Veuve Duchesne (p. 241--).


LIIIme LETTRE.

Émilie Ridge,
à Anna Rose-Tree ;
à Londres.


Nous voilà encore dans la douleur, ma chère Anna, Mylord Clemency eſt retombé malade : ſa reſpectable Mère s’en déſeſpère, & je m’en afflige bien ſincérement. Ce Jeune-homme eſt d’un tempérament bien extraordinaire. Son mal a commencé par une triſteſſe incroyable. Ne cherchant aucun moyen de diſſipation, il ne quittoit pas la maiſon, & paſſoit les journées à ſoupirer. Le Médecin qu’on a appelé aſſure qu’il eſt attaqué de la conſomption, & que ſûrement il eſt dévoré par un violent chagrin. Mylady a fait ſon poſſible pour apprendre ce qui le cauſoit ; mais il n’en veut pas convenir, & l’on ne ſait quel remède lui donner. On a conſeillé à Mylady de le conduire à la campagne. Un air vif pourra, peut-être, rendre du reſſort à ſes ſens engourdis. Ma Maîtreſſe fait préparer une maiſon à Saint Germain-en-Laye, petite ville à quatre lieues de Paris. La poſition, à ce qu’on dit, eſt très-agréable. Une forêt bien percée forme une promenade délicieuſe. Le moribond y recouvrera ſûrement une ſanté qui fait l’objet de tous nos vœux. Notre abſence prochaine ſemble cauſer beaucoup de chagrin à nos aimables Voiſines, principalement à Alexandrine, l’aînée des Filles de Madame Dubois. Joſephine la cadette eſt d’un caractère plus léger, par conſéquent moins ſuſceptible d’attachement d’un certain genre. Le Procès de Madame Dubois eſt ſur le point d’être jugé. Plaiſe à Dieu qu’elle le gagne ! Elle ne mérite pas d’être malheureuſe ; c’eſt une Femme dont le cœur peut être comparé à celui de Lady Clemency : c’eſt le plus grand éloge que j’en puiſſe faire.

On n’a donc aucunes nouvelles de Mylord Clarck ? Je crains qu’il ne lui ſoit arrivé quelque choſe de fâcheux : je ne m’en conſolerois pas.

J’apprendrai avec bien du plaiſir l’hiſtoire de Lady Wambrance. Elle a de l’amitié pour ma chère Anna : c’eſt le vrai moyen de m’intéreſſer ſenſiblement.

Ma Mère eſt donc à demeure à Rainbow ; il ſeroit fort à ſouhaiter qu’elle ne l’eut jamais quitté… Il ne m’appartient pas de cenſurer une conduite que je dois reſpecter, mais vous concevez, ma chère, que ce n’eſt pas par médiſance que je me permets cette réflexion.

Je devrois vous féliciter ſur les intentions de Mylord Green ; s’il vend Break-of-Day, vous pouvez eſpérer de recouvrer votre tranquillité. L’abſence eſt un grand remède pour un cœur bleſſé par les traits de l’amour. Adieu, ma tendre Amie. Adreſſez votre réponſe à Saint-Germain-en-Laye, & ſoyez convaincue de l’attachement

d’Émilie Ridge.

De Paris, ce … 17


Fin de la première Partie.