Annales de l’Empire/Édition Garnier/Conrad IV

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CONRAD IV,
vingt-septième empereur.

On peut compter parmi les empereurs Conrad IV, fils de Frédéric II, à plus juste titre que ceux qu’on place entre les descendants de Charlemagne et les Othons. Il avait été couronné deux fois roi des Romains ; il succédait à un père respectable, et Guillaume, comte de Hollande, son concurrent, qu’on appelait aussi le roi des prêtres[1], comme le landgrave de Thuringe, n’avait pour tout droit qu’un ordre du pape, et les suffrages de quelques évêques.

Conrad essuie d’abord une défaite auprès d’Oppenheim, mais il se soutient. Il force son compétiteur à quitter l’Allemagne, Il va à Lyon trouver le pape Innocent IV, qui le confirme roi des Romains, et qui lui promet de lui donner la couronne impériale à Rome.

Il était devenu ordinaire de prêcher des croisades contre les princes chrétiens. Le pape en fait prêcher une en Allemagne contre l’empereur Conrad, et une en Italie contre Manfredo ou Mainfroi, bâtard de Frédéric II, fidèle alors à son frère et aux dernières volontés de son père.

Ce Mainfroi, prince de Tarente, gouvernait Naples et Sicile au nom de Conrad. Le pape faisait révolter contre lui Naples et Capoue. Conrad y marche, et semble abandonner l’Allemagne et son rival Guillaume, pour aller seconder son frère Mainfroi contre les croisés du pape.

1252. Guillaume de Hollande s’établit pendant ce temps-là en Allemagne. On peut observer ici une aventure qui prouve combien tous les droits ont été longtemps incertains, et les limites confondues. Une comtesse de Flandre et du Hainaut a une guerre avec Jean d’Avesnes, son fils d’un premier lit, pour le droit de succession de ce fils même sur les États de sa mère. On prend saint Louis pour arbitre. Il adjuge le Hainaut à d’Avesnes, et la Flandre au fils du second lit. Jean d’Avesnes dit au roi Louis : « Vous me donnez le Hainaut qui ne dépend pas de vous ; il relève de l’évêque de Liége, et il est arrière-fief de l’empire. La Flandre dépend de vous, et vous ne me la donnez pas. »

Il n’était donc pas décidé de qui le Hainaut relevait. La Flandre était encore un autre problème. Tout le pays d’Alost était fief de l’empire ; tout ce qui était sur l’Escaut l’était aussi ; mais le reste de la Flandre, depuis Gand, relevait des rois de France. Cependant Guillaume, en qualité de roi d’Allemagne, met la comtesse au ban de l’empire, et confisque tout au profit de Jean d’Avesnes, en 1252. Cette affaire s’accommoda enfin ; mais elle fait voir quels inconvénients la féodalité entraînait. C’était encore bien pis en Italie, et surtout pour les royaumes de Naples et Sicile.

1253-1254. Ces années, qu’on appelle, ainsi que les suivantes, les années d’interrègne, de confusion, et d’anarchie, sont pourtant très-dignes d’attention[2].

La maison de Maurienne et de Savoie, qui prend le parti de Guillaume de Hollande, et qui le reconnaît empereur, en reçoit l’investiture de Turin, de Montcalier, d’Ivrée, et de plusieurs fiefs, qui en font une maison puissante.

En Allemagne, les villes de Francfort, Mayence, Cologne, Vorms, Spire, s’associent pour leur commerce et pour se défendre des seigneurs de châteaux, qui étaient autant de brigands. Cette union des villes du Rhin est moins une imitation de la confédération des villes de Lombardie que des premières villes anséatiques, Lubeck, Hambourg, Brunsvick[3].

Bientôt la plupart des villes d’Allemagne et de Flandre entrent dans la hanse. Le principal objet est d’entretenir des vaisseaux et des barques à frais communs pour la sûreté du commerce. Un billet d’une de ces villes est payé sans difficulté dans les autres. La confiance du négoce s’établit. Des commerçants font, par cette alliance, plus de bien à la société que n’en avaient fait tant d’empereurs et de papes.

La ville de Lubeck seule est déjà si puissante que, dans une guerre intestine qui survint au Danemark, elle arme une flotte.

Tandis que des villes commerçantes procurent ces avantages temporels, les chevaliers de l’ordre teutonique veulent procurer celui du christianisme à ces restes de Vandales qui vivaient dans la Prusse et aux environs. Ottocare II, roi de Bohême, se croise avec eux. Le nom d’Ottocare était devenu celui des rois de Bohême depuis qu’ils avaient pris le parti d’Othon IV. Ils battent les païens ; les deux chefs des Prussiens reçoivent le baptême. Ottocare rebâtit Kœnigsberg.

D’autres scènes s’ouvrent en Italie. Le pape entretient toujours la guerre, et veut disposer du royaume de Naples et Sicile ; mais il ne peut recouvrer son propre domaine ni celui de la comtesse Mathilde. On voit toujours les papes puissants au dehors par les excommunications qu’ils lancent, par les divisions qu’ils fomentent, très-faibles chez eux, et surtout dans Rome.

Les factions des gibelins et des guelfes partageaient et désolaient l’Italie. Elles avaient commencé par les querelles des papes et des empereurs ; ces noms avaient été partout un mot de ralliement du temps de Frédéric II. Ceux qui prétendaient acquérir des fiefs et des titres que les empereurs donnent se déclaraient gibelins. Les guelfes paraissaient plus partisans de la liberté italique. Le parti guelfe, à Rome, était à la vérité pour le pape quand il s’agissait de se réunir contre l’empereur ; mais ce même parti s’opposait au pape quand le pontife, délivré d’un maître, voulait l’être à son tour. Ces factions se subdivisaient encore en plusieurs parties différentes, et servaient d’aliment aux discordes des villes et des familles. Quelques anciens capitaines de Frédéric II employaient ces noms de faction qui échauffent les esprits pour attirer du monde sous leurs drapeaux, et autorisaient leurs brigandages du prétexte de soutenir les droits de l’empire. Des brigands opposés feignaient de servir le pape qui ne les en chargeait pas, et ravageaient l’Italie en son nom.

Parmi ces brigands qui se rendirent illustres, il y eut surtout un partisan de Frédéric II, nommé Ezzelino, qui fut sur le point de s’établir une grande domination et de changer la face des affaires. Il est encore fameux par ses ravages ; d’abord il ramassa quelque butin à la tête d’une troupe de voleurs ; avec ce butin il leva une petite armée. Si la fortune l’eût toujours secondé, il devenait un conquérant ; mais enfin il fut pris dans une embuscade, et Rome, qui le craignait, en fut délivrée. Les factions guelfe et gibeline ne s’éteignirent pas avec lui. Elles subsistèrent longtemps, et furent violentes, même pendant que l’Allemagne, sans empereur véritable dans l’interrègne qui suivit la mort de Conrad, ne pouvait plus servir de prétexte à ces troubles.

Un pape, dans ces circonstances, avait une place bien difficile à remplir. Obligé, par sa qualité d’évêque, de prêcher la paix au milieu de la guerre, se trouvant à la tête du gouvernement romain sans pouvoir parvenir à l’autorité absolue, ayant à se défendre des gibelins, à ménager les guelfes, craignant surtout une maison impériale qui possédait Naples et Sicile : tout était équivoque dans sa situation. Les papes, depuis Grégoire VII, eurent toujours avec les empereurs cette conformité : les titres de maîtres du monde, et la puissance la plus gênée. Et, si on y fait attention, on verra que, dès le temps des premiers successeurs de Charlemagne, l’empire et le sacerdoce sont deux problèmes difficiles à résoudre.

Conrad fait venir un de ses frères[4], à qui Frédéric II avait donné le duché d’Autriche. Ce jeune prince meurt, et on soupçonne Conrad de l’avoir empoisonné : car, dans ce temps, il fallait qu’un prince mourût de vieillesse pour qu’on n’imputât pas sa mort au poison.

Conrad IV meurt bientôt après, et on accuse Mainfroi de l’avoir fait périr par le même crime.

L’empereur Conrad IV, mort à la fleur de son âge, laissait un enfant, ce malheureux Conradin dont Mainfroi prit la tutelle. Le pape Innocent IV poursuit sur cet enfant la mémoire de ses pères. Ne pouvant s’emparer du royaume de Naples, il l’offre au roi d’Angleterre, il l’offre à un frère de saint Louis. Il meurt au milieu de ses projets dans Naples même, que son parti avait conquis. On croirait, à voir les dernières entreprises d’Innocent IV, que c’était un guerrier ; non, il passait pour un profond théologien.

1255. Après la mort de Conrad IV, ce dernier empereur, et non le dernier prince de la maison de Souabe, il était vraisemblable que le jeune Guillaume de Hollande, qui commençait à régner sans contradiction en Allemagne, ferait une nouvelle maison impériale. Ce droit féodal, qui a causé tant de disputes et tant de guerres, le fait armer contre les Frisons. On prétendait qu’ils étaient vassaux des comtes de Hollande, et arrière-vassaux de l’empire ; et les Frisons ne voulaient relever de personne. Il marche contre eux ; il y est tué sur la fin de l’année 1255 ou au commencement de l’autre[5] ; et c’est là l’époque de la grande anarchie d’Allemagne.

La même anarchie est dans Rome, dans la Lombardie, dans le royaume de Naples et de Sicile.

Les guelfes venaient d’être chassés de Naples par Mainfroi. Le nouveau pape, Alexandre IV, mal affermi dans Rome, veut, comme son prédécesseur, ôter Naples et Sicile à la maison excommuniée de Souabe, et dépouiller à la fois le jeune Conradin, à qui ce royaume appartient, et Mainfroi, qui en est le tuteur.

Qui pourrait croire qu’Alexandre IV fait prêcher en Angleterre une croisade contre Conradin, et qu’en offrant les États de cet enfant au roi d’Angleterre, Henri III, il emprunte, au nom même de ce roi anglais, assez d’argent pour lever lui-même une armée ? Quelles démarches d’un pontife pour dépouiller un orphelin ! Un légat du pape commande cette armée, qu’on prétend être de près de cinquante mille hommes. L’armée du pape est battue et dissipée.

Remarquons encore que le pape Alexandre IV, qui croyait pouvoir se rendre maître de deux royaumes aux portes de Rome, n’ose pas rentrer dans cette ville, et se retire dans Viterbe. Rome était toujours comme ces villes impériales qui disputent à leurs archevêques les droits régaliens ; comme Cologne, par exemple, dont le gouvernement municipal est indépendant de l’électeur. Rome resta dans cette situation équivoque jusqu’au temps d’Alexandre VI.

1256-1257-1258. On veut en Allemagne faire un empereur. Les princes allemands pensaient alors comme pensent aujourd’hui les palatins de Pologne ; ils ne voulaient point un compatriote pour roi. Une faction choisit Alfonse X, roi de Castille ; une autre élit Richard, frère du roi d’Angleterre Henri III[6]. Les deux élus envoient également au pape pour faire confirmer leur élection : le pape n’en confirme aucune. Richard cependant va se faire couronner à Aix-la-Chapelle, le 17 mai 1257, sans être pour cela plus obéi en Allemagne.

Alfonse de Castille fait des actes de souverain d’Allemagne à Tolède. Frédéric III, duc de Lorraine, y va recevoir à genoux l’investiture de son duché, et la dignité de grand-sénéchal de l’empereur sur les bords du Rhin, avec le droit de mettre le premier plat sur la table impériale dans les cours plénières.

Tous les historiens d’Allemagne, comme les plus modernes, disent que Richard ne reparut plus dans l’empire ; mais c’est qu’ils n’avaient pas connaissance de la chronique d’Angleterre de Thomas Wik. Cette chronique nous apprend que Richard repassa trois fois en Allemagne ; qu’il y exerça ses droits d’empereur dans plus d’une occasion ; qu’en 1263 il donna l’investiture de l’Autriche et de la Stirie à un Ottocare, roi de Bohême, et qu’il se maria en 1269 à la fille d’un baron, nommé Falkenstein[7], avec laquelle il retourna à Londres. Ce long interrègne, dont on parle tant, n’a donc pas véritablement subsisté ; mais on peut appeler ces années un temps d’interrègne, puisque Richard était rarement en Allemagne. On ne voit, dans ces temps-là, en Allemagne, que de petites guerres entre de petits souverains.

1259. Le jeune Conradin était alors élevé en Bavière avec le duc titulaire d’Autriche son cousin, de l’ancienne branche d’Autriche-Bavière, qui ne subsiste plus. Mainfroi, plus ambitieux que fidèle, et lassé d’être régent, se fait déclarer roi de Sicile et de Naples.

C’était donner au pape un juste sujet de chercher à le perdre. Alexandre IV, comme pontife, avait le droit d’excommunier un parjure ; et, comme seigneur suzerain de Naples, le droit de punir un usurpateur ; mais il ne pouvait, ni comme pape, ni comme seigneur, ôter au jeune et innocent Conradin son héritage.

Mainfroi, qui se croit affermi, insulte aux excommunications et aux entreprises du pape.

Depuis 1260 jusqu’à 1266. Tandis que l’Allemagne est ou désolée ou languissante dans son anarchie ; que l’Italie est partagée en factions ; que les guerres civiles troublent l’Angleterre ; que saint Louis, racheté de sa captivité en Égypte, médite encore une nouvelle croisade, qui fut plus malheureuse s’il est possible, le saint-siége persiste toujours dans le dessein d’arracher à Mainfroi Naples et Sicile, et de dépouiller à la fois le tuteur coupable et l’orphelin.

Quelque pape qui soit sur la chaire de saint Pierre, c’est toujours le même génie, le même mélange de grandeur et de faiblesse, de religion et de crimes. Les Romains ne veulent ni reconnaître l’autorité temporelle des papes, ni avoir d’empereurs. Les papes sont à peine soufferts dans Rome, et ils ôtent ou donnent des royaumes, Rome élisait alors un seul sénateur, comme protecteur de sa liberté. Mainfroi, Pierre d’Aragon son gendre, le duc d’Anjou Charles, frère de saint Louis, briguent tous trois cette dignité, qui était celle de patrice sous un autre nom.

Urbain IV, nouveau pontife[8], offre à Charles d’Anjou Naples et Sicile ; mais il ne veut pas qu’il soit sénateur : ce serait trop de puissance.

Il propose à saint Louis d’armer le duc d’Anjou pour lui faire conquérir le royaume de Naples. Saint Louis hésite. C’était manifestement ravir à un pupille l’héritage de tant d’aïeux qui avaient conquis cet État sur les musulmans. Le pape calme ses scrupules. Charles d’Anjou accepte la donation du pape, et se fait élire sénateur de Rome malgré lui.

Urbain IV, trop engagé, fait promettre à Charles d’Anjou qu’il renoncera dans cinq ans au titre de sénateur ; et comme ce prince doit faire serment aux Romains pour toute sa vie, le pape concilie ces deux serments, et l’absout de l’un, pourvu qu’il lui fasse l’autre.

Il l’oblige aussi de jurer entre les mains de son légat qu’il ne possédera jamais l’empire avec la couronne de Sicile. C’était la loi des papes ses prédécesseurs ; et cette loi montre combien on avait craint Frédéric II.

Le comte d’Anjou promet surtout d’aider le saint-siége à se remettre en possession du patrimoine usurpé par beaucoup de seigneurs, et des terres de la comtesse Mathilde. Il s’engage à payer par an huit mille onces d’or de tribut ; consentant d’être excommunié si jamais ce payement est différé de deux mois : il jure d’abolir tous les droits que les conquérants français et les princes de la maison de Souabe avaient eus sur les ecclésiastiques, et par là il renonce à la prérogative singulière de Sicile.

À ces conditions et à beaucoup d’autres, il s’embarque à Marseille avec trente galères, et va recevoir à Rome, en juin 1265, l’investiture de Naples et de Sicile qu’on lui vend si cher.

Une bataille dans les plaines de Bénévent, le 26 février 1266, décide de tout. Mainfroi y périt ; sa femme, ses enfants, ses trésors, sont livrés au vainqueur.

Le légat du pape, qui était dans l’armée, prive le corps de Mainfroi de la sépulture des chrétiens : vengeance lâche et maladroite qui ne sert qu’à irriter les peuples.

1267-1268. Dès que Charles d’Anjou est sur le trône de Sicile, il est craint du pape et haï de ses sujets. Les conspirations se forment. Les gibelins, qui partageaient l’Italie, envoient en Bavière solliciter le jeune Conradin de venir prendre l’héritage de ses pères. Clément IV, successeur d’Urbain, lui défend de passer en Italie, comme un souverain donne un ordre à son sujet.

Conradin part à l’âge de seize ans avec le duc de Bavière son oncle, le comte de Tyrol, dont il vient d’épouser la fille, et surtout avec le jeune duc d’Autriche, son cousin, qui n’était pas plus maître de l’Autriche que Conradin ne l’était de Naples. Les excommunications ne leur manquèrent pas. Clément IV, pour leur mieux résister, nomme Charles d’Anjou vicaire impérial en Toscane : car les papes, osant prétendre qu’ils donnaient l’empire, devaient à plus forte raison en donner le vicariat. La Toscane, cette province illustre, devenue libre par son esprit et par son courage, était partagée en guelfes et en gibelins ; et par là les guelfes y prennent toute l’autorité.

Charles d’Anjou, sénateur de Rome et chef de la Toscane, en devenait plus redoutable au pape ; mais Conradin l’eût été davantage.

Tous les cœurs étaient à Conradin, et, par une destinée singulière, les Romains et les musulmans se déclarèrent en même temps pour lui. D’un côté, l’infant Henri, frère d’Alfonse X, roi de Castille, vrai chevalier errant, passe en Halle, et se fait déclarer sénateur de Rome pour y soutenir les droits de Conradin ; de l’autre, un roi de Tunis leur prête de l’argent et des galères, et tous les Sarrasins qui étaient restés dans le royaume de Naples prennent les armes en sa faveur.

Conradin est reçu dans Rome au Capitole comme un empereur. Ses galères abordent en Sicile, et presque toute la nation y reçoit ses troupes avec joie. Il marche de succès en succès jusqu’à Aquila dans l’Abruzze. Les chevaliers français, aguerris, défont entièrement en bataille rangée l’armée de Conradin, composée à la hâte de plusieurs nations.

Conradin, le duc d’Autriche, et Henri de Castille, sont faits prisonniers.

Les historiens Villani, Guadelfiero, Fazelli, assurent que le pape Clément IV demanda le supplice de Conradin à Charles d’Anjou. Ce fut sa dernière volonté. Ce pape mourut bientôt après[9]. Charles fait prononcer une sentence de mort par son protonotaire Robert de Bari contre les deux princes. Il envoie prisonnier Henri de Castille en Provence, car la Provence lui appartenait du chef de sa femme.

Le 26 octobre, Conradin et Frédéric d’Autriche sont exécutés dans le marché de Naples par la main du bourreau. C’est le premier exemple d’un pareil attentat contre des têtes couronnées. Conradin, avant de recevoir le coup, jeta son gant dans l’assemblée, en priant qu’il fût porté à Pierre d’Aragon, son cousin, gendre de Mainfroi, qui vengera un jour sa mort. Le gant fut ramassé par le chevalier Truchsés de Valdbourg, qui exécuta en effet sa volonté. Depuis ce temps la maison de Valdbourg porte les armes de Conradin, qui sont celles de Souabe. Le jeune duc d’Autriche est exécuté le premier. Conradin, qui l’aimait tendrement, ramasse sa tête, et reçoit en la baisant le coup de la mort[10].

On tranche la tête à plusieurs seigneurs sur le même échafaud. Quelque temps après, Charles d’Anjou fait périr en prison la veuve de Mainfroi avec le fils qui lui reste. Ce qui surprend, c’est qu’on ne voit point que saint Louis, frère de Charles d’Anjou, ait jamais fait à ce barbare le moindre reproche de tant d’horreurs. Au contraire, ce fut en faveur de Charles qu’il entreprit en partie sa dernière malheureuse croisade contre le roi de Tunis, protecteur de Conradin.

1269 à 1272. Les petites guerres continuaient toujours entre les seigneurs d’Allemagne. Rodolphe, comte de Habsbourg, en Suisse, se rendait déjà fameux dans ces guerres, et surtout dans celle qu’il fit à l’évêque de Bâle en faveur de l’abbé de Saint-Gall.

C’est à ces temps que commencent les traités de confraternité héréditaire entre les maisons allemandes. C’est une donation réciproque de terres d’une maison à une autre, au dernier survivant des mâles.

La première de ces confraternités avait été faite, dans les dernières années de Frédéric II, entre les maisons de Saxe et de Hesse.

Les villes anséatiques augmentent dans ces années leurs priviléges et leur puissance. Elles établissent des consuls qui jugent toutes les affaires du commerce ; car à quel tribunal aurait-on eu alors recours.

La même nécessité qui fait inventer les consuls aux villes marchandes fait inventer les austrègues aux autres villes et aux seigneurs, qui ne veulent pas toujours vider leurs différends par le fer. Ces austrègues sont, ou des seigneurs, ou des villes mêmes, que l’on choisit pour arbitres sans frais de justice.

Ces deux établissements, si heureux et si sages, furent le fruit des malheurs des temps qui obligeaient d’y avoir recours.

L’Allemagne restait toujours sans chef, mais voulait enfin en avoir un.

Richard d’Angleterre était mort[11]. Alfonse de Castille n’avait plus de parti. Ottocare III, roi de Bohême, duc d’Autriche et de Stirie, fut proposé, et refusa, dit-on, l’empire. Il avait alors une guerre avec Bêla, roi de Hongrie, qui lui disputait la Stirie, la Carinthie, et la Carniole. On pouvait lui contester la Stirie, dépendante de l’Autriche, mais non la Carinthie et la Carniole, qu’il avait achetées.

La paix se fit. La Stirie et la Carinthie avec la Carniole restèrent à Ottocare. On ne conçoit pas comment, étant si puissant, il refusa l’empire, lui qui depuis refusa l’hommage à l’empereur. Il est bien plus vraisemblable qu’on ne voulut pas de lui, par cela même qu’il était trop puissant.


  1. Voyez année 1246.
  2. C’est de la mort de Frédéric II qu’on date ordinairement le grand interrègne qui s’étend jusqu’en 1272. (G. A.)
  3. Voyez année 1164.
  4. Henri, cité comme gouverneur de la Sicile, dans le Catalogue chronologique, n° 26. (Cl.)
  5. Guillaume II, comte de Hollande, périt le 28 janvier 1250.
  6. Cette double élection est la première où l’on voit paraître les sept princes électeurs. Les autres grands vassaux ne sont pas consultés. (G. A.)
  7. On lit Falkemorit dans le texte des éditions anciennes et modernes ; mais c’est une faute évidente d’impression ou de copiste. Ce fut le 10 juin que Richard épousa Béatrix de Falkenstein. (Cl.)
  8. Élu le 29 auguste 1261.
  9. Le 29 novembre 1268. Grégoire X ne lui succéda que le 1er septembre 1271.
  10. Dans l’Histoire des Hohenstaufen de Raumer, on lit que Conradin fut exécuté le premier, et qu’il embrassa Frédéric d’Autriche et ses compagnons, tous vivants encore. (G. A.)
  11. Le 2 avril 1271.