Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise transcendante, article 1

ANNALES
DE MATHÉMATIQUES
PURES ET APPLIQUÉES.

ANALISE TRANSCENDANTE.

Mémoire sur les facultés numériques ;
Par M. Kramp, professeur, doyen de la faculté des sciences
de l’académie de Strasbourg.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

1. Dans mon Analise des réfractions astronomiques (chap. III. n.os 142 et 203) j’ai enseigné à trouver la valeur numérique de toute faculté quelconque, par des séries convergentes à volonté ; mais les méthodes que j’ai indiquées, pour parvenir à ce but, peuvent être considérablement simplifiées. Je donne le nom de Facultés aux produits dont les facteurs constituent une progression arithmétique, tels que

et, pour désigner un pareil produit, j’ai proposé la notation

Les facultés forment une classe de fonctions très-élémentaires, tant que leur exposant est un nombre entier, soit positif soit négatif ; mais, dans tous les autres cas, ces mêmes fonctions deviennent absolument transcendantes.[1]

2. J’observe que toute faculté numérique quelconque est constamment réductible à la forme très-simple

m

ou à cette autre forme plus simple

si l’on veut adopter la notation dont j’ai fait usage dans mes Élémens d’arithmétique universelle, n.o 289.

On a, en effet

et

ce qui donne les deux expressions littérales qui suivent

lesquelles ont lieu quels que soient et [2]

3. Les facultés numériques étant ainsi réduites, dans tous les cas, à la forme bien plus simple qui n’est fonction que d’une seule variable ; il suffira de connaître les valeurs numériques de ces derniers produits, pour les compris entre les simples limites zéro et plus un, pour pouvoir en déduire immédiatement toutes les autres. En effet, désignant par une fraction comprise entre et , et par un nombre entier quelconque, on voit que tous les nombres possibles, positifs ou négatifs, rentrent dans la forme Or, nous avons

[3]

d’où l’on voit que la détermination des facultés ne dépend que de celle de et des facultés et , à exposans entiers. L’application aux cas particuliers donne, en supposant toujours moindre que l’unité,

4. Frappé de ces idées, M. Bessel, professeur d’astronomie à Königsberg, a construit une table des logarithmes briggiens des fractions

depuis jusqu’à à dix décimales, avec leurs premières, deuxièmes et troisièmes différences, qu’il a bien voulu me communiquer, par une lettre du 7 mars de la présente année 1812. Ajoutant aux logarithmes de la table de M. Bessel celui de qui est

on aura les logarithmes des produits entre et Ces produits sont égaux à l’unité, pour et Ils parviennent à leur minimum vers  ; on a alors à peu près Pour calculer ces logarithmes, l’auteur a employé une méthode particulière, différente de la mienne, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Il est presque superflu d’avertir que tous les logarithmes de la table ont une dixaine de trop à leur caractéristique.[4]

TABLE des Logarithmes des valeurs que prend la faculté

pour toutes les valeurs de depuis jusqu’à = 1.

5. Dans l’ouvrage déjà cité (chapitre III, 39) j’ai prouvé que, étant une fraction positive plus petite que on a

mais, suivant les réductions enseignées ci-dessus, on a

d’où résulte

Ainsi, si l’on demandait la tangente de on aurait d’où

Voici le calcul :



6. Il a été prouvé, dans le même ouvrage que

faisant et faisant ensuite successivement et il viendra

et, comme il est prouvé que

ces formules pourront être écrites comme il suit :

Ainsi, moyennant la table que nous venons de donner, on trouvera facilement, et jusqu’à dix décimales, le sinus, le cosinus et la tangente de tout angle proposé.

7. L’intégrale

prise depuis jusqu’à étant égale à

le logarithme de cette intégrale, pour toutes les valeurs de et de se trouvera facilement par le moyen de la table.

8. L’intégrale

prise depuis jusqu’à étant égale à

en employant les réductions qui ont été enseignées, on trouvera pour l’expression de cette intégrale

formule facile à calculer au moyen de notre table.

9. Venons présentement au calcul de cette table ; soient les nombres de Bernoulli, à partir du second, en sorte qu’on ait [5]. Dans l’ouvrage cité, j’ai employé la notation pour désigner la série

Cette série, lorsque est une petite fraction, est tellement convergente que les trois et même les deux premiers termes suffisent pour en trouver la valeur numérique jusqu’à neuf décimales. Souvent même on pourra faire simplement On trouve le d’un nombre quelconque, par la formule qui suit :

dans laquelle désigne un nombre quelconque, pris à volonté ; on peut le prendre égal à ou tout au plus. J’ai prouvé de plus que

et qu’on a ensuite

Ainsi les de toutes les fractions de l’une ou de l’autre des deux formes générales, désignant un nombre entier quelconque, se réduisent, dans tous les cas, à une simple addition de logarithmes hyperboliques.

10. Si l’on applique au cas de les formules de l’ouvrage cité, on aura

(Refr. ast. chap. III, 181). La variable sera, dans tous les cas, une fraction moindre que l’unité. Si toutefois la série qui donne et ne paraît pas converger assez tôt, on prendra, à volonté, un nombre entier de 4 à 6, ce qui suffira pour trouver jusqu’à 8 décimales le logarithme qu’on demande. On aura alors, moyennant les formules des n.os 195 et 204 de l’ouvrage cité :

Moyennant ces dernières formules, le calcul des produits et par conséquent aussi celui de toutes les facultés numériques à exposans fractionnaires, ainsi que celui des autres fonctions qui pourront y être ramenées, me paraît réduit à sa plus grande simplicité.[6]

  1. La théorie des Facultés numériques, que M. Kramp désigne aussi sous la dénomination de Factorielles, et qui reviennent encore à ce que Vandermonde a appelé Puissances du second ordre, n’ayant encore été développée jusqu’ici que dans un très-petit nombre d’ouvrages, nous croyons convenable de donner ici une idée succincte de ces sortes de fonctions, et des notations par lesquelles on les désigne.

    Dans l’expression

    est ce qu’on appelle la base de la faculté, en est la différence, et en est l’exposant ; il est clair qu’on a, en renversant l’ordre des facteurs,

    Dans le cas où la faculté se réduit évidemment à une simple puissance ; ainsi on a

    Au moyen d’un multiplicateur choisi d’une manière convenable, on peut changer, à volonté, soit la base soit la différence d’une faculté. Le principe de cette transformation réside dans les équations suivantes, qui se vérifient d’elles-mêmes par le simple développement,

    Si l’on écrit l’équation identique

    suivant la notation des facultés, il viendra

    ou en posant d’où et d’où et renversant, cette équation deviendra

    faisant alors et réduisant, il viendra

    ainsi toute faculté dont l’exposant est zéro vaut l’unité.

    Si, dans la même équation, on fait en observant que, d’après ce qui précède, il viendra

    ce qui fournit l’interprétation des facultés dont l’exposant est négatif. On trouvera aussi que

    Nous terminerons par un rapprochement entre les notations de Vandermonde et celle de M. Kramp. Vandermonde fait

    d’où il suit qu’en rapprochant les deux notations, on a,

    Si, après avoir changé en on pose d’où on obtiendra cet autre rapprochement

    Toutes les facultés pouvant être exprimées en fonction d’autres facultés dans lesquelles la base et la différence sont également l’unité, et ces dernières devant, en conséquence, se représenter fréquemment dans les calculs ; M. Kramp, dans son Arithmétique universelle, a proposé de les écrire simplement comme il suit ;

    J. D. G.

  2. Ces deux formules, qui reviennent entièrement au même, dans le cas d’un exposant entier, doivent être soigneusement distinguées, dans le cas d’un exposant non entier. Si l’on imagine une courbe ayant pour abscisse et les facultés pour ordonnées, cette courbe cessera d’être continue à  ; et celle qui aurait pour ordonnées les facultés ne sera pas la continuation de la première : bien qu’en cet endroit elles aient une tangente commune, et le même rayon oscillateur. Les absurdités apparentes auxquelles j’ai été conduit, dans mon Analise des réfractions, viennent de ce que, par un excès de confiance dans la loi de continuité, j’ai passé trop légèrement de positif à négatif, en étendant à celui-ci ce qui n’avait été démontré que pour l’autre.
  3. Voyez la précédente note.
  4. Il paraît, par la marche des quatrièmes différences, qu’on ne peut guère compter sur le 10.e chiffre décimal des logarithmes de cette table.
    J. D. G.
  5. On sait que ces nombres se déduisent les uns des autres au moyen de la formule

    en y faisant successivement égal à voici les dix qui suivent le premier, avec leurs valeurs approchées, en décimales

    J. D. G.
  6. On peut encore parvenir au but par la méthode suivante. On sait que, étant un nombre quelconque, on a

    étant le module. (Voyez Lacroix, Traité élémentaire de calcul différentiel, etc., 2.e édit, pag. 595 ; ou Traité des différences et des séries, pag. 142).

    Soit fait, dans cette formule, étant un nombre entier arbitraire, mais qu’il conviendra de prendre au moins égal à 10, et étant la fraction comprise entre 0 et 1 pour laquelle on cherche la valeur de En substituant dans la formule ci-dessus, on obtiendra la valeur de Mais par les formules de M. Kramp, on a

    d’où

    et, en passant aux logarithmes,

    donc

    Au surplus, la méthode de M. Kramp paraît beaucoup plus expéditive ; et nous n’indiquons celle-ci que pour ceux de nos lecteurs à qui les principes sur lesquels repose la première ne seraient point familiers.

    J. D. G.