autre.

VII. Combien, d’un point donné arbitrairement, sur le plan d’une courbe quelconque, peut-on mener de tangentes à cette courbe ?

Dans le cas où la courbe est transcendante, on sait qu’en général on peut lui mener, d’un point donné, une infinité de tangentes réelles ou imaginaires ; donc, la polaire réciproque qui lui correspond sera susceptible d’être coupée en un pareil nombre de points, réels ou imaginaires, par une droite arbitraire tracée dans son plan (VI), et sera par conséquent transcendante elle-même comme la proposée ; mais ce n’est pas là le cas qui nous intéresse ; passons donc à celui où la courbe proposée est algébrique.

Dans ce cas, en désignant par le degré de la courbe dont il s’agit, le nombre des tangentes possibles, partant d’un même point, sera fini ; et, suivant Waring[6], il ne saurait surpasser le quarré de Mais nous allons faire voir que le nombre effectif de ces tangentes est, en général, et au plus ce qui diminue de le nombre indiqué par ce géomètre.

Supposons, en effet, qu’on mette en perspective la courbe et le point donnés, de manière que ce point soit situé a une distance infinie ; les tangentes, au lieu de concourir, deviendront alors parallèles ; de plus, le degré de la courbe n’aura pas varié, non plus que le nombre des tangentes, puisque chacune des tangentes de la figure primitive se trouvera remplacée par sa perspective. Il suffira donc de démontrer le théorème énoncé pour le cas particulier où les tangentes doivent toutes être parallèles à une même droite donnée.

Le coefficient différentiel du premier ordre d’une courbe quelconque étant l’expression même de la tangente tabulaire de l’angle que forme avec l’axe des la tangente au point correspondant de cette courbe ; il suffira, dans le cas actuel, d’écrire que cette expression est égale à une quantité donnée et constante[7] ; ce qui fournira une équation de condition, laquelle exprimera la relation qui doit exister entre les coordonnées des points de contact cherchés ; et servira par conséquent, conjointement avec celle de la courbe donnée, à déterminer tous ces points de contact. Or, l’expression du coefficient différentiel d’une courbe du degré est une fonction dont le numérateur et le dénominateur ne sont évidemment que du degré [8] ; donc l’équation de condition dont il s’agit sera elle-même du degré et l’élimination de ou de entre elle et la proposée, du degré conduira à une équation finale qui ne s’élèvera, au plus, qu’au degré comme cela résulte des théories connues. Donc, finalement, on ne saurait mener à une courbe plus de tangentes, par un point situé comme l’on voudra sur son plan.

Dans la démonstration qui précède, nous n’avons fait usage des considérations de la perspective que pour abréger ; il ne serait pas difficile de démontrer le principe que nous avons établi, d’une manière directe et tout-à-fait algébrique ; mais, cela nous aurait entraîné dans quelques calculs que, bien qu’ils soient fort simples, nous avons préféré épargner au lecteur.

VIII. L’équation de condition dont il a été question ci-dessus, étant en général du degré entre les coordonnées des points de contact, représente évidemment une courbe du même degré qui coupe en ces mêmes points la courbe proposée. Si, par exemple, celle-ci est une conique, on aura d’où il suit que les points de contact, au nombre de deux seulement, se trouveront sur une certaine droite, qui sera évidemment la polaire du point de départ des tangentes. Si la courbe donnée était du troisième degré, le nombre des points de contact serait six, et la courbe qui couperait la proposée en ces points serait une section conique. Ces deux courbes, la proposée et celle qui la coupe suivant les points de contact des tangentes issues d’un même point, jouissent, en général, de propriétés nombreuses et remarquables ; mais ce serait sortir du sujet qui nous occupe que de les faire connaître ici.

IX. Nous venons de voir que, d’un point pris à volonté sur le plan d’une courbe géométrique du degré on ne peut mener plus de tangentes à cette courbe donc (VI) la polaire réciproque d’une courbe donnée, de degré ne pourra être rencontrée, à son tour, en plus de points, par une droite quelconque, tracée arbitrairement sur son plan ; et tel sera par conséquent, en général, le degré de cette même courbe.

Prenons, pour exemple particulier, le problème qui fait le sujet de cet article. Nous avons vu (I) que le sommet mobile de l’angle constant, perpétuellement circonscrit à une section conique donnée, parcourait, dans toutes ses positions, une courbe du quatrième degré ; donc, dans ce cas, le degré de la courbe enveloppe de l’espace parcourue par la corde de contact ne saurait être au plus que  ; ce degré pourra d’ailleurs être moindre, attendu que la courbe parcourue par le sommet de l’angle n’est pas la plus générale de son degré ; mais, vu la complication des éliminations à effectuer (IV), c’est déjà quelque chose que d’avoir prouvé que la courbe demandée ne saurait être d’un degré plus élevé encore.

Quoique la réciproque d’une courbe donnée soit en général du degré quand le degré de celle-ci est on ne peut cependant lui mener, d’un point pris arbitrairement sur son plan, que tangentes au plus ; bien qu’il semble (VII) que le nombre des tangentes possibles, pour une courbe de ce degré soit Mais c’est que cette courbe n’est pas générale, c’est-à-dire qu’elle est d’une espèce particulière, parmi toutes celles du même degré ; et qu’une courbe du degré n’a pas toujours nécessairement tangentes possibles concourant en un même point, pris à volonté sur son plan. La parabole cubique, par exemple, n’a au plus que trois tangentes, soit réelles, soit imaginaires, passant par un point arbitraire, quoiqu’une courbe du troisième degré puisse en général en avoir six, comme nous l’avons vu ci-dessus. On peut s’assurer toutefois que, même dans ce cas particulier, la courbe de contact est encore une section conique, comme dans le cas général ; mais sa nature et sa situation sont liées à celles de la parabole cubique de manière à ne couper celle-ci qu’en trois points au plus.

X. La dépendance intime entre une courbe donnée et sa polaire réciproque est extrêmement remarquable, comme on a pu le voir, par tout ce qui précède ; nous ajouterons de plus, pour compléter ce rapprochement, 1.o que les points d’inflexion de l’une correspondent aux points de rebroussement de l’autre, et réciproquement ; 2.o les points situés à l’infini sur l’une correspondent aux points de contact de l’autre avec les tangentes partant du centre de la section conique directrice ; 3.o ces points de contact sont précisément les pôles des asimptotes de la première ; et ces mêmes tangentes les polaires des points situés à l’infini où ces asimptotes la touchent ; 4.o quand la proposée a une ou plusieurs branches paraboliques, c’est-à-dire, une ou plusieurs branches dont les asimptotes sont entièrement à l’infini, la réciproque a un même nombre de branches passant par le centre de la section conique directrice ; 5.o cette réciproque est ouverte ou fermée, suivant que de ce centre on peut ou on ne peut pas mener des tangentes à la courbe dont il s’agit ; et le nombre de ses branches infinies est précisément égal au nombre de ces tangentes possibles ; 6.o les points multiples de la courbe donnée, sont les pôles des tangentes communes à la fois à plusieurs branches de la réciproque, et précisément à un nombre de branches marqué par l’ordre de multiplicité des points dont il s’agit. Les points de contact de ces sortes de tangentes sont des points singuliers très-remarquables dans les courbes, en général ; et l’on voit qu’ici ces points de contact sont les pôles des tangentes aux points multiples de la courbe primitive ; 7.o etc.

Toutes ces conséquences découlent naturellement des articles V et VI qui précèdent, et il me parait inutile de m’y arrêter davantage. Je terminerai ce que je me proposais de dire sur les polaires réciproques, en faisant connaître, au moyen d’un exemple particulier, assez remarquable, le parti qu’on en peut tirer, pour la recherche ou la démonstration géométrique de certaines affections des lignes courbes, en général ; voici cet exemple :

XI. Deux courbes géométriques, l’une du degré et l’autre du degré étant tracées sur un même plan ; le nombre des tangentes qui leur sont communes est en général et au plus

Pour le prouver, traçons, dans le plan de ces deux courbes ; une section conique quelconque, et regardons-la comme la directrice commune aux polaires réciproques qui correspondent aux deux premières ; ces polaires seront (IX) en général, l’une du degré et l’autre du degré donc ces courbes se couperont, en général ; en points. Or, chacun de des points, en tant qu’il appartient à l’une des réciproques, est le pôle (V) d’une certaine tangente à celle des courbes données qui lui correspond, et en tant qu’il appartient à l’autre de ces mêmes réciproques, il est aussi le pôle d’une certaine tangente à la seconde des courbes données ; donc, un même pôle ne pouvant avoir qu’une seule et unique droite polaire, ce point d’intersection des deux réciproques sera précisément le pôle d’une tangente commune aux deux courbes proposées. De plus, il est visible qu’à son tour toute tangente commune à ces courbes est nécessairement la polaire d’un certain point commun aux deux réciproques ; d’où il suit que le nombre de ces tangentes communes sera précisément égal à celui des points d’intersection des deux réciproques, c’est-à-dire, comme on s’était proposé de le démontrer.

Quant aux courbes polaires elles-mêmes, bien qu’elles soient d’un degré plus élevé que leurs correspondantes, elles ne sauraient évidemment avoir plus de tangentes communes, puisque leurs réciproques primitives, étant respectivement des degrés et ne sauraient se couper en plus de points.

Nous pourrions transporter les généralités qui précèdent dans l’espace, mais il sera plus convenable de descendre de ces mêmes généralités au cas particulier où la courbe donnée est une section conique, comme la directrice ; parce qu’il se rattache (II) au problème qui fait l’objet principal de cet article. Nous terminerons par rechercher, d’une manière générale, l’équation de la polaire réciproque, pour ce cas particulier, tant parce que cet objet n’a point encore été rempli d’une manière purement algébrique, que pour faire connaître la cause de la complication des équations du problème général qui nous a occupés dans l’article III.

XII. Nous avons vu ci-dessus (VI) que le degré de la polaire réciproque d’une courbe donnée est, en général, égal au nombre des tangentes que l’on peut mener d’un point quelconque à cette dernière ; or, dans le cas actuel d’une section conique, le nombre de ces tangentes est visiblement deux ; et il n’est pas besoin, pour cela, de recourir à l’article VII ; donc la polaire réciproque d’une section conique donnée est elle-même une autre section conique ; ce qu’on peut aussi (V) énoncer de cette autre manière :

Si le pôle d’une section conique se meut, sans cesser d’appartenir à une autre section conique, sa polaire ne cessera pas non plus de toucher une troisième section conique, différente des deux premières.

Et réciproquement,

Si la polaire d’une section conique se meut, sans cesser d’être tangente à une autre section conique, son pôle ne quittera pas non plus une troisième section conique, différente des deux premières.

Ces deux théorèmes rentrent, pour le fond, comme nous l’avons assez fait voir, dans une proposition unique, qui ne diffère pas de celle citée à la page 13 de ce volume. Le raisonnement qui précède en fournit une démonstration nouvelle, purement géométrique, et qui me paraît aussi directe que simple ; elle s’étendrait avec facilité au cas où les sections coniques seraient remplacées par des surfaces du second ordre, situées arbitrairement dans l’espace, ce qui donnerait lieu au beau théorème démontré pour la première fois par M. Brianchon, à la page 308 du XIII.e cahier du Journal de l’école polytechnique.

XIII. D’après ce qui a été dit ci-dessus (X), la polaire réciproque d’une section conique donnée sera ouverte ou fermée, selon que du centre de la section conique directrice on pourra ou on ne pourra pas mener des tangentes à la section conique donnée. Il suit de là que cette polaire sera une ellipse, une parabole ou une hyperbole, suivant que le centre de la directrice sera situé au dedans, dessus ou au dehors de la section conique donnée. En remarquant, en outre, d’après le même article, que les points de contact dont il vient d’être question sont précisément les pôle des asimptotes de la polaire réciproque de cette même section conique ; on en pourra conclure que la corde de contact qui joint ces deux points est, dans tous les cas possibles, la polaire même du centre de la réciproque de la courbe donnée.

De plus, si l’on fait attention (V) que deux sections coniques étant réciproques, les points de l’une sont les pôles des tangentes de l’autre, par rapport à la section conique directrice ; on en pourra conclure aussi que ceux où l’une d’elles coupe cette section conique directrice, indiquent précisément sur cette courbe les points de contact des tangentes qui lui sont communes avec l’autre.

Deux sections coniques étant données, rien ne sera plus facile, comme on le voit, que de déterminer les quatre tangentes qui leur sont communes. Il suffira, en effet, de regarder l’une d’elles comme la directrice par rapport à l’autre, puis de chercher, sur cette directrice les points où la coupe la réciproque de la première, et ces points seront ceux où elle est touchée par les tangentes en question. On pourra d’ailleurs tracer la polaire réciproque dont il s’agit, soit en en recherchant le centre et les asymptotes, s’il y a lieu, au moyen de ce qui a été dit ci-dessus, soit en en déterminant cinq points, à volonté, avec la règle seule, puis traçant ensuite, au moyen de l’hexagone mystique de Pascal, la section conique qui passe par ces cinq points.

XIV. Nous avons fait connaître (II) les cas pour lesquels la courbe parcourue par le sommet d’un angle mobile, mais constant, perpétuellement circonscrit à une section conique donnée, se réduisait elle-même à une autre section conique. Il résulte de ce qui précède que, dans les mêmes cas, la courbe enveloppe de l’espace parcouru par la corde de contact de l’angle mobile se réduira aussi à une section conique.

Examinons, en particulier, le cas où la section conique donnée est une parabole ; nous avons vu qu’alors le lieu de tous les sommets est une hyperbole, dont l’axe principal se confond, pour la direction, avec celui de cette parabole, et qui a un de ses foyers et la polaire focale correspondante, confondus avec ceux de cette même courbe.

Puisque la courbe parcourue dans le cas actuel n’a aucune de ses tangentes passant par le centre de la parabole qui lui sert de directrice, c’est-à-dire, n’a aucune tangente parallèle à l’axe de cette parabole, on en peut de suite conclure (XIII) que la polaire réciproque qui lui correspond est entièrement fermée, et ne saurait, par conséquent, être autre chose qu’une ellipse. Je dis de plus que cette ellipse a un de ses foyers et la polaire focale qui lui correspond en commun avec les deux premières.

En effet, si l’on se rappelle que, dans une section conique quelconque, la droite qui passe par l’un des foyers, et celle qui joint le pôle de cette droite avec le même foyer, sont perpendiculaires entre elles, quel que soit d’ailleurs celui des systèmes de ces droites qu’on ait choisi en particulier ; on pourra en conclure, pour le cas actuel, que, si d’un point pris, à volonté, sur la polaire focale commune à la parabole et à l’hyperbole proposées, on mène à ces courbes quatre tangentes, deux pour chacune, les quatre points de contact seront situés, à la fois, sur une seule et même ligne droite, passant par le foyer correspondant, laquelle sera évidemment la polaire de ce même point. Cela posé, appelons le point de la polaire focale d’où partent les tangentes[9] ; les points de contact appartenant à la courbe parcourue, c’est-à-dire, à l’hyperbole ; ceux qui appartiennent à la courbe qui sert de directrice, c’est-à-dire, à la parabole ; le foyer commun un à ces mêmes courbes ; enfin, les points où la droite rencontre la courbe enveloppe, c’est-à-dire l’ellipse. Il ne sera pas difficile de voir (V, VI) que le point de l’enveloppe est le pôle de la tangente à la parcourue ; et, par conséquent, que le point de contact est, à son tour, le pôle de la tangente est à l’enveloppe ; or, le point d’une droite a nécessairement pour polaire (V) une droite passant par le pôle de la première ; donc la tangente au point de l’enveloppe passe par ce même point  ; et, comme la même chose pourrait se démontrer à l’égard de son correspondant il s’ensuit que, par rapport à la section conique enveloppe, considérée en elle-même et indépendamment des deux autres, le point est précisément le pôle de la droite qui leur sert de polaire focale commune.

Maintenant, si l’on se reporte à l’observation d’où l’on est parti, dans le raisonnement qui précède, on pourra en conclure que relativement à la section conique enveloppe, le point est tel que la droite qui passe par ce point, et celle qui joint le pôle de cette dernière au même point, sont perpendiculaires l’une à l’autre, quelle que soit d’ailleurs la droite qu’on ait choisie, en particulier ; or, il n’existe, comme l’on sait, sur le plan d’une section conique donnée, d’autres points que les foyers mêmes de cette courbe qui jouissent d’une semblable propriété[10] ; donc le point est en effet le foyer de l’ellipse enveloppe ; et par conséquent, cette ellipse a ce même foyer et la polaire focale gui lui correspond, en commun, avec les deux autres sections coniques.

La première de ces deux conséquences a été avancée d’une manière gratuite, à la page 13 de ce volume ; et nous avons été bien aise d’en donner en passant la démonstration, sans faire usage d’autres principes que ceux exposés dans le présent article, et sans même sortir du sujet principal qu’on s’y propose. Au reste, on pourrait démontrer, en suivant à peu près la marche qui précède, qu’en général la section conique réciproque d’une autre ne saurait avoir même foyer avec elle, et avec celle qui leur sert de directrice commune, à moins que ces dernières n’aient, à la fois, même polaire et même foyer, comme dans le cas particulier qui précède.

XV. Proposons-nous maintenant, pour terminer d’une manière conforme à ce qui a été annoncé ci-dessus, de démontrer, d’une manière purement algébrique, le théorème de l’article XII ; afin de faire connaître, par un exemple particulier, en quoi consiste la difficulté que nous avons rencontrée (III, IV), au sujet du degré de l’équation finale cherchée.

Appelons, comme nous l’avons déjà fait dans ces mêmes articles, les coordonnées courantes de la section conique donnée, dont on veut trouver la polaire réciproque, afin de les distinguer de celles de la section conique qui sert de directrice ; en désignant celles-ci, à l’ordinaire, par Puisque l’une et l’autre de ces deux courbes sont du second degré, nous pourrons représenter, en général, l’équation de la première par

(s)

et celle de la seconde par

(s′)

D’après les conditions du problème, la réciproque de la courbe donnée (s) doit être telle que chacune de ses tangentes ait précisément pour pôle un point () de cette dernière ; mais on trouve facilement que l’équation de la polaire d’un point (), par rapport à la courbe (s′), est

ou

telle est donc aussi celle d’une tangente à la courbe cherchée.

En la différentiant, par rapport à et seuls[11], et laissant et constans, suivant l’esprit de la théorie des enveloppes (III), la nouvelle équation

ainsi obtenue, appartiendra, avec la première, au point ou la droite que celle-ci représente touche la courbe enveloppe, c’est-à-dire la courbe cherchée. En y substituant la valeur de tirée de l’équation (5), elle pourra prendre cette nouvelle forme

(b)

Le système des équations (a), (b) représentant un point quelconque de l’enveloppe réciproque, quand on attribue à et des valeurs qui conviennent à l’équation (5), il est visible qu’on obtiendra l’équation même de cette courbe, en éliminant et entre ces trois équations. En faisant, pour rendre cette élimination plus facile

celles (a) et (b) deviendront respectivement ; en les ordonnant,

On tire de là

ou, en faisant de nouveau, pour abréger,

Substituant ces expressions à la place de et dans l’équation (s), chassant les dénominateurs, développant en particulier les termes non affectés de les ordonnant par rapport à observant enfin que l’expression peut être remplacée par il viendra

Observant que cette équation est décomposable en deux facteurs dont l’un est égalant séparément à zéro chacun de ces facteurs, et remettant pour et les quantités qu’elles représentent, on aura enfin, pour les équations de solution du problème,

(c)

La première de ces équations représente évidemment, en général, une section conique ; car les quantités qui n’y entrent qu’au second degré, sont linéaires en et Quant à la seconde, on peut s’assurer, sans beaucoup de peine, qu’elle représente, le système de deux droites. Si l’on y fait en effet

elle deviendra

(d)

et donnera par conséquent, pour deux valeurs toutes connues, en en les substituant donc dans qui remplace la proposée (c), et y mettant ensuite pour et leurs valeurs en et elle deviendra

(e)

équation qui, en y attribuant à les deux valeurs constantes ci-dessus, représentera évidemment le système de deux lignes droites, comme on l’avait annoncé.

Maintenant, si l’on fait attention que la ligne cherchée ne saurait être une ligne droite que dans des circonstances tout-à-fait particulières, puisqu’elle doit être, en général, l’enveloppe de l’espace parcouru par une autre ligne droite, on en conclura que l’équation (s″) représente seule la véritable courbe satisfaisant pleinement aux conditions du problème. Donc cette courbe est une seule et unique section conique, conformément à ce qui a déjà été démontré (XII) d’une manière purement géométrique.

XVI. Nous pourrions ici passer en revue, au moyen de l’analise les diverses conséquences auxquelles nous sommes déjà parvenus (XII), relativement à la dépendance qui existe entre les trois courbes (s), (s′), (s″) ; mais cela serait d’un trop faible intérêt ; et il vaut beaucoup mieux, pour l’objet que nous avons en vue, nous occuper de l’interprétation géométrique des facteurs étrangers auxquels la précédente analise nous a conduits d’une manière presque inévitable.

Nous venons déjà de voir, par ce qui précède, que l’équation (c), mise sous la forme (e), représente, en y attribuant à les valeurs constantes déduites de l’équation (d), le système de deux lignes droites particulières, et, en apparence, tout-à-fait étrangères à l’objet réel du problème ; on peut s’assurer, en autre, d’une manière trop facile pour qu’il soit convenable de s’y arrêter, que cette équation représente précisément un diamètre de la courbe (s′), dont le conjugué fait avec l’axe des un angle qui a pour tangente tabulaire ; ou, si l’on veut encore, qu’elle représente un diamètre de cette courbe dont les tangentes extrêmes sont parallèles à une droite d’inclinaison donnée, mesurée par Il ne reste donc plus maintenant, pour obtenir l’interprétation complète de l’équation (c), ou plutôt (e), qu’à rechercher ce que c’est que la quantité et pour cela il faut nécessairement avoir recours à l’équation (d) d’où elle tire sa valeur.

On aperçoit d’abord, à la simple inspection de cette équation (d), que la valeur de ne dépend absolument que des constantes qui appartiennent en propre à la courbe (s). Je dis, de plus, que cette équation ne représente autre chose que les valeurs des tangentes tabulaires des angles que forment avec l’axe des les asimptotes de cette même courbe.

Supposons, en effet, afin de trouver les tangentes dont il s’agit. supposons, dis-je, par l’origine des coordonnées, une droite parallèle à l’une de ces asimptotes, et concourant par conséquent à l’infini avec elle ; cette droite renfermera le point de contact de cette asimptote avec la courbe (s) ; donc les coordonnées, et correspondant à ce point, bien qu’elles soient infinies, n’en conservent pas moins entre elles un rapport fini et donné, lequel est précisément égal à la tangente tabulaire de l’angle que forme avec l’axe des la droite et l’asimptote dont il s’agit. Si donc, dans l’équation (s) de la courbe, on remplace le rapport par une constante inconnue ou, ce qui revient au même, si l’on y substitue pour  ; puis qu’on y suppose ensuite infini, après avoir préparé convenablement l’équation, on en obtiendra une autre qui donnera précisément les diverses valeurs des tangentes tabulaires cherchées[12].

En opérant ainsi sur l’équation (5), on obtient

équation qui est absolument de même forme que celle (d), et qui donne par conséquent pour les mêmes valeurs que celles-ci pour  ; donc, en effet, comme il s’agissait de le prouver, la quantité de l’équation (e) n’est autre chose que la tangente tabulaire de l’angle que forme, avec l’axe des , l’asimptote correspondante de la courbe (s).

XVII. Maintenant, si l’on fait attention que le pôle d’un diamètre d’une section conique est situé à l’infini, sur une droite parallèle au conjugué de ce diamètre, on pourra conclure, de tout ce qui précède, que l’équation de condition (c) n’est autre chose que celle du système de deux diamètres de la courbe (s′), ayant précisément pour pôles les points de la courbe (s) qui sont situés à l’infini ; et que, par conséquent, ces points étant singuliers, par rapport à la courbe (s), l’équation (c) n’est au fond qu’une solution particulière, purement analitique, du problème proposé.

On aurait tort toutefois de rejeter, sans un examen préalable, les facteurs qui correspondent à ces sortes de solutions étrangères ; car, 1.o ils ne sont pas insignifians, comme nous venons de le faire voir ; 2.o ils ne sont pas toujours inutiles, comme nous pourrions aussi en montrer plusieurs exemples ; 3.o enfin, ces facteurs sont liés d’une manière intime aux équations primitives d’où l’on est parti, et en sont de véritables solutions, quoiqu’elles ne paraissent pas l’être de l’énoncé verbal lui-même.

La théorie de ces sortes de facteurs, quand elle sera perfectionnée, pourra répandre un grand jour sur la marche de l’analise ; et, si je ne me trompe, contribuera à en faire hâter d’une manière étonnante, le progrès, déjà devenu si indispensablement nécessaire.

XVIII. Maintenant, si l’on veut connaître jusqu’à la raison pour laquelle le facteur (c) se trouve être solution du problème dont il s’agit, il faudra nécessairement remonter aux équations primitives d’où l’on est parti pour faire l’élimination. On voit très-bien d’abord ce que signifient les équations (s) et (a), l’une est celle de la courbe donnée, que parcourt le pôle ou sommet mobile l’autre représente la tangente de la courbe cherchée, correspondant à une position particulière de ce même pôle ; il n’y a donc que la troisième équation (b), qui a servi à l’élimination avec les deux autres, dont l’interprétation puisse souffrir quelque difficultés.

En la mettant sous cette nouvelle forme

et remarquant que ces deux membres sont respectivement les expressions des tangentes tabulaires des angles que forment, avec l’axe des , les tangentes en aux courbes (s′) et (s) ; mais prises avec des signes contraires, on en conclura, comme on l’a déjà fait ci-dessus, à l’égard de l’équation (e), que cette équation, en y regardant et comme les coordonnées courantes, et comme constantes, représente un diamètre de la courbe (s), dont le conjugué fait avec l’axe des un angle précisément égal à celui que forme, avec ce même axe, la tangente en de la courbe (s) ; c’est-à-dire, l’intersection de ce diamètre avec la tangente (a) à la courbe réciproque cherchée, qui donne le point de contact de cette tangente avec cette même courbe. Or, quand le point vient à passer à l’infini, sans quitter la courbe (s), le diamètre et la tangente dont il s’agit se confondent évidemment, dans toute leur étendue (XVII) et ne donnent aucun point déterminé d’intersection, appartenant à la courbe cherchée ; ou plutôt donnent, à la fois, pour points d’intersection, tous ceux du diamètre même dont il s’agit. Donc, l’équation finale devant donner à la fois tous les points qui appartiennent simultanément au système des deux équations (a) et (b), elle doit donner aussi tous ceux de ce même diamètre, et renfermer par conséquent l’équation de ce diamètre comme facteur.

XIX. L’interprétation que nous venons de donner du facteur (c), pour le cas particulier de l’exemple qui précède, nous fait voir que, si la même courbe donnée (s), au lieu d’être une section conique, était en général du degré le nombre des points situés à l’infini sur cette courbe étant alors en général il y aurait un même nombre de diamètres de la courbe (s′) qui appartiendraient à la solution analitique du problème ; donc alors l’équation finale se trouverait affectée d’un facteur étranger du degré qui la multiplierait inévitablement, sans qu’il fût possible de l’en délivrer à priori, par aucun procédé d’élimination ; à moins de changer la forme même des équations primitives, c’est-à-dire, la mise en équation, ou de le supprimer, d’une manière implicite ; dans le résultat final. Ainsi, par exemple, dans le cas particulier qui nous occupe, si, après avoir substitué les valeurs trouvées pour dans l’équation (5), au lieu de réduire de suite, comme nous l’avons fait, tout au même dénominateur, on eût réuni séparément les numérateurs des termes ayant pour dénominateur commun, et qui sont les seuls où et paraissent entrer au de-là de la seconde puissance ; on eût trouvé que entre aussi comme facteur dans ce numérateur ; et alors, en le supprimant, on serait nécessairement retombé sur l’équation (s″), à laquelle nous sommes déjà parvenus. Mais on voit qu’en opérant ainsi, on aurait réellement supprimé, à posteriori, un facteur de l’équation finale. Il n’y aurait de différence entre cette manière de procéder et celle que nous avons employée d’abord, qu’en ce qu’on aurait supprimé ce même facteur d’une manière implicite, et sans s’en être rendu aucun compte préalable, comme nous l’avons fait dans l’autre des deux cas dont il s’agit.

Si présentement on fait attention qu’il peut très-bien arriver que le facteur supprimé, par l’effet de l’opération particulière, représente précisément la véritable solution du problème, on devra comprendre que, s’il est des manières de procéder qui abrègent le calcul de l’élimination, il en est aussi qui peuvent par là conduire à des-espèces d’absurdités, en faisant manquer le but réel qu’on se proposait d’atteindre.

Dans les procédés généraux de l’élimination, les réductions partielles dont il vient d’être question ne peuvent plus avoir lieu d’une manière immédiate ; et alors il arrive que les équations finales renferment les facteurs singuliers, d’une manière implicite, qui les compliquent inévitablement. On attribue à l’opération elle-même d’avoir introduit ces facteurs, soi-disant étrangers, tandis que, comme on vient de le faire voir, ce n’est, au contraire, que par l’effet d’opérations particulières que ces facteurs peuvent disparaître fortuitement du résultat final, dont ils font nécessairement partie ; sous le rapport purement analitique. Si l’on s’attachait à bien étudier les équations de départ, on pourrait peut-être parvenir à connaître à l’avance le degré et la forme même de ces facteurs ; et alors rien ne serait plus facile que de les supprimer après coup, s’ils ne répondaient pas immédiatement à l’énoncé verbal de la question proposée.

XX. Il résulte clairement, ce me semble, de tout ce qui précède, que le résultat de l’élimination entre les équations (4, 5, 6) de l’article III doit renfermer, conformément à ce qui a été annoncé (IV), un facteur étranger qui complique nécessairement son expression, et qu’il est impossible de supprimer à priori, c’est-à-dire, autrement que dans l’équation finale elle-même ; que ce facteur est du quatrième degré, et représente le système de quatre droites particulières ; qu’enfin on peut obtenir à l’avance l’expression de ce facteur, en agissant conformément à ce qui a été dit (XVI, XVII, XVIII), c’est-à-dire, en recherchant les diamètres de la section conique (s′) qui ont pour pôles les points situés à l’infini sur la courbe donnée (4), et multipliant leurs équations entre elles.

Si, au lieu de considérer des lignes courbes planes, comme dans ce qui précède, on considérait des surfaces courbes, arbitrairement situées dans l’espace, la surface directrice s’étant toujours du second ordre, on trouverait (Note de l’art. XVI) que le facteur étranger représente une seule et unique surface conique, ayant son centre au centre même de la surface conique (s′) qui sert de directrice, et dont les arêtes seraient respectivement parallèles à celles de la surface développable asimptotique de la proposée, mais c’est assez s’arrêter sur les conséquences de l’analise qui précède.

  1. Si l’on suppose que cette courbe est une ellipse, et si, pour plus de symétrie, on transporte l’origine à son centre, en prenant pour son équation

    et si, de plus, on désigne par l’angle constant donné ; l’équation de la courbe demandée sera

    Pour passer de là à l’hyperbole, dont l’équation serait

    il suffira de changer en dans l’équation ci-dessus, ce qui donnera

    Enfin, pour la parabole dont l’équation serait

    il suffira, dans l’équation (4) du texte de faire , ce qui donnera

    Puisque n’entre qu’au quarré dans ces équations, il en résulte qu’elles conviennent également au cas où l’angle serait égal à un angle donné et à celui où il en serait le supplément ; et comme, excepté le cas ou cet angle donné serait droit, les courbes décrites par les sommets des deux angles mobiles doivent évidemment être essentiellement distinctes ; il s’ensuit que notre équation du quatrième degré appartient à deux courbes. Il est de plus évident que, pour l’ellipse, par exemple, les deux courbes doivent être concentriques avec la proposée, qu’elles doivent être des courbes fermées, sans aucune sorte d’inflexion ; d’où l’on pourrait être tenté d’inférer que ce sont deux ellipses, données par une même équation. Mais, outre qu’il faudrait pour cela que l’équation fût résoluble en deux facteurs rationnels du second degré, il est très-aisé de prouver directement qu’il n’en est point ainsi.

    Si, en effet, dans l’équation qui répond à l’ellipse, on fait successivement et égaux à zéro, il viendra

    d’où l’on tirera ces quatre valeurs de et de

    Tels sont donc les deux demi-axes des deux courbes. Si donc ces courbes étaient des ellipses, leurs équations seraient


    Or, il est aisé de se convaincre que le produit de ces deux équations n’équivaut pas à la proposée.

    J. D. G.
  2. Voyez un Mémoire de Lahire, dans le volume de l’Académie royale des sciences de Paris, pour 1704.
    (Note de l’auteur).
  3. Dans le cas où est nul, on satisfait encore à l’équation (4) en posant

    c’est l’équation d’une circonférence concentrique avec la section conique, ayant un rayon infini. C’est qu’alors les deux côtés de l’angle invariable circonscrit sont parallèles.

    J. D. G.
  4. Ici, comme dans tout ce qui va suivre, je suppose que l’on ait une connaissance parfaite de la Théorie analitique des pôles, exposée par M. Gergonne, à la page 293 du tome III.me  de ce recueil.
    (Note de l’auteur).
  5. Voyez la page 361 du troisième volume de ce recueil.
    J. D. G.
  6. Micellaneæ analiticæ, page 100.
  7. On pourrait même écrire qu’elle est nulle, en prenant pour axe des la droite à laquelle les tangentes doivent être parallèles.
    J. D. G.
  8. Dans l’hypothèse de la note précédente, on n’aurait que le numérateur seulement à considérer.
    J. D. G.
  9. Le lecteur est prié de suppléer la figure.
  10. Cette propriété du foyer offre une parfaite analogie avec une propriété bien connue du centre du cercle, et me paraîtrait, pour cette raison, devoir être substituée aux définitions peu naturelles, d’où partent les auteurs de Géométrie analitique, pour parvenir à la détermination de ce point remarquable des sections coniques. Elle présente d’ailleurs l’avantage de permettre d’aborder la question d’une manière-générale, purement algébrique, et de faire parvenir ainsi, dans tous les cas possibles, à la détermination directe de ce foyer. En suivant cette marche, on trouve, qu’il existe quatre points semblables, remplissant également les conditions demandées, situés deux à deux sur les axes de la courbe ; mais il arrive que l’un de ces deux couples, qui correspondent respectivement à ces axes, étant réel, l’autre de ces mêmes couples est par-là même imaginaire, et par conséquent inconstructible ; conséquence remarquable, et bien différente de celle à laquelle on parvient par les voies ordinaires .
    (Note de l’auteur).

    Je crois devoir répéter ici, ce que j’ai dit ailleurs, sur ce sujet. La manière la plus générale, la plus analitique et la plus féconde à la fois de déterminer les foyers et polaires focales des sections coniques, me paraîtrait être de substituer aux coordonnées parallèles à deux axes fixes, soit les distances à des points fixes arbitraires, soit la distance à un de ces points et la distance à une droite fixe, également arbitraire ; et de profiter ensuite des constantes indéterminées que cette transformation introduit dans l’équation de la courbe, pour rendre cette équation la plus simple possible. Cette méthode, qui ne suppose absolument aucune propriété de la courbe antérieurement connue, aurait sur-tout l’avantage de pouvoir être appliquée à la recherche des points et lignes remarquables des courbes des degrés supérieurs ; mais il est fort à craindre qu’à raison des éliminations laborieuses qu’elle exige, elle ne soit jamais adoptée.

    J. D. G.

  11. On pourrait, dans le cas actuel, se passer aisément du secours du calcul différentiel, en faisant attention que le point de contact cherché est précisément (V) le pôle d’une tangente correspondante de la courbe donnée ; mais nous avons préféré nous rapprocher de la marche suivie à l’article III, afin de rendre immédiatement applicables au cas général de cet article les observations que nous aurons à faire, dans le cas particulier qui nous occupe.
    (Note de l’auteur).
  12. Il n’est pas inutile de faire observer que, en suivant la même marche, pour le cas général d’une courbe quelconque, on parviendrait, avec autant de facilité, à trouver les diverses valeurs des tangentes tabulaires des angles formés par les asimptotes sur l’axe des . On voit de plus que le nombre de ces asimptotes serait, en général, égal à celui qui marque le degré de cette même courbe. Dans le cas où l’équation obtenue aurait des racines égales, les groupes de ces racines correspondraient évidemment aux divers systèmes d’asimptotes parallèles, etc., etc.

    En transportant les mêmes considérations dans l’espace, on obtiendrait sans peine l’équation de la surface conique parallèle à la surface développable asimpotique d’une surface donnée. Ces remarques nous seront utiles pour ce qui va suivre.

    (Note de l’auteur).