Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 01/Géométrie, article 3

Théorèmes sur les triangles, relatifs à la page 64
de ces Annales ;
Par M. Lhuilier, professeur de mathématiques à l’académie
impériale de Genève.
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THÉORÈME. Dans tout triangle, le quarré de la distance des centres des cercles qui lui sont inscrits et circonscrits, est égal au rectangle du rayon du cercle circonscrit, par l’excès du même rayon sur le double de celui du cercle inscrit[1].

§. I.

LEMME. Dans tout triangle, la base est à la hauteur, le produit du sinus de l’angle au sommet par le sinus total est au produit des sinus des angles à la base.

Soit un triangle dont est la base, et dont est la hauteur (fig. 12). J’affirme que .
Démonstration.

COROLLAIRE. Dans tout triangle, un des côtés est au rayon du cercle inscrit, comme le produit du sinus total par le cosinus de la moitié de l’angle opposé à ce côté est au produit des sinus des demi-angles qui lui sont adjacens.

En effet, le triangle qui, ayant son sommet au centre du cercle inscrit, a pour base le côté dont il s’agit, a sa hauteur égale au rayon de ce cercle ; de plus, ses angles, à la base ; sont moitié des angles correspondans du premier triangle ; enfin, son angle, au sommet, est le supplément du complément de la moitié de l’angle au sommet du même triangle.

§. II.

LEMME CONNU. Dans tout triangle, le rayon du cercle circonscrit est à l’un des côtés, comme le sinus total est au double du sinus de l’angle opposé à ce côté.

§. III.

LEMME. Dans tout triangle, le rayon du cercle circonscrit est au rayon du cercle inscrit, comme le cube du sinus total est à quatre fois le produit continuel des sinus des demi-angles du triangle.

Soit un triangle ; que les rayons des cercles, dont l’un lui est circonscrit et dont l’autre lui est inscrit, soient désignés par et respectivement, j’affirme que

.

Démonstration.

SCHOLIE. Quatre fois le produit continuel du sinus des demi-angles d’un triangle, est égal au produit du quarré du sinus total par l’excès de la somme des cosinus des angles de ce triangle sur ce sinus total.

En effet,

On peut aussi exprimer ce produit continuel dans les côtés du triangle.

En effet,

donc,

§. IV.

THÉORÈME. Le quarré de la distance des centres de deux cercles, dont l’un est circonscrit à un triangle, et dont l’autre lui est inscrit, est égal au rectangle du rayon du cercle circonscrit par l’excès de ce rayon sur le double de celui du cercle inscrit.

Soit un triangle, soient et les centres de deux cercles, dont l’un est circonscrit au triangle, et dont l’autre lui est inscrit ; que les rayons de ces cercles soient et j’affirme que .

Démonstration. Soient et perpendiculaires à l’un des côtés, tels que .

[2]

[3]

[4]

§. V. modifier

Corollaire. L’équation ) détermine la relation qui règne entre les distances des centres et les rayons de deux cercles, dont l’un est circonscrit à un triangle, et dont l’autre lui est inscrit ; de manière que deux de ces quantités étant données, la troisième est déterminée.

Ainsi,
etou

Savoir : le quarré de la différence des rayons des deux cercles est égal à la somme des quarrés de la distance des centres et du rayon du cercle inscrit.

Le rayon du cercle circonscrit est à la somme de ce rayon et de la distance des centres, comme la différence de ce rayon et de cette distance est au double du rayon du cercle inscrit.

§. VI

La relation entre la distance des centres de deux cercles et les rayons et de ces cercles, étant telle qu’il vient d’être dit ; si on circonscrit au cercle dont le rayon est un triangle dont un des côtés soit une corde de l’autre cercle, ce triangle sera inscrit à ce dernier cercle ; et réciproquement, si l’on inscrit au cercle dont le rayon est un triangle dont un des côtés soit tangent à l’autre cercle, ce triangle sera circonscrit à ce dernier cercle.

Il y a donc un nombre illimité de triangles qui peuvent être à la fois inscrits à un cercle et circonscrits à un autre cercle, lorsque les rayons de ces cercles et la distance de leurs centres sont liés par l’équation .

Pour que cette inscription et cette circonscription simultanées soient possibles, on doit avoir . Lorsque , alors  ; les deux cercles sont concentriques ; les triangles sont équilatéraux, et ils diffèrent entre eux seulement par la position de leurs côtés.

Lorsque l’inscription et la circonscription simultanées sont possibles, pour que le problème soit déterminé, on doit ajouter, sur le triangle à construire, quelque autre condition indépendante de l’équation .

Exemple. Que l’on donne un angle du triangle cherché, tel que l’angle Le cercle dont le rayon est fait connaître le côté opposé à cet angle, par l’équation . Dans le triangle dont on connaît l’angle on connaît aussi la somme des angles et  ; de plus, dans la proportion , on connaît le quatrième terme, savoir, le produit des sinus des demi-angles dont la somme est donnée ; mais,  ; donc, on connaît le cosinus de la demi-différence des angles et  ; et partant on connaît aussi la demi-différence de ces angles, et on les connaît l’un et l’autre.

On a,

Comme la plus grande valeur de est l’unité, on doit avoir :

d’où

ou encore

dans le cas de la limite, le triangle est isocèle.

§. VII.

Ce qui vient d’être développé, sur le cercle circonscrit et sur le cercle inscrit à un triangle, peut être appliqué, avec de légers changemens, au cercle circonscrit et à l’un des trois cercles exinscrits à ce même triangle, savoir : à un cercle qui touche un des côtés du triangle extérieurement, et les prolongemens des deux autres côtés ( Voyez mes Élémens d’analyse, etc, §. 131. ).

Comme le rayon du cercle exinscrit à un triangle, dans l’un de ses angles, a, relativement au côté qu’il touche extérieurement, une direction opposée à celle du rayon du cercle inscrit ; dans la formule , on doit changer le signe de r, ce qui donne l’équation , savoir : le quarré de la distance des centres de deux cercles dont l’un est circonscrit à un triangle, et dont l’autre lui est exinscrit, est égal au rectangle du rayon du cercle circonscrit par la somme de ce rayon, et du double du rayon du cercle exinscrit.

On peut parvenir à cette équation immédiatement, sans partir de la doctrine des quantités négatives, et de la correspondance qui a lieu entre les changemens de direction et le changement des signes, en procédant comme il suit :

1.o Dans tout triangle, la base est au rayon du cercle exinscrit. relatif à cette base, comme le produit du sinus total par le cosinus du demi-angle opposé à la base, est au produit du cosinus des demi-angles à la base.

2.o Dans tout triangle, le rayon du cercle circonscrit est au rayon de l’un des cercles exinscrits, comme le cube du sinus total est à quatre fois le produit continuel des cosinus des demi-angles à la base, et du sinus du demi-angle qui lui est opposé.

Scholie.

THÉORÈME. Le quarré de la distance des centres de deux cercles dont l’un est circonscrit à ce triangle, et dont l’autre lui est exinscrit, est égal au rectangle du rayon du cercle circonscrit par la somme de ce rayon et du double de celui du cercle exinscrit.

Soit un triangle ; soit le centre du cercle circonscrit, et son rayon ; soit le centre d’un cercle exinscrit à ce triangle, dans l’angle  ; et soit son rayon : j’affirme que .

Démonstration. Soit perpendiculaire à ,

[5](§. VII, 2.o)

  1. Ce théorème a aussi été adressé, mais sans démonstration, aux Rédacteurs des Annales, par M. Kramp, professeur doyen de la faculté des sciences à Strasbourg.

    Le même théorème est connu des Rédacteurs depuis 1807, il leur fut communiqué, à cette époque, par feu M. Mahieu, professeur de mathématiques au collège d’Alais, qui le tenait de M. Maisonneuve, ingénieur des mines. Voici de quelle manière M. Maisonneuve y était parvenu.

    En désignant par , les trois côtés du triangle, et par la distance entre les centres des cercles inscrit et circonscrit, on trouve, sans beaucoup de peine,

     ;

    mais on sait qu’en désignant par le rayon du cercle circonscrit, par celui de l’inscrit, et par l’aire du triangle, on a ces trois expressions :

    des deux dernières équations on tire d’abord ;

     ;

    comparant ensuite le quarré de la troisième à la première, on aura :

     ;

    et partant,

    ,

    ou

    ,

    équation qui n’est que la traduction, analitique du théorème de M. Lhuilier, et qui est aussi celle de M. Kramp.

    Ces sortes de rencontres, qui n’ôtent rien au surplus au mérite personnel de chaque inventeur, ne sauraient être fort rares dans les sciences exactes, où l’on marche constamment dans la voie de la vérité ; c’est ainsi que M. Mahieu, vers l’époque déjà indiquée, trouva le théorème suivant, auquel M, Lhuilier est aussi parvenu de son côté, ( voyez ses Élémens d’analise géométrique et d’analise algébrique ; Genève 1809, pag. 224 ) :

    « Si l’on désigne par , les rayons des quatre cercles qui peuvent toucher à la fois les trois côtés d’un même triangle, considérés comme des droites indéfinies, et par l’aire de ce triangle, on aura . »

    (Note des éditeurs.)

  2. À cause de
  3. À cause de .
    (Note des éditeurs.)
  4. À cause de
    .
    (Note des éditeurs.)
  5. De toute cette analise dérive naturellement la démonstration des deux Porismes énoncés à la page 64 de ce volume.

    En reprenant, en effet, les symboles employés dans la première note, de l’équation :

    on tirera successivement :

    Or, la valeur unique de , donnée par la première formule, étant toujours possible, tant que n’est pas nul, et étant de plus positive, lorsqu’on a on en peut conclure, 1.o qu’un point étant donné arbitrairement, dans l’intérieur d’un cercle dont le rayon est , et à une distance de son centre ; il y a toujours une longueur, et une seule longueur , laquelle étant prise pour rayon d’un nouveau cercle, ayant son centre au point donné ; il arrivera qu’un même triangle pourra être à la fois inscrit au premier des deux cercles et circonscrit au second.

    Quant à la seconde formule, bien qu’elle donne pour deux valeurs essentiellement réelles, l’une positive et l’autre négative, et cela indépendamment du rapport de grandeur entre , et  ; comme néanmoins le changement du signe de ne fait simplement que changer les signes de ces valeurs, sans en changer la grandeur absolue, on en doit conclure que l’une d’elles, savoir, est relative au cercle que M. Lhuilier appelle exinscrit, et que par conséquent la valeur de , relative au cercle inscrit, est unique, comme celle de , dans la première formule. Ainsi, 2.o un point étant donné arbitrairement, sur le plan d’un cercle dont le rayon est , et à une distance quelconque de son centre, il y a toujours une longueur, et une seule longueur , laquelle étant prise pour rayon d’un nouveau cercle, ayant son centre au point donné, il arrivera qu’un même triangle pourra être, à la fois, circonscrit au premier des deux cercles et inscrit au second.

    (Note des éditeurs.)