Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Arithmétique, article 1

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Solutions du problème d’arithmétique proposé à la
page 164 de ce volume ;

Par MM. Coste, officier d’artillerie,
Durrande, professeur de mathématiques au collège d’Agde,
Et un Abonné.
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Analise de ces solutions,

Par le Rédacteur des Annales.

Problème. Quel est le plus petit nombre de poids nécessaires pour faire toutes les pesées en nombre rond, depuis une jusqu’à unités, en accordant la faculté de placer des poids dans les deux bassins de la balance, et quels sont ces poids ?

I. Faisons d’abord abstraction de la faculté de placer des poids dans les deux bassins de la balance. Concevons qu’on ait neuf poids d’une unité chacun, neuf poids de dix unités chacun, neuf poids de cent unités chacun, et ainsi de suite ; il est évident qu’avec un pareil assortiment de poids on pourra faire, en nombre rond, toutes les pesées imaginables, depuis l’unité jusqu’à un nombre donné ; et cela par la même raison qui fait que notre arithmétique décimale est propre à exprimer tout nombre entier donné.

On voit de plus que, pour faire toutes les pesées, jusqu’à inclusivement, on aura besoin de poids. Faisant donc d’où et par conséquent  ; le nombre des poids à employer, pour faire toutes les pesées jusqu’à sera neuf fois le logarithme vulgaire de

En général si l’on a poids d’une unité, poids de unités, poids de unités, et ainsi de suite ; on pourra, avec cet assortiment de poids, faire toutes les pesées en nombre rond, depuis l’unité jusqu’à tel nombre donné qu’on voudra ; et cela par la même raison qui fait qu’on peut exprimer tous les nombres dans tout système de numération analogue au nôtre, quelle qu’en puisse être d’ailleurs la base.

On voit qu’ici, pour faire toutes les pesées jusqu’à inclusivement, on aura besoin de poids. Faisant donc et d’où et par conséquent il viendra

Si l’on veut profiter de l’indétermination de pour rendre le nombre des poids le moindre possible, il faudra égaler à zéro la différentielle de

ou plus simplement, puisque est constant, celle de

Cela donne

On satisfait d’abord à cette équation en posant  ; mais alors la différentielle seconde qui est devient nulle, ce qui prouve que cette valeur n’est ni maximum ni minimum. On ne peut d’ailleurs résoudre cette équation que par les séries ; mais, d’un autre côté, on peut s’assurer que, passé la valeur qu’on ne saurait admettre, croît continuellement avec de sorte qu’il faudra prendre  ; nous aurons ainsi

 ;

les poids seront et il n’en faudra seulement qu’un de chaque sorte.

Quant à l’exécution des pesées, rien ne sera plus facile ; il ne s’agira en effet pour cela que d’avoir un tableau des nombres naturels, écrits dans le système de numération binaire, et le rang des chiffres dans chacun de ces nombres indiquera les poids à employer pour faire la pesée correspondante.

Ainsi, par exemple, si l’on veut faire une pesée de livres comme ce nombre, dans le système binaire, est ainsi écrit

on en conclura qu’il faut employer des poids de et livres, en effet,

II. Passons au cas où l’on autorise le placement simultané des poids dans les deux bassins de la balance. Il a déjà été remarqué qu’en attribuant aux chiffres des valeurs tantôt additives et tantôt soustractives, à peu près comme le pratiquaient les Romains, on pourrait réduire à moitié, ou à peu près, le nombre des divers caractères nécessaires pour écrire les nombres. Supposons par exemple qu’il soit question de notre système décimal, et convenons qu’un point placé au-dessus d’un chiffre lui donnera une valeur soustractive, il est aisé de voir qu’abstraction faite du zéro, les cinq chiffres suffiront pour exprimer tous les nombres ; et pour trouver les chiffres d’un nombre en particulier, il suffira de le diviser continuellement par dix, en exécutant la division tantôt en dedans et tantôt en dehors ; de manière à avoir toujours le reste le plus petit possible, soit positif soit négatif. Les restes obtenus de cette manière seront les chiffres successifs de la nouvelle expression du même nombre.

Soit, par exemple, le nombre dont l’expression vulgaire est en le divisant par on aura pour quotient

avec un reste

divisant ce quotient par 10, on aura pour quotient

avec un reste

divisant ce quotient par 10, on aura, pour quotient

avec un reste

divisant ce quotient par 10, on aura pour quotient

avec un reste

divisant ce quotient par 10, on aura pour quotient

avec un reste

divisant enfin par 10, on aura pour quotient

avec un reste

la nouvelle expression de ce nombre sera donc

On voit donc qu’au moyen de cet artifice, pour faire toutes les pesées possibles, il suffira de cinq poids d’une unité, cinq poids de 10 unités, cinq poids de 100 unités, et ainsi de suite ; de telle sorte que, pour peser jusqu’à inclusivement, il suffira de caractère. Faisant donc , d’où et par conséquent  ; le nombre des poids nécessaires pour faire toutes les pesées jusqu’à inclusivement sera

les logarithmes étant ceux des tables vulgaires.

Généralisons ces considérations ; mais distinguons le cas où la base du système de numération est paire et celui où elle est impaire.

Dans le premier cas, si la base du système est on fera toutes les pesées, depuis l’unité jusqu’à inclusivement avec poids seulement, dont de chaque sorte. Faisant donc et d’où et par conséquent

il viendra

Dans le second cas, si la base du système est  ; on fera toutes les pesées, depuis l’unité jusqu’à inclusivement, avec poids seulement, dont de chaque sorte. Faisant donc et d’où et par conséquent

il viendra

(2)

De toutes les valeurs entières et positives de c’est la valeur qui rend le plus petit possible, dans ces deux formules ; mais la première nous faisant retomber alors sur le système binaire, dans lequel l’emploi simultané des deux bassins de la balance n’est pas nécessaire, nous nous bornerons à ce qui résulte de la seconde où l’on a alors ce qui donne

Ainsi, la série de poids à employer sera la suivante :

et un seul poids de chaque sorte suffira.

Et, pour savoir comment exécuter chaque pesée, en particulier, il faudra avoir sous les yeux un tableau des nombres naturels, écrit dans le système ternaire, avec l’usage des chiffres soustractifs ; et les nombres de ce tableau feront aussitôt connaître quels sont les poids à placer dans les deux plateaux de la balance.

Si, par exemple, on veut faire une pesée de livres, on trouvera, pour l’expression de ce nombre dans le système ternaire,

ce qui nous apprendra sur-le-champ qu’il faut placer dans l’un des bassins les poids et dans l’autre les poids  ; en effet,

III. C’est à ces conclusions que sont également parvenus les trois géomètres qui ont traité le problème dont il s’agit ici ; et ils ont prouvé que de tous les systèmes de numération, le système ternaire était le plus propre à remplir le but. Mais, pour former par addition et soustraction tous les nombres entiers possibles, avec une série de nombres donnés, est-il indispensable que ces nombres soient les puissances successives d’un même nombre ? non sans doute ; et nous n’en donnerons pour preuve que la série

dont le terme général est et avec laquelle on parvient aussi à former tous les nombres ; puisque

Or, ne pourrait-il pas arriver que, parmi ces séries, il s’en trouvât quelqu’une qui, avec un moindre nombre de termes, parvînt au même but que la série des puissances de trois ? c’est là, ce nous semble, ce qu’il eût été nécessaire d’examiner ; ou, pour mieux dire, c’est en cela précisément que consistait la difficulté du problème.

Nous terminerons par observer que bien que, dans l’énoncé du problème, il ne soit simplement question que d’une série de poids, la solution qu’on en obtient s’applique, en général, à la formation de l’assortiment le moins volumineux possible d’instrumens de mesurage quelconques, tels, par exemple, que des mesures de capacité. Il y aurait peut-être aussi quelque avantage à régler sur les mêmes principes le système monétaire.