Anglophilie gouvernementale/Au Lecteur

Chamuel (p. iii-xvi).


AU LECTEUR




Dans son numéro du 7 juillet 1896, le Progrès de la Côte-d’Or publiait, sous la signature de son Rédacteur en chef, l’article suivant :


LA VISITE DU PASTEUR


Mes derniers articles sur Madagascar m’ont valu la visite d’un pasteur protestant que je ne nommerai pas, pour ne pas lui donner la satisfaction de transformer en prêche les colonnes de ce journal, plutôt libre-penseur.

Nous avons eu ensemble une conférence de près d’une heure sur l’influence du protestantisme dans notre nouvelle colonie.

Je ne dis pas, car je croirais faire injure à ses sentiments de Français, que mon interlocuteur a voulu prendre en mains la défense des pasteurs anglais, qui comprennent si étrangement le caractère de leur évangélique mission.

Mon interlocuteur me les abandonne. Et je lui en sais infiniment gré. Tout en constatant qu’en vérité il eût été bien difficile, même à un confrère en religion réformée, de soutenir ces prêtres prêcheurs de révoltes, et qui semblent avoir encore plus de vocation pour le commerce des homicides balles que pour celui des bibles saintes.

Ce dont mon visiteur a tenu à m’assurer, ce dont il a voulu que je fusse parfaitement convaincu, c’est des sentiments de chaleureux patriotisme dont le protestantisme français est animé profondément.

Je ne sache pas que, dans mes articles, j’aie jamais dit quoi que ce fût, qui pût faire croire que je mettais en doute le patriotisme de mes concitoyens de la religion réformée. Le patriotisme heureusement, en notre pays si divisé à tant d’autres points de vue, n’est l’apanage exclusif d’aucune religion ni d’aucun parti. Nous sommes tous patriotes, parce que nous sommes Français, et que la France est faite du plus pur sang de nos ancêtres. Être patriotes, pour nous tous, fils de ce généreux et chevaleresque pays, c’est être nous-mêmes. Et vraiment, je n’avais pas besoin de la conférence de mon obligeant visiteur, pour m’incliner devant cette vérité si peu difficile à découvrir et à professer.

Pour mon humble part, j’ai connu beaucoup de protestants, charmants à tous égards, et que j’ai toujours vus animés du patriotisme le plus ardent.

Il y a une raison majeure, du reste, pour ne pas soupçonner le patriotisme de nos protestants en général, et de nos protestants de l’Est en particulier. Beaucoup d’entre eux, presque la plupart, originaires des provinces perdues, ont sacrifié leurs intérêts de là-bas à l’amour de la mère commune. L’ennemi s’est assis à leurs foyers, il les a faits siens. Ils ont assisté en victimes à la mutilation de la France. Et leur patriotisme s’est encore avivé dans la plus cruelle épreuve que nous ayons eu à subir depuis des siècles.

Cela, je n’en doutais pas, je le savais, et je suis encore heureux de le redire aujourd’hui.

Pour ce qui concerne plus particulièrement Madagascar, mon honorable visiteur a bien voulu m’assurer que le protestantisme français faisait de la grande île africaine l’objet de ses vives préoccupations.

Une mission française est partie de la Métropole pour aller étudier la question religieuse dans notre nouvelle colonie. Elle s’enquiert des croyances et des besoins des populations malgaches, de leur manière d’être, de vivre et de penser.

Des pasteurs protestants français, français de race, d’esprit et de cœur, vont rayonner dans toute l’île et s’efforcer de propager, avec leur culte, l’influence de la mère patrie.

C’est on ne peut mieux.

Mon visiteur ajoutait que certainement le protestantisme franciserait Madagascar aussi complètement qu’il a francisé Tahiti, sous les auspices et grâce à la ténacité du missionnaire Viénot.

C’est une belle espérance. Et certes, en ma qualité de Français, je fais des vœux sincères pour qu’elle se réalise un jour.

Malheureusement, nous n’en sommes pas là.

Les pasteurs français dans l’Imerina sont peu nombreux, très peu nombreux. Leur action est bien faible encore. Et avant qu’ils aient réussi à contrebalancer quelque peu l’influence antifrançaise — je dis et je maintiens le mot — l’influence antifrançaise des pasteurs anglais, bien des événements se passeront dans notre nominale colonie de Madagascar, qui est un peu plus grande que Tahiti, l’on voudra bien en convenir.

Si l’on veut, en tout cas, atteindre ce résultat merveilleux d’une Emyrne enfin française, je ne crois pas qu’il faille tolérer plus longtemps l’audace, humiliante pour nous, de ces pasteurs anglais qui ne craignent pas de venir, à notre nez, prêcher contre nous des révoltes sanglantes. Messieurs les pasteurs anglais nous prennent évidemment pour des niais : qu’on leur prouve le contraire en les envoyant catéchiser les colonies anglaises et voir si nous y sommes.

C’est tout ce que j’ai demandé dans mes articles, en protestant contre l’étrange tolérance dont nos mortels détracteurs sont l’objet, et tout en restant en dehors de toute appréciation sur le patriotisme des églises françaises.

On me dit qu’à Madagascar il y a autre chose encore que la question française : les missionnaires français d’une religion s’occuperaient en d’interminables querelles d’influences avec les missionnaires français de la religion adverse. Il y aurait lutte entre les pères catholiques et les pères protestants.

Eh ! mais n’est-ce pas une raison préremptoire de n’envoyer là-bas, pour représenter le gouvernement, que des hommes qu’on saura absolument incapables de prendre parti dans ces lointaines disputes religieuses ?

À Madagascar comme en France, le gouvernement doit être neutre. Il doit tenir la balance égale entre les religieux de toutes les confessions.

Et le sort nous garde, comme disait ce matin un de nos confrères, qui n’est pas une « feuille de sacristie », des fonctionnaires coloniaux qui emportent fanatiquement en leurs bagages un évangile, une bible ou un talmud.

Henry MAIGNE.


Le passage concernant le rôle attribué, à Tahiti, au protestantisme avait appelé mon attention : aussi je crus devoir adresser à M. Maigne une lettre que ce dernier reproduisit in extenso dans le numéro du Progrès du II juillet, en l’accompagnant des réflexions que lui avaient suggérées les considérations invoquées par moi.


TAHITI ET MADAGASCAR


Me voici encore obligé de revenir à cette passionnante question de Madagascar, et, plus particulièrement, au rôle que peuvent jouer nos missions protestantes françaises, pour arracher les populations de l’île à l’influence des missions anglaises, si fortement hostiles à notre domination.

Dans la véritable conférence que j’ai eue avec le pasteur protestant qui m’a rendu visite à ce sujet, mon interlocuteur m’avait longuement entretenu des bienfaits de la mission Viénot à Tahiti. À l’entendre, avant la venue de ce pasteur dans les îles de la Société, les populations tahitiennes étaient plutôt inféodées à l’influence anglaise. Mais M. Viénot était venu. Et les sujets de Pomaré s’étaient francisés à sa chaude parole.

Nul doute que les Malgaches ne veuillent suivre un aussi remarquable exemple, le jour où les missions protestantes françaises, avec l’appui du gouvernement, auraient reçu la tâche de répandre, parmi les sujets de Ranavalo, la bonne parole réformiste.

Le pasteur Loga franciserait Madagascar, comme Viénot avait francisé Tahiti, c’était de la dernière évidence.

Cette opinion de mon interlocuteur, je l’ai scrupuleusement rapportée dans mon dernier article. Et c’est elle précisément qui me vaut de reprendre aujourd’hui la question.

Un de nos compatriotes, qui connaît les affaires de Tahiti pour les avoir pratiquées, m’adresse en effet la lettre suivante, touchant le rôle des missions protestantes, et particulièrement de la mission Viénot dans l’établissement de notre étroit protectorat sur les îles

de la Société.
Dijon, 9 juillet.


À Monsieur Henri Maigne, rédacteur en chef du Progrès de la Côte-d’Or.


Dans un article clair et précis sur notre situation à Madagascar, vis-à-vis des missions évangéliques anglaises, publié dans le Progrès du mardi 7 juillet, vous vous exprimez ainsi :

« Mon visiteur ajoutait que certainement le protestantisme franciserait Madagascar aussi complètement qu’il a francisé Tahiti, sous les auspices et grâce à la ténacité du missionnaire Viénot. »

Dire que tous, dans la mesure de leurs moyens d’action, administrateurs de tous ordres, missionnaires catholiques, missionnaires protestants, militaires, colons, etc., ont contribué à faire aimer la France à ces populations très inféodées aux Anglais avant l’établissement de notre protectorat en 1844, eût été l’expression exacte de la vérité : par contre, rien n’est plus contraire à cette même vérité que de vouloir attribuera une secte religieuse en général ; et à l’un de ses représentants en particulier, un rôle politique dans nos possessions océaniennes.

En 1844, notre protectorat a été établi sur les îles de la Société et dépendances ; et en 1847, par un acte additionnel portant le nom de convention Lavaud, du nom du gouverneur qui l’a signée, la reine Pomaré IV remit entre les mains du commissaire du gouvernement français tous ses pouvoirs concernant l’administration intérieure du pays, dans laquelle elle n’intervint plus directement, si ce n’est pour signer, de concert avec le représentant de la France, les ordonnances concernant les affaires purement tahitiennes, ainsi que les décisions nommant les fonctionnaires de l’administration indigène.

Comment expliquer que de 1844 à 1867, c’est-à-dire pendant vingt-trois années, les sociétés d’évangélisation ne soient pas intervenues auprès de leurs nouveaux coreligionnaires et aient continué à laisser la place aux pasteurs anglais ? tandis que même avant l’établissement de notre protectorat sur ce pays, les missions catholiques françaises avaient tenté de s’introduire à Tahiti où d’ailleurs elles se sont établies aussitôt après notre arrivée. Il a fallu qu’à la réunion de l’assemblée législative tahitienne de 1862, le gouverneur de l’époque fît adopter une proposition tendant à l’envoi à Tahiti de deux pasteurs protestants officiels pour lesquels un traitement fut inscrit au budget du service indigène.

C’est seulement quelques années après, en 1868 ou 1869, que M. Viénot, missionnaire libre, agent des sociétés françaises d’évangélisation, arriva à Tahiti. Il y avait longtemps que nos concitoyens indigènes étaient Français de cœur, obéissant en cela autant à leurs idées naturelles qui les poussaient vers nous, qu’au dévouement à leur reine, dont l’attitude française ne s’est jamais démentie jusqu’à sa mort, pendant les trente-trois années qui ont suivi l’acceptation définitive, par elle, de notre protectorat.

Je ne sache pas que les Tahitiens aient, à quelque époque que ce soit, aussi bien pendant le long intervalle qui sépare notre prise de protectorat de l’arrivée de l’envoyé des missions évangéliques, que depuis cette époque, manifesté des sentiments antifrançais. Eux-mêmes seraient certainement très surpris en apprenant qu’ils doivent leur francisation au missionnaire Viénot.

Certes, le président du synode des églises tahitiennes doit être, je le suppose, étonné autant que flatté du rôle que lui prêtent ses coreligionnaires, mais il ne me démentira pas — ces lignes lui parviendront — lorsque je dis que sa part d’action dans l’acte du 29 juin 1880, qui a donné à la France Tahiti et ses dépendances, a été des plus restreintes, pour ne pas dire nulle.

Tout l’honneur en revient aux divers administrateurs qui se sont succédé, et surtout en dernier lieu, à M. le gouverneur Isidore Chessé.

Que les sociétés d’évangélisation aient tiré profit de l’acte précité ainsi que de ses conséquences pour, en France, placer sur un piédestal auprès de nos gouvernants de l’époque, et leur mission, et le chef de cette mission, voilà tout ce qu’elles peuvent hautement revendiquer ; personne n’y contredira, de même qu’à Tahiti nul n’ignore que quelques rares administrateurs, affiliés ou non à la secte, ont cru, soit par fanatisme, soit pour se ménager un appui qu’ils s’exagéraient peut-être, soit enfin pour se conformer aux instructions que leur adressait l’administration centrale des colonies, devoir adresser des rapports dans lesquels le rôle de la mission était plus ou moins amplifié.

Mais j’affirme que les agissements de M. Viénot, en tant que chef du protestantisme dans ces îles, a toujours été et est encore complètement inefficace, au point de vue politique s’entend. Ce qui se passe, depuis huit ans, aux Îles-sous-le-Vent, où quelques centaines d’indigènes, soutenus par leurs pasteurs anglais, sont toujours rebelles à nos institutions, le démontre péremptoirement. — En nous plaçant au point de vue religieux, le rôle de M. Viénot n’est guère plus considérable, si l’on remarque que la population véritablement indigène de Tahiti s’élève à peine à 7,000 habitants, hommes, femmes et enfants, parmi lesquels il faut compter environ un quart de catholiques…, et les indifférents qui, là comme un peu partout, ne laissent pas que d’être encore les plus nombreux.

Qu’est-ce que cela, en comparaison de Madagascar ?

Veuillez agréer, Monsieur le rédacteur en chef, l’expression de mes sentiments les plus distingués.

P. GARDEY,
Chef de bureau de première classe des directions
de l’Intérieur aux colonies, en retraite,
En service à Tahiti de 1872 à 1886.

Voilà donc, réduit à ses justes proportions, le rôle du pasteur Viénot dans la francisation de Tahiti, de Tahiti si petite, si facile à tenir dans la main, à côté de l’immense Madagascar.

On peut imaginer aisément le nombre de Viénots qu’il faudrait pour amener à nous les nombreuses peuplades de la grande île malgache.

Mais, encore une fois, je le répète, la question n’est pas là.

Madagascar est couverte, comme d’un filet à mailles serrées, d’un véritable réseau de missions protestantes anglaises. Ces missions ont moins souci de la propagation de la bible que de celle de l’influence britannique. Et leurs pasteurs ne se gênent nullement pour prononcer, à notre nez, les édifiants prêches que vous savez.

Eh bien ! je dis que dans ces conditions, il faudrait être fou pour ne pas voir où pourrait nous entraîner une plus longue tolérance.

Un enfant comprendrait que le premier devoir du gouvernement français et de ses représentants est de donner aux missionnaires anglais le choix entre leur soumission sans phrase ou la porte.

Et le mieux encore, je ne crains pas de le dire, serait en un magistral coup de balai à tous ces artisans de révoltes.

Henry MAIGNE.


À la suite de cette publication, quelques personnalités très en vue à Tahiti, actuellement en France, me firent l’honneur de m’adresser des félicitations sur la façon dont j’avais relevé l’affirmation prétentieuse du « pasteur », en me faisant observer, toutefois, que j’étais trop indulgent quand je disais qu’il ne fallait pas attribuer au protestantisme en général, et au chef de la mission en particulier, un rôle politique dans nos affaires océaniennes, attendu que c’est surtout de la politique beaucoup plus que de la religion qu’ils ont fait et font encore. Ceci est exact, mais j’avais voulu indiquer que ce rôle politique n’a pas eu le résultat dont ils font état par la raison fort simple que leurs menées s’affirmaient à l’encontre du but poursuivi par les représentants du gouvernement français.

D’un autre côté, des doutes s’étaient élevés dans mon esprit sur l’exactitude des dates citées par moi ; mes souvenirs avaient dû me trahir dans cette lettre écrite hâtivement : légères erreurs d’une ou deux années qui ne changent rien au fond, il est vrai, mais qui auraient pu être invoquées à l’encontre de mes affirmations. J’étais informé en même temps de l’arrivée en France du chef de la mission protestante de Tahiti, M. Viénot.

Je fus assez heureux pour retrouver quelques ouvrages, documents, notes, etc., que je croyais disséminés dans les diverses colonies où j’ai été appelé à continuer mes services après mon départ de Tahiti ; je me préparais à adresser au rédacteur en chef du Progrès, une simple note rectificative, en le priant de vouloir bien la reproduire, lorsque le Petit Bourguignon du 20 juillet publia la correspondance suivante :


TRIBUNE PUBLIQUE


M. le pasteur Arnal nous prie de publier la lettre suivante qu’il a adressée au Progrès de la Côte-d’Or, et que notre confrère n’a pas jugé à propos d’insérer :


Dijon, 13 juillet 1896.


À M. le Rédacteur du Progrès de la Côte-d’Or.


Monsieur le Rédacteur,


Vous n’aimez sans doute pas les visites du pasteur protestant, car après celle que j’ai eu l’honneur de vous faire il y a quelques jours, vous éprouvez le besoin de dire à vos lecteurs qu’elle a duré une heure et qu’elle a été une vraie conférence faite dans votre bureau ; parlons franc elle vous a ennuyé.

Si conférence il y a eu, il faut avouer que j’ai perdu votre temps et ma peine, car je n’ai pas réussi à obtenir de votre libéralisme le droit de défendre, dans les colonnes de votre journal, l’honneur du protestantisme français, dont le patriotisme devient suspect à un grand nombre de journalistes.

Vous avez préféré, au lieu de me donner la parole devant vos lecteurs, traduire vous-même mes légitimes griefs, et déclarer que vous tenez les protestants de France pour de bons et authentiques Français, qui n’ont sans doute qu’un tort, c’est de professer la même religion que la majorité des Anglais, nos rivaux dans le domaine colonial.

Je vous remercie de cette déclaration, j’allais presque dire de cette concession, et je n’aurais plus qu’à vous adresser mes humbles excuses, d’avoir abusé de votre temps et de vous avoir infligé un ennui, si après la lecture de votre numéro du samedi 11 juillet, il ne me restait au cœur une affreuse jalousie. Vous avez sans pitié mis ma prose au panier et vous n’avez pas voulu nommer le pasteur qui vous avait fait visite, pour ne pas lui donner le droit de faire un prêche dans vos colonnes. Il faut croire que le contre-prêche vous plaît davantage, car vous avez accordé une grande colonne de texte serré à un fonctionnaire des colonies en retraite, qui rabat mon orgueil protestant, trop complaisamment enflé devant les services de M. le missionnaire Viénot.

Je me garderai bien d’entamer une discussion avec cet honorable fonctionnaire, car ma prose n’a pas droit de se produire dans votre journal, où l’attaque seule est permise mais non la défense.

Qu’il me suffise de répondre à cet amoindrissement systématique de l’influence d’un missionnaire protestant, que le gouvernement français n’a pas jugé cette influence si peu réelle et si peu digne de considération, et qu’en accordant à M. Viénot la croix de la Légion d’honneur, il motivait le décret en ces termes :

« Viénot Charles, membre du conseil colonial de Tahiti, directeur des écoles françaises indigènes, président du conseil supérieur des églises protestantes de la colonie ; 18 ans et demi de services gratuits ; services exceptionnels ; a beaucoup contribué à faire prévaloir l’influence française en Océanie. » Voilà l’appréciation du ministre de la marine et des colonies, elle vaut au moins autant à mes yeux que celle de votre correspondant ; la première me console aisément de la seconde.

Je ne sais, Monsieur, si ces lignes auront l’honneur de paraître dans votre journal ; je m’en remets à votre bon vouloir, et je souhaite qu’un refus de votre part ne vienne pas me donner le droit de dire, que dans votre journal qui se dit libre-penseur, il n’y a pas place pour une pensée libre. Veuillez agréer, etc.

Z. ARNAL.


Il ne me restait plus qu’à consigner dans une étude les faits dont j’ai été témoin, et d’essayer : 1° de signaler à mon tour les dangers qui peuvent résulter, pour notre influence, de la prépondérance acquise par les méthodistes anglicans dans les pays où notre occupation les trouve déjà établis ;

2° De faire saisir, dans toute sa portée, la connexité créée par les dits méthodistes entre la nationalité et la religion ;

3° De jeter un jour sur le rôle joué, en Océanie, tant par la mission protestante française que par la personnalité la plus marquante de la dite mission ;

4° D’appeler l’attention des missionnaires protestants sur l’attitude qu’il leur conviendrait de prendre pour la francisation de Madagascar : à eux de démontrer aux diverses peuplades qu’on peut être en même temps Français et protestant. Je le leur dis avec conviction : ce ne sera pas facile. Il leur faudra un dévouement, une persévérance de tous les instants ; et surtout faire abnégation complète des sentiments de considération ou autres qu’ils ont pu professer jusqu’ici à l’égard de leurs confrères anglicans, en prenant réellement la suprématie sur ces derniers, et non en paraissant, aux yeux des populations, n’être que leurs très humbles serviteurs. En un mot, qu’ils se montrent Français d’abord, protestants après, et qu’ils se donnent corps et âme au but poursuivi : Madagascar, colonie française !

Je le déclare ici : profondément respectueux de toutes les croyances, de tous les dogmes, autant qu’ils ne sortent pas du domaine de la conscience, je sais par expérience quel empire leurs représentants ont sur l’esprit des populations indigènes de nos colonies : aussi ces derniers ont constamment trouvé en moi l’aide qu’ils étaient en droit d’attendre pour le succès de leur œuvre moralisatrice. Mais j’ai toujours considéré comme le premier de mes devoirs de Français et de fonctionnaire, de suivre attentivement leurs efforts et au besoin d’entraver leur action quand, même à leur insu et seulement par la force des choses, elle s’exerçait à l’encontre de l’influence de la France.


Dijon, 10 septembre 1896.

P. GARDEY.