Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 04/Géométrie de la règle, article 1

GÉOMÉTRIE DE LA RÈGLE.

Application de la doctrine des projections à la démonstration
des propriétés des hexagones inscrits et
circonscrits aux sections coniques ;
Par M. Gergonne.
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On connaît déjà diverses démonstrations des théorèmes relatifs aux hexagones inscrits et circonscrits aux sections coniques[1]. En voici d’autres que je crois nouvelles et qui me paraissent assez simples pour permettre d’introduire dans les élémens deux théorèmes si féconds en belles applications.

I. Hexagone inscrit.

1. Par les élémens de géométrie, il est facile de démontrer que, si deux côtés consécutifs d’un hexagone inscrit au cercle sont respectivement parallèles à leurs opposés, les deux autres côtés opposés de cet hexagone seront aussi parallèles l’un à l’autre.[2]

2. Il résulte de là que, si deux côtés consécutifs d’un hexagone inscrit à l’ellipse sont respectivement parallèles à leurs opposés, les deux autres côtés opposés de cet hexagone seront aussi parallèles l’un à l’autre. Que l’on conçoive en effet, qu’après avoir rendu le petit axe de l’ellipse parallèle à un plan fixe on fasse tourner son plan autour de cet axe, jusqu’à ce que la projection orthogonale du grand axe sur le plan fixe soit égale à ce même petit axe. La projection de toute la figure sur ce plan sera alors un cercle auquel sera inscrit un hexagone dont deux côtés consécutifs seront respectivement parallèles à leurs opposés, puisque les projections de parallèles sur un même plan sont elles-mêmes parallèles. Donc (1) les deux autres côtés opposés de l’hexagone inscrit au cercle sont aussi parallèles. Il en doit donc être de même de leurs correspondans dans l’ellipse, puisque les projections sur un plan de deux droites situées sur un autre plan ne sauraient être parallèles, si celles-ci ne le sont elles-mêmes.

3. Il suit de là que, dans tout hexagone inscrit au cercle, les points de concours des prolongemens des côtés opposés sont tous trois situés sur une même ligne droite. Que l’on fasse, en effet, une perspective de la figure, de telle manière que cette perspective soit une ellipse à laquelle soit inscrit un hexagone dont deux côtés consécutifs soient respectivement parallèles à leurs opposés[3] ; les deux autres côtés opposés de cet hexagone seront également (2) parallèles l’un à l’autre. Donc les droites menées de l’œil aux points de concours des prolongemens des côtés opposés de l’hexagone inscrit au cercle sont toutes trois parallèles au tableau, et conséquemment dans un plan passant par l’œil ; les points de concours sont donc dans ce plan ; et, puisqu’ils sont aussi dans le plan du cercle, ils sont sur une même droite intersection de ces deux plans.

4. Comme toute section conique est la perspective d’un certain cercle, et comme, d’un autre côté, la perspective d’une droite est, elle-même une ligne droite ; on peut conclure de ce qui précède que, généralement, les points de concours des directions des côtés opposés de tout hexagone inscrit à une section conique, sont tous trois situés sur une même ligne droite.

II. Hexagone circonscrit.

1. Par les élémens de géométrie, on démontre facilement que, si deux des diagonales joignant des sommets opposés d’un hexagone circonscrit au cercle se coupent à son centre, la diagonale joignant les deux autres sommets opposés passera aussi par le centre du cercle.[4]

2. Il résulte de là que, si deux diagonales joignant des sommets opposés d’un hexagone circonscrit à une ellipse se coupent à son centre, la diagonale joignant les deux autres sommets opposés passera aussi par le centre de l’ellipse. Que l’on projette, en effet, la figure sur un plan tel que la projection de l’ellipse soit un cercle ; la projection de son centre sera le centre du cercle ; deux des diagonales joignant des sommets opposés de l’hexagone circonscrit au cercle passeront donc par son centre ; la troisième y passera donc aussi (1), et conséquemment la correspondante dans l’ellipse passera également par le centre de cette courbe.

3. Il suit de là que, dans tout hexagone circonscrit au cercle, les diagonales joignant les sommets opposés se coupent toutes trois en un même point. Que l’on fasse, en effet, une perspective de la figure, de telle manière que la perspective du cercle soit une ellipse ayant pour centre la perspective de l’intersection de deux quelconques des trois diagonales de l’hexagone circonscrit à ce cercle.[5] Deux des diagonales joignant les sommets opposés de l’hexagone circonscrit à l’ellipse se couperont à son centre ; ces trois diagonales se couperont donc au même point (2) ; il en sera donc de même pour leurs correspondantes dans le cercle.

4. Comme toute section conique est la perspective d’un certain cercle, et comme, d’un autre côté, les perspectives de droites qui se coupent au même point sont des droites qui se coupent au même point, on peut, conclure de ce qui précède que, généralement, les diagonales qui joignent les sommets opposés de tout hexagone circonscrit à une section conique se coupent au même point.

III. Généralisation de cette théorie.

Dans les raisonnemens que j’ai faits ci-dessus, j’ai supposé tacitement, 1.o que l’hexagone inscrit au cercle était tel que la droite joignant deux des points de concours des directions des côtés opposés était extérieure à ce cercle ; 2.o que l’hexagone circonscrit était tel que deux au moins de diagonales joignant des sommets opposés se coupaient dans l’intérieur du cercle.

Mais, lorsque les côtés de l’hexagone, soit inscrit soit circonscrit, se coupent les uns les autres, entre leurs extrémités, il est des cas nombreux où ces conditions ne peuvent plus être satisfaites, de sorte qu’il semblerait manquer quelque chose aux précédentes démonstrations ; mais on peut les compléter à l’aide des considérations suivantes.

On sait que l’équation générale des lignes du second ordre renferme cinq coefficiens nécessaires et indépendans, dont on peut disposer pour faire passer la courbe par cinq points ou la rendre tangente à cinq droites données.

Si l’on veut au contraire assujettir la courbe à passer par six points ou à toucher six droites données, on obtiendra entre les données qui déterminent ces six points ou ces six droites une certaine équation de relation, laquelle demeurera invariablement la même, quelle que soit la situation respective de ces points ou de ces droites, puisqu’on peut parvenir à cette équation de relation, sans savoir aucunement de quelle manière les points ou les droites sont situés.

Mais, si l’on supposait leur situation telle que les exceptions que je viens de mentionner n’eussent pas lieu, l’équation de relation ne pourrait être que l’expression analitique de l’un ou de l’autre de nos deux théorèmes ; puisque, dans le cas contraire, on se trouverait avoir deux équations de relation au lieu d’une.

Puis donc que cette équation de relation est invariable dans sa forme, nos deux théorèmes doivent être vrais dans tous les cas.

Le tour de raisonnement par lequel ces deux théorèmes viennent d’être démontrés peut s’appliquer à la démonstration du suivant qui renferme la propriété des pôles des sections coniques ;

Deux hexagones étant l’un inscrit et l’autre circonscrit à une même section conique, de manière que les sommets de l’inscrit coïncident avec les points de tangence du circonscrit, si les diagonales joignant les sommets opposés de l’inscrit se coupent en un même point, les points de concours des directions des côtés opposés du circonscrit seront tous trois sur une même ligne droite, et réciproquement.

On ne doit pas perdre de vue, dans tout ceci, que le système de deux droites tracées sur un même plan forme une véritable ligne du second ordre, et doit conséquemment en avoir toutes les propriétés.

Concevons que le centre d’une surface conique quelconque, du second ordre, coïncide avec celui d’une sphère ; le système total des courbes à double courbure résultant de l’interseetion des deux surfaces jouira, par rapport aux arcs de grands cercles, des mêmes propriétés dont jouissent les lignes du second ordre par rapport aux lignes droites.

En général, tout problème qui se résout, sur un plan, en n’employant que la règle seulement, peut être résolu sur la sphère, à l’aide d’une ouverture de compas constante et égale à l’arête de l’octaèdre régulier inscrit.

  1. Voyez, entr’autres, la note de la page 335 du premier volume de ce recueil.
  2. Soient les sommets consécutifs de l’hexagone, et supposons que soient respectivement parallèles à  ; on aura

    d’où, en ajoutant et réduisant

    ou, plus simplement

    ce qui établit le parallélisme des côtés opposés du moins lorsque, comme nous le supposons ici, ces côtés ne se coupent pas dans le cercle.

  3. Il suffit pour cela de mener des droites de l’œil à deux quelconques des points de concours des prolongemens des côtés opposés de l’hexagone inscrit au cercle, et de disposer le plan du tableau parallèlement à celui de ces deux droites.
  4. Soient les sommets consécutifs de l’hexagone et le centre du cercle ; supposons que les diagonales se coupent en ce point, et soient menées les droites  ; les deux triangles ayant un angle égal en on aura

    ou en doublant

    On a d’ailleurs,

    en ajoutant ces trois dernières équations membre à membre, on verra que la somme de quatre angles du pentagone est égale à la somme de quatre angles du pentagone  ; on en conclura donc que leurs angles en sont aussi égaux ; puis donc que leur somme est quatre angles droits, chacun d’eux doit en valoir deux, ou, en d’autres termes, les droites n’en forment réellement qu’une seule, laquelle est la troisième diagonale qui passe conséquemment par le centre

  5. Soient menées de l’œil trois droites, l’une à l’intersection des deux diagonales dont il s’agit et les deux autres aux deux extrémités du diamètre qui contient cette intersection. Par un point pris arbitrairement sur la première de ces trois droites, soit menée, dans leur plan, une droite, se terminant aux deux autres, dont ce point soit le milieu ; le plan du tableau devra passer par cette dernière droite et être perpendiculaire au plan des trois premières.