Annales de l’Empire/Édition Garnier/Lothaire II

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LOTHAIRE II,
vingtième empereur.

1125-1126-1127. Voici une époque singulière. La France, pour la première fois, depuis la décadence de la maison de Charlemagne, se mêle en Allemagne de l’élection d’un empereur. Le célèbre moine Suger, abbé de Saint-Denis, et ministre d’État sous Louis le Gros, va à la diète de Mayence avec le cortége d’un souverain, pour s’opposer au moins à l’élection de Frédéric, duc de Souabe. Il y réussit, soit par bonheur, soit par intrigues. La diète, partagée, choisit dix électeurs. On ne nomme point ces dix princes. Ils élisent le duc de Saxe Lothaire, et les seigneurs qui étaient présents relevèrent sur leurs épaules.

Conrad, duc de Franconie, de la maison de Stauffen-Souabe, et Frédéric, duc de Souabe, protestent contre l’élection. L’abbé Suger fut, parmi les ministres de France, le premier qui excita des guerres civiles en Allemagne. Conrad se fait proclamer roi à Spire ; mais, au lieu de soutenir sa faction, il va se faire roi de Lombardie à Milan. On lui prend ses villes en Allemagne ; mais il en gagne en Lombardie.

1128-1129. Sept ou huit guerres à la fois dans le Danemark et dans le Holstein, dans l’Allemagne et dans la Flandre.

1130. À Rome le peuple prétendait toujours élire les papes malgré les cardinaux, qui s’étaient réservé ce droit, et persistait à ne reconnaître l’élu que comme son évêque, et non comme son souverain. Rome entière se partage en deux factions. L’une élit Innocent II, l’autre élit le fils ou petits-fils d’un juif, nommé Léon, qui prend le nom d’Anaclet. Le fils du juif, comme plus riche, chasse son compétiteur de Rome. Innocent II se réfugie en France, devenue l’asile des papes opprimés. Ce pape va à Liége, met Lothaire II dans ses intérêts, le couronne empereur avec son épouse, et excommunie ses compétiteurs.

1131-1132-1133. L’anti-empereur Conrad de Franconie et l’antipape Anaclet ont un grand parti en Italie. L’empereur Lothaire et le pape Innocent vont à Rome. Les deux papes se soumettent au jugement de Lothaire : il décide pour Innocent. L’anti-pape se retire dans le château Saint-Ange, dont il était encore maître. Lothaire se fait sacrer par Innocent II, selon les usages alors établis. L’un de ces usages était que l’empereur faisait d’abord serment de conserver au pape la vie et les membres ; mais on en promettait autant à l’empereur.

Le pape cède l’usufruit des terres de la comtesse Mathilde à Lothaire et à son gendre le duc de Bavière, seulement leur vie durant, moyennant une redevance annuelle au saint-siége. C’était une semence de guerres pour leurs successeurs.

Pour faciliter la donation de cet usufruit, Lothaire II baisa les pieds du pape, et conduisit sa mule quelques pas. On croit que Lothaire est le premier empereur qui ait fait cette double cérémonie.

1134-1135. Les deux rivaux de Lothaire, Conrad de Franconie et Frédéric de Souabe, abandonnés de leurs partis, se réconcilient avec l’empereur et le reconnaissent.

On tient à Magdebourg une diète célèbre. L’empereur grec, les Vénitiens, y envoient des ambassadeurs pour demander justice contre Roger, roi de Sicile ; des ambassadeurs du duc de Pologne y prêtent à l’empire serment de fidélité, pour conserver apparemment la Poméranie, dont ils s’étaient emparés.

1136. Police établie en Allemagne. Hérédités, et coutumes des fiefs et des arrière-fiefs, confirmées. Magistratures des bourgmestres, des maires, des prévôts, soumises aux seigneurs féodaux. Priviléges des églises, des évêchés, et des abbayes, confirmés.

1137. Voyage de l’empereur en Italie. Roger, duc de la Pouille et nouveau roi de Sicile, tenait le parti de l’anti-pape Anaclet, et menaçait Rome. On fait la guerre à Roger.

La ville de Pise avait alors une grande considération dans l’Europe, et l’emportait même sur Venise et sur Gênes. Ces trois villes commerçantes fournissaient à presque tout l’Occident toutes les délicatesses de l’Asie. Elles s’étaient sourdement enrichies par le commerce et par la liberté, tandis que les désolations du gouvernement féodal répandaient presque partout ailleurs la servitude et la misère. Les Pisans seuls arment une flotte de quarante galères au secours de l’empereur ; et sans eux l’empereur n’aurait pu résister. On dit qu’alors on trouva dans la Pouille le premier exemplaire du Digeste, et que l’empereur en fit présent à la ville de Pise[1].

Lothaire II meurt en passant les Alpes du Tyrol vers Trente.


  1. Les Pisans conservèrent, pendant trois cents ans, le manuscrit pris à Amalfi. Il leur fut ensuite enlevé par les Florentins qui, depuis, l’ont toujours gardé dans leur ville, d’où le nom est venu au manuscrit de Pandectes Florentines. On en a donné un fac-similé dans l’édition des Pandectœ Justinianeœ, Paris, Belin-Leprieur, 1818, 3 volumes in-folio. (B.)