Veuve Duchesne (p. 20-21).


LVIIIme LETTRE.

Sir Charles Clarck,
à Sir William Fisher ;
à Londres.

Émilie eſt donc décidément perdue, mon Ami ! je ne la reverrai jamais, & je ne puis l’éloigner de mon ſouvenir ! Je ſuis le plus malheureux de tous les Hommes ! Les conſeils que tu me donnes ſont très-bons, mais mon cœur eſt trop griévement bleſſé pour pouvoir les ſuivre. Tu es charmé, dis-tu, que j’aye trouvé des ſujets de diſſipation ; je conviens que la maiſon du Seigneur Barrito eſt faite pour qu’on s’occupe abſolument des objets qui s’y trouvent ; mais, William, il n’eſt dans le monde qu’une Émilie ! Si j’avois été capable de l’oublier, Suzanna ſeule eut pu opérer ce miracle ; car quoi qu’on en ait, il faut la trouver charmante : ſon cœur, ah ! mon Ami, quel cœur ! chacune de ſes actions tend toujours à la bienfaiſance ; elle rend ſervice avec tant de grâce & de bonté, qu’on ſeroit tenté de croire qu’elle eſt l’obligée : elle a deviné une partie de mes chagrins, ne crois pas qu’elle m’en ait fait des plaiſanteries, elle eſt d’un naturel trop compatiſſant pour rire des peines d’autrui ; mais elle eſt aſſez bonne pour chercher tous les moyens poſſibles de me diſtraire. Son aimable Frère la ſeconde parfaitement, je n’ai qu’à me féliciter d’avoir fait leur connoiſſance ; cependant il y a loin de mon état au bonheur, j’ai perdu l’eſpérance de le voir renaître. Cruel amour, c’eſt toi qui me rends miſérable ! Évite, mon cher William, de faire connoiſſance avec lui, s’il nous flatte d’abord, c’eſt pour mieux nous tromper ; enſuite je te félicite de ton indifférence, heureux celui qui n’a jamais aimé.

Adieu, mon Ami, écris-moi ſouvent, c’eſt l’unique moyen de calmer les maux de celui qui te chérira toute ſa vie.

Charles Clarck.

De Naples, ce … 17